Recueil de décisions du Président John Fraser 1986 - 1994
La procédure financière / Divers
Mesures législatives : pratique relative à la recommandation royale
Débats, p. 10539-10542
Contexte
Le 27 mars 1990, avant l'amorce du débat sur la motion portant deuxième lecture et renvoi à un comité législatif du projet de loi C-69 sur la compression des dépenses publiques, M. Peter Milliken (Kingston et les Îles) invoque le Règlement pour contester la validité de l'incorporation, dans le projet de loi, d'une recommandation royale. Il soutient que le projet de loi vise à réduire les dépenses de l'État, qu'il ne met en cause aucun nouveau prélèvement sur le Trésor et qu'en conséquence, il n'exige pas de recommandation royale. Il prétend de plus que cette recommandation a été incorporée au projet de loi « pour empêcher les députés de l'Opposition de proposer des amendements comme ils en ont le droit ». D'autres députés interviennent également à ce sujet[1]. Le président suppléant (l’hon. Steven Paproski) prend la question en délibéré et accorde la parole à l'hon. Gilles Loiselle (ministre d'État (Finances)) pour l'amorce du débat. Le Président rend sa décision le 23 avril 1990. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.
Décision de la présidence
M. le Président : Le 27 mars 1990, le député de Kingston et les Îles a invoqué le Règlement pour contester la validité de l'incorporation d'une recommandation royale dans le projet de loi C-69 sur la compression des dépenses publiques. Le député a fait un exposé bien documenté citant plusieurs précédents et des autorités parlementaires éminentes.
Les députés de Kamloops (M. Nelson Riis) et de Gloucester (M. Douglas Young) et le ministre d'État chargé des Finances sont aussi intervenus à ce sujet.
Cet échange a aidé la présidence dans l'examen de cette question complexe qui porte sur un élément absolument fondamental de notre système parlementaire de gouvernement-l‘initiative financière de la Couronne.
Pour beaucoup de nos téléspectateurs, et, en fait pour un bon nombre de députés, la question de l'initiative financière de la Couronne semble revêtir un caractère extrêmement byzantin et irrémédiablement compliqué. Néanmoins, si vous voulez bien faire preuve d'un peu de patience, je vais essayer d'exposer la question en termes simples parce qu'elle a des conséquences importantes sur la façon dont la Chambre mène ses travaux.
J'aimerais commencer mes explications en citant la page 247 du Règlement annoté, où il est dit ceci :
Dans notre système de gouvernement parlementaire, le Souverain, représenté par le Gouverneur général et agissant sur l'avis de ses ministres responsables, […]
C'est-à-dire le Cabinet[...]
[...] [à la] charge de l'administration [de toutes les recettes de l'État et de l'acquittement] de toutes les dépenses publiques. L’affectation de crédits[...]
C'est l'utilisation de l'argent[...]
[...] pour l'acquittement de ces dépenses doit d'abord être recommandée par le Gouverneur général (c'est ce qu'on appelle la recommandation royale) et ensuite approuvée par le Parlement.
En d'autres termes, le gouvernement ne peut présenter un projet de loi devant résulter en une dépense sur le Trésor avant d'avoir obtenu du Gouverneur général une déclaration indiquant qu'il « recommande à la Chambre des communes l'affectation de deniers publics » de la façon énoncée dans le projet de loi. C'est ce qu'on appelle la « recommandation royale ».
Cette nécessité d'une recommandation royale est inscrite dans notre Constitution. Ainsi que le député de Kingston et les Îles l'a expliqué, l'article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 exige formellement, pour l'affectation de toute partie du revenu public ou de tout impôt, l'obtention préalable d'une recommandation royale par écrit avant l'adoption d'un projet de loi à cet effet.
Avant les importantes modifications qui ont été apportées à notre Règlement relativement aux procédures financières, en 1968, un projet de loi comme le projet de loi C-69 aurait été précédé d'une motion adoptée en Comité plénier.
