Principes de la procédure des projets de loi privés
Comme le Président l’a
signalé en 1971, la procédure des projets de loi privés a
été établie afin de protéger le public contre
l’attribution de manière incontrôlée de pouvoirs
spéciaux à des
particuliers [20] .
Par
une pétition, une personne ou organisation demande au Parlement de lui
accorder une faveur extraordinaire énoncée dans un projet de loi.
Les fondements du projet de loi sont examinés par les deux chambres du
Parlement. S’il le juge nécessaire, le comité auquel le
projet de loi est renvoyé peut convoquer des témoins, et
c’est lui qui déterminera si on a démontré que le
projet de loi était nécessaire. Ainsi, pour l’étude
des projets de loi privés, le Parlement remplit à la fois une
fonction judiciaire et législative. Comme un tribunal, il entendra toutes
les parties concernées et décidera si les intérêts du
requérant justifient qu’on lui accorde des droits
supplémentaires ou qu’on l’exempte des règles du droit
commun; à titre d’assemblée législative supervisant
l’adoption d’un projet de loi, il lui faut également
protéger les intérêts du
public [21] .
La procédure des projets de loi
d’intérêt privé énoncée dans le
Règlement et dans les ouvrages de procédure est fondée sur
quatre principes
fondamentaux [22] ,
qui
peuvent être formulés en ces termes :
- Un projet de loi privé ne sera
adopté qu’à la demande explicite des personnes qui en
bénéficieront;
- Les renseignements utiles concernant un
projet de loi privé seront communiqués à tous les
intéressés;
- Toute personne ou organisation
concernée par un projet de loi privé sera entendue et il faudra
démontrer que la mesure est nécessaire;
- Les frais liés à
l’étude d’un projet de loi au profit de particuliers ne
devront pas être à la seule charge de
l’État.
Ces principes sont examinés plus en détail dans les pages qui suivent.
Principe 1. Un projet de loi ne sera adopté qu’à la demande explicite des personnes qui en bénéficieront
Lorsque vient le moment de décider
de débattre ou non d’un projet de loi privé, il faut
maintenir un équilibre entre le droit indubitable du Parlement de
présenter des projets de loi et la reconnaissance de l’ancien droit
fondamental de pétitionner le Parlement pour obtenir réparation
d’un tort [23] .
Contrairement à un projet de loi public, qui peut être
présenté après un avis de 48 heures donné par le
gouvernement (en la personne d’un ministre) ou un député, un
projet de loi privé ne peut être présenté
qu’après qu’un député a déposé
auprès du Greffier de la Chambre une pétition d’une personne
demandant l’adoption d’un projet de loi
privé [24] .
À la Chambre des communes canadienne, il est établi que les
ministres ne peuvent parrainer des projets de loi privés puisque la
Couronne ne peut s’adresser une pétition à
elle-même [25] .
Les règles régissant les
pétitions d’intérêt public s’appliquent
généralement aux pétitions introductives de projets
de loi
privés [26]
(voir le chapitre 22, « Les pétitions d’intérêt public »).
Une pétition introductive de projet de loi privé
est présentée à la Chambre par un député qui
a signé au dos de la pétition et qui agira comme parrain du projet
de loi [27] .
La
pétition énonce les motifs de la demande d’une loi
spéciale, en explique les objectifs et se termine par une demande
explicite d’adoption de la loi. Elle doit porter les signatures des
personnes qui demandent l’adoption de la loi et qui en
bénéficieront. Le parrain doit en outre s’assurer que la
pétition satisfait aux conditions énoncées dans le
Règlement [28] .
Le député peut présenter la pétition à
n’importe quel moment durant une séance de la Chambre en la
déposant entre les mains du Greffier [29] .
Toutefois, le pétitionnaire ou son agent parlementaire (voir plus loin)
dépose habituellement la pétition auprès du greffier des
pétitions (un fonctionnaire de la Chambre chargé d’examiner
et de faire rapport à la Chambre sur la conformité des
pétitions) qui, après l’avoir fait signer par le parrain,
veille à ce qu’elle soit déposée auprès du
Greffier de la Chambre.
Lorsqu’il dépose une
pétition, le requérant doit également déposer un
exemplaire du projet de loi, en anglais ou en français, auprès du
Greffier de la Chambre, et ce, au plus tard le premier jour de la session
s’il s’agit d’un projet de loi présenté à
la Chambre [30] .
