Règles relatives à la substance des discours
Allusions aux députés
Pendant les débats, les députés ne doivent pas s’appeler
par leur nom; ils doivent plutôt désigner leurs collègues par leur titre, leur
poste ou le nom de leur circonscription pour éviter toute tendance à
personnaliser le débat [135] .
Il faut
désigner un ministre par le ministère qu’il dirige [136] .
D’ordinaire,
on appelle les chefs des deux principaux partis le très honorable premier
ministre et l’honorable chef de l’Opposition et on identifie les chefs d’autres
partis par leur parti [137] .
On désigne
également par le titre de très honorable les anciens premiers ministres qui
siègent à la Chambre et les autres députés à qui il a été conféré. On désigne
habituellement les secrétaires parlementaires, les leaders à la Chambre et les
whips des partis par la charge dont ils sont titulaires.
Le
Président ne saurait autoriser un député à en appeler un autre par son nom même
lorsqu’il cite un document comme un article de journal. Comme la présidence l’a
fait observer, « on ne peut pas faire indirectement ce qu’on ne peut pas faire
directement [138] ».
Il
est inacceptable de faire allusion à la présence ou à l’absence d’un député ou
d’un ministre à la Chambre [139] .
Le Président a
traditionnellement découragé les députés de faire remarquer l’absence d’un autre
député à la Chambre parce que « les députés doivent être à bien des endroits,
afin de bien remplir les devoirs de leur charge [140] ».
Les
remarques adressées directement à un autre député qui mettent en doute son
intégrité, son honnêteté ou sa réputation sont antiréglementaires [141] .
Un député sera
prié de retirer toute remarque injurieuse, allégation ou accusation
d’irrégularité dirigée contre un autre député [142] .
Le Président
n’est pas habilité à rendre des décisions au sujet de déclarations faites en
dehors de la Chambre des communes par un député contre un autre [143] .
Critiques de la Chambre et du Sénat
Les
remarques irrévérencieuses au sujet du Parlement, ou de la Chambre et du Sénat,
ne sont pas permises [144] .
Cette règle
protège également les députés et sénateurs. Dans les débats, on utilise
ordinairement les expressions « l’autre endroit » et « les membres de l’autre
endroit » pour désigner le Sénat et les sénateurs [145] .
Les allusions
aux débats et aux délibérations du Sénat sont déconseillées [146]
et il n’est pas
acceptable de mettre en doute l’intégrité, l’honnêteté ou la réputation d’un
sénateur [147] .
Cela « prévient
les disputes inutiles entre les membres de deux organismes distincts qui ne
peuvent pas se donner la répartie et protège contre la récrimination et les
propos injurieux en l’absence de l’autre partie [148] ».
Critiques de la présidence
Il
est interdit à quiconque, au cours d’un débat, de critiquer la conduite du
Président ou d’autres présidents de séance [149] .
Il est
inacceptable que l’intégrité et l’impartialité d’un président de séance soient
mises en doute et, si cela se produit, le Président interviendra et pourra
demander au député de se rétracter [150] .
Seule une
motion de fond dont avis écrit a été donné 48 heures à l’avance permet de
contester, de critiquer et de débattre les actes de la présidence [151] .
Les critiques
à l’encontre de la réputation ou des actes du Président ou d’autres présidents
de séance sont considérées comme des atteintes au privilège [152] .
Allusions au souverain, à la Famille Royale, au Gouverneur général et aux Magistrats
Il est interdit aux députés de parler
irrévérencieusement du souverain, de la famille royale, du gouverneur
général ou de la personne qui administre le gouvernement du Canada (en l’absence
du gouverneur général) [153] .
De même, une allusion à
l’une quelconque de ces personnes est interdite lorsqu’elle semble avoir
pour objet d’influencer les travaux de la Chambre [154] .
Comme May le
faisait observer : « On ne peut supposer à Sa Majesté une opinion
personnelle, à part celle de ses conseillers, et toute tentative d’utilisation
de son nom au cours d’un débat pour influencer le jugement du Parlement est
immédiatement réfrénée et censurée. Cette règle s’applique également
aux autres membres de la famille royale, mais elle n’est pas appliquée
rigoureusement lorsqu’un de ses membres a fait une déclaration publique sur
une question d’actualité dans la mesure où il s’est exprimé en des
termes corrects [155] ».
De tout temps, les
attaques personnelles et les blâmes dirigés contre les magistrats et les
tribunaux par des députés au cours d’un débat ont été considérés
comme une infraction au Règlement [156] .
