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SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 17 novembre 1997

• 1525

[Traduction]

Le président (M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.)): Chers collègues, nous poursuivons notre examen de l'Accord multilatéral sur l'investissement.

Aujourd'hui, nous accueillons, de l'Université de Toronto, M. Alan Rugman; du Conseil des Canadiens, Mme Maude Barlow accompagnée de M. Peter Bleyer; de l'Institut Polaris, M. Tony Clarke; et M. Michael Hart du Centre de droit et politique commerciale. Je vous souhaite la bienvenue.

Nous sommes ici aujourd'hui pour entendre ce que vous pensez de l'AMI. Je pense que nous allons commencer par Alan Rugman de l'Université de Toronto. Bonjour.

M. Alan Rugman (professeur, Université de Toronto): Monsieur le président, merci de cette invitation à comparaître devant le sous-comité.

Mes remarques sont tirées de la page 4 de ce numéro de CIB Perspectives, une lettre de nouvelles publiée par l'Université de Toronto. Essentiellement, monsieur le président, je vais en résumer les points saillants.

• 1530

Monsieur le président, à mon avis, le gouvernement du Canada devrait appuyer l'Accord multilatéral sur l'investissement pour deux raisons. Tout d'abord, cet accord ne diminue en rien la souveraineté du Canada et sa capacité de réglementer les investissements étrangers directs au Canada.

La raison principale est illustrée dans mon tableau dans ce petit document. En 1996, les deux tiers des investissements étrangers directs au Canada provenaient des États-Unis. C'est-à-dire que 68 p. 100 de tous les investissements directs au Canada provenaient des États-Unis.

Monsieur le président, comme l'a expliqué récemment le ministre à ce comité, le Canada a déjà la réglementation pour traiter ce genre d'investissements provenant des États-Unis. Nous avons déjà un accord multilatéral sur l'investissement avec les États-Unis. Il s'agit de l'Accord de libre-échange nord-américain. D'après ce que je sais des négociations de l'AMI à Paris, cet accord reprend essentiellement les dispositions de l'ALENA sur l'investissement. Par conséquent, cet accord n'aura aucune incidence sur la souveraineté canadienne puisque nous avons déjà négocié les mêmes règles il y a dix ans, lors du premier accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, dispositions qui ont été reprises dans l'ALENA.

Par ailleurs, monsieur le président, les entreprises canadiennes aimeraient qu'il y ait des règles pour régir les investissements canadiens à l'étranger. Aujourd'hui, 54 p. 100 seulement de ces investissements sont dirigés vers les États-Unis. Les autres 46 p. 100 ne sont assujettis à aucune règle semblable à celles prévues dans l'ALENA. Il me semble logique, monsieur le président, que si nous pouvons négocier à Paris les mêmes règles pour l'AMI que ce qui se trouve dans l'ALENA, les entreprises canadiennes y gagneront un meilleur accès pour leurs investissements à l'étranger.

Des entreprises comme Northern Telecom bénéficieraient clairement de cette réglementation dans leurs investissements en Europe et en Asie. Je considère donc que l'Accord multilatéral sur l'investissement qui met à profit l'ALENA est une situation avantageuse pour tous. D'une part, le Canada n'y perd aucune souveraineté en matière d'investissements étrangers et, par ailleurs, nous gagnons une réglementation qui régit les nôtres à l'étranger.

D'une façon plus précise, si je comprends bien, les négociations sur l'accord multilatéral à Paris devraient se terminer en avril prochain, comme prévu. L'accord comprendra trois composantes principales. Les investisseurs étrangers jouiront du traitement national. Cela signifie simplement, monsieur le président, que les entreprises étrangères reçoivent le même traitement que les entreprises nationales, conformément aux lois canadiennes, fédérales et provinciales. Toutefois, si nous obtenons le traitement national lorsque nous investissons à l'étranger, nous ne serons pas l'objet de mesures discriminatoires comme c'est actuellement le cas en Europe et en Asie.

Deuxièmement, l'accord prévoit la transparence. Cela signifie simplement que tous les secteurs exclus des dispositions sur le traitement national y seront inscrits comme dans l'ALENA.

C'est avec intérêt que j'ai lu la déclaration du ministre du Commerce, à savoir que la culture serait exclue des dispositions sur le traitement national, comme c'est le cas dans l'ALENA, ce dont je me réjouis.

Troisièmement, on y prévoit des dispositions sur le règlement des différends. Là encore, d'après ce qu'on m'a dit, monsieur le président, ces dispositions dans l'AMI reprennent tout simplement les dispositions sur les mécanismes de règlement des différends investisseur-État que nous avons déjà négociées avec les États-Unis dans l'ALENA.

Le fait que les dispositions sur l'investissement dans l'AMI soient fondées sur celles de l'ALENA est dans l'intérêt du Canada. Nous avons déjà négocié le fond de ce genre d'entente auparavant et nous avons vu quel problème représentait la négociation de l'exclusion de certains secteurs. Je pense donc que la culture, la santé, les services sociaux, l'éducation et le transport seront exclus de l'AMI, soit les mêmes secteurs que dans l'Accord de libre-échange et dans l'ALENA. Pour cette raison, monsieur le président, je ne pense pas qu'il y aura des changements qui toucheront la capacité des gouvernements fédéral et provinciaux à appliquer leurs règles et leurs lois.

• 1535

Enfin, j'aimerais faire remarquer qu'à mon avis, il est tout à fait approprié de négocier l'Accord multilatéral sur l'investissement à l'OCDE. Comme les membres de l'OCDE, les 29 pays membres, comptent, à toutes fins utiles, pour 98 p. 100 de tous les investissements étrangers directs dans le monde, c'est l'endroit logique pour établir cette réglementation.

Depuis 1975, l'OCDE élabore des codes de conduite pour les entreprises multinationales et l'organisme s'est toujours intéressé à l'éthique de l'investissement international. Je pense que l'AMI finira par être le point de départ d'une réglementation sur l'investissement au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Jusqu'à présent, l'OMC, comme vous le savez, n'a pu entreprendre de négociations à ce sujet, mais je pense que l'accord négocié au sein de l'OCDE mettra celle-ci sur la bonne voie.

Pour conclure, monsieur le président, dans ce petit document, je fais valoir que l'entreprise canadienne doit appuyer l'AMI. À ma connaissance, c'est la position des groupes d'affaires canadiens et je tiens à appuyer la position du gouvernement et du ministre qui participent aux négociations sur l'AMI.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Rugman.

Madame Barlow.

Mme Maude Barlow (présidente nationale bénévole, Conseil des Canadiens): Merci beaucoup. Je suis moi aussi très heureuse d'être ici et d'avoir l'occasion de vous faire part de notre point de vue.

Nous ne sommes pas en mesure de nous lancer dans une discussion de l'ALENA aujourd'hui. Je me contenterai de dire que nous ne sommes pas tous en mesure de voir, comme on vient de le décrire, cet accord comme merveilleux. Deux données statistiques viennent à l'esprit: depuis la signature par le Canada de l'Accord de libre-échange nord-américain, la pauvreté des enfants a augmenté de près de 50 p. 100 et il y a maintenant trois fois plus de millionnaires au Canada qu'il y en avait le jour de la signature de l'accord. Voilà deux éléments qui donnent matière à réflexion au début de nos délibérations sur l'AMI.

Il ne reste que cinq mois, monsieur le président, et pourtant nous avons sous les yeux un document, l'Accord multilatéral sur l'investissement, qui ne comporte aucune disposition, garantie ou protection concernant la culture, les programmes sociaux, la santé, l'éducation, les emplois, les normes du travail, l'environnement et les ressources naturelles du Canada. En fait, cet accord protège le militaire américain et les banques.

Il s'agit d'un accord dont l'entrée en vigueur se fera d'ici quelques mois et pourtant, le gouvernement a fondé les assurances qu'il nous donne entièrement sur les réserves qu'il a exprimées à propos de certains pays. Nous avons été très inquiets lorsque nous avons mis la main sur ces réserves il y a un mois environ. À notre avis, elles n'offrent pas le genre de protection que le ministre a dit qu'elles offriraient aux Canadiens. Nous nous sommes donc adressés à un spécialiste en commerce, M. Barry Appleton, et nous lui avons demandé de nous donner une opinion juridique sur les garanties qu'offrent ces réserves, dans tous ces domaines, pour les Canadiens.

Avant d'aborder cet aspect, j'aimerais dire qu'il ne faut pas oublier que les réserves émises par le gouvernement n'ont pas encore été acceptées. C'est une liste de desiderata qu'il reste à négocier. Une fois négociées, et on peut s'attendre à ce que le nombre de réserves diminue considérablement, ces réserves seront inscrites sur une liste qui maintiendra le statu quo avant qu'on les démantèle complètement. Dans l'ébauche du texte, on précise que dans les deux cas, il y aura un effet de crémaillère menant à «l'élimination des mesures non conformes à l'AMI».

Enfin, tant que les sociétés auront le droit de poursuivre en justice directement les gouvernements pour avoir adopté une loi qui, à leur avis, limite leurs profits, ces réserves perdront tout leur sens. À notre avis, essentiellement, l'AMI poussera le gouvernement du Canada à céder un pouvoir aux sociétés pour ensuite le racheter en échange du droit d'imposer des lois.

Dans son mémoire, M. Appleton a donné le bénéfice du doute au gouvernement, c'est-à-dire... supposons que toutes les réserves soient acceptées. Il a expliqué, en détail, la nature limitée des réserves aux termes du droit international ainsi que l'interprétation étroite, par définition, des exemptions prévues dans les traités. Il conclut:

    Même si les gouvernements qui émettent des réserves ou s'y fient protestent contre le fait qu'elles sont générales, celles-ci seront interprétées de façon stricte et limitée par les tribunaux internationaux.

Très vite, M. Appleton divise en trois ses préoccupations. Il y a d'abord les services sociaux, les soins de santé, l'éducation, la garde des enfants, etc. M. Appleton a constaté que bien que le libellé de la réserve proposée par le Canada en matière de services sociaux soit identique à la réserve formulée par le Canada dans l'ALENA, parce que cette réserve vise le palier fédéral, elle ne s'appliquerait intégralement qu'au maintien de la loi et aux services correctionnels. En seraient exclus la santé, l'éducation, la garde des enfants, les soins aux aînés, et plusieurs autres services sociaux.

• 1540

Il nous apparaît plutôt inquiétant que nos négociateurs ne semblent pas savoir comment fonctionne le système fédéral-provincial dans ce pays et qu'ils aient négligé de protéger ces services aux termes des lois provinciales.

Deuxièmement, M. Appleton a constaté que l'interprétation par le gouvernement américain de la réserve sur les services sociaux contenue dans l'ALENA porte à croire que les services qui ne sont pas offerts directement et plus ou moins exclusivement par le gouvernement ne font pas partie de la définition de «services sociaux».

C'est particulièrement grave, dans le contexte canadien, puisque dans la plupart des secteurs, santé, éducation, garde des enfants, soins aux aînés, et plusieurs autres, les services sont offerts par plusieurs entités, qu'il s'agisse des gouvernements, d'entreprises privées et d'entreprises à but non lucratif.

De l'avis de M. Appleton donc, les réserves du Canada en matière de santé, d'éducation et de garde d'enfants sont presque inutiles puisque dans tous les cas, des services sont offerts dans ces secteurs par des fournisseurs commerciaux. Il nous a également prévenus que les réserves du Canada n'empêcheraient pas les entreprises internationales d'intenter des poursuites contre le gouvernement si elles ne se voyaient pas accorder un accès complet aux services publics canadiens.

En ce qui concerne la culture, M. Appleton se préoccupe énormément du fait que le gouvernement canadien n'a présenté aucune réserve dans un secteur qui sera considérablement touché par nos obligations dans le cadre de l'AMI. M. Appleton énumère six exemples de secteurs de politique qu'il faudrait protéger grâce à une exemption générale ou à une réserve précise afin de maintenir la capacité du gouvernement du Canada à agir, maintenir, développer ou promouvoir une culture spécifiquement canadienne.

Le mieux que l'on puisse dire du gouvernement du Canada, c'est qu'il fait le mort et laisse le gouvernement de la France faire le travail à sa place, dans le cas de la culture.

Il y a aussi une autre opinion de Garry Neil, de la Conférence canadienne des arts, qui prétend que l'expérience nous enseigne qu'en ce qui concerne les règles sur les exemptions au commerce, les jurys internationaux interprètent les dispositions très strictement puisque ces groupes sont en général composés de personnes qui appuient les tentatives visant à libéraliser le commerce.

À ce sujet, il faut noter que le libellé de la disposition d'exemption proposée par la France est en soi étroit. Il se peut que ce libellé ne couvre pas adéquatement toutes les formes actuelles d'expression culturelle, encore moins celles qui pourraient naître au siècle prochain. Un jury international pourrait fort bien accepter uniquement les mesures à l'appui d'oeuvres importantes sur le plan culturel ou d'oeuvres dans une langue de la minorité.

Quoi qu'il en soit, il est fort peu probable que le gouvernement de la France obtienne entièrement cette exemption générale puisque la protection recherchée serait plus grande que celle dont jouit le Canada aux termes de l'ALENA. En fait, le gouvernement américain a fait savoir très clairement qu'il n'est pas disposé à accepter une telle disposition. Nous considérons qu'il est très inquiétant que dans les réserves, on ne fasse aucune mention de la culture. Le Canada ne mentionne même pas son appui envers la proposition française et, à ce sujet, Appleton déclare, et je cite:

    Des mesures gouvernementales visant à préserver, à développer ou à favoriser une culture spécifiquement canadienne seraient incompatibles avec les objectifs de l'AMI.

Enfin, M. Appleton a considéré la question de l'environnement. Il nous a fait un bref historique des décisions prises devant les instances commerciales internationales, notamment l'ALENA, le GATT et l'OMC, pour indiquer les atteintes des accords de commerce et d'investissement à la protection de l'environnement.

Comme le ministre Marchi l'a confirmé, le gouvernement du Canada a accepté délibérément dans le préambule de l'AMI une formule sans vigueur et sans force exécutoire sur l'environnement. En renonçant à proposer des réserves pour essayer de protéger la possibilité, pour le Canada, de prendre des mesures environnementales contraires à l'AMI, le Canada a choisi—et je cite notre avis:

    [...] de s'imposer volontairement et d'imposer aux provinces et aux municipalités des obligations qui donnent préséance à l'investissement sur l'environnement.

La déréglementation environnementale est déjà bien amorcée tant au niveau fédéral que dans plusieurs provinces. Les budgets de l'environnement de la plupart des provinces ont subi des réductions de 30 p. 100 à 60 p. 100 et nous craignons que ce projet de loi ne bloque les normes environnementales au niveau où elles se trouvent actuellement. Évidemment, nous redoutons en particulier les effets de cette tendance sur les gouvernements du tiers monde et sur les anciens pays communistes du bloc de l'Est, qui n'ont pas la moindre législation de protection de l'environnement.