Un
fonctionnaire nommé par le Greffier et appelé examinateur des
projets de loi privés examine et, au besoin, révise le projet de
loi avant qu’il ne soit imprimé afin de s’assurer qu’il
est rédigé conformément au Règlement de la
Chambre [31] .
Contrairement à un projet de loi
public qui est présenté par un ministre ou un député
et qui relève ensuite de la Chambre des communes, un projet de loi
privé relève du requérant et non du député
parrain ou de la Chambre. Si le requérant décide de renoncer
à l’adoption du projet de loi, le comité auquel il a
été renvoyé après la deuxième lecture fera
rapport à la Chambre en
conséquence [32] .
Bien qu’il n’y soit pas tenu,
le promoteur d’un projet de loi privé peut choisir de se faire
représenter devant la Chambre ou l’un de ses comités par une
personne membre ou non d’un barreau provincial qu’on appelle
« agent parlementaire » du promoteur. Un député peut
accepter de présenter la pétition et de parrainer le projet de
loi, mais il ne peut agir comme agent
parlementaire [33] .
La
personne souhaitant agir comme agent parlementaire doit être
autorisée à le faire par le Président et elle est
personnellement responsable devant celui-ci du respect des règles, usages
et procédures du
Parlement [34] .
L’agent parlementaire devient le conseiller juridique des
pétitionnaires tout au long des étapes menant à
l’adoption du projet de loi privé et il est responsable du paiement
de tous les droits et frais prescrits par le Règlement.
La personne qui souhaite agir comme agent
parlementaire durant une session doit tout d’abord acquitter un droit de
25 $ [35] .
Elle doit
aussi être chargée de faire adopter ou rejeter tout projet de loi
privé ou pétition en instance au cours de cette session. Mais
comme la plupart des projets de loi privés sont tout d’abord
présentés au Sénat, l’agent parlementaire n’est
enregistré et ne paie un droit de 25$ que si on lui demande de
représenter le promoteur devant un comité de la Chambre. Tout
agent parlementaire qui enfreint volontairement le Règlement ou les
usages du Parlement, ou qui se conduit délibérément de
façon inconvenante au Parlement est passible d’une interdiction
permanente ou temporaire, à la discrétion du Président,
d’exercer les fonctions d’agent
parlementaire [36] .
Principe 2. Les renseignements utiles concernant un projet de loi privé seront communiqués à tous les intéressés
Les conditions énoncées dans
le Règlement concernant les avis à fournir aux diverses
étapes de l’étude des projets de loi privés visent
à informer non seulement les députés, mais également
le public. Elles permettent de s’assurer que toute personne
intéressée par le projet de loi proposé est suffisamment
informée pour pouvoir s’opposer au projet de loi ou
l’appuyer, en totalité ou en partie, avant son
adoption.
Au début de chaque session, le
Greffier de la Chambre fait publier dans la Gazette du
Canada [37]
la
disposition du Règlement relative aux avis de demandes de projets de loi
privés [38] .
Par
la suite, un avis mentionnant la publication antérieure de cet article du
Règlement paraît chaque semaine dans la Gazette du
Canada [39] .
Le Règlement prévoit
également que les personnes souhaitant demander l’adoption
d’un projet de loi privé feront paraître un avis à ce
sujet une fois par semaine pendant quatre semaines consécutives dans
la Gazette du
Canada [40] .
L’avis devra énoncer le but du projet de loi proposé,
indiquer durant quelle session on en demandera l’adoption, qui est le
requérant, et l’adresse du requérant ou de son agent
parlementaire [41] .
Dans certains cas, des avis doivent également être transmis
à certains fonctionnaires et être publiés dans des journaux
locaux [42] .
Le
requérant doit enfin fournir la preuve de la publication de l’avis
par l’envoi d’une déclaration sous serment (affidavit) au
Greffier de la
Chambre [43] .
Comme les députés peuvent
être appelés à prendre la parole au nom du promoteur du
projet de loi ou d’un opposant, des avis concernant les séances du
comité chargé d’étudier le projet de loi sont
affichés par le Greffier de la Chambre dans toute la cité
parlementaire et annexés aux Journaux dans un délai
prescrit avant la tenue des
séances [44] .