Comme le Président
suppléant McClelland l’a expliqué à la Chambre, « […] une tradition de
longue date de la Chambre veut que l’on fasse preuve de prudence quand on
attaque des personnes ou des groupes, notamment au sein de la magistrature, ou
des personnes qui ne peuvent venir à la Chambre et [jouir du] même droit de
parole dont nous jouissons en toute impunité dans cette enceinte [157] ».
Même s’il est
permis de parler de la magistrature en général ou de critiquer une loi, il ne
convient pas de critiquer un juge en particulier ou de lui prêter des intentions
ni de critiquer la décision rendue par un juge conformément à la loi [158] .
Allusion par leur nom à des particuliers
Les
députés doivent s’abstenir de nommer par leur nom des personnes qui ne sont pas
parlementaires et qui ne jouissent donc pas de l’immunité parlementaire, sauf
lorsque des circonstances exceptionnelles l’exigent, dans l’intérêt national. Le
Président a jugé qu’il incombe aux députés de protéger les innocents, non
seulement contre les calomnies pures et simples, mais également contre toute
attaque directe ou indirecte et il a insisté sur le fait que les députés
devraient s’abstenir dans la mesure du possible de nommer par leur nom des gens
qui ne sont pas à la Chambre et qui ne peuvent donc pas répliquer et se
défendre [159] .
Allusion à des délibérations et à des dé antérieurs
Dans
le passé, on encourageait habituellement les députés à ne pas faire allusion aux
débats de la session en cours pour les empêcher de revenir sur un débat clos et
économiser le temps de la Chambre, à moins que leurs remarques n’aient rapport à
la question débattue [160] .
Aujourd’hui,
il arrive rarement, sinon jamais, que l’attention du Président soit attirée sur
des infractions à cette règle. De manière générale, les députés ne devraient pas
citer des déclarations faites par leurs collègues ou eux-mêmes pendant la
session en cours [161] ,
mais cette
règle ne s’applique pas aux allocutions à différentes étapes d’un projet de
loi [162] .
Une allusion
directe est permise, cependant, si un député désire se plaindre de ce qui a été
dit, rectifier une déformation des faits ou s’expliquer sur un fait
personnel [163] .
Les
députés ne peuvent pas se dresser contre ou critiquer une décision de la
Chambre [164] .
Cela découle
de la règle bien établie selon laquelle une question, lorsqu’elle a été mise aux
voix, ne peut pas être posée de nouveau, que la motion ait été adoptée ou
rejetée. De telles critiques n’ont pas leur place parce que le député est lié
par la décision de la majorité [165] .
Le Président
n’a jamais hésité à attirer l’attention sur les critiques au sujet des
votes [166] .
Toutefois, si
un député donne avis de son intention de proposer qu’un vote soit rescindé, la
Chambre peut reconsidérer une résolution ou un ordre antérieur [167] .
Propos non parlementaires
Les
délibérations de la Chambre sont fondées sur une longue tradition de respect de
l’intégrité de tous les députés. Par conséquent, l’utilisation de propos
injurieux, provocants ou menaçants à la Chambre est strictement interdite. Les
attaques personnelles, les insultes et les propos ou mots obscènes sont
antiréglementaires [168] .
Une accusation
directe ne peut être portée contre un député que par la voie d’une motion de
fond dont avis doit être donné [169] .
Si le
langage utilisé au cours d’un débat est douteux, le Président interviendra.
Néanmoins, tout député qui se sent blessé par une remarque ou une allégation
peut aussi porter immédiatement la question à l’attention du Président en
invoquant le Règlement. Il ne peut pas y avoir de rappels au Règlement durant
les Déclarations de députés ou la Période des questions [170] .
Néanmoins, le
Président peut intervenir sur-le-champ s’il estime que l’affaire est
suffisamment grave pour qu’il lui accorde son attention immédiate [171] .
Normalement,
la question est réglée à la fin de la Période des questions [172] .
Étant donné
que le Président doit prendre une décision en fonction du contexte dans lequel
le langage a été utilisé, le Règlement doit être invoqué le plus tôt possible
après que les propos ont été tenus [173] .
Si le
Président n’a pas entendu les propos prétendus non parlementaires ou s’il y a un
différend quant aux mots vraiment utilisés, la présidence peut laisser la
question de côté en attendant un examen du compte rendu des délibérations et, si
nécessaire, reporter sa décision à plus tard [174] .
