À certains moments, la Chambre peut choisir de s’écarter des règles qu’elle s’est données,
de les modifier ou de les simplifier. Pour apporter des modifications importantes ou permanentes à ses procédures ou pratiques,
la Chambre a normalement recours à une motion précédée d’un avis; toutefois, on s’entend souvent
sur des changements ad hoc en obtenant le consentement de tous les députés présents au moment où il est
proposé de s’écarter des règles ou pratiques habituelles. Les règles ou pratiques en question sont
suspendues avec ce qui est appelé « le consentement unanime » de la Chambre [335] .
Lorsqu’on demande le consentement unanime, la présidence prend soin de vérifier qu’il n’y a absolument aucune
opposition; si une seule voix exprime sa dissidence, il ne peut y avoir unanimité [336] .
Lorsque la Chambre prend une telle décision à l’unanimité, le fait est consigné dans le compte rendu
officiel [337].
Selon toute apparence, c’est pour passer outre aux exigences du Règlement en matière d’avis qu’on a recours
le plus fréquemment au consentement unanime [338] .
Par exemple, on le demande pour déroger à l’obligation de fournir un avis pour les motions de fond [339] ,
lesquelles peuvent ensuite être soumises à la décision de la Chambre. On a présenté des projets de loi
sans avoir déposé l’avis requis [340] ;
de même, après avoir obtenu le consentement unanime, on a présenté et réglé des motions autorisant
des comités à voyager ou à modifier leur composition (ce qu’on appelle les questions d’ordre administratif) [341] .
Il n’est pas rare non plus qu’un rapport de comité soit présenté et adopté le même jour avec
le consentement unanime de la Chambre [342] .
On a aussi demandé le consentement unanime pour présenter sans avis une motion visant à modifier le Règlement;
le consentement a été accordé, et la motion adoptée sans débat [343] .
En règle générale, on obtient le consentement unanime pour accélérer les affaires courantes ou pour
permettre des échanges de politesses à la Chambre. En cours de débat, on a demandé le consentement unanime
pour prolonger brièvement la durée des discours ou la durée de la période des questions et observations
après les discours [344] ;
pour autoriser le partage du temps de parole [345] ;
pour autoriser un député étant déjà intervenu sur une question à faire des observations
additionnelles [346] ;
et même pour modifier l’ordre habituel d’intervention des députés [347] .
Il arrive fréquemment qu’on organise les travaux de la Chambre en ayant recours au consentement unanime. Il peut s’agir
d’une modification de l’ordre des travaux [348] ,
de la suspension de séances [349] ,
du réaménagement des heures d’ajournement ou des jours de séance [350]
et d’ordres spéciaux concernant la procédure à suivre pour des événements particuliers [351] .
On modifie souvent l’ordre établi des travaux quotidiens de la Chambre, notamment en ce qui concerne la séquence des
Affaires courantes, en demandant le consentement unanime pour revenir à une rubrique des Affaires courantes [352] .
Ainsi, les députés qui, par inadvertance, ont laissé passer l’occasion d’intervenir sous les rubriques
« Dépôt de documents », « Présentation de rapports de comités »,
« Dépôt de projets de loi émanant des députés » et « Présentation
de pétitions » demandent régulièrement et obtiennent souvent le consentement unanime pour revenir à
la rubrique en question.
Avec le consentement unanime de la Chambre, on a fait franchir à des projets de loi plus d’une étape en une seule
journée et on les a renvoyés à un comité plénier plutôt qu’à un comité
permanent [353] ;
on a même obtenu le consentement unanime pour modifier un projet de loi [354] .
Pendant des votes par appel nominal, on a demandé le consentement unanime pour appliquer les résultats d’un vote
à un autre vote [355] ,
pour procéder au vote par rangée [356]
ou pour appliquer les votes des députés à des votes subséquents [357] .
Du consentement unanime, des votes par appel nominal ont été réputés demandés et différés [358] .
Un député peut aussi demander le consentement unanime afin de déposer un document dont il a été
question au cours du débat, une pratique interdite en temps normal [359] .
Il y a également eu des utilisations plus inhabituelles du consentement unanime. Par exemple, au début de la
troisième session (1991-1993) de la 34e législature, on a obtenu le consentement unanime pour réinscrire
au Feuilleton deux projets de loi de la session précédente, à l’étape où ils en
étaient lors de la prorogation du Parlement [360] ;
on a aussi reconstitué des comités avec le consentement unanime de la Chambre à seule fin de mener à
terme des projets entrepris au cours de la session précédente [361] .
Deux articles du Règlement traitent explicitement du consentement unanime. Le premier stipule qu’« un
député qui a fait une motion ne peut la retirer qu’avec le consentement unanime de la Chambre » [362] .
Cette obligation existe depuis la Confédération et est fondée sur le principe selon lequel toute motion
devient, une fois présentée, la propriété de la Chambre. Cela s’applique également
aux amendements et aux sous-amendements.