Dans le cas d’un projet de loi présenté d’abord aux
Communes, la réunion du comité doit faire l’objet d’un
avis d’une semaine; dans le cas d’un projet de loi du Sénat,
l’avis doit être de 24 heures. Il faut également afficher la
liste de tous les projets de loi privés renvoyés à des
comités et préciser le comité auquel chaque projet de loi a
été renvoyé et les dates à partir desquelles le
comité peut l’étudier, de même que la liste de toutes
les séances de
comité [45] .
De
plus, il ne peut être proposé à la Chambre
d’amendement important à un projet de loi privé
qu’à condition qu’un avis d’un jour ait
été
donné [46] .
Enfin, en plus des avis, des dossiers sur
chaque projet de loi privé sont tenus par le personnel de la Chambre et
sont à la disposition du
public [47] .
Ils
contiennent des renseignements généraux sur la personne ou le
groupe demandant un projet de loi privé, ou sur l’agent
parlementaire, sur les droits payés ainsi que sur les diverses
étapes de l’étude du projet de loi.
Principe 3. Toute personne concernée par un projet de loi privé sera entendue et il faudra démontrer que la mesure est nécessaire
Comme un projet de loi privé
contient des assertions sur lesquelles le requérant se fonde pour
demander son adoption, il faut en prouver le bien-fondé avant que le
Parlement ne convienne d’adopter la loi demandée. La fonction
législative du Parlement exige que chaque mesure soit dûment
débattue et étudiée. Le caractère quasi judiciaire
des délibérations entourant l’adoption d’un projet de
loi privé exige en outre que les parties concernées soient
entendues ou qu’on leur donne à tout le moins la possibilité
de se faire entendre.
L’adoption par la Chambre d’un
projet de loi privé en deuxième lecture ne signifie pas
qu’elle a approuvé le principe du projet de loi comme c’est
le cas pour un projet de loi public. Cela signifie plutôt qu’elle le
fait sous réserve qu’un comité détermine que les
assertions contenues dans la pétition et reprises dans le
préambule du projet de loi sont
fondées [48] .
Les préambules sont optionnels dans les projets de loi publics, mais
obligatoires dans les projets de loi
privés [49] .
Il
faut donc qu’un projet de loi privé soit renvoyé à un
comité de manière à permettre d’entendre les
opposants. Le renvoi en comité permet aussi au Parlement de
s’assurer que les assertions faites dans le préambule sont
fondées et que les dispositions du projet de loi constituent une suite
logique à ces assertions. Le rapport du comité sur le projet de
loi, avec ou sans amendement, peut être considéré comme la
décision du comité sur la demande du
pétitionnaire [50] .
Les projets de loi privés portent
habituellement sur des questions particulières, dont certaines purement
personnelles, et ne nécessitent donc pas de longs débats à
la Chambre. Toutefois, les dispositions dont on demande l’adoption peuvent
parfois empiéter sur les droits d’autres citoyens. À cet
égard, le comité chargé d’étudier un projet de
loi privé remplit non seulement une fonction législative, mais
également une fonction quasi judiciaire puisqu’il entend toutes les
parties concernées et qu’il décide si l’on devrait
donner suite à la demande du pétitionnaire. Le comité doit
aussi être vigilant et s’assurer qu’on n’essaie pas de
tromper le Parlement en contre-interrogeant les promoteurs sur les assertions
faites dans le préambule du projet de
loi [51] .
Le comité chargé d’un
projet de loi privé n’entend pas les témoins de la
même façon que le comité qui étudie un projet de loi
public. Le promoteur du projet de loi, qui peut se faire représenter par
un avocat, comparaît devant le comité à titre de
pétitionnaire demandant une réparation de nature
législative impossible à obtenir auprès des tribunaux ou
des instances gouvernementales. Le promoteur, plutôt que le comité,
peut convoquer des témoins pour étayer les assertions faites dans
le préambule du projet de
loi [52] .
Tout opposant à un projet de loi
privé, qu’il soit représenté par un avocat ou non,
peut également s’adresser au comité et convoquer des
témoins pour appuyer ses arguments lorsque le comité entreprend
l’étude de la ou des dispositions auxquelles il
s’oppose [53] .