Le Président a
également déclaré que si la présidence n’avait pas entendu l’expression ou le
mot injurieux et que si ces propos n’avaient pas été retranscrits dans les Débats, on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle
tranche [175] .
Lorsqu’il doit décider si des propos sont non
parlementaires, le Président tient compte du ton, de la manière et de
l’intention du député qui les a prononcés, de la personne à qui ils
s’adressaient, du degré de provocation et, ce qui est plus important, de la
question de savoir si oui ou non les remarques faites ont semé le désordre à la
Chambre [176] .
Ainsi, des
propos jugés non parlementaires un jour pourraient ne pas nécessairement l’être
le lendemain. La codification du langage non parlementaire s’est révélée
impossible, car c’est du contexte dans lequel les mots ou phrases sont utilisés
dont le Président doit tenir compte lorsqu’il décide s’ils devraient ou non être
retirés [177] .
Même si une
expression peut être considérée comme acceptable, selon le Président, il faut se
garder d’utiliser toute expression qui pourrait semer le désordre à la Chambre.
Les expressions qui sont considérées comme non parlementaires lorsqu’elles
s’appliquent à un député ne sont pas toujours considérées de la sorte
lorsqu’elles s’appliquent de manière générale ou à un parti [178] .
Si le
Président juge que des propos injurieux ou contraires à l’usage ont été
utilisés, il demandera au député qui les a tenus de les retirer. Celui-ci doit
se lever pour se rétracter sans équivoque. Les excuses du député sont acceptées
de bonne foi et l’affaire est dès lors considérée comme close [179] .
Toutefois, si
le député persiste dans son refus d’obéir au Président et de se rétracter, la
présidence peut refuser de lui accorder la parole jusqu’à ce qu’il ait retiré
ses propos [180]
ou peut le
« désigner par son nom » pour mépris de l’autorité de la présidence et lui
ordonner de se retirer de la Chambre pour le reste de la séance [181] .
En
1991, après que des propos non parlementaires eurent été tenus à plusieurs
reprises [182] ,
le
gouvernement présentait à la Chambre une motion se rapportant au décorum et à la
civilité. La motion a été débattue à trois reprises, mais n’a jamais été mise
aux voix [183] .
Répétitions et digressions
Les
règles relatives aux digressions et aux répétitions [184]
s’entrecroisent
et se renforcent mutuellement. La règle de la pertinence est nécessaire pour que
la Chambre puisse exercer son droit d’arriver à une décision et d’exclure du
débat toute discussion qui n’y contribue pas. La règle interdisant les
répétitions fait en sorte que lorsque tout ce qui se rapporte au débat a été
dit, la question est réglée une fois pour toutes, du moins pour la session en
cours. L’une ne saurait exister sans l’autre, car cela limiterait grandement la
capacité de la Chambre d’utiliser efficacement le temps réservé à ses
travaux.
Les
règles relatives aux digressions et aux répétitions sont quelque peu difficiles
à définir et à appliquer. Le Président peut invoquer la règle interdisant les
répétitions pour empêcher un député de reprendre des arguments déjà présentés au
cours du débat, que ce soit par d’autres députés ou par lui-même [185] .
Quant à la
règle de la pertinence, elle est utilisée pour empêcher un député de s’éloigner
de la question dont la Chambre ou un comité a été saisi. Il n’est pas toujours
possible de juger de la pertinence (ou du caractère répétitif) des remarques
d’un député avant qu’il ait fini de dire ce qu’il avait à dire [186] .
Dans la
pratique, le Président permet une certaine latitude — si les règles sont
appliquées trop rigoureusement, elles risquent d’écourter grandement le débat;
si elles sont appliquées trop librement et font perdre un temps précieux, elles
peuvent empêcher d’autres députés de participer au débat. Les circonstances,
l’humeur de la Chambre et l’importance relative du sujet à l’étude dicteront la
rigueur avec laquelle le Président interprétera ces règles.
Dans
l’exercice de son pouvoir d’application des règles se rapportant aux digressions
et aux répétitions, le Président peut rappeler un député à l’ordre et, si c’est
nécessaire, l’avertir qu’il risque de devoir mettre un terme à son discours. De
tels avertissements suffisent habituellement. Cependant, si le député persistait
à s’éloigner du sujet ou à répéter des choses déjà dites, le Président pourrait
donner la parole à un autre député ou, si aucun autre député ne souhaite prendre
la parole, mettre la question aux voix. Si le député faisait fi des instructions
ou directives du Président, ce dernier pourrait le « désigner par son
nom » [187] .
