Le
Président doit veiller à ce que le débat soit conforme aux règles et aux
pratiques que la Chambre a adoptées pour se protéger des excès. Bien que la
Chambre soit maîtresse de ses travaux et que le Président n’en soit que le
serviteur, celui-ci dispose de vastes pouvoirs pour faire respecter les règles
du débat et pour maintenir l’ordre de manière à ce que la Chambre puisse
effectuer ses travaux dans l’harmonie. En fait, le Règlement prévoit
expressément que le Président doit maintenir l’ordre et le décorum, de même que
régler les questions d’ordre [325] .
Il l’autorise
également à rappeler un député à l’ordre si celui-ci persiste à répéter un
argument déjà présenté au cours du débat ou à s’éloigner du sujet dont la
Chambre a été saisie [326] .
Le
maintien de l’ordre et du décorum fait partie des fonctions du Président depuis
1867, mais cette tâche n’a jamais été aussi difficile que pendant les premières
années de la Confédération. Les Présidents de l’époque devaient régulièrement
faire face à des comportements grossiers et désordonnés, auxquels ils étaient
souvent incapables de mettre fin. Les députés qui lançaient du papier [327] ,
des
livres [328]
ou d’autres
missiles, y compris des pétards dans un cas [329] ,
qui imitaient
des chats [330]
ou qui
faisaient de la musique [331]
et des bruits
de toutes sortes faisaient de la Chambre un endroit plutôt tumultueux [332] .
La Chambre est
devenue beaucoup plus calme et plus austère au début du vingtième siècle,
quoique le Président en ait presque perdu le contrôle au moment du débat sur le
projet de loi relatif aux forces navales, en 1913 [333] .
Par la suite,
les épisodes de turbulence ont été peu fréquents, et la plupart se sont produits
dans des cas où le gouvernement cherchait à imposer la clôture des
débats [334] .
Sauf en 1956,
à l’occasion du débat sur le pipeline, le Président n’a guère eu de mal à
préserver l’ordre à la Chambre durant cette période [335] .
Par la suite,
la succession de gouvernements minoritaires pendant les années 1960 et les
débuts de la télédiffusion des séances à la fin des années 1970 ont toutefois
entraîné d’autres difficultés. Les Présidents Jerome, Sauvé, Francis et Bosley
ont tous eu à sanctionner de nombreux écarts de langage et d’autres manquements
à l’ordre et au décorum [336] .
Et, pendant
les années 1990, les Présidents Fraser et Parent ont tous deux été appelés à
régler un certain nombre de cas d’indiscipline [337] .
Les
conventions acceptées relativement aux comportements parlementaires et au
respect de l’autorité de la présidence suffisent normalement à garantir le
maintien de l’ordre et du décorum pendant les débats et les autres travaux de la
Chambre. Cependant, en cas de manquement aux règles du débat [338] ,
le Président
intervient directement pour avertir le député fautif ou la Chambre en général,
et pour rappeler à l’ordre le député dont le comportement perturbe la
séance [339] .
Il fait
généralement ses déclarations sur les manquements à l’ordre ou au décorum dès
qu’ils se produisent, avant toute discussion.
Il
est rare que des députés défient l’autorité du Président ou prennent le risque
d’encourir ses sanctions disciplinaires. Toutefois, si un député conteste
l’autorité de la présidence en refusant de tenir compte d’un rappel à l’ordre du
Président, de retirer des paroles non parlementaires, de mettre fin à des propos
non pertinents ou répétitifs, ou de cesser d’interrompre le député qui a la
parole, le Président a un certain nombre d’options à sa disposition. Il peut
accorder la parole à un autre député [340]
ou refuser de
l’accorder au député fautif jusqu’à ce que celui-ci ait retiré ses paroles
offensantes et présenté ses excuses [341] .
En dernier
recours, il peut désigner le député par son nom; c’est la sanction la plus
lourde qu’il puisse imposer.
Le
député qui persiste à défier l’autorité de la présidence peut faire l’objet
d’une mesure disciplinaire qui consiste à le désigner par son nom. S’il refuse
de se plier aux injonctions du Président lorsque celui-ci lui demande de se
conformer aux règles et pratiques de la Chambre, le Président peut le désigner
par son nom, plutôt que par son titre ou par le nom de sa circonscription comme
le veut l’usage, et lui ordonner de se retirer de la Chambre pour le reste de la
journée de séance [342] .
