La procédure financière / La législation

Projet de loi du Sénat : enfreindre la prérogative de la Couronne en matière financière

Débats, p. 3765-3766

Contexte

Le 4 février 1998, Lee Morrison (Cypress Hills—Grasslands) invoque le Règlement au sujet du projet de loi S‑4, Loi modifiant la Loi sur la marine marchande (responsabilité en matière maritime), se disant préoccupé par le fait, premièrement, que des projets de loi d’intérêt public soient présentés au Sénat et, deuxièmement, que le projet de loi enfreint le principe constitutionnel selon lequel les mesures financières doivent être présentées à la Chambre des communes. M. Morrison soutient que le projet de loi viole l’article 80 du Règlement parce qu’il augmente considérablement les limites de la responsabilité du gouvernement, ce qui enfreint les privilèges financiers de la Chambre des communes. Il termine en demandant que le projet de loi soit radié du Feuilleton. Après avoir entendu d’autres interventions, le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le 12 février 1998, le Président se prononce sur le rappel au Règlement. Il signale qu’il existe peu de décisions sur les questions de responsabilité qui indiquent clairement le rapport qu’elles ont avec les privilèges financiers de la Chambre. Il déclare que le projet de loi S‑4 accroît peut-être la responsabilité de la Couronne, mais que le paiement des indemnisations est déjà prévu dans une autre loi. Le projet de loi ne requiert donc pas de recommandation royale et est recevable.

Décision de la présidence

Le Président : Mes collègues, je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé par l’honorable député de Cypress Hills—Grasslands, le 4 février 1998, au sujet du projet de loi S‑4, Loi modifiant la Loi sur la marine marchande (responsabilité en matière maritime).

Avant de commencer, je remercie les députés qui ont pris part aux délibérations sur ce sujet: le député de Elk Island (Ken Epp), le député de Nanaimo—Alberni (Bill Gilmour) et le leader du gouvernement à la Chambre des communes (l’honorable Don Boudria).

Je veux féliciter spécialement l’honorable député de Cypress Hills—Grasslands d’avoir fait son rappel au Règlement d’une manière si claire qu’il est évident qu’il s’appuie sur des recherches fouillées et une argumentation concise.

Le député soutient que le projet de loi S‑4 viole l’article 80 du Règlement, parce qu’il augmente considérablement les limites de responsabilité du gouvernement, ce qui enfreint les privilèges financiers de la Chambre des communes. Il a conclu en demandant que le projet de loi S‑4 soit retiré du Feuilleton.

Je désire rappeler aux députés le commentaire no 619 de la 6e édition de Beauchesne, qui dit, entre autres :

Aux termes de l’article 80, il appartient à la Chambre des communes seule d’attribuer des subsides et des crédits parlementaires, sans que le Sénat puisse les amender.

En d’autres termes, la Chambre des communes réclame le droit d’initiative en matières financières, c’est-à-dire les dépenses de fonds publics et les impôts. Les dépenses de fonds publics sont parfois appelées des imputations sur les recettes publiques alors que les impôts sont définis comme des prélèvements sur les ressources des particuliers. En conséquence, toutes les lois qui comportent une imputation sur les recettes publiques ou un prélèvement sur les ressources des particuliers doivent être initialement présentées à la Chambre des communes.

Pour établir si le projet de loi S‑4 est régulièrement présenté à la Chambre, la présidence doit vérifier si, de fait, il constitue ou non une imputation sur les recettes publiques.

Avant de le faire, je désire dire quelques mots au sujet d’un précédent invoqué par le député de Cypress Hills—Grasslands.

À l’appui de sa prétention, que le projet de loi S‑4 viole les privilèges financiers de la Chambre, le député a mentionné une décision rendue par le Président Lamoureux le 12 juin 1973[2], au sujet du projet de loi S‑5, Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles.

À l’époque, le Président Lamoureux a statué que, bien que le projet de loi S‑5 ne proposât pas de dépense directe, il comportait une augmentation considérable de la responsabilité imputable aux fonds publics et, en conséquence, violait les privilèges financiers de la Chambre. Manifestement le Président Lamoureux n’a pu trouver d’autorisation financière pour couvrir cette responsabilité et il a en conséquence ordonné que l’avis de première lecture du projet de loi S‑5 soit retiré du Feuilleton.

En examinant les éléments du cas qui nous est soumis, j’ai découvert qu’il existe très peu de décisions portant sur les questions de responsabilités et indiquant comment ces décisions ont trait aux privilèges financiers de la Chambre.

Pour ces motifs, je m’en suis remis au principe bien établi et formulé dans la 21e édition d’Erskine May sous le sous-titre « Critères servant à déterminer si une dépense constitue une “imputation” ». Pour déterminer si une proposition visant une dépense comporte effectivement une imputation, May dit que l’imputation doit être nouvelle et distincte. Cette règle est expliquée à la page 712 où l’on dit ceci :

La question peut se poser de savoir si une proposition comportant des dépenses ou une augmentation des dépenses n’est pas déjà couverte par une autorisation générale. Le critère qui sert à répondre à cette question dans le cas d’une proposition de fond, c’est-à-dire une proposition dans un projet de loi, tel qu’il est présenté, comporte une comparaison avec les dispositions législatives déjà existantes.

La comparaison des dispositions d’un projet de loi avec les dispositions législatives déjà existantes sur le sujet [peut] démontrer que, même si ces dispositions comportent manifestement des dépenses, le pouvoir d’engager ces dépenses est couvert en vertu des pouvoirs généraux dans la législation.

Mes collègues, je vous signale qu’il s’agit de questions très techniques, et je vous prie donc d’y porter attention.

Selon moi, les implications de procédure du projet de loi S‑4 sont les suivantes : l’augmentation des limites de responsabilité sont énoncées dans la modification proposée à la Loi sur la marine marchande du Canada, mais l’indemnisation effective que les demandeurs peuvent recevoir est soumise à la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, dont le paragraphe 30(1) est ainsi conçu :

Sur réception d’un certificat réglementaire, le ministre des Finances autorise le paiement, sur le Trésor, de toute somme d’argent accordée à un particulier, par jugement contre l’État.

On trouve encore dans Erskine May ce qui suit, à la page 717 :

S’il existe déjà une autorisation d’effectuer les paiements auxquels le projet de loi se rapporte, nulle autre résolution ni recommandation n’est requise.

Suit ensuite une liste de cas qui ne requièrent pas d’autorisation supplémentaire, le cas no 2 étant « Responsabilité en indemnisation couverte par la législation existante ».

Il en découle que, dans le cas de la Loi sur la marine marchande du Canada, il y a des dispositions modifiant la responsabilité qui, selon ce que dit le député de Cypress Hills—Grasslands, créeront une imputation sur les fonds publics. Cependant, tel qu’il est expliqué dans Erskine May, lorsqu’il y a une loi déjà en vigueur pourvoyant au paiement des indemnisations, la recommandation royale n’est pas requise.

Votre Président conclut qu’il y a déjà l’autorité législative, en vertu de la Loi sur la responsabilité de l’État et le contentieux administratif, de faire les paiements prévus au projet de loi S‑4. En conséquence, je conclus que le projet de loi S‑4 est réglementaire et qu’il doit rester inscrit au Feuilleton.

P0610-f

36-1

1998-02-12

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[1] Débats, 4 février 1998, p. 3315-3317.

[2] Journaux, 12 juin 1973, p. 401-402.