Historique
Nul
ne sait au juste quand la Chambre des communes britannique a adopté la pratique
consistant à restreindre les discours répétitifs ou hors de propos. Il
semblerait cependant qu’elle ait déjà été bien établie à la fin du seizième
siècle. Un manuel de procédure remontant à l’époque des parlements élizabéthains
énonce parmi les pouvoirs du Président celui de rappeler un député à l’ordre
lorsqu’il « intervient dans un débat sur un projet de loi et est hors de
propos [188] ».
Durant la
même période, le Président Popham demandait, au moment de son élection à la
présidence en 1580, que les députés « s’en tiennent au sujet […] et ne
consacrent pas trop de temps à des motions inutiles ou des arguments
superflus [189] ».
Les Journaux de 1604 donnent à penser que la règle de la
pertinence a été adoptée cette année-là sur l’ordre de la Chambre et Hatsell l’a
définie en ces termes : « Que si un homme parle sans pertinence, ou qu’il est en
dehors du sujet, le Président peut l’interrompre conformément aux ordres de la
Chambre et décider, selon le bon plaisir de la Chambre, si elle continuera à
l’entendre [190] ».
Peu après, la
Chambre a également adopté une règle interdisant les répétitions [191] .
Les deux
règles étaient difficiles à appliquer, notamment celle de la pertinence qui
obligeait le Président à obtenir l’appui de la Chambre pour ordonner à un député
de s’en tenir au sujet du débat. Au dix-huitième siècle, les interventions des
Présidents étaient tellement rares qu’elles déplaisaient parfois fortement aux
députés. Même un personnage aussi formidable que le Président Arthur Onslow
n’arrivait pas à faire respecter la règle de sa propre autorité [192] .
Lorsque la Chambre des communes canadienne a adopté ses
règles en 1867, aucune allusion n’a été faite aux répétitions durant un débat et
la règle de la pertinence n’a été mentionnée que dans le contexte d’un ordre
général donné aux députés de « s’en tenir à la question débattue [193] ».
Mis à part le
fait qu’il pouvait conseiller à un député de s’en tenir au sujet, le Président
devait presque s’en remettre à la Chambre et à la bonne volonté des députés pour
faire respecter la règle.
Lors
d’une révision des règles en 1910, les pouvoirs du Président ont été accrus. La
présidence a été habilitée à signifier à un député de discontinuer son discours
si elle le jugeait hors de propos ou répétitif après avoir attiré l’attention de
la Chambre sur la question [194] .
Lorsqu’il a
proposé l’adoption de cette règle, le premier ministre Wilfrid Laurier a fait
observer que c’était « mot pour mot le texte du règlement de la Chambre des
communes d’Angleterre [195] ».
Il n’en était
pas moins vrai de la règle se rapportant à la pertinence des propos tenus en
comité plénier qui a été adoptée au même moment : « Les discours en Comité plénier
se rapportent rigoureusement au poste ou à la disposition à l’étude [196] ».
Lorsque les règles ont été révisées en 1927, le rôle du
Président a été davantage précisé. Au cas où un député refuserait d’obéir au
Président, un comité spécial de la procédure a conféré à ce dernier le pouvoir
de « désigner » le député récalcitrant par son nom ou, dans le cas d’un comité,
permis au président du comité de le dénoncer à la Chambre. Ces modifications ont
été adoptées par la Chambre sans amendement ni débat et sont demeurées
inchangées depuis [197] .
La règle interdisant les répétitions
La
règle interdisant les répétitions vise principalement à sauvegarder le droit de
la Chambre d’en arriver à une décision et à prévenir l’utilisation inefficace de
son temps. Même si le principe est clair et logique, il n’a pas été toujours
facile à appliquer [198] .
Le champ
d’application de cette règle confère une grande latitude au Président. La
présidence peut l’utiliser pour écourter un débat qui se prolonge en limitant
les interventions des députés aux remarques qui n’ont pas déjà été
faites [199] .
Dans le
contexte du processus législatif, cette dernière restriction s’applique aux
remarques des députés à la même étape uniquement de l’étude d’un projet de loi.
Les arguments présentés à une étape peuvent légitimement l’être de nouveau à une
autre. L’objet de la règle est de préserver le droit de la Chambre d’arriver à
une décision. La liberté de parole dont jouissent les députés ne s’étend pas au
droit de faire de nouveau valoir des arguments qui ont déjà été
entendus [200] .
