La Chambre et ses députés / Divers

Reconnaissance d’un parti : Nouveau Parti démocratique

Débats, p. 5437-5440

Contexte

Le 1er juin 1994, après les Questions orales, Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona) leader parlementaire du Nouveau Parti démocratique, invoque le Règlement concernant le fait que les neuf députés de son parti n’ont pas été reconnus comme formant un parti à la Chambre depuis l’ouverture de la première session de la 35e législature, le 17 janvier 1994[1]. Après avoir présenté une argumentation détaillée sur la façon dont les petits partis ont été traités par le passé, M. Blaikie demande au Président de prendre trois décisions : 1) relativement à l’attribution des sièges à la Chambre, faire siéger les neuf députés ensemble et rendre à leur chef les égards qui lui sont dus à titre de chef de parti et membre du Conseil privé, et les faire figurer comme députés néo-démocrates dans le plan de la Chambre; 2) en ce qui concerne les Questions orales, leur accorder un nombre proportionnel de questions ainsi que la possibilité de poser des questions supplémentaires, donner la parole à leur chef après le chef du Parti réformiste et ne pas leur laisser toujours la dernière question; 3) les traiter comme un parti doit l’être en vertu du Règlement et travailler avec les représentants de leur caucus conformément aux usages. Après avoir entendu les interventions d’autres députés, le Président prend la question en délibéré.

Résolution

Après les Questions orales du 16 juin 1994, le Président rend sa décision au sujet des demandes de M. Blaikie. Pour ce qui est de considérer les neuf députés du Nouveau Parti démocratique comme un parti reconnu pour certaines fins de procédure, y compris les Questions orales, le Président déclare qu’il appartient à la Chambre elle-même de décider du statut d’un parti à la Chambre et non pas au Président de l’imposer de manière unilatérale. En ce qui concerne l’attribution des sièges à la Chambre, le Président déclare qu’il possède effectivement une certaine discrétion à cet égard et il ordonne que les députés appartenant au parti siègent ensemble et soient identifiés comme membres du caucus de ce parti dans le plan, et que leur chef reçoive les égards qui lui sont dus dans l’attribution des sièges.

DÉCISION DE LA PRÉSIDENCE

Le Président : Le 1er juin 1994, le député de Winnipeg—Transcona a invoqué le Règlement relativement à la désignation du statut de parti des députés du Nouveau Parti démocratique. Je remercie le député de sa présentation détaillée et bien documentée; je remercie aussi les députés de Kingston et les Îles, de Laurier—Sainte-Marie et de Kindersley—Lloydminster pour leur apport au débat.

Le député de Winnipeg—Transcona demande que j’examine la demande des députés du caucus du Nouveau Parti démocratique et rende une décision relativement aux sujets suivants : 1) qu’ils soient désignés comme néo-démocrates; 2) qu’ils siègent comme groupe et 3) qu’ils soient traités comme un parti reconnu pour certaines fins de procédure.

Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur ce rappel au Règlement. D’abord je vais examiner ce qui constitue un parti pour les fins de la procédure, question qui préoccupe la Chambre depuis longtemps. Le député de Winnipeg—Transcona a présenté une longue argumentation voulant que la définition de « parti reconnu » dans la Loi sur le Parlement du Canada et les règlements du Bureau de régie interne ne s’applique qu’à certaines affaires relatives aux questions financières et aux indemnités. Il a soutenu qu’on ne devrait pas se servir de cette définition pour déterminer le sens de « parti » ou de « parti reconnu » dans le Règlement et notre pratique.

Il souligne, par exemple, que le paragraphe 50(3) de la Loi, qui établit la composition du Bureau de régie interne mentionne expressément un groupe parlementaire qui « ne compte pas officiellement au moins 12 députés ». Cette mention, soutient-il, fait conclure à la possibilité qu’il existe un groupe parlementaire de moins de douze députés, qui soit quand même reconnu comme tel.