Le Président
peut aussi laisser à la Chambre le soin de prendre les mesures disciplinaires
supplémentaires de son choix. Dans un cas comme dans l’autre, la désignation
d’un député par son nom est une mesure cœrcitive de dernier ressort.
Historique
Jusqu’en 1927, la pratique britannique à ce chapitre
s’appliquait déjà à l’Assemblée législative de la Province du Canada, avant la
Confédération, et à la Chambre des communes par la suite [343] .
Bien que la
mesure ait été appliquée à quelques reprises avant la Confédération [344] ,
la chose ne
s’est produite qu’une fois entre 1867 et 1927. En 1913, le Président Sproule,
qui avait pris le fauteuil pour mettre fin au désordre qui régnait en comité
plénier, a invoqué une règle britannique et désigné M. Clark (Red Deer) par son
nom parce qu’il avait « méconnu l’autorité [du Président] et violé délibérément
les règles parlementaires [345] ».
Le député
ainsi désigné par son nom a présenté ses excuses, la Chambre a jugé ses
explications satisfaisantes, et aucune motion n’a été proposée en vue de sa
suspension [346] .
Il y a certes
eu des moments, pendant les 46 ans d’intervalle entre la Confédération et
l’incident de 1913, puis entre 1914 et 1927, où le Président aurait été justifié
de recourir à cette pratique contre des députés qui refusaient de tenir compte
de ses rappels à l’ordre, mais il ne l’a pas fait [347] .
Lorsque cette sanction a été inscrite officiellement dans
le Règlement, en 1927 [348] ,
la disposition
à cet égard stipulait simplement que le Président était autorisé à désigner par
son nom un député qui persistait à s’éloigner du sujet de la discussion ou à
répéter des choses déjà dites [349] ;
le Règlement
ne faisait aucune allusion à la possibilité de désigner par son nom un député
qui refusait de retirer des propos non parlementaires ou de se soumettre à
l’autorité de la présidence. Il ne précisait pas non plus la procédure à suivre
après la désignation d’un député [350] .
Ce n’est que
15 ans plus tard, en 1942, que le nouveau Règlement a été invoqué une première
fois pour désigner un député par son nom. Après que le Président Glen eut
désigné M. Lacombe (Laval–Deux Montagnes), le ministre des Finances a
immédiatement déposé une motion visant sa suspension, motion qui a été adoptée
par une confortable majorité [351] .
C’est ainsi
que s’est implantée graduellement la pratique selon laquelle un ministre,
habituellement le leader du gouvernement à la Chambre, dépose une motion visant
à suspendre un député qui vient d’être désigné par son nom, généralement pour le
reste de la journée de séance. D’autres députés ont été désignés par leur nom en
1944 (à deux reprises), 1956, 1961, 1962 (à deux reprises également) et
1964 [352] .
La
fréquence des cas de ce genre s’est accrue considérablement à partir de 1978,
après l’arrivée de la télévision à la Chambre [353] .
Et, fait plus
important encore que l’augmentation du nombre de ces incidents, la Chambre
semblait de moins en moins encline à adopter à l’unanimité la motion subséquente
visant la suspension du député fautif. Cette situation plaçait le Président dans
une position potentiellement vulnérable en ce sens que, une fois le député
désigné par son nom, il incombait ensuite à un ministre (habituellement le
leader du gouvernement à la Chambre) de proposer une motion visant à le
suspendre; comme cette motion pouvait être mise aux voix, elle pouvait
nécessairement être rejetée. Ainsi, l’autorité du Président dépendait dans
chaque cas du bon vouloir du gouvernement, qui devait proposer la motion, et de
l’appui subséquent de la Chambre, qui pouvait ou non l’adopter [354] .
En
1985, devant l’augmentation constante du nombre d’incidents de cette nature, le
Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes (le Comité McGrath)
s’est demandé « s’il faudrait préciser et renforcer les pouvoirs disciplinaires
de la présidence [355] ».
