Le privilège parlementaire / Les droits des députés

Entraver des députés : Service des impressions

Débats, p. 485-486

Contexte

Le 28 février 1996, après les Questions orales, Deborah Grey (Beaver River) soulève une question de privilège. Elle allègue que le Service des impressions a refusé d’imprimer un document et que le Cabinet du premier ministre y était pour quelque chose. Étant entrée en possession d’un document appartenant apparemment au caucus libéral, elle l’avait confié au Service des impressions de la Chambre pour qu’il en fasse des copies qu’elle entendait distribuer aux membres de son propre caucus, au personnel de recherche et aux journalistes. Plus tard le même jour, Mlle Grey aurait reçu un appel téléphonique l’informant qu’un employé du Cabinet du premier ministre avait demandé au Service des impressions de ne pas reproduire le document ou de n’en remettre des copies qu’aux députés libéraux. Plus tard, le Service des impressions aurait avisé Mlle Grey que ses documents lui seraient livrés. Le Président intervient pour signaler que son personnel l’a déjà mis au courant de l’affaire et que la situation a été rectifiée. Il présente des excuses au nom du personnel de la Chambre et déclare juger inutile de pousser l’affaire plus loin[1].

Le 4 mars 1996, après la Prière, Mlle Grey soulève de nouveau la question. Affirmant que l’ingérence du Cabinet du premier ministre constitue un outrage au Parlement, elle se dit prête à présenter une motion soulignant qu’un membre du Cabinet du premier ministre a recouru à la coercition et à l’intimidation pour inciter des employés de la Chambre des communes à ne pas remplir leur mandat, qui était de donner suite à une demande d’impression. Le Président demande à la députée de déposer le document en question et, après avoir entendu les interventions d’autres députés, il indique qu’il fera part à la Chambre de sa décision sur l’affaire, si c’est nécessaire[2].

Résolution

Le 8 mars 1996, le Président rend sa décision. Il signale que le personnel de la Chambre a de toute évidence commis une erreur en ne remplissant pas la demande d’impression de la députée. Comme l’employé du Cabinet du premier ministre n’a pas provoqué la situation, mais a plutôt réagi à la suite d’une demande de renseignements d’un employé de la Chambre, il dit qu’il lui est difficile de conclure des faits relatés que le fonctionnaire a usé de coercition et d’intimidation à l’endroit du personnel de la Chambre des communes ou qu’il l’a incité à mal agir. Le Président dit qu’apparemment, ce qui été fait l’a été par erreur et constitue un incident malheureux, mais isolé. Il assure aux députés que le personnel de la Chambre des communes s’efforce toujours d’offrir ses services avec un haut degré de compétence et de professionnalisme. Le Président conclut qu’il n’y a pas eu, de prime abord, d’outrage à la Chambre.

DÉCISION DE LA PRÉSIDENCE

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par la députée de Beaver River, le lundi 4 mars 1996, au sujet de l’accusation d’ingérence de la part d’un fonctionnaire du Cabinet du premier ministre dans une demande présentée aux Services des impressions de la Chambre des communes.

Je remercie le leader adjoint du gouvernement à la Chambre (l’honorable, Alfonso Gagliano) le whip en chef du gouvernement (Don Boudria), le whip du Parti réformiste (Bob Ringma) et l’honorable député de Mississauga-Sud (Paul Szabo) de leurs commentaires sur cette question.

Dans son argumentation, l’honorable députée a soutenu qu’un employé du Cabinet du premier ministre a eu recours à la coercition et à l’intimidation pour convaincre le personnel de la Chambre des communes de refuser une demande d’impression qu’elle a présentée le 28 février. Elle soutient que cela constitue un outrage à la Chambre et elle demande que je statue qu’il y a, à première vue, matière à question de privilège.

Comme les députés le savent, j’ai déjà rendu ma décision au sujet de l’impression de ce document lorsque cette question a été soulevée pour la première fois le 28 février. J’avais alors souligné que le personnel de la Chambre des communes avait commis une erreur en ne remplissant pas la demande de l’honorable députée de Beaver River, qui avait respecté les directives du Bureau de régie interne.

Le document a, par la suite, été imprimé et je me suis excusé pour les inconvénients qu’aurait pu subir la députée. J’ai également eu un entretien en privé avec la députée et je lui ai fait part des circonstances entourant l’affaire.

La présidence prend très au sérieux tout ce qui touche les privilèges des députés, particulièrement tout ce qui pourrait constituer un outrage à la Chambre.

L’honorable députée de Beaver River a raison de mentionner qu’il peut se trouver de nouvelles formes d’outrage et que la Chambre ne devrait être assujettie à aucune contrainte lorsqu’il s’agit de juger ces nouvelles formes d’outrage.

C’est à la Chambre qu’il incombe de déterminer s’il y a bel et bien eu outrage ou atteinte aux privilèges. Le rôle de la présidence consiste à décider si, d’après les faits rapportés par le député, l’outrage a une importance telle qu’il y a lieu de suspendre les délibérations régulières de la Chambre et de débattre de l’affaire sur-le-champ, c’est-à-dire, de déterminer s’il y a, à première vue, matière à question de privilège.

Par conséquent, il incombe à tout député qui soulève la question de privilège, surtout s’il y a possibilité l’outrage, de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre le Président qu’il y a, à première vue, matière à question de privilège.

Le commentaire 117. 1) de la 6e édition de Beauchesne dit notamment ceci :

Après qu’a été posée la question de privilège, il appartient au Président de déterminer s’il y a, à première vue, matière à question de privilège. Le président doit être persuadé […] que l’atteinte au privilège semble d’une importance qui justifie la priorité accordée à la question […]

Depuis que la question a été soulevée pour la première fois le 28 février, j’ai eu d’autres entretiens avec des fonctionnaires supérieurs de la Chambre. Il n’y a aucun doute, le personnel de la Chambre a fait preuve de maladresse.

Puisque le fonctionnaire du Cabinet du premier ministre n’est pas à l’origine de la situation, mais y a plutôt réagi à la suite d’une demande de renseignements d’un employé de la Chambre, il est difficile de conclure, à partir des faits invoqués par l’honorable députée, que ce fonctionnaire a fait preuve de coercition ou d’intimidation.

Il m’apparaît que ce qui a été fait en l’espèce l’a été par erreur et constitue un incident malheureux, mais isolé.

Je dois conclure que l’honorable députée n’a pas fourni à la présidence suffisamment d’éléments de preuve pour lui permettre de conclure qu’il y a, à première vue, matière à question de privilège.

Je tiens à assurer tous les députés que le personnel de la Chambre des communes s’efforce continuellement d’offrir ses services avec un haut degré de compétence et de professionnalisme. Cependant, je rappelle au personnel, de même qu’aux fonctionnaires du gouvernement, que, dans leurs rapports avec les députés, la confidentialité est primordiale et que les députés doivent pouvoir compter sur leur entière discrétion.

Je remercie l’honorable députée de Beaver River d’avoir soulevé cette très grave question et veux lui affirmer, à elle et à tous les députés, que des mesures correctives ont été prises pour éviter qu’une telle chose se répète.

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1996-03-08

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[1] Débats, 28 février 1996, p. 43-45.

[2] Débats, 4 mars 1996, p. 211-212.