Dès leur élection, les députés de la Chambre des communes deviennent les dépositaires de la confiance
publique. Ils doivent faire preuve d’impartialité et ne tirer de leurs fonctions aucun avantage ou gain personnel. Depuis 25 ans,
on a tenté à maintes reprises de définir le conflit d’intérêts et d’édicter des
règles relatives au trafic d’influence, aux transactions d’initié et à la recherche d’avantages personnels.
Historique
Le gouvernement fédéral publie, en 1973, un livre vert sur les parlementaires et les conflits d’intérêts [263] ,
lequel est renvoyé au Comité permanent des privilèges et des élections au cours de la législature suivante [264] .
Le rapport du Comité à la Chambre comporte de nombreuses recommandations [265] .
En 1978, le gouvernement dépose le projet de loi C-6, Loi concernant l’indépendance du Parlement et les conflits
d’intérêts des sénateurs et des députés et modifiant en conséquence certaines autres lois,
qui élargit en conséquence la portée du livre vert et intègre certaines des recommandations du Comité [266] .
Le projet de loi est renvoyé au Comité permanent des privilèges et élections après l’étape de la
deuxième lecture [267] ,
mais la dissolution du Parlement intervient avant que le Comité n’ait fait rapport à la Chambre.
En 1983, le gouvernement crée le Groupe de travail sur les conflits d’intérêts et le charge d’élaborer
un code relatif aux conflits d’intérêts afin de rehausser la confiance du public et préserver l’intégrité
du processus politique. En mai 1984, le Groupe de travail dresse la liste de neuf activités susceptibles de créer un conflit
d’intérêts et recommande l’adoption d’un code de déontologie assorti de sanctions en proportion avec la
gravité du conflit [268] .
En 1985, le Comité permanent de la gestion et des services aux députés reçoit le mandat d’examiner les
questions relatives à l’établissement d’un registre des intérêts des députés [269] .
Le Comité conclut que rien ne justifie la création d’un tel registre car les lois concernant les conflits d’intérêts
déjà en vigueur sont suffisantes [270] .
C’est à la fin de 1987 que paraît le rapport de la Commission Parker sur les conflits d’intérêts
chargée d’examiner les allégations de conflit d’intérêts mettant en cause l’honorable Sinclair Stevens.
M. le juge Parker formule plusieurs recommandations et notamment l’ajout dans le code de déontologie de l’obligation pour un
ministre de déclarer publiquement ses avoirs, ses intérêts et ses activités. En 1988, le gouvernement dépose le
projet de loi C-114, Loi visant à empêcher toute incompatibilité entre les intérêts privés des
parlementaires et les devoirs de leur charge,lequel est renvoyé à un comité législatif après la
deuxième lecture [271] ,
mais la dissolution du Parlement intervient avant que le comité ne puisse déposer son rapport.
Un autre projet de loi sur les conflits d’intérêts (projet de loi C-46, Loi visant à empêcher toute
incompatibilité entre les intérêts privés des parlementaires et les devoirs de leur charge) est présenté
au cours de la deuxième session (avril 1989 – mai 1991) de la 34e législature [272] ,
mais il n’est jamais adopté. Deux autres projets de loi similaires sont déposés au cours de la troisième
session (mai 1991 -septembre 1993) : le projet de loi C-43, Loi visant à empêcher toute incompatibilité entre les
intérêts privés des parlementaires et les devoirs de leur charge [273] ;
et le projet de loi C-116, Loi visant à empêcher toute incompatibilité entre les intérêts privés des
titulaires de charge publique et les devoirs de leur charge [274] .
Le projet de C-116 franchit l’étape de la deuxième lecture et il est renvoyé au Comité mixte spécial
du Sénat et de la Chambre des communes relatif aux conflits d’intérêts le 30 mars 1993 [275] .
Le 3 juin 1993, le Comité mixte spécial recommande à la Chambre qu’elle abandonne l’étude du projet de
loi [276] .
La 34e législature est dissoute peu de temps après.
Tous les projets de loi sur les conflits d’intérêts exigeaient des sénateurs, des députés, de leurs conjoints
et de leurs enfants à charge qu’ils fassent une déclaration annuelle de leurs intérêts privés à une
commission indépendante de trois personnes. Les projets de loi comportaient aussi des règles interdisant l’utilisation de
renseignements confidentiels à des fins personnelles et toute tentative d’influencer d’autres personnes à des fins
personnelles; des règles relatives à l’acceptation de cadeaux ou autres avantages et à la conduite pendant
l’après-mandat; ainsi que des règles spéciales concernant les activités des ministres en marge de leur mandat.
C’est à la Chambre des communes ou au Sénat que revenait la responsabilité d’imposer des sanctions pouvant aller
de l’amende à la destitution.