L’honorable député a exposé en détail les situations qui se sont présentées à la Chambre des communes en 1963, 1966 et 1979, quand de petits partis ont été reconnus de différentes manières pour les fins de la procédure et de la pratique. Il a aussi soutenu que les mêmes droits devraient être accordés aux députés du Nouveau Parti démocratique aujourd’hui.

Après avoir étudié les circonstances propres à chacun de ces cas et avoir revu les décisions mentionnées par le député et d’autres décisions sur le même sujet, j’arrive à des conclusions très différentes.

Le statut accordé à des petits partis pour les fins de procédure dans certains de ces cas a été le résultat des exigences politiques du temps. Dans aucun de ces cas, la présidence n’a agi de façon unilatérale.

Dans sa décision du 30 septembre 1963, à la page 386 des Journaux, le Président Macnaughton, qui parlait du statut du Nouveau Parti démocratique à la Chambre, souligne qu’il appartient à la Chambre elle-même de décider du statut d’un parti politique à la Chambre.

Le Président Macnaughton a aussi formulé deux commentaires que je trouve très importants et que je désire citer à la Chambre. Il a dit :

Le Président a donc pour mission, notamment de faire respecter le Règlement de la Chambre pendant les délibérations et d’en maintenir les privilèges tels qu’ils sont établis et reconnus. Le Président doit aussi faire preuve d’impartialité et s’abstenir de toute politique ; telle est la ligne de conduite que je me suis toujours efforcé de suivre, honorables députés, depuis que vous m’avez élevé au poste que j’ai l’honneur d’occuper en ce moment.

Je cite de nouveau le Président Macnaughton.

Après avoir consulté les autorités comme sir Erskine May et lord Campion, Bourinot et Beauchesne, Anson et McGregor Dawson, et bien d’autres, j’ai l’impression que la solution des problèmes dont nous sommes saisis relève de la Chambre elle-même. Il n’appartient pas au Président de prendre, de son propre chef, une décision qui pourrait sembler, aux yeux de certains députés, léser les intérêts de leur groupe ou parti. Le Président ne devrait pas davantage être placé dans une situation où il lui faut trancher, au bénéfice ou au détriment d’un groupe ou d’un parti, des questions qui touchent à l’existence ou à la nature d’un parti, et prendre ainsi ce qu’on tiendrait sûrement pour une décision d’un caractère politique, alors qu’il s’agit d’une décision dont l’enjeu est les droits et les privilèges de la Chambre elle-même.

Dans les Journaux du 18 février 1966, à la page 159, le Président Lamoureux, dans une décision sur des déclarations ministérielles mentionnée par l’honorable député de Winnipeg—Transcona, hésitait à apporter un changement quelconque à la pratique de la Chambre à ce moment-là et indiquait qu’il ne s’écarterait pas de la pratique en usage alors avant que la Chambre ne modifie le Règlement dans un autre sens.

En octobre 1979, quand la question du statut de parti a à nouveau été soulevée, le Président Jerome a invoqué la décision de 1963 du Président Macnaughton pour réaffirmer que cette question n’était pas du ressort du Président, mais de celui de la Chambre. J’attire l’attention des députés sur les paroles du Président Jerome, rapportées à la page 69 des Débats du 11 octobre 1979.

Dans son exposé, le député de Winnipeg—Transcona a cité une autre décision du Président Jerome rendue le 6 novembre 1979, qu’on trouve à la page 1009 des Débats. Cette décision porte sur l’obligation qu’à la présidence de protéger les droits des députés de petits partis.

Il vaut la peine de citer en entier un passage de cette décision que l’honorable député n’a cité qu’en partie :

La Chambre reconnaîtra que dans mes efforts j’ai tenté de tenir compte à la fois de la protection due aux minorités à la Chambre et aussi, je crois, de la générosité de la Chambre. Il me semble que l’on peut accorder à ces députés la participation à laquelle ils ont droit avec une générosité découlant de la reconnaissance de fait, pourvu qu’ils n’en tirent pas des avantages dont ne jouiraient pas cinq députés et, deuxièmement, pourvu que cela ne porte atteinte en aucune façon au droit des autres députés de participer.