En vertu du second article, si, au cours d’une séance, le consentement unanime est refusé pour la
présentation d’une « motion pour affaire courante », un ministre peut, pendant les Affaires
courantes, demander de proposer la question à la Chambre [363] .
Cette demande peut être présentée plus tard au cours de la même séance ou lors d’une
séance ultérieure de la Chambre [364] .
Lorsque la demande est présentée, la motion est mise aux voix sur-le-champ, sans débat ni amendement [365] .
Si 25 députés ou plus se lèvent pour indiquer qu’ils s’y opposent, la motion est
considérée comme retirée; sinon, elle est adoptée [366] .
Les motions pour affaires courantes auxquelles ce processus s’applique portent, entre autres, sur les questions suivantes :
- L’observation du décorum de la Chambre;
- Le maintien de son autorité;
- L’administration de ses affaires;
- L’agencement de ses travaux;
- La détermination des pouvoirs de ses comités;
- L’exactitude de ses archives; et
- La fixation des jours où elle tient ses séances ainsi que des heures où elle les ouvre ou
les ajourne [367] .
Cet article du Règlement a été contesté avant son adoption en 1991 [368]
et les deux premières fois où on l’a invoqué [369] .
Depuis, on l’a invoqué à différentes reprises après que des motions pour affaires
courantes ont été refusées du consentement unanime [370] .
Les limites du consentement unanime
Malgré la variété des usages dont il a fait l’objet, il ne faut pas présumer que
le consentement unanime permet de contourner n’importe quelle règle ou pratique de la Chambre. Il y a
des limites à son application. Par exemple, on ne peut recourir au consentement unanime pour faire fi des
dispositions de la Loi constitutionnelle ou d’un autre texte législatif. Une disposition
législative a préséance sur tout ordre de la Chambre auquel elle s’applique [371] .
Les députés ont maintes fois pu observer en cours de débat que la Chambre ne peut recourir au
consentement unanime pour agir illégalement [372] .
La procédure liée à la recommandation royale met en relief le fonctionnement de cette interdiction.
L’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 stipule qu’il doit y avoir une recommandation
royale [373]
pour chaque vote, résolution, adresse ou projet de loi visant l’affectation de deniers publics. Cette
disposition constitutionnelle est reprise dans le Règlement [374] .
Le Règlement est un ensemble de règles créées par la Chambre pour sa propre gouverne; elle
peut donc passer outre à certains articles si elle y consent à l’unanimité, ce qu’elle
ne peut faire dans le cas d’une disposition constitutionnelle. Cela a été exposé dans un certain
nombre de décisions du Président [375] .
Le rôle du Président
La façon de demander et d’accorder le consentement unanime obéit à une procédure stricte.
La présidence doit donc faire preuve de méticulosité lorsqu’il s’agit de l’appliquer.
Par exemple, un député désirant passer outre à l’avis requis pour présenter une
motion de fond demande le consentement unanime de la Chambre « pour la motion suivante », qui est
alors lue in extenso. Le Président demande ensuite si la Chambre consent unanimement à ce que le
député présente sa motion. Si une voix dissidente s’exprime, le Président conclut
qu’il n’y a pas consentement unanime et l’affaire ne va pas plus loin, bien qu’il soit possible de
faire d’autres tentatives en vue d’obtenir le consentement unanime [376] .
Si aucune dissidence n’est exprimée, le Président conclut qu’il y a consentement unanime pour la
présentation de la motion, puis demande s’il plaît à la Chambre de l’adopter. À ce
moment, il est d’usage que la Chambre rende une décision sur la motion; techniquement, toutefois, un
débat sur la motion est encore possible [377] .
Lorsque les intentions de la Chambre ne sont pas claires, le Président demande de nouveau s’il y a
consentement unanime [378] .
Si le Président l’entend, une seule voix dissidente suffit pour empêcher le consentement unanime;
le Président a d’ailleurs rappelé aux députés de manifester clairement leurs intentions
lorsqu’ils ne veulent pas accorder ce consentement [379] .
La présidence veille uniquement à déterminer s’il y a ou non unanimité; lorsqu’une
dissidence s’exprime, il ne convient pas de spéculer au sujet de sa source ni d’essayer de
l’identifier [380] .
Une décision ne constitue pas un précédent
Aucune décision prise à l’unanimité par la Chambre ne constitue un précédent.
Toutefois, les ordres ou résolutions présentés ou adoptés avec le consentement unanime
traduisent la volonté de la Chambre et sont tout aussi exécutoires que les autres ordres ou résolutions
de la Chambre. Le consentement unanime offre à la Chambre un moyen d’agir sans délai; par exemple,
après avoir consenti unanimement à la présentation d’une motion sans avis, elle doit rendre
une décision sur la motion de la même façon qu’elle le ferait pour toute autre motion dont elle
est saisie.