Au cours de la première session (janvier 1994 -février 1996) de la 35e législature, un comité mixte spécial
du Sénat et de la Chambre des communes est chargé d’élaborer un code d’éthique destiné à aider les
sénateurs et les députés à concilier leurs responsabilités officielles et leurs intérêts personnels, y
compris leurs relations avec les lobbyistes [277] .
Le comité, reconstitué au cours de la deuxième session (février 1996 – avril 1997) [278] ,
dépose à la Chambre le 20 mars 1997 [279]
un rapport dans lequel il recommande que le Sénat et la Chambre des communes adoptent un « code de déontologie » [280] .
Au moment de la dissolution de la 35e législature, un mois plus tard, le rapport n’a toujours pas été agréé.
Interdictions
Il existe à l’heure actuelle des dispositions législatives et des directives applicables aux conflits d’intérêts.
La Loi sur le Parlement du Canada comporte plusieurs interdictions liées aux conflits d’intérêts. Elle précise
notamment que le mandat d’un député est incompatible avec l’acceptation ou l’exercice, au service du gouvernement
fédéral, d’une charge, d’une commission ou d’un emploi, sous réserve d’exceptions pour les ministres, les
secrétaires parlementaires ou tout membre des Forces armées en service actif en temps de guerre [281] .
Quiconque exécute un contrat avec le gouvernement fédéral ou travaille pour un tel entrepreneur est inéligible et ne peut ni
siéger ni voter à la Chambre des communes bien qu’un député puisse être actionnaire d’une personne morale
liée par contrat avec le gouvernement fédéral, sauf dans le cas d’exécution de travaux publics [282] .
Quand un député contrevient à ces dispositions, son siège est déclaré vacant, son élection est
déclarée nulle et le député se voit imposer une amende de 200$ pour chaque jour où il continue à siéger
ou voter [283] .
Tous les titulaires de charge publique sont assujettis aux dispositions générales du Code criminel sur la corruption, le trafic
d’influence et l’abus de confiance [284] .
Par exemple, il y a abus de confiance quand un député verse une rémunération à une personne pour un travail
qu’elle n’a pas exécuté, lorsqu’il accepte d’embaucher une personne comme employeur ou entrepreneur moyennant
contrepartie et lorsqu’il utilise des fonds publics pour des déplacements privés. Quiconque est reconnu coupable de l’une de ces
infractions est condamné à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans et est incapable d’être élu, de
siéger ou de voter comme membre du Parlement [285] .
La Chambre est néanmoins investie du droit de fixer ses propres règles de procédure et notamment de se prononcer sur le droit
d’un député de prendre son siège, et cela sans aucune ingérence de la part des tribunaux. Elle peut notamment prononcer
la suspension ou l’expulsion des députés. Même quand un député a été reconnu coupable de corruption
ou d’une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement plus longue que la durée d’une législature, le
député ne peut être privé de son droit de siéger sauf par une décision de la Chambre elle-même [286] .
Divers premiers ministres ont mis en place, en plus des interdictions législatives, des directives en matière de conflits d’intérêts
applicables aux ministres et aux autres titulaires de charge publique (Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui
concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat) [287] .
Il s’agit d’un code volontaire qui s’applique aux ministres, aux secrétaires d’État, aux secrétaires
parlementaires et aux autres titulaires de charge publique, c’est-à-dire les personnes nommées à une charge à plein
temps par le gouverneur en conseil. Il stipule que les titulaires de ces charges publiques doivent, dès leur nomination, prendre les mesures
nécessaires pour éviter, dans la gestion de leurs affaires privées, toute possibilité de conflit d’intérêts,
réel ou perçu [288] .
Il leur est interdit de solliciter ou d’accepter de l’argent ou des cadeaux; d’outrepasser leurs fonctions officielles pour venir en
aide à des personnes dans leurs rapports avec le gouvernement; d’utiliser à leur propre avantage ou bénéfice des
renseignements obtenus dans l’exercice de leurs fonctions officielles; et, à l’expiration de leur mandat, de tirer un avantage indu
de la charge publique qu’ils ont occupée. À l’expiration de leur mandat, il est interdit aux ministres, pendant deux ans, et
aux autres titulaires de charges publiques, pendant un an, d’exercer certaines activités afin de garantir leur impartialité dans
l’exercice de leurs fonctions officielles et pour éviter tout traitement préférentiel à l’expiration de leur
mandat. Ces directives sont administrées par un conseiller en éthique, fonctionnaire qui relève directement du premier ministre [289] .