Enfin, le Président s’est servi de la règle de diverses
autres façons pour aider la Chambre à utiliser efficacement le temps qui lui est
alloué. Des Présidents ont déclaré inadmissibles la lecture ennuyeuse de lettres
même pour appuyer un argument [201] ;
la
présentation durant la Période des questions d’une question semblable à une
autre qui avait déjà été posée le même jour [202] ;
et la
répétition de questions de privilège sur le même sujet [203] .
La règle de la pertinence
La
Chambre dispose maintenant de règles limitant la durée des discours, mais il fut
un temps où il y avait peu de restrictions et où il arrivait souvent que le
débat déborde le cadre du sujet à l’étude. En 1882, Bourinot a jugé nécessaire
d’ajouter le commentaire qui suit à son étude de la procédure
parlementaire :
Le respect des privilèges et de la dignité du Parlement
exige qu’il ne gaspille pas inutilement son temps en de vaines discussions; par
conséquent, tout député qui s’adresse à la Chambre devrait essayer de serrer le
plus près possible la question à l’étude [204] .
Ce
conseil vaut toujours aujourd’hui puisque la conduite des affaires de l’État est
beaucoup plus complexe et que le temps de la Chambre est limité. Donc, dès qu’un
député s’éloigne de la question dont la Chambre a été saisie, le Président
invoque la règle de la pertinence. Il l’a fait, dans bien des cas, en indiquant
à un député qui avait été rappelé à l’ordre quel était au juste le sujet et en
quoi ses remarques n’étaient pas pertinentes [205] .
En
particulier, durant la période des questions et observations de 10 minutes qui
suit la plupart des discours, si un député ne limite pas ses remarques aux
arguments avancés dans le discours, la présidence invoquera la règle de la
pertinence [206] .
Malgré tout,
les Présidents ont tendance à être conscients de la nécessité d’une certaine
souplesse dans l’application de la règle [207] .
Ils ont fermé
les yeux sur des allusions à d’autres questions au cours d’un débat si elles
étaient faites en passant et n’étaient pas le thème principal du
discours [208] .
La
règle de la pertinence s’applique non seulement au débat sur une motion
principale, mais aussi à tout amendement proposé à la motion principale [209] .
Si un
amendement est proposé à une motion, la règle de la pertinence veut que le débat
soit limité à cet amendement jusqu’à ce que la Chambre se soit
prononcée [210] .
Les arguments
jugés hors de propos au cours d’un débat sur une motion principale demeurent
hors de propos s’ils sont présentés sous la forme d’un amendement. Même si
l’amendement propose de remplacer tous les mots de la motion principale après
« que » et d’y substituer une proposition de rechange, le débat est limité à la
motion principale et à l’amendement; toutes les autres propositions de rechange
sont hors de propos [211] .
Lorsque la
Chambre s’est prononcée sur un amendement, il lui est alors possible de débattre
la motion principale en entier ou d’envisager un autre amendement.
La
question préalable a un caractère exceptionnel en ce qui concerne la règle de la
pertinence. « Que la question soit maintenant mise aux voix » ne gène en rien le
débat sur la motion initiale. Au contraire, les députés qui ont déjà participé
au débat peuvent de nouveau exprimer leur avis sur la motion, après que la
question préalable a été proposée [212].
Toutefois, il
faut prendre garde d’éviter les répétitions.
Projets de loi
La
pertinence du débat à une motion dont la Chambre a été saisie vaut notamment
pour l’examen des projets de loi aux différentes étapes qui précèdent leur
adoption. D’après la pratique qui a son origine à la Chambre des communes
britannique, « chacune de ces étapes a sa propre fonction particulière et,
jusqu’à un certain point, sa gamme plus ou moins limitée de débats [213] ».
Cette
fonction guide le Président et la Chambre dans l’application de la règle de la
pertinence. Ainsi, par exemple, l’étape de la deuxième lecture d’un projet de
loi se limite à la discussion de son principe tandis que l’étape du rapport ne
porte que sur les motions d’amendement à un projet de loi. En dépit des
nombreuses occasions offertes à la Chambre de discuter d’un projet de loi, la
portée du débat est censée être différente à chaque étape.
• Deuxième lecture
Au
cours du débat en deuxième lecture, on est souvent tenté d’étudier à fond les
articles d’un projet de loi au lieu d’examiner le principe du projet de loi. Un
tel débat contrevient à la règle de la pertinence. La plupart des interventions
du Président ont habituellement pour objet d’empêcher les députés de discuter de
dispositions du projet de loi plutôt que de son principe [214] .
