Recueil de décisions du Président John Fraser 1986 - 1994
Les règles du débat / Décorum
Langage non parlementaire : propos sexistes et racistes
Débats, p. 3562-3564
Contexte
Au cours des affaires courantes du 10 octobre 1991, M. Bill Blaikie (Winnipeg Transcona) invoque le Règlement au sujet de l'utilisation de propos offensants à la Chambre. Il signale que les règles, pratiques et coutumes existantes concernent les remarques qui pouvaient être classées comme des insultes personnelles adressées à des individus tandis que les incidents récents liés à des propos sexistes et racistes témoignent d'une nouvelle tendance, soit celle d'adresser des remarques à des individus, mais de viser du même coup tout un groupe de citoyens. Il demande à la présidence d'examiner si les habituelles excuses et le traditionnel retrait des propos offensants suffisent lorsque les remarques blessantes visent tout un groupe. Il demande aussi à la présidence d'étudier le cas des propos blessants qui sont prononcés à la Chambre et entendus par les autres députés, mais qui ne se retrouvent pas dans le compte rendu des débats.
L'hon. Harvie Andre (ministre d'État et leader du gouvernement) mentionne certaines mesures qu'il envisage pour régler la question du décorum à la Chambre et, notamment, le fait qu'il présentera une motion portant sur ce sujet et sur les pouvoirs dont dispose la présidence pour le faire respecter.
M. David Dingwall (Cape Breton-Richmond-Est) soutient que le Règlement permet déjà au Président de sévir à l'endroit des députés qui ne respectent pas le décorum.
M. Dennis Mills (Broadview-Greenwood) prend ensuite la parole pour contester les propos tenus par M. Andre. Il affirme que les députés ministériels incitent les députés de l'opposition à les interpeller, à les chahuter et qu'ils doivent prendre sur eux une partie du blâme à cet égard.
M. Blaikie conclut en indiquant qu'il s'inquiète que la remarque qu'il a faite sur les propos racistes et sexistes récemment tenus à l'égard de groupes soit, par inadvertance ou autrement, noyée par la question distincte et plus générale du non-respect du décorum à la Chambre[1].
Le Président a fait des remarques tout au long de la discussion. L'essentiel de celles-ci est reproduit ci-dessous.
DÉCLARATION DE LA PRÉSIDENCE
M. le Président : Le député de Winnipeg Transcona a soulevé un problème que la Chambre sait être sérieux. Le leader du gouvernement a rappelé qu'on observe, partout au Canada, un état d'esprit sans précédent, du moins à l'époque actuelle, une prévention non seulement contre les élus comme nous, mais contre tout le processus politique. Cet état d'esprit se manifeste notamment sous forme de plaintes formulées à propos de ce qui se passe dans notre enceinte.
Nous avons récemment été témoins de plusieurs incidents qui ne manquent pas d'inquiéter les gens raisonnables qui siègent ici, c'est-à-dire la majorité d'entre nous. Le député de Winnipeg Transcona invoque donc le Règlement pour demander si nous prenons les mesures qui s'imposent pour remédier à ce genre d'incidents. Il demande à la présidence d'examiner ces questions et de faire part de ses réflexions à la Chambre afin que nous puissions atteindre les objectifs que la plupart d'entre nous souhaitons non seulement atteindre mais aussi maintenir, compte tenu de nos obligations envers notre institution et ses traditions, envers notre pays et envers le public. [...]
Ayant passé de nombreuses années dans cette Chambre, je peux affirmer à ce député et à tous les autres qu'il n'existe aucun monopole de la vertu ni d'un côté ni de l'autre, et que tous deux peuvent faire du chahut et pire encore. Mais ce n'est pas là où je veux en venir. Ce que je veux dire, c'est que le fait de ne pas observer le décorum donne lieu à des excès de plus en plus grands et qu'il se pourrait bien que les remarques sexistes et racistes soient le résultat direct de l'état général du décorum. Il est très difficile de distinguer complètement un excès d'un autre.
Le député a parlé de provocation. En effet, il y a souvent de la provocation dans cette Chambre, et cela, de part et d'autre. Je ne crois pas qu'il faille une étude en comité pour savoir cela. Bien sûr, un certain sérieux doit présider à nos actions, parce que cet endroit n'est pas une cour de récréation. Cependant, les hommes et les femmes qui y travaillent ont des convictions profondes, et il leur arrive parfois de donner libre cours à la passion et la conviction qui les animent. Je suis toutefois disposé à aider en suivant les suggestions du député de Winnipeg Transcona, du leader du gouvernement à la Chambre et du député de Cape Breton- Richmond Est. [...]
Je remercie le député de Winnipeg Transcona. Je comprends parfaitement bien la distinction qu'il fait, et j'y suis tout à fait sensible.
Par contre, je demande aux députés et aux gens qui nous écoutent de garder à l'esprit qu'il est également important d'observer un certain décorum, car accepter que des députés se comportent de façon inacceptable conduit à d'autres excès.
Je voudrais également répéter ce que j'ai dit au député de Broadview Greenwood, ainsi qu'à d'autres députés. Les débats ont toujours été virulents dans cette enceinte. Cela n'excuse pas les excès, mais il faut se rappeler que les questions et les problèmes des plus importants pour le pays sont débattus à la Chambre et que les députés défendent parfois avec véhémence, conviction et passion leur position.
Je suis persuadé que les gens comprennent que dans un pays libre comme le nôtre, les parlementaires ont toujours et continueront probablement toujours de défendre leur point de vue de cette façon; il s'agit simplement de s'assurer que ce faisant, ils ne blessent personne ni ne ternissent la réputation de notre institution elle-même.
Je voudrais en outre dire ceci aux députés. Il s'agit en l'occurrence de deux incidents qui ont duré quelques secondes dans cette enceinte sur les nombreuses heures de débat que nous avons ici. Tout le monde sait que la plupart du temps, non seulement on observe à la Chambre un excellent décorum, mais également les débats sont relativement calmes et se déroulent dans le plus grand sérieux.
Je pense qu'au nom de tous les députés, je me dois de faire cette déclaration. Il est peut-être faux d'affirmer que notre Chambre est toujours témoin d'excès et qu'il y règne le plus grand tumulte, car ce n'est pas le cas. La population nous demande sans aucun doute de mieux nous comporter.
Je tiens simplement à rappeler aux députés que jadis, lorsqu'on voulait signifier son approbation face à une intervention brillante ou une excellente critique de la part d'un collègue, on martelait son pupitre. Vous n'avez sans doute pas oublié que peu après le début de la télédiffusion de nos travaux, nous avons tous reçu des lettres et des coups de téléphone de gens nous demandant de cesser d'agir ainsi.
Ainsi, il a suffi qu'un parti mette un terme à cette pratique et qu'il la remplace par des applaudissements pour que quelques jours après, elle ait complètement disparu. Cela ne se produit plus. C'est là un exemple de la façon dont la Chambre répond aux souhaits de l'opinion publique.
Je vais m'arrêter là-dessus, car je m'aperçois que certains députés sont tentés de marteler leur pupitre pour marquer leur approbation de ce que je viens de dire, ce qui irait tout à fait à l'encontre de mon intervention.
Je vais faire de mon mieux pour répondre aux préoccupations du député de Winnipeg Transcona. Je comprends parfaitement sa position. Je suis conscient du fait qu'il s'agit là d'une question grave et je vais essayer d'aider la Chambre à la résoudre.
F0722-e
34-3
1991-10-10
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[1] Débats, 10 octobre 1991, p. 3560-3564.