En conclusion, nous tenons à dire que les réserves envisagées par le Canada n'abordent pas les questions essentielles de la culture et de l'environnement et qu'elles n'ont pratiquement aucun effet sur les soins de santé, sur l'enseignement public ni sur les autres services sociaux.

• 1545

La stratégie du gouvernement du Canada qui vise à protéger les intérêts canadiens à la table de négociation de l'AMI est mal conçue et comporte de sérieuses lacunes. Le secrétariat de l'OCDE, quant à lui, a fait en novembre 1996 la déclaration suivante:

    Les négociateurs de l'AMI sont bien décidés à limiter au minimum [les exceptions générales et les réserves spécifiques à certains pays].

Cinq mois avant le délai fixé par l'OCDE et compte tenu d'une position de départ aussi faible, on peut difficilement concevoir que le résultat final ne soit pas un désastre pour le Canada et pour les Canadiens.

Le président: Merci, madame Barlow. Nous rencontrons justement M. Appleton demain et...

Mme Maude Barlow: Je sais.

Le président: ... il est donc bon que nous connaissions son interprétation à l'avance.

Nous allons maintenant écouter Tony Clarke, de l'Institut Polaris. À vous, Tony.

M. Tony Clarke (Institut Polaris): Merci, monsieur le président, de nous avoir invités à comparaître devant le comité. Je suis très heureux que vous ayez choisi ce sujet.

Je voudrais me consacrer aujourd'hui à la déclaration du ministre lors de sa comparution devant ce comité le 4 novembre dernier:

    Je peux aussi vous dire ce que n'est pas l'AMI. Ce n'est pas une charte des droits des multinationales, pas plus que ce n'est la fin de la souveraineté du Canada.

J'ignore à quel document le ministre faisait référence en affirmant cela, mais voici ce que je peux vous dire: après avoir pris connaissance des nombreuses ébauches de l'AMI et de toute la documentation, j'affirme sans l'ombre d'un doute que l'AMI vise pour le moins à énoncer une charte des droits et libertés des sociétés transnationales dans le nouvel ordre mondial.

On ne devrait pas s'en étonner. Si l'on considère ce qui se passe aujourd'hui dans le monde entier, on voit que les sociétés transnationales ont beaucoup plus de pouvoir économique que les États-nations. Aujourd'hui 51 des 100 économies les plus florissantes au monde sont des sociétés. Mitsubishi est plus puissante que le quatrième pays au monde par la population, à savoir l'Indonésie. General Motors est plus puissante que le Danemark. Ford est plus puissante que l'Afrique du Sud. Toyota est plus puissante que la Norvège, et Philip Morris plus puissant que la Nouvelle-Zélande. Wal-Mart dépasse 161 pays, dont la Pologne, Israël et la Grèce.

De plus, le chiffre d'affaires combiné des 200 plus grosses sociétés au monde dépasse les économies combinées de 182 pays. Autrement dit, il ne reste que neuf pays au monde qui aient une puissance économique suffisante pour mettre en échec ces géants du commerce mondial, encore que cette affirmation soit elle-même contestable.

Évidemment, du point de vue des sociétés transnationales, il est très avantageux de pouvoir fixer des règles mondiales de l'investissement qui leur confèrent le droit et la liberté de déplacer des capitaux, d'acheter, de vendre ou de déménager leurs établissements où et quand elles le veulent, sans avoir à se préoccuper de réglementation ou à craindre d'interventions gouvernementales. Il est sans doute également très avantageux de négocier ce traité sous l'égide de l'OCDE qui, somme toute, abrite 96 p. 100 des sociétés qui forment le Fortune 500. Mais cela n'apporte rien au Canada, ni à quelque autre pays, du reste.

Comme le ministre, j'aimerais parler de l'AMI en me fondant sur des faits, et non sur des chimères. Malheureusement, je pense que le ministre a induit ce comité en erreur en déclarant que l'AMI n'était pas une charte des droits et libertés des multinationales. À la vérité, je pense que le ministre a jugé très commode d'écarter certains faits fondamentaux concernant l'AMI.

Vous trouverez tout cela dans mon document, mais je voudrais vous en présenter brièvement les points saillants.

Le premier, c'est que ces négociations se déroulent en secret depuis maintenant plus de deux ans. Lorsque l'ébauche a fait l'objet d'une fuite ici même, au Canada, le 3 avril dernier, la plupart des membres du Cabinet n'en avaient guère entendu parler. En tout cas, la plupart des parlementaires ne connaissaient rien de l'AMI.

Le fait est que l'entente semble avoir été négociée en coulisses par des groupes comme le Council for International Business aux États-Unis, qui réunit les 200 plus grosses sociétés américaines, et qui ont suivi de très près les négociations en rencontrant l'équipe des négociateurs américains avant et après chaque séance de négociation. La Chambre de commerce, suivie encore une fois par la Chambre de commerce internationale, a même dressé le plan de ce traité sur l'investissement. Pourtant, personne n'en a rien su, en dehors des milieux d'affaires qui étaient partie prenante. Les initiés étaient très peu nombreux et ils sont restés dans l'ombre.

• 1550

Le deuxième point concerne le statut juridique des sociétés transnationales. Dans les faits, le traité proprement dit leur confère un statut juridique égal à celui des États-nations, grâce à la clause de la nation la plus favorisée et à la clause du traitement national.

En vertu de la clause de la nation la plus favorisée, les sociétés transnationales obtiennent un traitement de faveur en ce qui concerne l'investissement. En vertu de la clause du traitement national, les sociétés transnationales ou étrangères sont traitées sur un pied d'égalité avec les sociétés indigènes des pays signataires. Autrement dit, les sociétés étrangères ne doivent pas être défavorisées par rapport aux sociétés indigènes.

De surcroît, l'AMI donne un statut quasi diplomatique aux cadres, aux gestionnaires et aux spécialistes des sociétés transnationales en matière de liberté de circulation, de passage des frontières et d'autorisation de travailler dans tous les pays.

Troisièmement, il faut parler des règles d'investissement proprement dites. Il ne s'agit pas d'un traité qui réglemente ce que les sociétés peuvent ou ne peuvent pas faire dans les différents pays. Il s'agit d'un traité sur l'investissement qui énonce en fait ce que les gouvernements peuvent ou ne peuvent pas faire pour promouvoir l'investissement rentable et la concurrence.

Il confère des droits aux sociétés, mais ne leur impose pratiquement aucune obligation en contrepartie. Les obligations incombent aux gouvernements, et non aux sociétés, ce qui contrevient fondamentalement aux droits et obligations des États tels qu'ils ont été définis aux Nations Unies en 1974, à savoir que les États-nations sont investis de pouvoirs politiques pour réglementer l'investissement étranger en fonction de leurs priorités nationales, sociales, culturelles et environnementales.

En outre, l'AMI élimine les normes de rendement dans une série de domaines qui dépassent considérablement la portée de l'ALENA. Cette élimination est absolue, et le document l'indique très clairement.

En quatrième lieu, on trouve au coeur même de l'AMI la règle des expropriations, bien connue en droit constitutionnel américain. Cette règle protège fondamentalement le droit de propriété et interdit aux gouvernements d'exproprier un bien privé sans indemnisation adéquate et sans motif d'intérêt public.

Il est sans doute bon que les sociétés soient traitées équitablement lorsqu'elles ont affaire à un gouvernement, mais lorsque ce souci d'équité devient la clé de voûte d'un traité sur l'investissement à l'échelle mondiale, il en découle des conséquences énormes, en particulier compte tenu des définitions que donne l'AMI de l'investissement et de l'expropriation, qui sont de portée très large. En conséquence, l'application de cette règle sur les expropriations sera lourde de conséquences pour les gouvernements.

Le pire, c'est que les sociétés sont en mesure de priver les gouvernements de leurs pouvoirs de servir et de protéger les droits démocratiques de leurs citoyens par la voie législative, ces derniers n'ayant pratiquement aucune voie de recours.

Cinquièmement, il faut aussi parler de la possibilité de poursuivre les gouvernements en justice. Contrairement aux autres ententes que nous connaissons—dans l'ALENA, du moins, les possibilités d'intenter des poursuites contre un gouvernement étaient extrêmement limitées par le code de l'investissement—les règles de l'AMI peuvent servir de fondement aux sociétés pour poursuivre les gouvernements. Il y a même un mécanisme spécial concernant l'État investisseur, qui permet à une société de poursuivre directement un gouvernement étranger sans avoir à passer par le gouvernement de son pays ou par une procédure de règlement des conflits, comme c'était le cas précédemment. Les sociétés ont donc une arme redoutable qui leur permet d'invoquer la règle sur les expropriations contre un gouvernement. L'affaire Ethyl Corp., soumise actuellement aux tribunaux canadiens, en est un bon exemple, mais on peut s'attendre à une prolifération de procès du même genre.

Qui plus est, le traité ne confère pas aux gouvernements de droits ni de pouvoirs particuliers pour poursuivre les sociétés à leur tour.

Sixièmement, en ce qui concerne la discrimination, la clause du traitement national est censée mettre les sociétés à l'abri de la discrimination en ce qui concerne les subventions et les mesures incitatives des gouvernements.

• 1555

Le problème, c'est que ce principe poussé à l'excès risque fort d'occasionner une forme de discrimination à l'inverse. Il est un fait que les gouvernements se sont souvent servis des subventions et des mesures incitatives dans leur stratégie économique pour stimuler les économies locales et la création d'emplois en aidant les petites et moyennes entreprises. Maintenant que ces mêmes subventions seront accessibles aux sociétés étrangères, on pourrait assister à un phénomène de discrimination à l'inverse en vertu duquel les petites et moyennes entreprises indigènes, voire les sociétés d'État, deviendraient des sociétés de second ordre, le haut du pavé étant tenu par des sociétés étrangères.

Septièmement, pour ce qui est du démantèlement, la clause du statu quo dans la formulation actuelle du traité, signifie tout simplement qu'une fois qu'un pays l'a signé, il doit démanteler sans délai ses politiques, lois et programmes qui contreviennent aux dispositions du traité. En outre, tout nouveau gouvernement qui voudrait instaurer des lois, politiques et programmes jugés non conformes au traité en serait empêché par la disposition du statu quo.

Comme le disait Mme Barlow tout à l'heure, le traité a de toute évidence pour effet d'éliminer par ricochet les mesures législatives jugées indésirables. Cette particularité, conjuguée au mécanisme concernant l'État investisseur, risque d'avoir à terme d'énormes conséquences.

Enfin, en ce qui concerne les mesures de blocage, je signale, monsieur le président, que l'AMI comporte une disposition incroyable en vertu de laquelle tout pays signataire se trouve bloqué sous le régime du traité pendant 20 ans. Dans les accords commerciaux précédents, la clause d'abrogation permettait à un pays signataire de se retirer d'une entente en donnant un préavis de six mois. Dans l'AMI, le retrait est impossible pendant les cinq premières années et après le retrait, les règles et les mesures disciplinaires continuent de s'appliquer pendant 15 ans, si bien qu'en pratique, le pays signataire se retrouve bloqué pendant 20 ans.

De surcroît, les rédacteurs de l'AMI ont précisé que les règles proprement dites s'appliqueront aussi bien aux autorités provinciales et municipales qu'aux gouvernements fédéraux. Voilà qui pose une question constitutionnelle très épineuse dans notre pays.

En conclusion, il apparaît nettement que le ministre s'est trompé dans son interprétation des principes fondamentaux de ce traité sur l'investissement. L'AMI propose de toute évidence une Charte des droits et libertés aux sociétés transnationales, mais il y a plus. C'est également un traité sur la domination des sociétés transnationales. Il leur confère un ensemble de pouvoirs dont pourront se prévaloir des organismes non élus et non imputables pour modeler et modifier les politiques et les orientations d'un État-nation comme le Canada. C'est non seulement une menace à la souveraineté nationale, mais c'est aussi une menace fondamentale à la démocratie. Il est certain que l'AMI va accélérer l'émergence de la domination des sociétés transnationales. Au-delà des penchants et des appartenances politiques, l'AMI soulève de graves questions concernant l'avenir de la démocratie.

Le ministre dit que le Canada n'est pas visé, mais avant de croire le Canada à l'abri d'une telle menace, il convient de remarquer que les plans d'investissement des sociétés sont déjà en marche, et qu'ils veulent s'engager dans des espaces jusqu'alors publics pour accaparer les marchés lucratifs de la sécurité sociale, de la santé et de l'enseignement public.

Citons à titre d'exemple les faits suivants: l'un des plus gros fabricants d'armes du monde, Lockheed Martin, est en train de s'équiper pour s'approprier la gestion et la prestation des programmes de sécurité sociale aux États-Unis, tout en prospectant d'autres marchés, notamment le Canada.

La plus grande chaîne mondiale d'hôpitaux à but lucratif, Columbia/HCA, a inscrit parmi ses objectifs plusieurs provinces canadiennes qu'elle considère comme des marchés en expansion où elle pourrait installer à l'avenir des hôpitaux privés à but lucratif.

Des dizaines de sociétés de produits alimentaires, de boissons, d'ordinateurs et de télécommunications s'introduisent dans nos écoles pour offrir leurs services et leur matériel en assurant ainsi leur présence dans l'enseignement public, considéré comme un marché.

• 1600

Monsieur le président, soyez assuré que l'AMI va avoir pour effet d'accélérer ces stratégies commerciales.

Le président: Merci, monsieur Clarke. Vous nous avez donné de quoi réfléchir.

Je donne maintenant la parole à Michael Hart.

M. Michael Hart (professeur, Centre de droit et politique commerciale, Université Carleton): Merci, monsieur le président. Je suis heureux, moi aussi, de pouvoir collaborer avec le comité dans son étude de l'Accord multilatéral sur l'investissement. Les membres du comité ont reçu un document que j'ai rédigé l'année dernière, et qui présente le contexte de ces négociations. J'ai rédigé un exposé, que j'ai communiqué au greffier, et dont je voudrais présenter brièvement les points saillants.

Je voudrais insister tout d'abord sur la difficulté de participer à un débat sur les particularités de cet accord, puisqu'il reste encore à négocier. Pendant les négociations, on fait circuler différentes ébauches, certaines délégations proposent des idées, on voit apparaître des ébauches qui se veulent exhaustives, mais qui, en réalité, sont rarement conformes au produit final. Il est très difficile de préjuger actuellement ce que sera ce produit final, puisque les gouvernements ne se sont toujours pas mis d'accord sur une base d'intérêts communs. Dans ce contexte, je me limiterai strictement aux idées et aux principes sous-jacents de ce projet d'entente et je vous dirai pourquoi le Canada a intérêt, à mon avis, à participer à ces négociations.