Selon cette procédure, il était relativement facile de déterminer si un amendement relatif à un projet de loi était recevable, car il devait être conforme à la motion détaillée adoptée en Comité plénier. C'est-à-dire un comité constitué de tous les députés intéressés à cette question et non un comité siégeant à l'extérieur de la Chambre.
Cependant, on se plaignait notamment que cette procédure était trop longue. Elle supposait un débat sur la proposition tendant à ce que la Chambre se forme en Comité plénier, un autre débat en comité sur la motion (qu'on appelait l'étape de la résolution), et d'autres débats aux diverses étapes de l'étude du projet de loi.
En décembre 1968, on a changé cette procédure. Étape de l'étude de la résolution en Comité plénier a été supprimée, de même que le Comité des subsides et le Comité des voies et moyens. Par la suite, la recommandation royale a été présentée à la Chambre simplement sous forme d'avis imprimé conformément à l'article 79(2) du Règlement, qui est ainsi rédigé :
Le message et la recommandation du Gouverneur général à l'égard de tout projet de loi comportant l'affectation d'une taxe ou de tout impôt doivent être imprimés au Feuilleton des Avis et dans les Procès-verbaux au moment où ladite mesure est sur le point d'être présentée, et le texte de ladite recommandation doit figurer dans ledit projet de loi ou y être annexé.
À la suite de ces modifications, la recommandation royale a conservé pendant plusieurs années la forme d'un exposé détaillé de l'autorisation de dépenses donnée par la Couronne. Il est arrivé que les députés formulent des plaintes au sujet de la portée et de l'à-propos de la recommandation royale, ou se plaignent qu'elle était mal rédigée.
Cela a incité le Président Lamoureux à faire l’observation suivante le 2 novembre 1970 à la page [783] du Hansard :
J’ai souvent estimé qu'il n'était pas nécessaire d'essayer, dans nos recommandations, de mentionner tous les détails du bill car nous nous heurterions inévitablement à des difficultés. [...] Nous voulons savoir si, de l'avis de Son Excellence, nous pouvons commencer l'étude du bill, et s'il nous le dit en trois mots, nous devrions le croire sur parole.
En 1976, la formulation de la recommandation royale avait changé. À partir de cette année-là, les projets de loi présentés à la Chambre ont comporté une recommandation abrégée comme celle-ci : « Son Excellence Je Gouverneur général recommande à la Chambre des communes l'affectation de deniers publics dans les circonstances, de la manière et aux fins prévues dans une mesure intitulée [...] [Suit le nom du projet de loi en question]. » Dans ces conditions, c'est sur Je projet de loi lui-même qu'on doit maintenant se fonder pour déterminer le montant des imputations sur le Trésor, les objets, les fins, les conditions et les réserves prévus par la recommandation royale.
À première vue, on peut penser qu'il est facile de voir si un nouveau fardeau est imposé au Trésor. Si l'on augmente un taux, il paraît évident qu'un prélèvement supplémentaire sera effectué sur le Trésor et qu'il faut obtenir une recommandation royale.
Suivant le commentaire 540 de la 5e édition de Beauchesne, toutefois, le montant du prélèvement n'est pas la seule chose à considérer.
Le principe directeur quand il s'agit de déterminer les conséquences d'une modification dans le domaine financier, sur l'initiative de la Couronne, consiste en ce que la communication, à laquelle la demande royale de recommandation est annexée, doit être considérée comme établissant, une fois pour toutes (à moins qu'elle ne soit retirée et remplacée), non seulement le montant d'un prélèvement, mais aussi ses objectifs, ses buts, ses conditions et les réserves qui s'y rattachent. En ce qui concerne la norme ainsi fixée, tout amendement enfreint l'initiative de la Couronne dans le domaine financier, non seulement s'il augmente le montant, mais aussi s'il en étend les objets et les fins, ou s'il relâche les conditions et les réserves signalées dans la communication, par laquelle la Couronne a demandé, ou recommandé, un prélèvement.