Toutefois, avant qu’un opposant puisse être entendu, une
pétition demandant le rejet de la partie du projet de loi qui est
inacceptable doit d’abord être présentée à la
Chambre. La pétition doit préciser pourquoi on s’oppose
à ces dispositions et elle doit être présentée
à la Chambre par un député agissant au nom de
l’opposant. Le député peut la transmettre au Greffier de la
Chambre à tout moment durant l’étude du projet de loi
à la Chambre ou en comité. Une fois que le greffier des
pétitions a jugé la pétition conforme aux règles,
elle est renvoyée automatiquement au comité étudiant le
projet de loi [54] .
Le
promoteur peut contester le locus standi, ou droit de comparaître,
en faisant valoir que la mesure législative proposée ne causerait
aucun préjudice réel à l’opposant. Seul le
comité a le pouvoir de décider si un opposant a le droit
d’être entendu et devrait
l’être [55] .
Si c’est le cas, le promoteur peut interroger l’opposant et ses
témoins tout comme l’opposant peut lui aussi interroger le
promoteur et ses témoins. Toutefois, les opposants ne peuvent être
entendus que sur les motifs énoncés dans leur
pétition [56] .
Si le comité estime que les motifs énoncés dans la
pétition ne sont pas suffisamment précis, il peut demander
à l’opposant de fournir un texte plus
précis [57] .
Aucun pétitionnaire ne sera entendu sur le préambule à
moins qu’il ne mentionne de façon précise dans sa
pétition qu’il souhaite l’être afin de s’y
opposer [58] .
Lorsque l’agent parlementaire
s’adresse au Comité ou que des témoins sont
interrogés, la salle de réunion du comité est ouverte
à tous. Toutefois, lorsque le comité délibère, tous
les agents, témoins et étrangers doivent se retirer et le
comité siège à huis clos. Quand le comité parvient
à une décision, les portes de la salle sont ouvertes et le
président informe les parties de la
décision [59] .
Principe 4. Les frais liés à l’étude d’un projet de loi au profit de particuliers
ne devront pas être à la seule charge de l’État
Puisque ce sont des particuliers ou des
groupes qui bénéficient d’un projet de loi privé, les
frais liés à l’étude de ces mesures
législatives ne devraient pas être à la seule charge de
l’État. C’est pour cette raison que le Règlement
énonce des droits et frais que le promoteur doit acquitter avant la
présentation du projet de
loi [60] .
Toute
personne souhaitant faire adopter un projet de loi privé doit en déposer un
exemplaire en anglais ou en français auprès du Greffier de la Chambre le premier
jour de la session. Il lui faut également verser une somme d’argent suffisante
pour couvrir les frais d’impression et de traduction [61] .
Après la
deuxième lecture, mais avant l’étude en comité, le requérant doit payer les
frais d’impression de la loi dans le recueil des lois, ainsi qu’un droit de 500
$ [62] .
Si le projet
de loi vise à augmenter le capital-actions d’une compagnie existante, on peut
exiger des droits supplémentaires calculés à partir d’un tarif précisé dans le
Règlement et proportionnels à l’accroissement du capital-actions
demandé [63] .
D’autres
droits peuvent également être exigés, par exemple, pour être exempté d’un
article du Règlement ou pour la réimpression d’un projet de loi amendé en
comité. Un état de ces droits est établi par un fonctionnaire de la
Chambre [64]
et remis au
promoteur ou agent parlementaire qui doit ensuite verser ces droits au Greffier
de la Chambre [65] .
Dans la
pratique, aucun droit supplémentaire n’est toutefois exigé pour la plupart des
projets de loi privés, même lorsque le comité tient des réunions et que les
délibérations sont publiées. Enfin, on peut obtenir le remboursement des droits
acquittés dans le cas d’un projet de loi qui n’est pas adopté [66] .
À
l’occasion, la Chambre n’a exigé aucun droit pour des projets de loi privés. Au
début de la Confédération, les droits étaient fréquemment abandonnés [67] ,
spécialement
lorsqu’aucun intérêt commercial n’était en jeu [68] .
Plus
récemment, avant que la règle ne soit modifiée en 1994 [69] ,
quand les
pétitions introductives de projets de loi privés devaient être présentées dans
les six premières semaines d’une session, la Chambre a souvent jugé bon de
laisser tomber les droits pour les pétitions produites tardivement [70] .