Tout d'abord, j'insiste sur le fait qu'à mon avis, quelle que soit la formule ultime de l'accord, il n'aura que très peu d'effet sur la politique canadienne applicable aux capitaux étrangers qui entrent au Canada ou aux capitaux canadiens qui en sortent, tout simplement parce que les propositions qui sont sur la table et qui ont les meilleures chances de figurer dans la version finale de l'accord reprennent pour l'essentiel la politique canadienne telle qu'elle s'applique depuis 1984 et, dans bien des cas, depuis plus longtemps. Ce traité aura donc très peu d'effet sur l'investissement étranger direct au Canada.

En ce qui concerne les investissements extérieurs, encore là, étant donné qu'il s'agit d'un accord négocié entre les pays de l'OCDE et que la plupart de ces pays ont des politiques très semblables à celles du Canada, l'AMI aura très peu d'effet sur les investissements extérieurs directs du Canada.

Le but principal de l'accord... Son effet à long terme se fera sentir sur les pays en voie de développement, lesquels ne sont pas parties à ces négociations. C'est là où le traitement des investisseurs canadiens et étrangers est moins qu'idéal. Voilà pourquoi ce sont en réalité les pays en voie de développement qui sont visés à long terme par cet accord. Les pays de l'OCDE ont pour but de négocier, de refondre, en fait, un accord commun fondé sur le droit conventionnel international, qui constituera plus tard la base de la négociation qui se fera avec les pays en voie de développement, tout probablement sous les auspices de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce.

Les notions fondamentales que l'on retrouve dans les diverses ébauches de l'AMI existent depuis toujours. Comme les intervenants qui m'ont précédé l'ont déjà dit, il s'agit du principe de la nation la plus favorisée et de celui du traitement national, principes qui interdisent aux gouvernements de traiter différemment les investissements étrangers directs. C'est une notion très simple. Cette notion est la pierre angulaire des accords commerciaux, des accords sur les investissements et de tous les autres accords économiques.

Pour ma part, c'est un principe très rassurant pour la simple raison que cet accord ne s'appliquerait pas qu'aux investissements entrant au Canada mais aussi aux investissements canadiens à l'étranger. En ma qualité d'agent ayant eu une certaine expérience des différends commerciaux avec d'autres pays, particulièrement avec les États-Unis, je trouve rassurant de voir les États-Unis adhérer à un accord qui interdit le genre de choses que le Congrès aime bien faire aux investisseurs canadiens et aux autres investisseurs étrangers. Donc, plutôt que d'y voir une menace à l'autonomie législative du Canada, j'y vois bien plus un mécanisme qui mettra fin aux mauvaises habitudes du Congrès, en raison même de la nature de cet accord. C'est-à-dire qu'on va ici enchâsser la pratique dans le droit. Ces pratiques nous sont bien connues et, en fait, dans la plupart des cas, elles sont enchâssées dans le droit canadien et, en réalité, n'ajouteront pas grand-chose aux pratiques existantes.

L'accord comprend aussi des dispositions régissant le règlement des différends, ce qui donnera à mon avis plus de certitude aux investisseurs canadiens à l'étranger et aux investisseurs étrangers qui entrent au Canada dans la mesure où l'on va donner, dans les faits, le statut de traité aux formalités canadiennes existantes. C'est-à-dire qu'on va garantir aux investisseurs étrangers entrant au Canada et aux investisseurs canadiens allant à l'étranger que s'ils ont des ennuis, s'ils se butent à une forme quelconque de discrimination à l'intérieur de l'un des pays de l'OCDE qui sont partie à cet accord, ils auront la possibilité, tout d'abord, de faire appel à des mécanismes de règlement des différends entre États ou entre gouvernements qui existent déjà en vertu de nombreux accords commerciaux. En outre, si cela ne leur convient pas ou s'ils veulent prendre d'autres moyens, ils pourront faire intervenir les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États. Ils auront ainsi la certitude que les pays signataires vont respecter les engagements qu'ils auront pris en vertu de cet accord au titre de la non-discrimination. Encore là, je pense que cet accord n'a d'autre effet que de donner le statut de traité aux lois canadiennes existantes.

• 1605

Enfin, quelques mots au sujet des éléments accessoires de l'accord, lesquels énervent beaucoup certaines personnes. Il s'agit des questions relatives à l'environnement, au travail et autres. À l'heure actuelle, on en discute, mais on doute qu'il en soit beaucoup question dans l'AMI, essentiellement, à mon avis, parce que le monde n'est pas prêt à prendre une série d'engagements multilatéraux exécutoires sur de telles questions.

Ce qui ne veut pas dire que ces questions sont sans intérêt, ou qu'il ne serait pas souhaitable de prendre des engagements sur des questions comme les normes du travail et les normes environnementales. Je pense seulement qu'il nous faudra plus de temps qu'il n'en a fallu pour conclure l'AMI. Il est plus probable qu'elles soient inscrites dans un accord futur négocié sous les auspices de l'OMC, accord où il sera aussi question de la concurrence et des autres codes de conduite traitant du comportement des sociétés commerciales hors de leur propre pays. Je pense que ce serait une très bonne chose d'en venir à un accord ici, mais je ne crois pas qu'il s'agit là d'un élément important dans cet accord.

Donc, en bref, monsieur le président, permettez-moi de vous dire qu'à mon avis, c'est une bonne chose que le gouvernement du Canada participe à ces négociations et fasse valoir les intérêts canadiens. Cela dit, je ne crois pas que ces négociations vont provoquer une révolution.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Hart.

Chers collègues, nous passons à la période des questions.

Vous pouvez adresser vos questions à certains témoins en particulier, mais chacun d'entre vous peut intervenir à son gré.

D'abord M. Lunn.

M. Gary Lunn (Saanich—Gulf Islands, Réf.): Merci, monsieur le président. J'ai deux questions. La première s'adresse à Mme Barlow et la seconde à M. Hart.

Madame Barlow, on peut dire sans crainte de se tromper que vous vous opposez à l'Accord multilatéral sur l'investissement, donc ma question partira de là, si vous êtes d'accord.

Je crois savoir que cet accord est essentiellement modelé sur les articles de l'ALENA traitant de l'investissement, que nous connaissons déjà. Je vous vois très inquiète, particulièrement au sujet de la culture et de la souveraineté, et je crois que vous avez également parlé de l'environnement. Vous dites que nous allons nous affaiblir dans ces domaines au Canada. Je n'ai rien vu de tel, et j'ai écouté votre collègue, M. Clarke, qui a dit comment cela pourrait se produire. J'aimerais que vous me donniez des exemples précis de la façon dont l'ALENA a affaibli la culture, notre souveraineté et la protection de l'environnement. Pouvez-vous parler de ces deux accords et établir un lien entre les deux?

Mme Maude Barlow: Je suis heureuse que vous posiez cette question parce que je crois important de discuter du rapport entre l'AMI, l'ALENA et l'Organisation mondiale du commerce. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il est très difficile d'isoler ces éléments.

Je suis partie d'une statistique très inquiétante sur l'augmentation incroyable de la pauvreté infantile depuis que l'Accord de libre-échange canado-américain a été conclu. Je ne dis pas que c'est entièrement de la faute de l'Accord de libre-échange; cependant, je suis d'avis qu'il faut prendre en compte les grandes tendances si nous voulons comprendre les effets de cet accord commercial qui harmonise notre système, économique et autre, avec le système américain, sur les autres secteurs de notre économie.

À mon avis, la preuve est très nette en matière culturelle. Nous avons comprimé nos dépenses culturelles, notre soutien aux institutions culturelles de notre pays, de près de moitié depuis que l'Accord de libre-échange canado-américain a été signé. Nous avons fragilisé encore plus notre culture en adhérant à l'OMC. Vous êtes bien sûr au courant des jugements sur les revues à tirage dédoublé. Ce que l'OMC a dit, c'est que nous avons encore le droit de protéger nos revues, mais nous ne pouvons tout simplement pas utiliser cette méthode. En vertu de l'AMI et du statu quo, on ne peut même pas se retourner et dire, d'accord, on va essayer de procéder autrement, on va essayer de faire la même chose. Non, parce que tous ces accords s'emboîtent les uns les autres.

• 1610

Pour ce qui est des programmes sociaux, le jour où l'Accord de libre-échange canado-américain a été signé, 87 p. 100 des Canadiens étaient assurés contre l'emploi. Aujourd'hui, c'est moins de 40 p. 100. Je me rappelle un débat avec M. Crosbie, qui me disait: «Ah, Maude, tu es tellement négative, ma fille. Les choses pourraient s'inverser, et ce serait les Américains qui épouseraient nos normes en matière sociale, non?» Eh bien, on n'a rien vu de tel en matière de programmes sociaux.

J'aimerais mentionner deux exemples très précis. Le premier, c'est celui de la société américaine Ethyl, qui poursuit le gouvernement canadien parce qu'il a interdit l'utilisation du MMT, un additif au manganèse pour l'essence. Ethyl prétend que nous lui avons fait perdre des profits futurs de l'ordre de 350 millions de dollars et compromis sa réputation future dans le monde. C'est ce que permet l'ALENA, et c'est exactement le genre de chose que nous craignons. Nous craignons le jour où les grandes sociétés pourront dire à un pays: «Si vous adoptez cette loi, vous nous devrez un milliard de dollars», ou quelque chose de ce genre.

Les statistiques que vous a données Tony relativement au fait que plusieurs grandes sociétés sont plus riches que certains pays sont très importantes. Ce que nous craignons, c'est l'effet paralysant. En fait, je suis d'accord avec une chose que Michael Hart a dite. Je ne crois pas que cela vise également le Canada. Je pense qu'on cherche plutôt à abaisser les lois environnementales au niveau où elles se trouvent dans le monde en voie de développement. Donc ces pays devraient payer pour pouvoir adopter des lois plus sévères.

Il y a un autre cas aujourd'hui, et c'est la grève à Maple Leaf Foods. C'est un exemple patent du genre de choses qui se fait dans un régime commercial où l'on harmonise les pratiques. Une entreprise canadienne, Maple Leaf, doit concurrencer les immenses fermes industrielles américaines, qui sont horribles. Les conditions qu'on trouve là-bas sont résolument déplorables. Les producteurs de porcs canadiens vendent directement leurs produits à ces grandes sociétés américaines, ce qui oblige Maple Leaf à dire à ses travailleurs: «Si vous n'abaissez pas vos normes, si vous n'abaissez pas vos exigences de telle sorte que nous puissions rester concurrentiels»—et c'est ce que certains d'entre nous appellent la course aux plus basses conditions—«nous devrons fermer nos portes.» On a dit aux grévistes de l'Ouest qu'on allait d'ailleurs fermer l'usine.

Il ne s'agit pas pour nous de dire que l'ALENA fait ceci ou cela. Il s'agit d'une série d'accords commerciaux et d'accords sur les investissements qui minent petit à petit le droit qu'ont les Canadiens de protéger leur culture, leurs programmes sociaux, leur agriculture et le reste.

Je tiens à dire que ce n'est pas une question partiale. Je tiens aussi à revenir à ce que Tony disait. Nous espérons sincèrement que les membres du comité considéreront la question sans esprit de parti et qu'ils vont poser des questions très importantes.

Il y a une étude qui a été faite par les gouverneurs de l'ouest des États-Unis, qui ne sont pas précisément des gauchistes. Ils s'interrogeaient sur l'effet qu'aurait l'AMI sur leur capacité de légiférer en matière d'utilisation du sol et toutes sortes d'autres choses. Ils ont donc commandé une étude au Georgetown Law Centre pour voir ce qui arriverait à leurs États.

Les résultats de l'étude les ont tellement inquiétés qu'ils ont demandé au président Clinton d'exempter de l'AMI les lois actuelles des États. Ce n'est pas une question de gauche ou de droite pour eux. Ils disent: «À qui ça sert d'être gouverneur si l'on nous retire ce genre de pouvoir?» Il s'agit ici du droit qu'ont les citoyens de définir et de maintenir la qualité de la vie, de définir les programmes sociaux et culturels qu'ils veulent. Que l'on penche vers la gauche ou la droite, d'accord, mais ne permettons pas à un tribunal commercial de l'OCDE de décider pour nous.

M. Gary Lunn: Monsieur Rugman.

M. Alan Rugman: Permettez-moi de rétablir deux faits.

En réponse à la question du député sur le prolongement des dispositions de l'ALENA régissant l'investissement dans l'AMI, Maude Barlow a mentionné le cas de Sports Illustrated au niveau de la culture. Le fait est que l'affaire Sports Illustrated n'émanait pas de l'ALENA étant donné que nous avons exempté la culture de l'Accord de libre-échange il y a 10 ans et de l'ALENA. Cette exemption explicite pour la culture canadienne nous a permis de maintenir ces mesures discriminatoires en faveur de l'industrie de la revue canadienne.

• 1615

Ces États n'avaient pas la moindre petite chance d'avoir gain de cause en vertu des dispositions de l'ALENA sur les investissements, et n'en auraient aucune non plus en vertu de l'Accord multilatéral sur l'investissement parce que l'AMI ne fait que reprendre les dispositions de l'ALENA sur l'investissement.

Ici, les Américains se sont adressés au GATT et à l'Organisation mondiale du commerce parce que ces instances n'ont pas encore de règles sur les investissements.

Donc le Canada, au niveau des règles régissant les investissements et le commerce, a réussi à obtenir l'exemption culturelle dans l'ALENA. Nous voulons faire adopter les mêmes dispositions par l'Organisation mondiale du commerce.

Elle a ensuite parlé de la question environnementale et mentionné le cas du MMT-éthanol.

Encore là, le fait est que l'ALENA est le premier accord commercial international à traiter de l'environnement. On a créé ainsi à Montréal la CCE, la Commission de coopération environnementale. La ministre Copps a exercé des pressions pour que cette commission soit établie au Canada.

La CCE commence à faire des choses importantes.

On pourrait ici également reproduire les dispositions de l'ALENA dans l'AMI. Si nous voulons faire quelque chose pour l'environnement dans l'AMI, il faudra probablement conclure un accord parallèle, comme nous l'avons fait pour l'ALENA, afin de traiter des mesures environnementales.

Il me semble qu'on ne fait que renverser les faits dans ces deux domaines. On a exempté la culture. L'ALENA fonctionne très bien de ce côté. Et l'environnement a été inclus pour la première fois. Ce n'est pas parfait dans l'ALENA, mais encore là, des progrès ont été faits. J'espère qu'on pourra inclure ces deux domaines dans l'AMI.