Encore une fois, le Président Jerome a refusé de s’écarter de la pratique alors en vigueur à la Chambre tout en veillant à ce que les droits des députés individuels soient protégés.

Cet important thème revient dans une décision du Président Fraser rendue le 13 décembre 1990, rapportée aux pages 16703 à 16707 des Débats. Le Président a alors affirmé en termes non équivoques que la présidence protège pleinement les droits et privilèges fondamentaux des députés individuels, quelles que soient leurs convictions politiques. Il disait, à la page 16704, et je cite : « La présidence promet de faire tout en son pouvoir pour servir cette Chambre d’une manière aussi équitable et impartiale que possible. »

Dans les circonstances présentes, l’existence du groupe parlementaire du Nouveau Parti démocratique n’a pas été méconnue et la présidence continuera de veiller à ce que chaque député de la Chambre soit traité avec équité, selon les règles.

Dans son argumentation, le député de Winnipeg—Transcona a reconnu que la situation de son parti ne pouvait être réglée sans ce qu’il a appelé « une volonté suffisante d’établir une distinction entre certaines situations passées et celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement ».

Je suis d’accord avec le député jusqu’ à un certain point. À mon avis, ce qu’il appelle « une volonté suffisante » de résoudre la situation doit venir non du Président agissant seul, mais de la Chambre agissant comme un tout.

Comme l’a à juste titre souligné l’honorable député de Laurier—Sainte­Marie, le statut des partis minoritaires à la Chambre a toujours été déterminé, de façon générale, par la composition de la Chambre.

Si l’argumentation de l’honorable député emporte l’adhésion de ses collègues aux solutions qu’il propose, alors la Chambre devra donner de nouvelles directives à la présidence.

En qualité de Président et de gardien des droits des minorités et de ceux de chaque député individuellement, je suis tout à fait conscient des devoirs impérieux qui incombent à la présidence à cet égard. En effet, une analyse des deux derniers mois révèle qu’un député de partis non reconnus a obtenu la parole pratiquement à tous les jours durant la période réservée aux Déclarations de députés et, en moyenne, à tous les deux jours durant la période des Questions orales. La Chambre peut être assurée que moi et mes adjoints nous engageons à faire tout en notre pouvoir pour favoriser une participation active et équitable de chaque député aux travaux de la Chambre.

À mon avis, une initiative unilatérale de la présidence constituerait une dérogation importante à l’interprétation des règles et à la pratique telles qu’elles ont évolué au cours des dix dernières années. En tant que Président et serviteur de la Chambre, je crois que je n’ai pas le droit d’imposer arbitrairement une nouvelle interprétation, mais que je dois attendre que la Chambre, composée comme elle l’est présentement, m’indique, le cas échéant, ce qu’elle souhaite que la présidence fasse.

Je vais maintenant aborder les deux autres sujets : la désignation des députés comme députés du Nouveau Parti démocratique, puis de leur volonté de siéger comme groupe.

Le député de Winnipeg—Transcona se plaint que son parti n’est pas désigné comme il devrait l’être, comme groupe parlementaire au plan de la Chambre. Il a soumis des copies des plans de législatures antérieures pour étayer son point. Il a cependant reconnu que son parti est clairement désigné comme Nouveau Parti démocratique dans les Débats.

Examinons la situation présente. Les députés appartenant au Nouveau Parti démocratique sont identifiés sous ce nom dans les Débats et dans les délibérations télévisées de la Chambre. Ils sont désignés « autres » dans les banquettes du fond, à gauche du Président, sur le plan de la Chambre.

L’attribution des sièges à la Chambre est, par tradition, décidée après des négociations entre les partis reconnus.