Le Comité a
recommandé dans son rapport final que le Président soit « habilité à ordonner à
un député de se retirer de la Chambre pour le reste de la séance [et que ] la
procédure relative au rappel à l’ordre et à la désignation d’un député [soit]
consignée au Règlement [356] ».
En février
1986, le gouvernement a proposé des modifications au Règlement qui allaient
au-delà de cette recommandation du comité et incluaient des mesures permettant
au Président, lorsqu’il devait ordonner à un député de se retirer de la Chambre
plus d’une fois au cours de la même session, de le suspendre durant cinq jours
sans avoir besoin d’une motion [357] .
Pendant le
débat sur la motion relative à l’adoption de ces nouvelles dispositions, les
députés étaient tout à fait d’accord pour accorder au Président le pouvoir
d’ordonner la suspension d’un député pour la durée d’une séance, mais ils se
sont montrés très réticents à l’idée d’étendre davantage ce pouvoir, préférant
laisser les sanctions subséquentes à la discrétion de la Chambre
elle-même [358] .
En février
1986, la Chambre a accepté certains amendements aux modifications proposées, et
le nouveau Règlement est entré en vigueur le même mois [359] .
Les
changements adoptés laissaient tel quel l’article qui existait à l’égard de
cette pratique depuis 1927 [360] ,
mais y
ajoutaient un nouvel article autorisant le Président à ordonner la suspension
d’un député jusqu’à la fin de la séance [361] .
Bien que la
pratique de la désignation suivie d’une motion pouvant faire l’objet d’un vote
et portant sur la suspension du député fautif pour une période d’une durée
déterminée n’ait pas été appliquée depuis octobre 1985 [362] ,
elle demeure à
la disposition du Président et de la Chambre.
La procédure de désignation
En
règle générale, le Président demande à un député qui a transgressé les règles du
décorum de retirer les paroles offensantes ou de s’excuser sans réserve. Si le
député hésite ou refuse d’obtempérer, le Président répète habituellement sa
demande, souvent en avertissant le fautif qu’il sera désigné par son nom s’il
persiste dans cette attitude. Ces échanges peuvent se poursuivre plus longtemps,
selon le bon vouloir du Président, mais s’il est clair que le député ne
reviendra pas sur sa position, le Président le désigne par son nom et lui
ordonne de se retirer pour le reste de la journée de séance. Lorsqu’il désigne
ainsi un député, le Président lui dit :
(Nom du député), je dois vous nommer pour ne pas avoir
respecté l’autorité de la présidence et je vous ordonne de vous retirer de la
Chambre pour le reste de la séance d’aujourd’hui.
Dans
certaines circonstances, après avoir désigné un député par son nom, mais avant
de lui ordonner de se retirer de la Chambre, le Président peut aussi laisser la
Chambre décider des sanctions disciplinaires à lui imposer. Cette option exige
une motion, habituellement proposée par le leader du gouvernement à la Chambre,
visant à retirer temporairement du service de la Chambre, pour une période
déterminée, le député qui a été désigné par son nom. Cette motion ne peut ni
faire l’objet d’un débat, ni être modifiée. Elle entraîne une peine plus lourde
que le simple retrait de la Chambre pour la journée puisque cette suspension
interdit au député non seulement de se présenter à la Chambre, mais également de
participer aux travaux des comités, et qu’elle peut se prolonger au-delà de la
fin de la journée de séance. En outre, les avis inscrits au nom d’un député qui
est sous le coup d’une suspension sont rayés du Feuilleton de chaque jour tant que dure la
suspension [363] .
Le Président
peut également ordonner au sergent d’armes de prendre les moyens nécessaires
pour emmener un député qui refuse de quitter la Chambre après en avoir reçu
l’ordre [364] .
Pendant un débat en comité plénier, le président des
comités pléniers peut signaler au Président de la Chambre la conduite d’un
député qui refuse de tenir compte de ses avertissements et de mettre fin à un
comportement non parlementaire. Il peut le faire de sa propre initiative, sans
avoir besoin d’une motion du comité [365] .
Le Président
s’occupe alors de l’affaire comme si l’incident s’était produit à la
Chambre [366] .