M. Gary Lunn: Monsieur Hart, toujours au sujet de l'environnement et de la culture, M. Clarke nous a dit que les lois qui existent déjà, qu'il s'agisse de l'environnement ou d'autres choses, ne pourront être améliorées une fois que cet accord aura été signé. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Croyez-vous que c'est vrai, ou pourrons-nous renforcer nos lois environnementales dans notre propre pays après que l'accord aura été signé? Est-ce que les provinces pourront adopter des lois plus sévères après que cet accord aura été signé?

M. Michael Hart: Cet accord ne contiendra pas de dispositions de fond en matière de droit environnemental. Il se peut—et je n'en suis pas sûr—qu'on y ajoute une disposition disant qu'on ne peut pas se servir des lois environnementales pour encourager l'investissement. Ainsi, on ne pourra pas dire: nous avons une loi environnementale mais nous sommes prêts à exempter tel ou tel investisseur parce que nous voulons l'attirer chez nous. Autrement dit, on ne pourra pas se servir des lois environnementales négativement.

Mais il n'y a rien dans cet accord, ou même dans l'ALENA, qui empêche le gouvernement du Canada ou les gouvernements provinciaux d'adopter les règlements qu'ils jugent nécessaires en matière d'environnement, sauf qu'il y aura une exception. On ne pourra pas adopter de lois ou de règlements où il y aurait discrimination à l'égard des investisseurs canadiens et étrangers. Autrement dit, il faudra que chaque loi s'applique à tous. C'est une norme de non-discrimination qui vise tous les domaines qu'on a mentionnés.

La faculté qu'a le gouvernement du Canada de prendre des règlements, d'adopter des lois, de faire les choses que le gouvernement et le Parlement du Canada jugent nécessaires n'est nullement compromise par ce genre de traité, sauf qu'il y aura cette règle fondamentale interdisant la discrimination.

M. Tony Clarke: D'abord, il est très important que le comité évite le piège qui consiste à penser que l'AMI n'est qu'une réplique de l'ALENA. C'est beaucoup plus que ça. Il y a ici des tas de dispositions qui n'existaient pas dans l'ALENA, et l'on renforce également certaines dispositions qui étaient dans l'ALENA.

Par exemple, on ne trouve pas dans l'ALENA les dispositions précises de l'AMI concernant le démantèlement et le statu quo. Ces dispositions sont très précises dans l'AMI. On ne trouve rien de ce genre dans l'ALENA.

Deuxièmement, en ce qui concerne la culture ou tous les domaines subventionnés, l'ALENA n'exige pas l'application des règles du traitement national aux subventions, alors que l'AMI l'exige. Il en résulte que les subventions gouvernementales accordées aux communautés culturelles et artistiques devront être supprimées ou mises également à la disposition des sociétés étrangères.

Nous sommes donc en présence de règles et de circonstances bien différentes de celles que l'on trouve dans l'ALENA.

• 1620

Je voudrais donc vous mettre en garde contre ceux qui prétendent qu'il s'agit simplement du code de l'investissement de l'ALENA.

Finalement, le droit de poursuivre... et le mécanisme concernant l'État investisseur apparaît dans l'AMI alors qu'il n'existait pas dans l'ALENA.

On trouve dans l'ALENA quelques dispositions qui permettent aux sociétés de poursuivre un gouvernement en vertu de certaines parties du code de l'investissement, mais ces principes ne s'appliquent manifestement pas à l'ensemble du code de l'investissement ni à l'ensemble des règles de l'ALENA, alors qu'en vertu de l'AMI, le droit de poursuite s'applique à toutes les règles de l'accord, ce qui risque d'être lourd de conséquences pour le gouvernement.

Le président: Madame Barlow, vous pouvez faire un bref commentaire.

Mme Maude Barlow: Vous avez posé là une question très importante, monsieur Lunn. Je voudrais simplement donner lecture de l'article concernant l'expropriation et l'indemnisation:

    Une partie contractante

—un pays—

    ne peut exproprier ou nationaliser directement ou indirectement un investissement situé sur son territoire appartenant à un investisseur d'une autre partie contractante

—une société d'un autre pays—

    ni prendre de mesures ayant un effet équivalent

—comme dans le cas d'Ethyl Corp.—

    sauf pour un motif d'intérêt public

—c'est bien—

    à titre non discriminatoire

—c'est bien—

    par les voies de droit régulières

—c'est très bien, et ensuite on trouve «et», et non pas «ou»,

    et sous réserve du versement immédiat d'une indemnisation suffisante [...]

Viennent ensuite les modalités de l'expropriation.

Cela signifie qu'on peut voter n'importe quelle loi, mais qu'il faut être prêt à verser une indemnisation à l'investisseur transnational s'il décide que cette loi va à l'encontre de ses intérêts commerciaux. C'est dans le texte.

Je vous demande instamment d'en parler avec M. Appleton demain, puisque c'est un spécialiste de la question.

Le président: Merci.

Monsieur Nault.

M. Robert D. Nault (Kenora—Rainy River, Lib.): Merci, monsieur le président. Je vous félicite d'avoir invité des témoins aussi intéressants. Il est bon d'avoir deux points de vue aussi contrastés sur une question, l'un disant que c'est une mesure anodine et ordinaire, l'autre affirmant que c'est la fin du monde et qu'il va falloir modifier nos structures. D'où la difficulté, pour les parlementaires, de se faire une opinion.

J'aimerais avoir le point de vue des deux groupes sur la question suivante, que j'ai déjà abordée l'autre jour: dans la mesure où le ministre et le négociateur en chef de notre pays ont déclaré que la culture n'était absolument pas négociable, j'aimerais savoir pourquoi le Canada n'a pas exigé d'imposer des réserves à ce sujet.

J'ai posé la question en toute bonne foi l'autre jour, car je voulais savoir... puisqu'il en est question, je crois, dans les négociations. Si vous pensez que la culture n'est pas négociable, il faudrait intervenir massivement pour faire valoir notre point de vue. Si le débat tourne autour de ce scénario, que nos négociateurs manifestent un manque de confiance et qu'à votre avis, ils ne défendent pas les intérêts du Canada, vous estimez que nous devrions intervenir avec fermeté en disant: voilà ce qu'il faut inclure au traité; pas question de tergiverser; nous savons exactement ce que nous voulons.

J'aimerais donc vous demander si, d'après vous, c'est la bonne façon pour le Canada d'arriver à cette table de négociation internationale. Si oui, les choses sont alors très claires. Dans la négative, la stratégie du gouvernement canadien est-elle alors d'après vous mal conçue, puisque l'on n'aurait toujours pas indiqué que l'on entend faire de la culture un champ réservé?

Je vais d'abord poser ma question à Mme Barlow.

Madame Barlow, j'aimerais savoir comment tout cela marche, très franchement. J'ai essayé de le savoir l'autre jour, avec M. White, puisqu'il est négociateur et que d'une certaine manière nous avons des points communs, mais je n'ai pas pu obtenir de réponse claire de sa bouche: à savoir est-ce que pour vous c'est une négociation où l'on peut faire confiance à nos représentants, c'est-à-dire que l'on peut savoir, a priori, qu'ils vont faire tout ce qu'ils peuvent pour défendre les intérêts du Canada, et qu'ils ne sont pas parties prenantes à quelque conspiration dirigée contre nous?

Mme Maude Barlow: Tout d'abord, disons tout de suite que ce n'est pas une conspiration. Je pense que l'on assiste plutôt à un affrontement de points de vue idéologiques. Je pense toujours à ce que M. Marchi aurait dit si c'était M. Mulroney qui était encore premier ministre, et si c'était lui qui s'occupait de ces négociations. Alors subitement, en plein milieu de la nuit, je me réveille avec la tête pleine d'idées, et je pense à ce que lui et M. Axworthy auraient pu en dire. Je peux vous assurer qu'ils défendraient ici exactement les mêmes positions que moi. Croyez-moi sur parole. Les joueurs changent d'un acte sur l'autre, mais le scénario reste le même, ce qui ne rend pas la chose facile.

• 1625

Je vous dirai donc tout de suite qu'ils ont certainement très envie de pouvoir obtenir quelque chose pour la culture. Ils espèrent sans doute, à mon avis... ils savent bien, par ailleurs, qu'ils font fausse route. Il est quand même très curieux qu'ils n'aient toujours pas indiqué leur intention de réserver la culture, ni même fait de déclaration accompagnant la liste des réserves, indiquant qu'ils appuient la position française. Les Américains ont déjà fait savoir qu'ils ne permettraient pas que l'on réserve de façon absolue tout le secteur culturel, ce que demande la France, bien que, comme j'ai pu vous le lire, M. Neil de la Conférence canadienne des arts estime que c'est encore une position trop limitative, et rien n'est encore absolument clair à ce sujet.

Tout cela nous paraît très curieux, et nous inquiète beaucoup, à tel point que lors de notre voyage à Paris il y a deux semaines, où nous avons rencontré des représentants de l'OCDE, nous avons demandé à nos négociateurs de respecter un moratoire sur cette question, jusqu'à ce que nous ayons eu un débat approfondi là-dessus au Canada. Malheureusement, on dispose de trop peu de temps pour approfondir la question, c'est-à-dire se déplacer dans le pays, rencontrer la population qui vient tout juste de prendre connaissance du dossier.

Je n'ai donc pas de réponse. Je suppose que leurs intentions sont authentiques, à propos de la réserve culturelle, et de notre côté nous n'allons pas les laisser en paix un seul instant. Mais je peux déjà vous dire qu'ils n'obtiendront pas toute l'exemption culturelle souhaitée, et qu'ils n'ont pas non plus de position de repli. Telles que sont les choses à l'heure actuelle, le contenu canadien, la fiscalité, les règles sur l'investissement, toute protection de la culture canadienne sera exclue de l'AMI. Je le répète, nous ne sommes qu'à cinq mois de la signature.

Le président: Monsieur Hart.

M. Michael Hart: Merci, monsieur le président.

Pour répondre à la question de M. Nault, permettez-moi d'abord de dire quel est ici mon préjugé. M. Dymond a été mon collègue pendant 22 ans, et j'ai donc une très grande confiance dans son honnêteté et dans ses capacités de négociateur, vous n'en serez pas surpris. Je sais également la façon dont ces négociations se déroulent: elles se déroulent en divers endroits, l'un de ceux-ci étant la salle de négociation de l'OCDE. Par ailleurs, il y a des discussions parallèles en cours avec les provinces, avec divers organismes consultatifs, plus des discussions bilatérales, etc., et il est donc extrêmement important de bien planifier le moment où on abordera tel ou tel dossier, afin de pouvoir retirer le meilleur avantage tactique possible des divers mandats dont on disposera.

Si donc le ministre déclare, et si le négociateur confirme qu'il a des instructions selon lesquelles la culture n'est pas en discussion, cela veut dire que c'est effectivement sur la table; cela signifie que d'autres en ont parlé, mais que la position du gouvernement canadien est celle d'un refus de tout compromis sur ce secteur. Le Canada est d'ailleurs bien décidé, là-dessus, comme sur d'autres dossiers, à faire ce qui est nécessaire pour obtenir une exemption, une réserve, appelez cela comme vous voulez, et d'obtenir une clause spéciale dans l'accord. Le moment où la carte sera abattue dépend de l'appréciation du négociateur quant au meilleur moment de la jouer.

Le fait qu'il n'en soit pas question dans les diverses ébauches dont Mme Barlow et M. Clarke ont pris connaissance, ne signifie rien de spécial à mon avis. Ce qui compte, finalement, c'est ce qu'il y aura dans la version définitive, à savoir le texte qui sera soumis au gouvernement et au Parlement; ce ne sont pas les diverses ébauches qui comptent.

Pendant que j'ai la parole, je vais reprendre un certain nombre des déclarations de M. Clarke et de Mme Barlow relativement au maintien du statu quo, ou au contraire de certaines remises en question rétroactives, je parle de l'ALENA, etc. Ce qu'il y a dans l'ALENA c'est une disposition concernant l'État investisseur, et c'est quelque chose qui est également négocié dans le cadre de l'AMI. Cette disposition reprend toute une série très ancienne d'accords qui ont été négociés dans le cadre de la Convention de New York, sous les auspices du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, et de la Convention panaméricaine. Il y a également un organisme qui garantit les investissements multilatéraux, sous le chapeau de la Banque mondiale, où l'on a également négocié toutes ces questions, et où un certain nombre de procédures sont déjà établies depuis pas mal de temps. De fait, ces procédures régissent les quelque 1 300 accords bilatéraux d'investissement qui ont été négociés par divers pays de l'OCDE avec des gouvernements de pays en voie de développement. Le Canada lui-même en a signé 25. Là encore, permettez-moi de répéter que nous ne sommes pas en territoire inconnu; c'est un domaine déjà connu, qui est simplement rationalisé sous le chapeau d'un seul accord.

Pour répondre à la question de savoir si c'est un ALENA élargi, ce dont j'ai pu prendre connaissance jusqu'ici me donne plutôt l'impression du contraire, une espèce d'ALENA moins ambitieux. De mon point de vue il est regrettable que l'accord ne soit pas aussi ambitieux que le chapitre 11 de l'ALENA, mais cela est la traduction des réalités de cette négociation qui se déroule entre 29 pays participants.

Le président: Monsieur Nault.

M. Robert Nault: Je vais revenir à vous dans un instant, monsieur Clarke,

Je m'intéresse beaucoup à toute la discussion, dans une perspective de principe. Je crois que nous devrions avoir plus de temps pour en débattre à l'échelle nationale.

• 1630

Heureusement, ou malheureusement, tout cela a un air de déjà vu. Toute cette question du libre-échange et de l'ALENA avait été, d'une certaine manière, un argument de campagne électorale, ce qui me paraît être une erreur fondamentale, étant donné que les gens sont alors en train de défendre leur place, et vous savez qu'ils sont prêts à dire beaucoup de choses, notamment si vous les regardez d'une perspective de gauche.

Je comprends très bien ce que M. Hart a dit, venant moi-même d'horizons de gauche, en principe, c'est-à-dire du mouvement syndical, et j'ai beaucoup de mal à imaginer que l'on puisse négocier en ayant abattu tout de suite toutes ses cartes. Si c'est la façon dont les Canadiens désirent que nous fassions les choses, c'est toujours possible, puisque nous sommes là pour les représenter, mais je n'ai jamais vu aucun autre pays le faire de cette façon, et j'ai du mal à comprendre que certains puissent préconiser ce genre de stratégie. Mais d'une certaine manière je fais confiance à ceux qui défendent nos intérêts, une confiance assez inébranlable.