Le whip en chef du gouvernement assigne les sièges aux députés du gouvernement dans les banquettes à la droite du fauteuil et, s’il n’y a pas assez de place à droite pour asseoir tous les députés ministériels, certains d’entre eux peuvent être placés à la gauche du fauteuil.

Parmi les banquettes qui restent, le whip de l’opposition officielle attribue les sièges aux députés de son parti et le whip du troisième parti attribue les banquettes aux députés de son parti. La responsabilité d’attribuer les places qui restent aux autres députés appartient, par tradition, au Président.

Pour déterminer les places de ces députés qui n’appartiennent pas à un parti reconnu, le Président suit l’ordre d’ancienneté d’élection des députés.

En examinant la demande du NPD de siéger comme groupe et celle que soit reconnu à leur leader le rang qui lui est dû à titre de membre du Conseil privé, j’ai été frappé par une phrase prononcée par le député de Winnipeg—Transcona. Pour expliquer le moment de son rappel au Règlement, il dit :

Je pensais que les députés devaient plutôt se familiariser avec les rôles que leur a valus le branle-bas sans précédent causé par les dernières élections.

Je reconnais la sagesse que révèle ce commentaire. La présidence a fait tout ce qui lui était possible de faire pour être juste envers les députés dans la situation actuelle. Ayant été Président maintenant depuis environ cinq mois, j’ai reçu les doléances de nombreux députés et de leurs électeurs à ce sujet et j’ai soigneusement étudié les précédents. Par exemple, le 24 septembre 1990, à la page 13216 des Débats, le Président Fraser notait, dans une décision au sujet du plan de la Chambre, que le Président pouvait exercer un certain pouvoir discrétionnaire relativement à ces questions. Il a dit :

De plus, c’est très important de bien comprendre que j’ai comme Président une certaine discrétion concernant les droits de chaque personne dans cette Chambre qui est en minorité. Nous avons, je pense, une grande tradition de protéger les droits des minorités, et je peux assurer le député que, dans une approche juste et égale pour tous les autres députés, les droits des minorités seront protégés par le Président.

Ayant conclu que le Président dispose d’un certain pouvoir de redressement, j’ai demandé à mes administrateurs de modifier l’attribution des banquettes pour la reprise des travaux de la Chambre, le 19 septembre, afin qu’ils apportent les changements suivants dans l’attribution des banquettes faite par le Président :

(1) Les députés de Sherbrooke (L’honorable Jean Charest) et Saint John (Elsie Wayne) siègeront ensemble et seront identifiés comme le groupe du Parti conservateur sur le plan.

(2) Les députés du Nouveau Parti démocratique siègeront aussi ensemble et seront identifiés comme tels sur le plan.

(3) Le député de Beauce (Gilles Bernier) sera identifié comme indépendant et le député de Markham—Whitchurch—Stouffville (Jag Bhaduria) sera identifié comme libéral indépendant.

Il semble à la présidence que ce soit une solution équitable à des revendications concurrentes. Les députés de chaque parti seront identifiés comme groupe et siégeront ensemble, la préséance de leur leader respectif déterminant leur place dans l’ordre. Les deux autres députés se verront attribuer les deux banquettes restantes selon leur préséance et seront désignés selon leurs indications.

Je remercie le député de Winnipeg—Transcona de sa présentation réfléchie et fouillée. J’apprécie la contribution au débat des députés de Kingston et les îles, de Laurier—Sainte-Marie et de Kindersley—Lloydminster. J’espère que les mesures que j’ai prises selon la latitude que je possède contribueront à régler la situation. Le député de Winnipeg—Transcona et les députés de son groupe parlementaire peuvent compter que, s’il a réussi à convaincre la Chambre par ses arguments, je suis prêt à agir selon les indications de cette dernière.

P0201-f

35-1

1994-06-16

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 1er juin 1994, p. 4703-4709.