Corruption
La corruption, forme la plus extrême de conflit d’intérêts, est une infraction au Code criminel. La liberté de
s’acquitter de leurs fonctions parlementaires sans crainte d’intimidation ou d’ingérence est l’un des privilèges
parlementaires des députés. Toute tentative de corruption pouvant porter atteinte à ce privilège mine l’indépendance
des députés et, par extension, celle de la Chambre elle-même. Le Règlement dispose que le fait d’offrir de l’argent
ou quelque autre avantage à un député à la Chambre des communes, en vue de favoriser toute opération pendante ou devant
être conduite au Parlement, constitue un délit qualifié de « high crime and misdemeanour » et « tend
à la subversion de la Constitution » [290] .
Il existe peu de cas avérés de tentative de corruption. En 1873, un député affirma à la Chambre que quelqu’un avait
tenté d’acheter son vote. La Chambre ordonna immédiatement que l’accusé soit placé en détention, mais le
Parlement fut prorogé avant que cette personne puisse être interrogée à la barre de la Chambre des communes et l’affaire
en resta là [291] .
En 1964, on allégua qu’un député s’était vu offrir certains avantages à la condition qu’il change
d’affiliation politique en traversant la Chambre. Le Comité permanent des privilèges et élections fut chargé d’examiner
les allégations et de faire rapport de ses conclusions. Il conclut que les allégations étaient sans fondement et l’affaire en
resta là [292] .
Le Règlement de la Chambre est muet sur la procédure à suivre advenant qu’un député exerce autrement ses fonctions
parlementaires du fait qu’il a reçu ou sollicité un pot-de-vin. Cependant, de nombreux députés firent l’objet de
motions de la part de collègues les accusant d’avoir accepté des pots-de-vin pour obtenir certaines faveurs ou tirer profit de certaines
influences [293] .
La Loi sur le Parlement du Canada interdit à un député de recevoir une rémunération pour des services rendus
relativement à quelque affaire devant le Sénat ou la Chambre des communes ou devant un de leurs comités [294] .
En vertu de cette Loi, un député reconnu coupable d’une telle infraction est passible d’une amende de 500 à 2000$, il est
déchu de son mandat et ne peut occuper de poste dans l’administration publique fédérale pendant la période de cinq ans qui
suit sa déclaration de culpabilité [295] .
En outre, un parlementaire qui accepte ou tente d’obtenir une contrepartie de valeur à l’égard d’une chose qu’il a faite
ou omise en sa qualité officielle s’expose, en vertu du Code criminel, à une peine d’emprisonnement de 14 ans [296] .
Intérêts pécuniaires
Aucune loi n’oblige un député à divulguer ses intérêts financiers mais le Règlement de la Chambre prescrit
qu’aucun député n’a le droit de voter sur une question dans laquelle il a un intérêt pécuniaire direct, et que
le vote de tout député ainsi intéressé doit être rejeté [297] .
L’intérêt pécuniaire doit être immédiat et personnel et appartenir en propre à la personne dont le vote est
contesté. Les questions de politique publique dont la portée est très vaste n’entrent pas généralement dans cette
catégorie. Même si un député vote en faveur d’une augmentation de la rémunération des députés,
cela ne constitue pas un intérêt pécuniaire direct puisque la mesure s’applique à l’ensemble des députés [298] .
Le député qui a un intérêt pécuniaire direct dans une affaire s’abstient tout simplement de voter faute de quoi la
validité du vote peut être contestée et le vote rejeté. Quand son droit de vote est contesté, le député est
normalement cru sur parole [299] ,
mais une motion portant que son vote soit rejeté peut aussi être présentée [300] .
Bien qu’on n’ait jamais désavoué le vote d’un député sous prétexte qu’il avait un intérêt
pécuniaire direct dans une affaire, plusieurs députés se sont abstenus volontairement de voter [301]
ou leur droit devote a été contesté [302] .
Registre des déplacements à l’étranger
Il arrive que les députés soient appelés à voyager à l’étranger dans l’exercice de leurs fonctions. Quand
des visites s’effectuent à l’extérieur du Canada et que les dépenses ne sont pas à la charge du Trésor
(c’est-à-dire qu’elles sont prises en charge par des personnes ou des organisations autres que le député lui-même, un parti
politique canadien inscrit, ou encore une association interparlementaire ou un groupe d’amitié reconnu par la Chambre des communes), le député
doit enregistrer le voyage et le nom de la personne ou de l’organisation qui le parraine auprès du Greffier de la Chambre qui tient un registre public
où sont consignés ces renseignements [303] .
Le député peut faire enregistrer le déplacement à l’avance ou après coup en faisant parvenir au Greffier de la Chambre
une lettre portant sa signature [304]
et le Greffier consigne les renseignements au registre. Le député ne peut demander à un membre de son personnel ou à un autre
représentant de transmettre à sa place cette information au Greffier pour consignation au registre.