Mais j'aimerais passer maintenant à quelque chose qui tient à coeur à tous les Canadiens moyens, à savoir un statut d'exception pour la santé et les services sociaux. J'aimerais demander à M. Hart, puisqu'il semble connaître notre négociateur en chef, et puisque nous sommes une fédération et que les provinces sont concernées—vous pouvez tous me dire ce que vous en pensez—et parce que M. Clarke estime que c'est plus qu'un simple accord, c'est une charte pour les multinationales... À mon avis, pour que le pays réussisse, dans le domaine des échanges, plus les règles seront simples, moins nous aurons affaire à toute une kyrielle de 150 à 300 accords qui encombrent... Je n'aimerais pas beaucoup être un homme d'affaires dans l'exportation, si cela devait être le cas, au fur et à mesure que les marchés s'ouvrent dans le monde en voie de développement, sans qu'on sache d'un pays à l'autre comment... ni s'il y a une espèce de front commun des règles appliquées.

Cela dit, comment rassurer les Canadiens en ce qui concerne l'avenir de la santé et des services sociaux? Le Canada semble bien différent de la majorité des autres pays, dans ce domaine, et je crois fermement que nos concitoyens préfèrent notre façon de faire les choses. Comment pouvons-nous nous protéger au sein de l'AMI ou de tout autre accord négocié, lorsque certains exigent que l'on applique une même règle pour tous?

Le président: Monsieur Hart.

M. Michael Hart: Ce n'est tout simplement pas en discussion. Par ailleurs, je ne suis pas d'accord avec vous, lorsque vous dites que nous faisons les choses de façon très différente du reste du monde. Ce sont les États-Unis qui ont leur propre façon de faire, différente du reste du monde. La plupart des pays de l'OCDE ont des protections sociales et médico-hospitalières gérées par l'État. Les États-Unis sont donc le seul pays qui ne soit pas comme les autres, et ce sont eux qui aimeraient donner à leur secteur privé du secteur de la santé, du secteur hospitalier, et aux prestataires de services de ce type, de nouvelles possibilités d'essor. Aucun autre pays de l'OCDE ne veut rendre ce secteur aux intérêts privés.

Je ne crains donc pas du tout que l'AMI impose une réglementation, selon laquelle on ne pourrait plus avoir d'assurance-maladie gérée par l'État. Par contre, l'accord exigera ceci: là où vous êtes prêts à ouvrir un secteur à la concurrence, là où vous êtes prêts à permettre au secteur privé d'entrer, et là seulement, vous devrez le faire en respectant les règles de la concurrence, et sans aucune exception.

Étant donné que les services de santé relèvent de la compétence provinciale, la question n'a pas encore été abordée à l'AMI, et cela surtout parce que les discussions entre le gouvernement fédéral et les provinces sur une réserve possible dans ce secteur, n'ont pas encore abouti. Mais lorsque ce sera fait, je suis certain qu'il n'y aura aucune obligation pour nos gouvernements de remettre au secteur privé la gestion de l'assurance médico-hospitalière, sauf si nous le désirions, ce qui n'aurait aucun rapport particulier avec cet accord.

Le président: Monsieur Clarke.

M. Tony Clarke: Je pense que nous n'interprétons pas les choses de la même manière.

Je ferai remarquer deux choses. La première est qu'en matière de services sociaux et de santé, nous avons au Canada un régime mixte. Il y a d'abord les services de l'État à la population. Deuxièmement, des services fournis par des organismes à but non lucratif et, troisièmement, les services du secteur privé.

Dans le cadre de l'AMI, ce qui est en cause déborde largement la seule question de la prestation de services du secteur privé, puisque pour les États-Unis, ils l'ont dit très clairement, la prestation des organismes à but non lucratif doit être considérée de la même manière que les services du secteur privé. Beaucoup de services sociaux et du secteur de la santé, au Canada, sont l'affaire d'organismes à but non lucratif. Après l'AMI, ces services seraient traités comme n'importe quelle prestation commerciale et donc assujettis aux règles de l'accord. Cela serait quelque chose de tout à fait nouveau pour nous, et menacerait tout ce secteur dont je parle.

• 1635

Deuxièmement, beaucoup de services, au Canada, sont gérés par les provinces ou les municipalités. Or, les négociateurs de l'AMI font tout leur possible pour s'assurer que les gouvernements du deuxième ou troisième palier soient inclus dans l'accord, ce qui veut dire que nos services gérés par les autorités municipales ou provinciales entreraient dans le cadre d'application de l'AMI, sans aucune possibilité d'y échapper, à moins que nous n'en trouvions une nous-mêmes.

Voilà donc des problèmes graves qui se posent, beaucoup plus graves qu'à l'époque de l'ALENA, et je pense que le comité devrait se pencher là-dessus très sérieusement.

Le président: Merci, monsieur Clarke.

Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): D'abord, merci à vous tous et à vous toutes.

Madame Barlow et monsieur Clarke, lors de votre intervention et dans votre livre, vous avez expliqué vos préoccupations concernant les réserves sur la culture ou sur une clause d'exception culturelle. Selon nous, et selon les dires du ministre lorsqu'il est venu témoigner devant nous, il ne s'agissait pas de réserves, mais plutôt d'une clause d'exception culturelle. Cette clause prêterait à une interprétation moins large, mais plus spécifique que celle qu'on retrouve dans l'ALENA.

Si je ne m'abuse, on disait aussi que jusqu'ici, la position de la France avait été celle qu'avait épousée le Canada lors des négociations de l'AMI. Je voudrais entendre votre position à vous deux, monsieur Clarke et madame Barlow, sur la position que le gouvernement canadien devrait adopter lors des négociations sur la clause d'exception culturelle. Puisqu'une réserve ne dure qu'un temps, je crois qu'on doit l'éliminer dès maintenant. Selon vous, quelle devrait être la position canadienne dans le cas où on échouerait dans les négociations sur une clause interprétative claire sur l'exception culturelle, une exception globale? C'est ma première question.

Ma deuxième question s'adresse à M. Hart. Vous semblez très optimiste, monsieur Hart, face à l'AMI et aux négociations futures lors d'autres accords. J'ai cru comprendre qu'on pourrait discuter incessamment des clauses du travail et environnementales lors d'autres négociations; cela viendrait après les investissements. Je considère qu'on aurait peut-être dû en discuter avant.

Vous affirmiez qu'on pourrait discuter de la clause sur le travail au niveau de l'OMC ultérieurement. Je tiens à vous dire que l'OMC en a discuté, qu'elle a refusé d'en parler plus longuement et qu'elle a refilé cette question à l'OIT. Ça, c'est pour la clause du travail.

Quant à la clause environnementale et à la clause du travail, contrairement à ce que le gouvernement libéral avait dit lors de l'avant-dernière campagne électorale, où il faisait son cheval de bataille de leur inclusion dans l'ALENA, on s'est contenté de clauses parallèles. Si je comprends bien, monsieur Hart, vous dites que même une clause parallèle n'est pas importante ou essentielle pour le moment. Pensez-vous qu'une clause parallèle serait utile ultérieurement?

Vous avez aussi parlé d'encourager la participation à un code de conduite volontaire, principalement pour les investisseurs canadiens qui s'en vont à l'étranger, mais aussi pour les investisseurs étrangers qui viennent ici. Êtes-vous au courant qu'un tel code de conduite volontaire existe présentement, que le gouvernement canadien refuse d'y adhérer ou d'y faire adhérer des sociétés de la Couronne et que la SEE, qui aide les entreprises et les investisseurs à l'étranger, se refuse à adopter une position claire à cet égard? J'aimerais connaître vos positions à ce sujet, monsieur Hart, madame Barlow et monsieur Clarke. Je vous remercie.

[Traduction]

Mme Maude Barlow: Je vais répondre sur le chapitre de la culture, mais parlons d'abord de l'environnement, étant donné l'importance de cette question.

• 1640

Même si l'AMI prévoyait quelques clauses contraignantes relatives à l'environnement, à moins que des groupes comme Greenpeace ne puissent poursuivre l'État pour manquement au respect de cette clause, exactement comme les sociétés qui le poursuivent pour n'avoir pas su protéger leurs intérêts, celles-ci n'auraient pas le même pouvoir contraignant.

Un des avis juridiques les plus importants que nous ayons obtenus de M. Appleton, indiquait que les obligations découlant d'un traité comme celui-ci, étant donné notamment la façon dont on veillera à ce que ce soit appliqué, l'emporteront sur les dispositions des autres accords multilatéraux portant sur l'environnement. Voilà ce qui nous inquiète. J'espère que vous pourrez vraiment en discuter demain.

À propos de la culture, M. Nault a évoqué quelque chose de très important.

Nous ne sommes pas en train de dire qu'il faut s'opposer à toute forme d'accord. Nous sommes en réalité tout à fait favorables à ce que l'on parvienne à un accord international sur l'investissement, mais nous n'estimons pas qu'il faille d'abord commencer par protéger les intérêts des sociétés transnationales. Au contraire, il faudrait commencer par protéger le social, le droit du travail, le droit de l'environnement, les ressources naturelles, la culture—y compris la culture québécoise, en passant—et à partir de là on pourrait passer à un effort de promotion des échanges et de l'investissement, à l'intérieur de ce cadre où les droits des citoyens seraient protégés.

Alors, lorsque vous me demandez ce que l'on pourrait prévoir dans l'AMI pour protéger la culture, je vous répondrai que je ne ferais même pas confiance à une exception totale. Une exception totale, si elle fait ensuite l'objet d'un démantèlement, avec ensuite un gel, ce dont le gouvernement nous assure que ça ne se fera pas... C'est ce que nous verrons. C'est à l'usage que l'on verra ce que ça donne. Mais ce serait évidemment préférable à ce que nous avons maintenant.

Mais un accord qui permettrait à l'énorme industrie américaine du divertissement de poursuivre les gouvernements, s'ils adoptent des lois, au fur et à mesure que l'environnement électronique et technique évolue... lorsque notre gouvernement essayerait de suivre le progrès technique, en adoptant de nouvelles lois, il ne pourrait pas le faire, même avec une exception complète pour la culture.

C'est un petit peu comme demander comment on peut protéger la culture, une fois que l'on a donné tout ce pouvoir aux sociétés transnationales. Il faudrait retirer cet article que je vous ai lu tout à l'heure, qui me paraît être la clause la plus insupportable de cet accord sur l'investissement; même s'il s'agit de défendre l'intérêt public, et même si cela permet le recours à la justice, il y aura eu un prix à payer pour cela.

Je refuse par ailleurs à dire qu'il suffit d'imposer un statut d'exception, et qu'ensuite tout ira bien. Je pense tout simplement que l'AMI part de mauvais présupposés, et j'ajouterai rapidement que M. Hart déclare que c'est l'héritage de toutes ces années où le droit commercial a fait la pluie et le beau temps, je lui donne raison. Posons-nous vraiment la question, en tant que citoyens du monde et à l'approche du nouveau millénaire, demandons-nous vraiment de quoi ont l'air ces nouvelles dispositions, et qui sort gagnant ou perdant.

Ce que nous savons par ailleurs c'est à quel point les plus riches s'enrichissent, à tel point que nous créons une espèce de sud mondial, un tiers monde, présent dans tous les pays du premier monde. Par ailleurs nous sommes en train de créer un monde privilégié à l'intérieur du tiers monde.

Lorsque je suis allée aux Philippines, l'an dernier, pour l'APEC, avec les collègues qui m'accompagnent ici, nous avons vu nos monarques—ce qui inclut notre premier ministre, nos grands hommes d'affaires et nos hauts fonctionnaires—s'engouffrer dans les immenses limousines, après avoir passé par la voie expresse; nous avons vu fermer les autoroutes pour leurs déplacements, et déverser de la teinture bleue dans la baie de Manille pour tout enjoliver. À part cela on a rasé des milliers et des milliers de bidonvilles de pauvres.

J'ai vu les résultats de cette globalisation où les riches et cette noblesse politique gèrent tout, en excluant les populations. Alors, oui, intéressons-nous aux détails de ces négociations, mais l'ALENA a-t-il été véritablement une bonne chose? Est-ce que c'est vraiment ce que nous voulons, nous, la population, pour le prochain millénaire? Je dis, non, et il y a un autre modèle à proposer.

Le président: Merci, madame Barlow.

Monsieur Hart.

M. Michael Hart: M. Sauvageau a posé une question fort intéressante, pour laquelle je dois porter une casquette autre que celle de l'AMI, c'est-à-dire, une casquette de visionnaire pour vous donner mes prévisions concernant les négociations multilatérales pour les 25 prochaines années. Je trouve qu'il est utile d'avoir une vision à long terme pour ce genre de chose.

J'ai une formation en histoire plutôt qu'en économie, donc si des députés s'imaginent que j'exprime des opinions économiques à cause d'une formation dans le domaine, je vous répondrai que c'est plutôt à cause de ma formation d'historien. J'ai l'habitude de me reporter au passé pour savoir ce que l'avenir nous réserve.

• 1645

Si on remonte 50 ans en arrière... Je ne sais pas si votre comité a commémoré il y a quelques semaines le 50e anniversaire de la signature du GATT—c'est passé presque inaperçu au Canada, ce qui est dommage—mais nous avons 50 ans d'expérience dans le domaine de la négociation d'ententes multilatérales. Dans l'ensemble, l'expérience a été très positive. Nous avons vu les gouvernements membres devenir plus disciplinés. Les engagements se sont renforcés, ce qui a provoqué une remarquable augmentation de la richesse et de la prospérité des pays membres.

Mme Barlow a parlé des choses terribles qu'elle a vues. J'ai aussi beaucoup voyagé au cours des 25 dernières années. J'ai été frappé par les progrès incroyables réalisés depuis un demi-siècle en sortant des milliers de gens de la pauvreté, en grande partie grâce à la capacité des pays de commercer entre eux, de mettre en commun les investissements, la technologie, et ainsi de suite. Le GATT a donc été un grand bienfait pour l'humanité.

Cela veut-il dire que la lutte soit terminée, que tout a été fait? Certainement pas. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Il reste encore toutes sortes d'ententes à négocier.

L'une d'elles qui à mon avis, mérite d'être négociée est celle qui porte sur les questions de l'environnement et du travail. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'existe pas déjà plusieurs ententes portant sur ces domaines.

Prenons l'exemple du travail. L'Organisation internationale du travail régit actuellement 172 conventions, qui, ensemble, représentent 70 000 normes de travail. Le problème ne tient pas à une absence de normes, ou à un manque de consensus international sur la bonne manière d'appliquer les normes régissant le marché du travail, mais plutôt à l'application des ces dernières. La difficulté se trouve uniquement au niveau de l'application des règlements.

Plusieurs pays en voie de développement disent qu'ils sont membres de l'OIT, qu'ils ont signé les conventions. En effet, le pays qui en a signé le plus petit nombre, ce sont les États-Unis qui n'ont signé en fait que 11 des 172 conventions de l'OIT. Ils sont trop pauvres pour faire appliquer ce genre d'ententes. Alors ils nous déclarent, ne venez pas nous dire maintenant que nous devons appliquer ces genres d'ententes, qu'il s'agisse du travail, de l'environnement ou de choses semblables.