Ainsi que Beauchesne l'explique, il y a des cas où les objets, les fins, les conditions et les réserves peuvent être touchés d'une façon qui comporte des incidences d'ordre financier. Par exemple, une recommandation royale est nécessaire si l'on étend un programme de façon à couvrir une période supplémentaire ou si l'on en élargit les paramètres de façon à viser un plus grand nombre de demandeurs.
Maintenant que j'ai expliqué ces éléments de base, j'aimerais revenir au rappel au Règlement fait par le député de Kingston et les Îles. Celui-ci a prétendu que le projet de loi sur la compression des dépenses publiques visait à réduire les dépenses de l'État; il ne mettait en cause, selon lui, aucun nouveau prélèvement sur le Trésor et n'exigerait donc pas de recommandation royale. Il a soutenu en outre que ces recommandations étaient incorporées aux projets de loi « pour empêcher les députés de l'opposition de proposer des amendements comme ils en ont le droit ».
Dans sa réponse, le m1mstre d'État aux Finances a expliqué que la recommandation royale avait été obtenue pour ce projet de loi sur les conseils du Bureau du légiste et conseiller parlementaire, parce que certaines dispositions du projet de loi élargissaient les conditions existantes. Il a renvoyé, en particulier, à l'article 2.
Le projet de loi sur la compression des dépenses publiques est une mesure législative extrêmement complexe. Le député de Kingston et les Îles a lui-même décrit le projet de loi comme contenant « toutes sortes de formules que je ne comprends pas ». La présidence a beaucoup de sympathie pour tous les députés de part et d'autre de la Chambre qui tentent d'y comprendre quelque chose dans les projets de loi de ce genre.
On trouve à l'article 2 une formule pour le calcul des contributions de 1991 au titre du Régime d'assistance publique du Canada. L’article 5 prévoit une formule pour la détermination du facteur de progression dans la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d'enseignement postsecondaire et de santé.
Il ne fait aucun doute, pour la présidence, que les propositions contenues dans le projet de loi C-69, qui est un projet de loi modificatif, modifieront les conditions et réserves qui s'attachaient à la loi existante qu'avait recommandée le Gouverneur général. Peut-être en coûtera -t-il moins au Trésor par suite du calcul fait selon l'une ou l'autre des formules en question, et peut-être que non, mais la méthode et les éléments prévus pour arriver à ces résultats sont certainement nouveaux.
La présidence conclut donc qu'il était à propos d'obtenir une recommandation royale.
En ce qui concerne la crainte du député que le fait qu'il y ait une recommandation royale restreigne la possibilité de proposer des amendements, j'estime que ce fait ne devrait empêcher aucun député de présenter des amendements aux articles du projet de loi, à l'étape de l'étude en comité et à l'étape du rapport, sous réserve de nos règles et pratiques normales. En comité, les députés peuvent proposer des amendements à n'importe quel article du projet de loi. Si l'on pense qu'un amendement est irrégulier, il est normalement possible de tenir un débat de procédure, qui sera suivi d'une décision du président du comité.
En outre, l'étape du rapport offre une autre occasion de présenter des amendements. Ainsi que les députés le savent, il y a normalement des consultations au sujet du choix des amendements ainsi que de leur groupement pour les fins du débat et du vote. Tout amendement sera cependant régi par la pratique de cette Chambre selon laquelle il ne peut modifier les objets, les fins, les conditions ou les réserves de l'initiative financière en question.
Je tiens à remercier le député de Kingston et les Îles d'avoir soulevé cette question et d'avoir ainsi donné à la présidence l'occasion de clarifier notre pratique en ce qui concerne la recommandation royale.
F0619-f
34-2
1990-04-23
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[1] Débats, 27 mars 1990, p. 9803-9806.