Une décision
du Président à ce sujet est assez claire : « À l’étape de la deuxième lecture, il
ne convient pas de débattre des articles du [ projet de loi ] [215] ».
Lorsque la
Chambre songe à adopter un projet de loi modificative, la règle exige, en
deuxième lecture, que ce soit le principe du projet de loi même, et non celui de
la loi existante, qui constitue le sujet à l’étude [216] .
• L’étape de l’examen en comité
Le
renvoi d’un projet de loi à un comité prépare le terrain à une étude approfondie
de son contenu, article par article. Aujourd’hui, la plupart des projets de loi
sont renvoyés à des comités permanents pour être étudiés, mais, dans le passé,
l’examen des projets de loi était plus souvent confié à un comité plénier et
c’est dans cette enceinte plus nombreuse que la pratique régissant l’examen des
projets de loi s’est développée. Conformément au Règlement, les discours
prononcés en comité plénier doivent se rapporter rigoureusement au poste ou à la
disposition à l’étude [217] .
Les présidents
ont fréquemment cité cette règle et demandé que les députés l’observent [218] .
La même
pratique s’applique à l’étude des projets de loi par les comités permanents,
spéciaux ou législatifs.
Une
exception importante à la règle de la pertinence en comité est celle du débat
général qui est permis relativement à l’article 1, ou l’article qui suit
l’article sur le titre abrégé. Même si le Règlement ne contient aucune
disposition au sujet de cette pratique, elle est acceptée depuis au moins les
années 1930 [219] .
Au fil des
ans, les présidents se sont colletés avec les règles de débat se rapportant à
l’article 1 et ont établi certaines limites. Celles-ci incluent la proscription
de la répétition du débat en deuxième lecture et de l’anticipation de l’étude
article par article [220] .
En outre, le
débat général sur l’article 1 ne peut pas s’écarter de l’objet du projet de
loi [221] .
Une autre
limite surgit lorsqu’un amendement a été proposé à l’article 1. Pour reprendre
les propos d’un président qui a rendu une décision à ce sujet : « Une fois qu’un
amendement a été proposé, j’estime que la discussion devrait se limiter à cet
amendement jusqu’à ce que l’affaire ait été réglée, après quoi on peut formuler
à nouveau des observations d’ordre général [222] . »
Ce jugement a
été confirmé par la pratique et par une décision ultérieure [223] .
• L’étape du rapport
D’après Beauchesne, « l’étape du
rapport d’un projet de loi d’intérêt public est consacrée à la révision de ce
qui s’est fait en comité. Il s’agit d’une réédition, sous une forme moins libre,
de l’étude en comité, les règles applicables à la circonstance étant celles qui
régissent les délibérations de la Chambre, le Président étant au
fauteuil [224] ».
Les motions à
l’étape du rapport sont des amendements à des articles d’un projet de loi visant
à les modifier, à les supprimer ou à les rétablir. Pour éviter les répétitions
excessives, le Président a le pouvoir de choisir ou de combiner les
modifications proposées [225] .
Le Président
peut aussi contrôler les délibérations en utilisant la règle de la pertinence
telle qu’elle s’applique au débat sur les articles d’un projet de loi. Bien que
le débat à l’étape du rapport ressemble à celui de l’étape de l’examen en
comité, les députés n’ont pas toute latitude pour discuter d’un projet de loi
comme le veut la pratique à l’étape de l’étude en comité de l’article 1 [226] .
• Troisième lecture
Le
débat en troisième lecture consiste à revoir la mesure législative dans sa forme
définitive et est strictement confiné au contenu du projet de loi [227] .
Si un
amendement est proposé, le débat devrait porter sur cet amendement jusqu’à ce
que la Chambre se soit prononcée [228] .
Débats sur l’Adresse en réponse au discours du Trône et sur le Budget
Les
us et coutumes de la Chambre permettent que la règle de la pertinence soit
quelque peu relâchée au cours du débat sur la motion pour une Adresse en réponse
au discours du Trône. Le débat sur cette motion « constitue pour le simple député
l’une des occasions qui lui sont offertes de traiter librement des sujets de son
choix [229] ».
Par
conséquent, le débat a tendance à être très général et le Président ne fait
habituellement aucun effort pour appliquer la règle de la pertinence. Ce n’est
pas le cas, toutefois, lorsque la Chambre tient un débat sur le Budget. Les
remarques des députés doivent être pertinentes à la motion dont la Chambre a été
saisie. Il reste que l’énoncé de la motion (c’est-à-dire que la Chambre approuve
la politique budgétaire générale du gouvernement) est suffisamment vaste pour
assurer aux députés une grande latitude dans leurs propos sans transgresser le
principe de la règle [230] .