Je peux comprendre ce point de vue mais jusqu'à un certain point car une sorte de maquignonnage existe dans ces pays-là où abondent des exemples flagrants où les lois, règlements et conventions qu'ils ont signés sont bafoués.

Je pense qu'au cours des 25 prochaines années, alors que les gouvernements essaieront de régler ces problèmes et de saisir les occasions que la mondialisation leur offre ou assistera à la négociation d'une entente que certains de mes collègues appellent une entente de contestabilité. Il s'agit là d'une entente qui permet aux sociétés du monde entier de disputer n'importe quel marché de la planète. C'est ainsi que le recours aux notions provenant de mesures sur la concurrence et autres, leur accordera beaucoup plus que le simple accès au marché mais la possibilité de le disputer.

Il y aura trois ensembles de règles: un ensemble de règles qui lient les gouvernements quant à la réglementation de l'activité économique; un ensemble de règles qui lient les sociétés quant à leur comportement dans le marché mondial; et un code de conduite sur des questions connexes comme le travail, l'environnement, etc. Il y aura donc une sorte d'entente tripartite.

En effet, ce sera le milieu international qui acceptera de mondialiser les normes acceptées de gestion du marché mondial qui existent actuellement dans la plupart des pays de l'OCDE. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il s'agit d'un défi très difficile à relever. Mais je pense qu'il sera fort passionnant. Cela prendra de 25 à 30 ans.

Le président: Merci beaucoup.

Puisque nous avons très peu de temps, je vais vous demander de bien vouloir limiter vos réponses.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je vais vous permettre de remettre votre chapeau d'historien et votre chapeau au présent; je ne parlerai pas du futur.

En 1993, les libéraux avaient dit qu'ils allaient négocier des normes relatives au travail et à l'environnement dans l'ALENA, ce qui n'a pas été fait. Est-ce que vous considérez que présentement, dans l'AMI, on ne parle pas de normes et que la position du gouvernement canadien est de négocier des accords parallèles sur l'environnement et sur les droits du travail? Êtes-vous d'accord également qu'un code de conduite existe présentement et que le gouvernement canadien ne veut pas y adhérer? Je ne vous parle pas de ce qui se passera dans 25 ans. Vous disiez que c'était à l'OMC de discuter des normes de travail. Est-ce que vous êtes d'accord que l'année passée, pas dans le futur mais dans le passé, l'OMC a refusé d'entendre parler de normes de travail et a refilé cette question à l'OIT? Je vous parle du présent et du passé, et non pas du futur.

[Traduction]

Le président: Monsieur Hart, très brièvement.

M. Michael Hart: Je vais essayer d'être bref, monsieur le président.

• 1650

Lors des négociations de l'ALENA en 1993, le gouvernement actuel a dit qu'il voulait négocier les questions concernant le travail et l'environnement. Cela a été fait dans un ensemble d'accords parallèles qui ont créé des précédents très importants concernant les obligations des parties à une entente d'investissement commercial de respecter certaines normes concernant l'environnement et le travail. Mais il ne s'agit pas d'accords, ni à l'heure actuelle, ni à l'avenir, à mon avis.

L'effort fait par l'OMC pour prévoir des normes de travail, c'est-à-dire de prévoir des normes de travail que l'OMC peut appliquer, n'est pas une question négociable. À mon avis, cela est dû en grande partie au fait que les pays en voie de développement craignent que si le Congrès des États-Unis a une telle arme, il va s'en servir de façon unilatérale contre eux d'une façon qui risque davantage de bouleverser le commerce et de créer des différends plutôt que de résoudre des problèmes.

Par ailleurs, je trouve qu'il est très intéressant de constater qu'à la fin de la réunion ministérielle de l'OMC, les participants se sont entendus pour dire qu'il existe un lien entre le commerce et l'investissement et les normes de travail et ont autorisé le secrétariat à commencer à travailler avec le BIT sur cette question.

Le président: Merci.

Madame Barlow, brièvement, ou monsieur Clarke.

Mme Maude Barlow: Je voulais tout simplement dire que M. Hart ferait un bon homme politique, car il n'a pas répondu à la question. Je m'excuse auprès de tous les hommes et toutes les femmes politiques dans la salle, mais l'argument que vous avez fait valoir était extrêmement important.

Le président: Monsieur Clarke, brièvement.

M. Tony Clarke: J'estime qu'il est extrêmement important, simplement parce que le gouvernement et le négociateur assistaient à une réunion en juillet où l'on discutait de toute la question des accords exécutoires dans le domaine du travail et de l'environnement lors d'une réunion en juillet et que le gouvernement n'a pas bronché, n'a pas pris d'engagement du tout. Il s'agit donc d'un état de choses qui n'intéresse pas du tout le gouvernement.

Deuxièmement, l'on ne peut vraiment pas s'attendre à quoi que ce soit des accords parallèles qui ne contestent pas l'essence même de l'accord et ne l'oblige pas à en traiter. En l'occurrence, il s'agit d'un traité d'investissement. À moins d'avoir des codes du travail et de l'environnement qui sont au coeur même de l'accord, il n'aboutira à rien.

Troisièmement, à propos de la culture, il serait bon si le gouvernement adoptait une position forte et insistait pour que la culture soit une condition indispensable de l'accord. Il serait bon si le gouvernement exigeait une dérogation complète pour la culture, sans quoi il se retirerait des négociations. Il serait bon de voir un bon leadership. Mais je pense que les précédents que vous avez mentionnés étaient assez clairs. Ce qui s'est passé en 1993 au sujet de l'ALENA, et ce qui s'est passé lors des négociations depuis au sujet de l'OMC indiquent clairement que le gouvernement n'a pas du tout une position forte dans les négociations.

Enfin, en ce qui concerne le passé, je dirai ceci à M. Hart: vous n'oubliez pas j'espère que l'an prochain, 1998, marque le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU. De plus, la charte des droits et devoirs des états elle-même, inspirée de la charte des droits de l'homme, est aujourd'hui mise sens dessus dessous par ce code d'investissement, ce traité. C'est tout à fait le contraire. Auparavant, on croyait que...

Le président: Monsieur Clarke, si vous pouviez résumer...

M. Tony Clarke: ... que les états avaient le droit de réglementer l'investissement étranger. Je crains qu'on soit en train de les dépouiller de ce droit.

Le président: Merci, monsieur Clarke. Normalement, je coupe court aux interventions de politiciens, mais aujourd'hui il me semble que...

Une voix: Vous faites très bien les choses.

Le président: Nous faisons tous très bien les choses.

Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Monsieur le président, il est difficile de savoir où commencer. Je vais peut-être laisser mes questions inspirer le débat entre les témoins parce que cela me semble important. Au lieu d'entendre un groupe un jour et un autre le lendemain dire tout à fait le contraire, il est bien de les entendre ensemble pour qu'ils puissent se donner la réplique.

Je suis moi aussi d'avis que ce qui ne va pas dans l'AMI c'est ce que j'appellerais la hiérarchie des valeurs. Au sommet, on trouve les besoins et les droits des investisseurs alors que tout en bas on trouve ceux des populations, de l'environnement, des travailleurs.

• 1655

Je ne suis pas vraiment rassuré quand j'entends M. Hart dire que peut-être dans 25 ou 30 ans nous disposerons d'un l'ensemble de règles multilatérales qui veilleront sur les exclus des négociations actuelles. Pour moi, il serait plus moral dans ces négociations de s'occuper d'abord des besoins de ceux qui n'ont pas le pouvoir parce que les puissants, eux, peuvent se défendre. À l'échelle de toute la planète, on s'empresse de calmer ceux qui, comme M. Clarke l'a très bien montré, sont beaucoup plus puissants que la plupart des états-nations de la planète.

Pourquoi cet empressement? Quel est l'impératif moral qui nous oblige à veiller d'abord aux besoins de ces institutions et que, pour le reste, on s'en occupera lorsqu'on en aura le temps ou quand arrivera ce que vous avez dit? J'aimerais connaître votre avis à ce sujet.

Deuxièmement, je ne vous ai pas entendu réfuter l'analyse de M. Clarke comme quoi nos services médicaux et sociaux sont assurés par une combinaison de services privés, publics, lucratifs et à but non lucratif. Il faut se rappeler que tout ce qui est stipulé dans notre régime d'assurance-maladie c'est que le régime sera administré par l'État. On a tendance à croire au pays que l'assurance-maladie est fournie par le gouvernement. L'assurance de soins médicaux vient du gouvernement. Les soins de santé proprement dits sont assurés par la combinaison d'intervenants dont j'ai parlé et c'est de là que vient le danger. C'est aussi le cas pour un certain nombre d'autres services sociaux. S'il n'y a pas vraiment là de danger, j'aimerais savoir pourquoi ou qu'on me dise pourquoi il y a vraiment un danger et pourquoi le libellé que le gouvernement dit vouloir incorporer à l'accord n'est pas suffisant.

M. Alan Rugman: Je dirai d'abord que de 1970 à 1978, j'enseignais à l'Université de Winnipeg. À cette époque, je discutais de ces questions dans l'atmosphère d'un collège d'arts libéraux, c'est-à-dire en contact avec des collègues de science politique, de sociologie, etc. J'aimais ces contacts. Ce que je pense des multinationales et de leur moralité remonte à cette époque, et c'est très simple.

Pour ce qui est du débat que nous tenons aujourd'hui, l'Accord multilatéral sur les investissements parle d'investissement. Cet investissement est fait par les entreprises multinationales et ce sont donc ces entités de l'économie politique qui ont besoin de règles. Nos entreprises ont besoin de règles pour investir à l'étranger. À peu près 95 p. 100 du temps que nous consacrons ici porte sur la question suivante: si nous appliquons ces règles uniformément aux investisseurs étrangers, ceux-ci vont-ils entraver notre capacité de diriger le pays? Pour moi, monsieur le président, la réponse est non parce que c'est une question que nous traitons depuis 10 ans dans nos rapports avec le principal investisseur au Canada, les États-Unis.

Lorsque j'enseignais l'économie à Winnipeg, et aujourd'hui dans mes cours à l'Université de Toronto, je m'intéresse aux emplois associés aux investissements étrangers. IBM Canada, comme vous le savez, emploie plus d'ingénieurs et d'informaticiens de l'Université de Toronto que toute autre entreprise. Ford et GM, des entreprises appartenant à des étrangers, font très bien vivre ces travailleurs.

Pour moi, les entreprises multinationales sont des entités commerciales. Elles fournissent de l'emploi et paient des impôts et font partie de notre édifice social. Cela ne me dérange pas. Les entreprises étrangères ne me dérangent pas non plus. IBM Canada est une entreprise canadienne. Quatre-vingt dix-neuf pour cent de ceux qui travaillent pour des entreprises étrangères au Canada sont des Canadiens.

L'entreprise multinationale est un grand moteur de richesse et de prospérité. La planète veut plus de multinationales. Les pays démunis de la planète cherchent désespérément à attirer les investissements. Cela les oblige à nous faire concurrence. Nous, nous disposons d'Investissement Canada, un organisme chargé d'attirer ici des investissements. Nous faisons concurrence aux pays d'Asie et d'Europe pour attirer ici les entreprises.

• 1700

Vu ce besoin planétaire d'attirer les entreprises, le Canada, petit pays, a besoin de règles pour régir les investissements. Pour ce qui est du principal investisseur ici, nous le faisons déjà depuis 10 ans.

M. Bill Blaikie: Peut-être que les gens moins puissants ont besoin de règles eux aussi. Si du point de vue du Canada il faut protéger les faibles en matière de commerce, le même principe vaut peut-être aussi dans d'autres domaines.

M. Alan Rugman: Partout dans le monde les populations cherchent à attirer les investissements.

M. Bill Blaikie: À certaines conditions.

M. Alan Rugman: Oui, mais le fait est que 90 p. 100 des investissements du monde proviennent des trois économies les plus riches: les États-Unis, l'Union européenne et le Japon. Ce sont eux les bailleurs de fonds.

Au Canada, nous aimerions diversifier la provenance de nos investissements. Pour ce qui est de la destination de nos investissements, nous avons commencé à le faire. Aujourd'hui, 54 p. 100 seulement de nos investissements sont aux États-Unis. C'est une baisse spectaculaire par rapport aux 60 p. 100 à 70 p. 100 d'il y a 10 ans. C'était à l'époque de l'Accord de libre-échange.

Le rôle des multinationales est donc selon moi au coeur de l'AMI. Pendant ma carrière passée à étudier les multinationales, j'ai constaté qu'elles observent des codes de conduite qui remontent à l'OCDE, à 1975. Nos gouvernements fédéral et provinciaux ont des politiques destinées à attirer les investissements. L'AMI ne fera que codifier ces pratiques.

M. Tony Clarke: Je suis heureux de la question de M. Blaikie qui l'a située dans un cadre moral.

Moi qui, par ma formation, m'intéresse en quelque sorte à la moralité sociale, je dirais que l'argument moral, ici, peut aller dans un sens ou dans l'autre. D'abord, un traité, quel qu'il soit, qui confère des droits à une partie sans imposer d'obligations à l'autre qui ne soient pas associées à de nouveaux droits, est quelque chose d'inadmissible sur le plan moral. Ce que nous avons ici est quelque chose d'inadmissible sur le plan moral. Deuxièmement, prenez l'exemple concret que nous a donné M. Rugman à propos des grandes entreprises. Elles ont besoin de pouvoir s'installer et d'exercer leurs activités dans d'autres pays et autres choses de ce genre.

Prenez l'exemple que je vous ai donné au sujet des 200 plus grandes sociétés au monde qui ont tout ce pouvoir en comparaison des états nations. Il se trouve aussi que ces entités ne sont pas vraiment créatrices d'emplois. Compte tenu des percées technologiques et de la consolidation des capitaux qui a cours à l'heure actuelle, ces 200 grandes sociétés ne créent que 0,33 p. 100 de tous les emplois créés dans le monde.

Nous savons tous que les plus gros créateurs d'emplois—et cela était prouvé à maintes reprises—sont les petites et moyennes entreprises. Cela dit, aux termes de l'AME, en raison du code des subventions et l'application de la disposition relative au traitement national, le secteur de notre société qui sera pénalisé, sur le plan de la création d'emplois, sera celui des PME. Par conséquent, il y a là une autre forme de déséquilibre moral lié aux résultats.

Le président: Je voudrais dire quelque chose au sujet des petites et moyennes entreprises. Au cours de la dernière législature, elles ont fait l'objet d'une étude. Nous avons constaté combien ces groupes ont en fait un caractère multinational. Bon nombre de nos échanges avec l'étranger mettent en cause des PME. Chose certaine, il incombe à tous les gouvernements de veiller à ce que cette tendance se maintienne.

