Le serment ou l’affirmation solennelle d’allégeance
Avant de pouvoir prendre son siège à la Chambre des communes et de voter, le député dûment élu
doit prêter un serment ou faire une affirmation solennelle d’allégeance ou de loyauté au souverain et signer
le registre de prestation (un livre dont les pages portent en en-tête le texte du serment ou de l’affirmation). Quand un
député prête allégeance à Sa Majesté la Reine en sa qualité de souveraine du Canada, il
prête aussi allégeance aux institutions qu’elle représente et notamment au principe de la démocratie.
Le député s’engage ainsi à servir les meilleurs intérêts du pays. Le serment qu’il prête
ou l’affirmation solennelle qu’il fait sert à lui rappeler tout le poids des obligations et des responsabilités
qu’il assume.
La Loi constitutionnelle de 1867 fait obligation à tous les députés de prêter et souscrire le serment
d’allégeance dont le texte se trouve à la cinquième annexe de la Loi [207] .
La Loi stipule : « Les membres… de la Chambre des communes du Canada devront, avant d’entrer dans l’exercice
de leurs fonctions, prêter et souscrire, devant le gouverneur général ou quelque personne à ce par lui
autorisée… Le serment d’allégeance énoncé dans la cinquième annexe de la présente
loi… » Voici le texte du serment : « Je, (nom du député), jure que je serai fidèle et
porterai vraie allégeance à Sa Majesté la reine Elizabeth Deux [208] . »
Plutôt que de prêter serment, le député qui le souhaite, peut faire une affirmation solennelle en déclarant
simplement [209] :
« Je, (nom du député), déclare et affirme solennellement, sincèrement et véritablement que
je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté la reine Elizabeth Deux. »
Historique
Grande-Bretagne
Au Moyen Âge, la prestation du serment d’allégeance n’était pas obligatoire au Parlement britannique [210] .
Au seizième siècle, la Grande-Bretagne vécut des conflits politiques et religieux, particulièrement la
scission de l’Église d’Angleterre et la lutte de pouvoir entre les protestants et les catholiques, qui furent
à l’origine de la prestation de serment des députés en tant que préalable légal. C’est
l’Act of Supremacy adopté en 1563 sous le règne de la Reine Elizabeth I qui imposa le premier serment aux
députés. Cette loi désignait la souveraine chef de l’Église : avant d’occuper leur siège
dans la Chambre des communes, les députés étaient tenus d’affirmer que la souveraine détenait le pouvoir
suprême dans tout le royaume pour toutes les affaires d’ordre ecclésiastique et temporel [211] .
En fait, le serment de suprématie avait pour but premier d’empêcher les catholiques romains d’occuper une
charge publique. En 1678, on y adjoint une déclaration contre la transsubstantiation dans le but d’empêcher les
catholiques romains de siéger au Parlement [212] .
En 1701, espérant ainsi renforcer le protestantisme et faire échec à la tentative des jacobites, partisans de
Jacques II, de rétablir le catholicisme en Angleterre, les autorités anglaises instaurèrent trois serments
d’État dans le but d’empêcher les catholiques et les jacobites d’accéder à des charges
publiques. Le premier était un serment d’allégeance au roi d’Angleterre; le deuxième, dit serment de
suprématie, dénonçait le catholicisme et l’autorité papale; et enfin, le serment d’abjuration
par lequel étaient répudiés tous les droits de Jacques II et de ses descendants au trône d’Angleterre [213] .
Plus de cent ans plus tard, le Parlement britannique adopta le Roman Catholic Relief Act of 1829, loi qui remplaçait
la déclaration contre la transsubstantiation par une simple déclaration d’allégeance et un libellé
de serment que pouvaient agréer les membres de l’Église catholique romaine. En 1858, les serments de suprématie,
d’allégeance et d’abjuration furent remplacés par un serment unique pour les protestants et, plus tard au
cours de la même année, le Parlement britannique adopta une autre loi qui permettait aux Juifs de siéger comme
députés [214] .
Dès 1866, le Parlement britannique adopta un serment unique pour les députés de toutes les confessions religieuses
et, dès 1888, il autorisa ceux qui s’objectaient à la prestation du serment pour des raisons d’ordre religieux
à faire une affirmation solennelle [215] .
Canada
Le serment d’allégeance que doivent prêter les députés avant de prendre leur place à la Chambre
des communes est d’inspiration britannique; cependant, le serment que l’on prêtait dans les colonies canadiennes
était fort différent du serment antipapauté que prononçaient les députés de la Chambre des
communes britannique.
C’est en 1758 que fut élue la première assemblée populaire en Nouvelle-Écosse [216] ;
les catholiques et les juifs n’avaient pas droit de vote et ne pouvaient briguer les suffrages. Ils obtinrent le droit de vote en
1789 quand l’Assemblée législative révisa les critères d’éligibilité et interdit toute
discrimination pour des motifs d’ordre religieux [217] .
En 1823, l’Assemblée de la Nouvelle-Écosse adopta une résolution qui accordait aux catholiques le droit de siéger
à l’Assemblée sans avoir à prononcer la déclaration contre la transsubstantiation [218] .
L’Acte de Québec de 1774, adopté par le Parlement britannique, prévoyait, entre autres, que les
catholiques romains étaient dorénavant dispensés du serment de suprématie et pouvaient, s’ils désiraient
occuper une charge publique, prêter serment d’allégeance [219] .