La convention relative aux affaires en instance sub judice
Au
cours d’un débat, des restrictions sont imposées à la liberté de parole des
députés qui ne peuvent faire allusion à des affaires en instance dans l’intérêt
de la justice et de l’équité. De telles affaires ne peuvent pas non plus faire
l’objet de motions ou de questions à la Chambre. Même s’il existe des précédents
qui peuvent guider la présidence, on n’a jamais tenté de codifier la pratique
connue sous le nom de « convention relative aux affaires en instance sub judice [231] ».
L’interprétation de cette convention est laissée au Président étant donné qu’il
n’existe aucune « règle » pour empêcher le Parlement de discuter d’une affaire en
instance sub judice, c’est-à-dire « en instance
devant un juge ou un tribunal ».
La
convention relative aux affaires en instance sub
judice est avant tout une restriction que la Chambre s’impose volontairement
pour protéger un accusé, ou une autre partie à des poursuites en justice ou à
une enquête judiciaire, de tout effet préjudiciable d’une discussion publique de
la question [232] .
La convention
existe également, comme le faisait observer le Président Fraser, pour « maintenir
la séparation et la bonne entente entre le législatif et le judiciaire [233] ».
Ainsi, la
perception et la réalité de l’indépendance du pouvoir judiciaire doivent être
jalousement protégées. Cependant, comme le Président Sauvé l’a expliqué, la
convention relative aux affaires en instance n’a jamais empêché la Chambre
d’étudier une affaire en cours d’instance lorsque cette affaire, considérée
comme une question de privilège fondée de prime abord, était vitale pour le pays
et pour la bonne marche de la Chambre [234] .
Il y
a des situations où l’application de la convention relative aux affaires en
instance sub judice n’a posé aucun problème. Elle a
été appliquée à des motions, des allusions au cours de débats, des questions et
des questions supplémentaires [235] .
Elle a aussi
été appliquée régulièrement dans des affaires criminelles. Cependant, la
convention ne s’applique pas aux projets de loi puisqu’on ne peut pas limiter le
droit du Parlement de légiférer [236] .
Si la
convention relative aux affaires en instance sub
judice devait s’appliquer aux projets de loi, tout le processus législatif
pourrait s’arrêter du simple fait du dépôt d’un bref ou de poursuites
judiciaires devant un tribunal ou l’autre au Canada.
Affaires au criminel et au civil
Aucune distinction n’a jamais été faite au Canada entre les
tribunaux criminels et les tribunaux civils aux fins de l’application de la
convention et elle s’est appliquée également à certains tribunaux autres que des
cours de justice. La convention relative aux affaires en instance sub judice est là pour garantir à chacun un juste
procès et empêcher toute influence indue qui pourrait préjudicier à une décision
judiciaire ou au rapport d’un tribunal d’enquête. En fait, de l’avis du Comité
spécial des droits et immunités des députés, « la question du préjudice se pose
surtout lorsqu’il s’agit de procès en diffamation devant un jury, au criminel et
au civil [237] ».
Dans
les affaires criminelles, les précédents ont consisté à ne pas faire allusion à
la cause avant qu’une décision n’ait été rendue et durant tout appel. On
s’attend des députés à ce qu’ils s’abstiennent de discuter des affaires qui sont
devant un tribunal criminel, non seulement pour protéger les personnes qui
subissent un procès et risquent d’en souffrir peu importe son issue, mais aussi
parce que le procès pourrait se trouver faussé par un débat à la
Chambre [238] .
Il a été
établi que la convention cesse de s’appliquer, en ce qui concerne les affaires
au criminel, lorsqu’un jugement a été rendu [239] .
Le Président a
confirmé qu’une affaire est de nouveau sub judice si
la décision rendue fait l’objet d’un appel [240] .
Les
précédents varient en ce qui concerne les affaires au civil. La convention a été
appliquée dans certains cas [241] ,
mais pas dans
d’autres [242] .
Toutefois, en
1976, le Président a jugé que rien ne devrait restreindre le droit d’un député
de poser des questions au sujet d’une affaire devant les tribunaux, notamment au
civil, à moins et jusqu’à ce que l’affaire passe en jugement [243] .