Monsieur Hart, et ensuite Mme Barlow.

M. Michael Hart: Permettez-moi d'essayer de répondre à la question de M. Blaikie.

Au sujet des soins de santé, si ma mémoire est bonne le gouvernement fournit 70 p. 100 des soins de santé aux Canadiens et le secteur privé 30 p. 100.

M. Bill Blaikie: Que voulez-vous dire par «fournis par le gouvernement»?

M. Michael Hart: Pour ce qui est des soins hospitaliers...

• 1705

M. Bill Blaikie: Les hôpitaux ne sont pas la propriété du gouvernement; ils appartiennent à des Églises, à des organismes sans but lucratif...

M. Michael Hart: Non, au Canada, c'est le gouvernement qui est propriétaire de la plupart des hôpitaux et qui en établit le mandat et le cadre réglementaire.

M. Bill Blaikie: Pas d'où je viens.

M. Michael Hart: La prestation des soins de santé posera un problème uniquement si le gouvernement du Canada, dans sa réglementation, permet qu'elle soit assurée par certaines organisations sans but lucratif. À ce moment là, ces soins seraient assujettis à l'AMI, mais non ceux offerts par le secteur sans but lucratif ou le secteur gouvernemental.

Le président: Merci, madame Barlow.

Monsieur Hart, très brièvement.

M. Michael Hart: Sur le plan moral, je ne comprends pas cette idée qu'il existe une hiérarchie des valeurs et que, pour une raison quelconque, l'investissement est au bas de l'échelle des valeurs morales.

M. Bill Blaikie: Il est tout en haut à l'heure actuelle.

M. Michael Hart: Vous avez dit que ce devrait être l'inverse. J'en conclus qu'à votre avis, l'investissement est au bas d'échelle. Le secteur de l'investissement, c'est vous et moi. J'ai un REER; je participe à un régime de placement à l'Université Carleton pour assurer ma retraite. Autrement dit, je suis intéressée au succès d'IBM, de General Motors, etc. Je souhaite m'assurer...

M. Bill Blaikie: Je n'ai pas dit que cela devait être l'opposé; j'ai demandé pourquoi c'était une hiérarchie.

M. Michael Hart: Ce ne l'est pas.

M. Bill Blaikie: Pourquoi n'existe-t-il pas un contexte où les autres droits sont égaux? Je précisais simplement mes propos.

Le président: Votre temps de parole est presque écoulé et je veux donner la parole à Mme Barlow.

Monsieur Hart.

M. Michael Hart: Il n'y a pas de hiérarchie. Ce sont des questions dont la communauté internationale est saisie parce qu'elles se sont avérées négociables. Ce sont les questions qui préoccupent les gouvernements à l'heure actuelle et auxquelles ils cherchent des solutions. Ils ont dégagé un certain consensus à l'égard de certaines solutions précises.

On en discute dans diverses tribunes. Dans deux semaines, à Kyoto, les gouvernements se pencheront sur les problèmes environnementaux, comme ils l'ont fait dans d'autres tribunes. Et ils discuteront des questions relatives à la main-d'oeuvre ailleurs.

Lorsqu'ils en discutent dans le contexte de l'OMC ou de l'OCDE, pourquoi ne considère-t-on pas qu'ils sont au haut de l'échelle des valeurs morales alors que c'est le cas lorsqu'on en discute dans une autre tribune? Il s'agit de problèmes communs auxquels les gouvernements sont confrontés et auxquels ils cherchent des solutions communes.

Le président: Merci.

Madame Barlow.

Mme Maude Barlow: J'apprécie le fait que vous nous ayez consacré beaucoup de temps, et je vous en remercie. Je voudrais vous communiquer l'opinion, qui n'est pas sans donner un frisson dans le dos, qui a été exprimée par un avocat spécialiste en droit commercial. En fait, il s'agit de l'avocat de la société Ethyl.

En ce qui concerne les secteurs de la santé et de l'éducation au Canada, il a relevé une lacune très grave. D'après lui, que l'on soit en faveur ou non de l'AMI, la position énoncée par le gouvernement comporte une lacune terrible. Voici ce qu'il a dit:

    Les obligations que l'AMI imposera au Canada toucheront tous les niveaux de gouvernement. Cependant, cette réserve permet uniquement au gouvernement fédéral de prendre des mesures qui, autrement, seraient incompatibles avec l'AMI. En dépit du fait que les services sociaux sont, pour la plupart, assumés par les instances provinciales et municipales, le gouvernement du Canada n'a pris aucune mesure pour les soustraire aux obligations de l'AMI. Il s'ensuit que le système public d'éducation offert par les gouvernements locaux et provinciaux serait assujetti à l'AMI, sans espoir de recours. De même, les soins de santé, les services de garde et les programmes de formation offerts par les gouvernements provinciaux seraient assujettis aux obligations de l'AMI alors que les programmes fournis par le gouvernement fédéral (notamment ceux qui s'adressent aux militaires ou aux Autochtones) seraient couverts par la réserve.

Deuxièmement, il relève ce qui cloche dans la définition de service social. À son avis, cette définition est beaucoup trop étroite. Les autres pays de l'OCDE ont une définition différente des services sociaux et, par conséquent, nous serions tenus d'adopter le dénominateur commun. Il précise:

    Compte tenu de ce qui précède, nous pouvons conclure qu'il existe énormément d'incertitude quant à la signification à donner à l'expression Réserve relative au service social, et particulièrement à l'expression service social. En dépit de l'emploi du terme général «intérêt public», dans la Réserve relative au service social, cela n'élargira pas la portée de cette réserve. L'expression «service social» a une portée beaucoup plus limitée et elle restreindra l'utilité de la réserve. La définition de cette expression devra refléter les divers antécédents des membres de l'OCDE, comme la Turquie, le Mexique, les États-Unis, l'Allemagne et le Japon. L'AMI ne précise pas la signification de l'expression, et aucun tribunal international ne s'est penché là-dessus. Par conséquent, tout ce dont on peut être sûr, c'est qu'il n'existe pas de définition claire de l'expression.

Selon lui, nous ne sommes pas protégés comme il se doit.

• 1710

Je vous laisse donc sur ces propos de M. Appleton.

Le président: Merci.

En fait, nous allons le rencontrer demain, de sorte que nous pourrons l'interroger à ce sujet.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): J'aimerais obtenir une précision... Je ne sais pas si c'est une impression fausse de ma part, mais j'aimerais savoir si les entreprises sont en mesure de poursuivre les gouvernements.

Pour moi, il n'y a rien de nouveau là-dedans. Des entreprises ont poursuivi les gouvernements depuis des temps immémoriaux. Par conséquent, la question de savoir si cela est possible ou non est redondante.

Vous avez dit que Greenpeace serait en mesure d'engager des poursuites. Cette organisation le fait déjà aux États-Unis. Il me semble que rien ne peut empêcher quelque organisme que ce soit—qui veut devenir multinational—de faire la même chose.

J'irais même plus loin. D'après la législation ontarienne—et je ne sais pas ce qu'il en est dans le reste du Canada—lorsqu'un écologiste considère un projet néfaste, pour une raison quelconque, il a le loisir d'y mettre un frein, tout comme n'importe quel citoyen d'ailleurs. En outre, les opposants ne sont tenus d'assumer aucune responsabilité financière en bout de ligne si leurs allégations s'avèrent futiles.

Toutes ces menaces de poursuites contre les gouvernements constituent donc un épouvantail.

Mme Maude Barlow: C'est cependant essentiel.

M. Tony Clarke: Tout d'abord, monsieur Reed, vous avez parfaitement raison de dire que des sociétés ont intenté des poursuites contre les gouvernements, mais il s'agissait de poursuites en vertu du droit du pays. Il s'agit ici de droit international et d'un accord entre les parties contractantes.

Par le passé, dans le cas par exemple de l'Accord de libre-échange ou de l'ALENA, ou même de l'OMC, dans tous ces cas—et c'est ici que je ne partage pas l'avis de M. Hart—les mécanismes de règlement des différends, la méthode utilisée pour régler les différends, etc., a pris la forme essentiellement d'une procédure État-à-État. C'est-à-dire que si un pays se plaignait de nos lois, de nos politiques et de nos programmes, c'était cet État, le gouvernement de cet État qui traitait directement avec nous par l'entremise du mécanisme de règlement des différends, soit devant les tribunaux ou devant un groupe spécial d'arbitrage.

Cependant, aux termes de l'AMI, pour la toute première fois, les sociétés n'auront pas à s'adresser directement à l'État pour s'en prendre à un autre pays. En d'autres termes, si une société américaine conteste nos lois, il ne lui est plus nécessaire de s'adresser à Washington pour que Washington s'en charge. Il y aura maintenant un mécanisme qui permet aux sociétés étrangères de contester directement nos lois, nos politiques et nos programmes afin de les démanteler.

Je considère qu'il s'agit là d'un changement institutionnel considérable. Il y a eu des indices de la même chose ailleurs, mais dans l'AMI, on constate un changement institutionnel profond.

M. Julian Reed: Donc, c'est nouveau.

M. Tony Clarke: C'est tout nouveau, c'est complet et exhaustif.

Le président: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Tony Clarke: Non, ce n'est pas le cas. Il y a des dispositions du code sur les investissements dans l'ALENA qui le permettent, mais on ne trouve aucun mécanisme précis pour les États investisseurs qui ressemblent à ce qui est proposé dans l'AMI.

M. Alan Rugman: En fait, c'est dans l'ALENA, que le gouvernement actuel a ratifié, que l'on a introduit des dispositions sur l'État investisseur. Dans l'AMI, comme on l'a très bien relevé et comme le ministre l'a dit, on reprend essentiellement les dispositions de l'ALENA sur les investissements. Il n'y a rien de nouveau.

Ce qui serait plus important, si cela préoccupe M. Clarke et Mme Barlow, nous pouvons vérifier les faits. Combien de fois ces méchantes sociétés transnationales ont-elles poursuivi des gouvernements, l'État investisseur? Ce n'est jamais arrivé. Il n'y a qu'une telle poursuite qui sera peut-être intentée, comme on l'a mentionné plus tôt, l'affaire MMT-éthanol, mais nous ne savons pas exactement ce qui sera fait. Donc, malgré quatre années d'existence, l'ALENA n'a donné lieu à aucune poursuite.

C'est donc beaucoup de fracas à propos de rien. Je ne comprends pas pourquoi c'est si difficile, car ce n'est pas nouveau, c'est dans l'ALENA et ce n'est pas une question importante.

Le président: Je vais revenir à M. Clarke avant de repasser à M. Hart, car je vous vois faire non de la tête.

M. Tony Clarke: Je crois qu'encore une fois M. Rugman nous induit en erreur. Il existe des dispositions restrictives dans l'ALENA qui permettent à l'État investisseur de directement... Mais toutes les dispositions de l'ALENA ne sont pas passibles d'intervention par l'État investisseur, une différence très importante par rapport à l'AMI.

• 1715

Deuxièmement, le professeur demande pourquoi il n'y a pas eu plus de poursuites, eh bien en partie à cause de la nature restrictive des dispositions et deuxièmement de ce que nous appelons l'«effet de refroidissement». Il s'est produit bien des choses dans les coulisses, où la menace par l'État investisseur a forcé un gouvernement à faire marche arrière. Nous pouvons donner plusieurs exemples en commençant par l'affaire des emballages banalisés pour le tabac. L'effet de refroidissement du fait que l'on peut menacer d'intenter des poursuites de ce genre, est souvent plus efficace que le recours au mécanisme de règlement des différends.

Le président: Monsieur Hart.

M. Michael Hart: M. Clarke fait une distinction sans différence. Le chapitre 11, partie B de l'ALENA présente le concept du règlement des différends de l'état investisseur en matière d'investissement. L'AMI présente un mécanisme de règlement des différends dans un accord sur l'investissement. Prétendre que les dispositions sur l'état investisseur du chapitre 11 de l'ALENA ne visent pas les autres dispositions de l'accord... d'accord; tout comme l'AMI ne porte que sur l'investissement.

Les mécanismes de règlement des différends de l'état investisseur existent et depuis trois ans et demi. On y a eu recours une fois. Toutefois, comme M. Reed l'a signalé à juste titre, les sociétés ont toujours possédé le droit de poursuivre des gouvernements si elles se sentaient lésées. Tout ce qu'on a fait dans l'ALENA et maintenant dans l'AMI, c'est d'inclure dans un traité, un droit que les citoyens privés, y compris les sociétés, qui sont réputées en droit être des citoyens privés, possèdent déjà.

Le président: Monsieur Clarke.

M. Tony Clarke: Je pense que la disposition citée par M. Hart comporte d'amples précisions qu'il ne nous le laisse entendre. En outre, la puissance véritable des tribunaux et du mécanisme de l'état investisseur aura un effet beaucoup plus étendu aux termes de l'AMI que de l'ALENA.

Le président: Monsieur Reed.

M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.

Je suis heureux que l'on ait abordé le sujet de la petite entreprise. On a l'impression, à tort, que les sociétés multinationales sont de grandes sociétés. Comme on l'a fait remarquer, la grande majorité d'entre elles sont de petites ou moyennes entreprises. Je vous demande de songer à l'exploration minière au Canada: 700 entreprises qui ont en moyenne 15 employés sont dans de nombreux cas des multinationales parce qu'elles ont des bureaux au Chili et au Brésil et que sais-je.

Ces dernières années, nous avons appris une chose, que le Canada semble fonctionner mieux avec des règles que sans règles. Pour survivre dans la jungle du commerce international, le Canada n'est pas très favorisé par sa taille. Si les règles sont adaptées à nos besoins, cela devrait aider notre pays.

Voulez-vous savoir ce que je pense de l'idée d'avoir des règles et de la protection qu'elles offrent à la petite entreprise? Elles permettent à la petite entreprise d'avoir les mêmes possibilités de croissance si elles le désirent.

M. Alan Rugman: Monsieur le président, je pense que M. Reed vient de mettre dans le mille. Essentiellement, l'AMI vise les entreprises et comme l'a à juste titre fait remarquer M. Reed, il y a des petites et moyennes entreprises parmi les multinationales. À la Conférence des Nations Unies sur le commerce et développement, la CNUCED, à Genève, on dresse le répertoire annuel des 33 000 entreprises multinationales au monde qui sont maintenant 35 000. La plupart d'entre elles sont des petites et moyennes entreprises.

Ensuite évidemment, il n'est pas vraiment utile de faire une distinction entre les grandes et les petites multinationales. En réalité, les entreprises fonctionnent en groupes d'activités, en réseaux de groupes d'activité. Au Canada, nous avons de tels groupes qui sont compétitifs à l'échelle mondiale.