La Loi constitutionnelle de 1791 scindait la province originale de Québec en deux provinces, soit le Bas-Canada et le
Haut-Canada. Chacune avait son propre conseil législatif et une assemblée élective; les députés devaient
prêter allégeance au roi avant de siéger au Conseil législatif ou à l’Assemblée [220] .
Quand la Province du Canada fut créée, les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1791 touchant au serment
d’allégeance furent reprises dans l’Acte d’union de 1840 [221] .
La Loi constitutionnelle de 1867, adoptée au début de la Confédération, exigeait des députés,
des sénateurs et des députés des assemblées législatives provinciales la prestation d’un serment
d’allégeance.
Dans la Province du Canada, l’Acte d’union de 1840 [222]
autorisait l’affirmation solennelle, comme plus tard l’article 5 de l’Acte concernant les Commissions et les Serments
d’allégeance et d’office [223]
adopté en 1867, mais ces dispositions ne s’appliquaient pas aux membres de la Chambre des communes et du Sénat. Ce
n’est qu’en 1905 que les députés purent faire une affirmation solennelle quand le gouverneur général
s’est vu conférer « le pouvoir de recevoir le serment d’allégeance ou la déclaration de personnes
qui doivent occuper des postes de confiance au Canada, sous la forme prescrite par une loi adoptée au cours des trente et unième
et trente-deuxième années du règne de la reine Victoria, et qui a pour titre : Loi tendant à modifier la Loi
sur les serments promissoires » [224] .
Assermentation
Après une élection générale, le directeur général des élections dépose auprès du
Greffier de la Chambre des communes la liste attestée des députés qui ont été déclarés élus
pour la nouvelle législature. Dès que le Greffier de la Chambre reçoit cette attestation, les députés peuvent
prêter le serment d’allégeance [225] .
L’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise le gouverneur général « ou quelque personne
à ce par lui autorisée » à recevoir le serment d’allégeance. Jusqu’au mois d’août 1949,
des commissaires étaient nommés à cette fin par décret mais depuis, pour éviter d’avoir à
émettre des décrets à nouveau, cette fonction a plutôt été confiée d’office au Greffier,
au sous-greffier et au greffier adjoint de la Chambre des communes et au sergent d’armes, mais c’est normalement le Greffier qui
reçoit les serments d’allégeance [226] .
L’actuelle procédure d’assermentation de la Chambre des communes tient non pas de règles mais plutôt de la pratique
et du précédent. Depuis toujours, les députés sont assermentés individuellement plutôt que collectivement [227] .
Le Greffier invite chaque député à prendre rendez-vous, avant l’ouverture de la nouvelle législature, pour être
assermenté et signer le registre de prestation, registre dont les pages portent en en-tête le texte du serment ou de l’affirmation
solennelle d’allégeance. Les députés signent le registre dès qu’ils ont prêté le serment
d’allégeance ou fait l’affirmation solennelle d’allégeance conformément à la Loi constitutionnelle de 1867 [228] .
La plupart des députés prêtent serment soit dans le bureau du Greffier ou dans une autre pièce de la cité parlementaire
aménagée pour la cérémonie. Leurs invités peuvent assister à la courte cérémonie privée
et la prise de photos est autorisée. Les députés qui n’auraient pas été assermentés avant l’ouverture
de la nouvelle législature peuvent prêter serment le premier jour de séance. La cérémonie se déroule alors dans
l’enceinte de la Chambre des communes, au Bureau, avant l’heure à laquelle les députés doivent se réunir pour
l’ouverture de la législature. Toutefois, à ce moment-là, la cérémonie se déroule sans invités et
sans prise de photos. Les députés assermentés après le premier jour de séance d’une nouvelle législature
le sont dans le bureau du Greffier. Les nouveaux députés élus lors d’élections partielles prêtent serment et
signent le registre de prestation dans le bureau du Greffier.
Si un député ne peut prêter serment ou faire l’affirmation solennelle d’allégeance, ou refuse de le faire, il ne peut
prendre son siège à la Chambre et pourrait être privé de toutes allocations [229] .
Ainsi, ce sont le serment d’allégeance et l’affirmation solennelle d’allégeance qui permettent à un député
d’occuper son siège à la Chambre des communes et de voter [230] .
Violation du serment d’allégeance
La violation du serment d’allégeance constitue un manquement grave et si la Chambre jugeait qu’un député avait
violé son serment, elle sévirait contre lui [231] .
Même si aucun député n’a jamais été jugé coupable de violation de son serment d’allégeance,
le Président dut, en 1990, se prononcer sur la sincérité de l’affirmation solennelle d’un député [232] .
Le Président Fraser jugea que le Président « n’est pas autorisé à porter un jugement sur les circonstances
dans lesquelles, ou la sincérité avec laquelle, un député dûment élu prête le serment
d’allégeance. L’importance que revêt ce serment pour chaque député est affaire de conscience et il doit en
être ainsi ». Comme le député avait dit très clairement à la Chambre qu’il ne s’était
« jamais moqué du Parlement canadien ni de la Reine », le Président conclut qu’il n’y avait pas eu
de violation de privilège puisque la convention veut que la Chambre accepte la parole d’un député. Il ajouta toutefois
que « seule la Chambre peut examiner la conduite de ses membres et elle peut prendre des mesures, si elle décide que des mesures
s’imposent [233] ».
L’affaire en est restée là.