Bien qu’il n’y
ait pas de pratique établie dans le cas des affaires civiles, la présidence a en
de nombreuses occasions fait allusion à la nécessité de faire preuve de prudence
dans les allusions aux affaires en instance judiciaire, peu importe la nature du
tribunal [244] .
Cours d’archives et commissions royales
D’après les précédents, il est clair que l’application de
la convention est limitée aux tribunaux définis par la loi comme étant des cours
d’archives [245] .
(Une cour
d’archives est définie comme suit : « Une cour qui doit tenir un compte rendu de
ses délibérations et qui peut imposer une amende ou une peine d’emprisonnement.
Un tel compte rendu est digne de foi et ne peut pas être contesté [246] . »)
La
convention relative aux affaires en instance sub judice ne s’applique pas, cependant, aux questions renvoyées à des commissions
royales quoique la présidence ait fait une mise en garde contre les allusions
aux délibérations, témoignages ou constatations d’une commission royale avant
qu’elle n’ait présenté son rapport [247] .
Le rôle du Président
Étant
donné que la convention relative aux affaires en instance sub judice n’est pas codifiée et est d’application
volontaire, la compétence du Président dans de telles affaires est un peu
difficile à définir. Le pouvoir discrétionnaire du Président à l’égard des
affaires en instance sub judice découle de son rôle
de gardien de la liberté d’expression à la Chambre. Le Président a le devoir de
mettre en équilibre les droits de la Chambre et les droits et intérêts du
citoyen ordinaire qui subit un procès. En fait, le Président n’exerce son
pouvoir discrétionnaire que dans des cas exceptionnels où il est clair qu’en
agissant autrement, il léserait des intérêts particuliers. Le problème qui se
pose pour un Président tient à ce qu’il ne peut déterminer si un commentaire
aura une incidence quelconque avant que les observations aient été
faites.
Dans
son rapport, le Comité spécial des droits et immunités des députés a recommandé
que si la situation n’est pas claire, le Président accorde le bénéfice du doute
au député qui désire soulever une question à la Chambre et s’abstienne de se
servir de son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’application de la
convention [248] .
Le Comité a
conclu que sans vouloir remettre en question le pouvoir discrétionnaire de la
présidence, il n’en demeure pas moins que les députés de la Chambre devraient
eux-mêmes s’abstenir de toute déclaration [249] .
Un député qui
croit que le fait d’intervenir pourrait léser des intérêts particuliers, lors
d’un procès ou d’une enquête, devrait s’abstenir de toute déclaration. En outre,
tout député qui demande au Président d’empêcher une discussion pour motif de sub judice se verrait obligé de démontrer, à la
satisfaction du Président, l’existence d’une raison valable de croire qu’un
préjudice pourrait résulter de cette discussion [250] .
Le
Comité s’est dit d’avis également qu’au cours de la Période des questions, la
présidence devrait s’abstenir d’intervenir en ce qui a trait à l’application de
la convention, et qu’il incomberait plutôt au député qui pose la question ainsi
qu’au ministre à qui elle est adressée de faire preuve de discernement. Un
ministre est mieux placé que le Président pour juger si une question qui lui est
adressée concerne une affaire en instance sub
judice. Le ministre peut alors décider de lui-même si sa réponse peut léser
les intérêts d’une partie; auquel cas, il pourrait refuser de répondre, en se
prévalant de sa prérogative de répondre ou non à une question. D’après les
précédents, il semblerait que ce soit l’approche adoptée par la
présidence [251] .
Le Président
n’est intervenu que lorsqu’il croyait qu’il y avait manquement à la convention
relative aux affaires en instance sub
judice [252] .
Explications sur un fait personnel
La
présidence peut à l’occasion autoriser un député à donner des explications sur
un fait personnel même si la Chambre n’a été saisie d’aucune question. C’est ce
que les députés appellent communément « une question de privilège personnel » et
il s’agit d’une indulgence de la présidence à leur égard. Il n’y a aucun lien
avec la question de privilège et, comme un Président le faisait observer, « Je ne
m’appuie sur aucune autorité juridique, aucune règle de procédure ni aucun
précédent historique ou autre [253] ».
Par
conséquent, de telles occasions ne doivent pas donner lieu à un débat général et
les députés savent qu’ils doivent s’en tenir à l’essentiel [254] .
Lorsque la
présidence les y autorise, les députés peuvent notamment annoncer une
démission [255]
ou expliquer
des changements dans l’appartenance politique, des faits les touchant qui se
sont produits à l’extérieur de la Chambre ou des déclarations mal
interprétées [256] .