• 1720

Revenons à un point soulevé précédemment, et parlons du groupe automobile au Canada qui représente en fait un tiers de notre commerce d'importation et d'exportation. Les entreprises à la tête de ce groupe sont des multinationales appelées Ford, GM et Chrysler. Ce sont des entreprises étrangères, mais est-ce que cela a une incidence sur l'efficacité et la compétitivité de ce groupe canadien qui est évidemment intégré au groupe américain puisque cela fait plus de 30 ans que nous avons des règles dans le cadre de l'Accord sur l'automobile, en fait depuis que Simon Reisman les a négociées—et nous les avons maintenues dans l'Accord de libre-échange et dans l'ALENA.

L'analyse sous-jacente, monsieur le président, consiste à déterminer comment les petites et moyennes entreprises s'intègrent dans le cadre des grandes multinationales. Ce sont toutes des entreprises. Il leur faut des règles sur l'investissement. En tant que petit pays qui compte des petites entreprises, le Canada y gagnera, incontestablement, s'il y a transparence et clarté dans les règles qui régissent le commerce, surtout le commerce international.

Le président: Madame Barlow.

Mme Maude Barlow: Monsieur Reed, en décrivant certaines petites sociétés minières canadiennes, vous donnez l'impression qu'elles sont tout petites. Je n'ai pu m'empêcher de me demander où vous auriez classé la société Bre-X dans tout cela, mais je vais laisser faire.

Des voix: Ah, Ah.

M. Julian Reed: J'ai parlé des sociétés d'exploration minière, pour être juste...

Mme Maude Barlow: D'accord.

M. Julian Reed: Sept cents.

Mme Maude Barlow: D'accord.

Soyons très clairs. Lors de nos déplacements internationaux, nos collègues des autres pays nous ont dit que certaines sociétés minières canadiennes figurent parmi les plus polluantes au monde.

Ce que je veux, ce sont des règles qui servent non seulement à ouvrir les portes aux sociétés canadiennes minières mais aussi à gouverner le comportement de ces sociétés dans les autres pays pour que je n'aie plus honte d'assister aux conférences internationales parce que là on me met au courant de tous les polluants que ces sociétés déversent dans le sol, dans l'eau, on me décrit leur façon de traiter les gens, comment elles exproprient les collectivités locales. Ce n'est pas tellement agréable d'entendre de telles histoires lorsqu'on assiste à ces réunions internationales.

Je crois que la plupart des petites et moyennes entreprises de notre pays cherchent à gagner leur vie et à bâtir un bon commerce tout en se comportant en bons citoyens du pays et du monde. Ce que nous cherchons ici, c'est un ensemble de règles bien équilibrées, et cet accord, sous sa forme actuelle préconise un ensemble de règles qui favorisent les intérêts de ceux dont les valeurs morales seraient parmi les plus faibles. En d'autres mots, ceux qui vont peut-être vouloir agir plus moralement seront pénalisés, parce cet accord élimine les règles. Plutôt que d'établir les règles, cet accord élimine les règles pour les gouvernements.

Plus tôt, vous avez parlé des lois internes des pays. Nous ne sommes pas contre l'idée de dédommager les propriétaires de terres expropriées. Nous croyons que c'est tout à fait juste. Si un gouvernement fait de l'expropriation de commerces, il est clair que le gouvernement devrait payer.

Mais comme M. Clarke l'a expliqué, un tribunal international composé peut être de trois personnes et non pas les tribunaux du pays, sera saisi de l'affaire. Vous ne serez pas alors en mesure de communiquer avec ces gens-là et des groupes comme le nôtre ne serait pas en mesure de présenter d'instances. Les questions vont être réglées quelque part dans la stratosphère.

L'accord prévoit également des mesures dont les résultats équivaudraient à l'expropriation. Cela veut dire des lois. Si un gouvernement provincial ou fédéral adopte une loi qui nuit aux intérêts commerciaux de ces investisseurs importants, ces derniers pourront poursuivre le gouvernement du pays en question devant un tribunal international, même si les citoyens de ce pays ont élu le gouvernement et lui ont dit que c'était bien les lois qu'ils voulaient.

Nous ne sommes pas contre les lois. Par contre, nous ne voulons pas défavoriser les gouvernements des États-nations, et nous croyons que cet accord fait précisément cela.

Le président: Monsieur Hart, très brièvement.

M. Michael Hart: M. Reed a soulevé un point très important. Le but de l'AMI et d'autres ententes semblables est d'établir des règles pour les gouvernements et d'autres pour les sociétés. Avec les négociations de l'AMI, nous constatons qu'on continue à appliquer les règles du jeu, les règles du marché, telles qu'elles existent au Canada, l'équilibre qui s'est développé entre les intérêts de l'équité et les intérêts de l'efficacité, un domaine où le Parlement joue un rôle très important dans son travail législatif, de façon régulière: c'est le but du Parlement dans le secteur économique, que d'équilibrer les intérêts de la justice et de l'efficacité. Ce genre de raisonnement s'étend de plus en plus et l'économie globale grâce à des négociations entre gouvernements, d'un ensemble de règles visant à atteindre un nouvel équilibre au niveau entre les intérêts de la justice et de l'efficacité.

Monsieur Blaikie, je crois que c'est une position très morale.

Le président: Merci, monsieur Hart.

Chers collègues, notre temps est expiré.

Mais j'ai une courte question d'ordre général. S'il n'y a pas d'accord multilatéral sur les investissements est-ce qu'on retourne au statu quo. Je présume qu'un tel accord nous permettrait de réglementer et de contrôler plus rigoureusement les activités des multinationales. Que se passerait-il si le Canada refusait de signer?

• 1725

Vous avez dit, madame Barlow, que vous voulez un accord. Mais vous voulez que ce dernier renferme certaines dispositions que le gouvernement canadien n'exige pas actuellement. Je vous demanderai de nous expliquer ce qui se produirait si le Canada refusait de signer.

Mme Maude Barlow: Monsieur Speller, vous dites que l'AMI nous permettrait de mieux contrôler les multinationales mais c'est exactement le contraire qui se produirait. Les sociétés transnationales pourraient nous contrôler davantage. C'est cela qui nous inquiète. Faute d'un tel accord, nous ne donnerions pas cet outil énorme aux sociétés transnationales.

Est-ce que cela signifie qu'on n'aurait pas besoin de règles sur les investissements internationaux? Bien sûr que non. On pourrait recommencer, mais à partir d'une nouvelle série de principes.

Si cet accord est si merveilleux, dites-moi pourquoi les pays en voie de développement membres de l'OMC l'avaient massivement rejeté. Ces derniers s'en préoccupent beaucoup.

Nous avons invité un conférencier à notre assemblée générale annuelle. Il s'appelle Martin Khor Kok Peng et il est le directeur du Third World Network, un réseau d'environ 600 ONG, qui travaillent en Afrique et en Asie. Selon M. Peng, l'adoption d'un tel système privera les gouvernements de leurs pouvoirs pendant des années à venir. Même si nos gouvernements peuvent résister à un tel choc, il estime que ceux du tiers monde ne le pourront pas.

Je ne saurai trop vous conseiller de réfléchir sérieusement à ces propos en tant que citoyens et non comme membre d'un parti politique.

Le président: Merci. Vous dites néanmoins qu'il faut avoir un accord multilatéral sur l'investissement mais non pas celui qui nous a été présenté.

Mme Maude Barlow: Il faut absolument rejeter le présent Accord multilatéral sur l'investissement.

Le président: Très bien.

Monsieur Hart.

M. Michael Hart: Si les présentes négociations ne réussissent pas ou que le Canada décide qu'il n'est pas dans son intérêt de signer cet accord, ce ne sera pas tragique. Comme je l'ai signalé dans ma déclaration liminaire, il y aura très peu d'incidence sur le volume d'investissement qui entre au Canada ou qui en sort.

Dans l'ensemble, il serait préférable que les négociations aboutissent à un accord, qui pourrait constituer une base très importante de nouvelles négociations à ce sujet au sein de l'OMC. Mais sera-t-il possible d'y parvenir sans l'AMI? Je crois que oui et je dirais aussi—même si je sais que tout ça c'est du passé—qu'il aurait été préférable de commencer ces négociations dès le début au sein de l'OMC. Mais les gouvernements ont décidé il y a trois ans qu'ils voulaient le faire dans le cadre de l'OCDE. C'est la réalité actuelle.

Pour le Canada un pays, commerçant et investisseur important qui fait aussi partie du G-7, il nous incombe de participer à ces négociations et d'essayer d'assurer leur succès. Mais si elles échouent, ce n'est pas tellement tragique. Ce n'est pas la fin du monde.

Pour ce qui est des pays en voie de développement, les renseignements dont je dispose diffèrent quelque peu de ceux de Mme Barlow. J'ai assisté il n'y pas très longtemps à un séminaire que présidait M. Reubens Ricupero, secrétaire général de la CNUCED où les divers représentants des pays en voie de développement discutaient de cette question. Seulement deux gouvernements sur plus de 35 pays en voie de développement qui y participaient s'inquiétaient d'avoir à négocier à ce sujet à l'heure actuelle; il s'agissait en l'occurrence des représentants de l'Inde et d'un pays africain. Tous les autres gouvernements se disaient intéressés à négocier cette question mais voulaient avoir de plus amples renseignements sur les conséquences à long terme. Ils s'inquiètent davantage des concessions qu'ils seront obligés de faire. Autrement dit, s'ils assument de telles obligations, comment pourront-ils obtenir par la suite d'autres avantages qui sont importants pour eux? Cela ne signifie pas qu'ils soient contre l'accord, mais dans ces négociations ils jouent les fins stratèges.

Le président: Merci, monsieur Hart.

Monsieur Clarke

M. Tony Clarke: J'ai quelques mots à ajouter.

Encore une fois, nous prétendons que nous avons besoin de règles d'investissement au niveau mondial. Il s'agit de savoir si, oui ou non, ces règles imposeront plus d'obligations au gouvernement au sujet des initiatives que ceux-ci peuvent ou non prendre pour encourager des investissements rentables ou si ces règles mettent autant de pressions et fixent des règles et impose des restrictions aux initiatives que les entreprises peuvent ou non prendre à l'égard de toute une gamme de problèmes concernant la société et l'environnement. Ce sont là des questions fondamentales qu'on doit étudier.

Je crois qu'il y a une question plus fondamentale pour les parlementaires et pas seulement à propos de l'AMI. Cela s'est aussi produit dans le cas de l'OMC et tout a débuté avec l'ALENA et l'ALE. Il s'agit de savoir dans quelle mesure les décisions en matière de politique nationale échappent de plus en plus aux gouvernements démocratiquement élus pour être confiées, dans le cas qui nous occupe, à des entreprises transnationales, mais qui surtout est sous le couvert d'institutions du genre, qu'il s'agisse de l'OMC, de l'AMI et de tout autre organisme.

• 1730

Ce sont là des questions vraiment fondamentales car souvent les gens vous tiennent un certain discours lorsqu'ils sont dans les rangs de l'opposition pour découvrir, le jour où ils prennent le pouvoir et prennent en main les rênes du gouvernement que les règles sont déjà fixées ailleurs. C'est un problème fondamental.

Je crois que notre pays n'est pas le seul à subir ce genre d'expérience. Nous en sommes rendus à une étape dans le processus de la mondialisation où nous devons imposer un moratoire afin de pouvoir étudier quel genre d'équilibre doit exister entre les entités locales et nationales et leur autonomie d'une part, et le cours des événements à l'échelle mondiale. Ce sont des questions on ne peu plus fondamentales.

Si nous allons de l'avant avec l'AMI à ce moment-ci, nous aurons fait basculer davantage la balance dans une certaine direction et ce sera la cause de très sérieux problèmes.

Un dernier mot à propos des pays en voie de développement. Il y a eu des pourparlers concernant le sujet de l'investissement sous l'égide de la CNUCD. La CNUCD s'est servie d'une méthode et d'un modèle différents par le passé concernant toute la question des investissements. Elle a abordé la question en se fondant surtout sur les principes décrits dans la Charte des droits et devoirs des nations de 1974 et c'est ce qui leur a servi de schéma. À bien des égards, beaucoup de pays en voie de développement et de gens qui s'occupent de ce genre de questions croient qu'il nous faut retourner à ce genre de modèle pour tout traité sur les investissements et ne pas se servir du modèle que M. Hart et M. Rugman nous proposent cet après-midi.

Le président: Enfin, monsieur Rugman.

M. Alan Rugman: Une réponse très courte à la dernière remarque monsieur le président, avant de répondre à vos questions. La conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, c'est-à-dire la CNUCD, dans son dernier rapport sur les investissements dans le monde, dit très fermement que les Nations Unies recommandent qu'on en arrive à un accord multilatéral sur l'investissement. Je ne sais pas d'où M. Clarke tient ces renseignements. Ce qui existe, en réalité, c'est un consensus chez les experts qui étudient les questions en matière d'investissement portant que l'AMI devrait s'appuyer sur les dispositions en matière d'investissements contenues dans l'ALENA. C'étaient là des dispositions d'avant-garde et les ébauches de proposition concernant l'AMI dont on nous a saisis jusqu'ici font exactement cela tout en assurant la pleine protection de la souveraineté canadienne.

Voici donc ma réponse à votre question: Vous avez demandé ce qui se produirait s'il n'y avait pas d'AMI et je suis d'accord pour dire avec M. Hart qu'essentiellement cela ferait très peu de différence. C'est parce quÂen matière d'économie et de commerce, le gros de nos transactions se font avec les États-Unis et l'essentiel de nos préoccupations concernant la propriété étrangère et ce besoin que nous sentons de nous protéger contre les investisseurs étrangers au Canada sont la conséquence de notre problème avec les États-Unis. Nous l'avons réglé grâce à l'Accord sur le libre-échange, il y a déjà dix ans, et à l'ALENA.

Alors monsieur le président, je demanderais à votre comité de vérifier le dossier. Que s'est-il passé au cours de ces dix années? La culture canadienne est-elle disparue, le système de soins de santé canadien a-t-il disparu, et ainsi de suite? Je crois que vous verrez que la réponse est non.

S'il existe un accord multilatéral sur l'investissement, il ne va pas du tout changer le caractère du Canada pas plus que cela s'est produit depuis dix ans.

Le président: Merci, monsieur Rugman.

Collègues, ceci termine notre discussion d'aujourd'hui. Je voudrais remercier les témoins d'être venus. Le débat a été fort intéressant. Vous avez soulevé bien des questions qui nous intéressent et que nous examinerons plus en détail. Nous verrons M. Appleton demain pour approfondir ses idées.

Chers collègues, M. Sauvageau voudrait nous rencontrer après la réunion pour régler certaines questions administratives. Nous ferons une pause de cinq minutes, après quoi nous siégerons à huis clos pour discuter de notre programme.

[Note du rédacteur: La séance se poursuit à huis clos]