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SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 2 juin 1999

• 1531

[Traduction]

La présidente (Mme Sarmite Bulte (Parkdale-High Park, Lib.)): La séance est ouverte.

Bonjour, mesdames et messieurs. Bienvenue aux travaux du Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le comité procède à l'examen des intérêts prioritaires du Canada dans le processus de création d'une zone de libre-échange des Amériques.

Le comité a voyagé dans l'Est et dans l'Ouest, aux côtés du comité principal chargé des affaires étrangères et du commerce international, et a entendu les points de vue exprimés durant les exposés sur notre rôle et nos priorités dans le cadre des négociations de l'OMC. Nous espérons mettre la dernière main à notre rapport au mois de septembre, pour le déposer à ce moment-là.

Nous sommes très heureux de vous accueillir tous ici aujourd'hui.

Je vais d'abord vous céder la parole à vous, madame Williams, qui êtes directrice nationale de la Conférence canadienne des arts. Vous êtes accompagnée de Mme Chan.

Je vous prie de commencer votre exposé.

Mme Megan Williams (directrice nationale, Conférence canadienne des arts): Merci.

Je représente la Conférence canadienne des arts. Nous nous sommes adressés à certains des membres du comité il y a de cela un mois environ.

J'aimerais vous présenter ma collègue, Mme Marlene, qui a commencé à travailler pour la Conférence canadienne des arts au mois de février sur, justement, le dossier international, où l'activité s'est vraiment intensifiée depuis quelques mois.

Nous faisons partie d'une organisation nationale qui est au service des arts, mais nous constatons que nous consacrons de plus en plus de temps aux question internationales et aux questions relevant de la politique culturelle internationale, et à la façon dont elle se répercute sur nos membres, parmi lesquels nous comptons des organisations au service des arts, des organisations de travailleurs du secteur culturel, des organisations d'industries du secteur culturel et des particuliers ayant un intérêt pour la politique culturelle canadienne et la défense de la culture du Canada.

J'ai préparé un exposé que vous avez, comme je le vois, devant vous. Je n'en ferai pas une lecture textuelle. Je vais simplement souligner quelques points.

Il doit être évident qu'une organisation comme la nôtre se sent un peu malmenée, cette semaine, avec l'histoire du projet de loi C-55. Les jeux ne sont pas encore faits. Nous ne savons pas vraiment ce qui ressortira de cela, mais nous avons mis beaucoup d'énergie au cours des mois de l'hiver à préconiser l'adoption du projet de loi sans modification. Nous nous interrogeons vraiment sur ce qui va se passer durant les prochaines semaines.

Si la culture avait vraiment été exclue de la négociation de l'ALENA, nous sommes d'avis que ce genre de chose ne se serait jamais produit.

Il y a quelques semaines de cela, nous avons présenté un exposé, aux côté de June Callwood, Jack Stoddard et Robert Pilon, au Sénat. À ce moment-là, nous disions que si l'exception culturelle prévue dans l'ALENA n'était pas rattachée à cette sinistre disposition, qui permet des mesures de représailles dans d'autres secteurs de l'économie, il n'y aurait pas eu toute cette fureur entourant le projet de loi C-55.

De fait, nous disions que s'il y avait eu des mesures de représailles de la part des Américains, cela aurait été beaucoup moins important que les médias nous le laissaient croire. En vérité, les représailles auraient représenté au plus les sommes perdues en recettes publicitaires, part tout à fait négligeable en ce qui concerne la balance commerciale dans son ensemble.

• 1535

Enfin, là où je veux en venir, c'est qu'il y a, en rapport avec ces questions, toute une rhétorique qui ne se justifie parfois pas, et il est très important d'exposer les choses très clairement dès le départ et de ne pas adopter des dispositions contradictoires sur la culture, comme nous l'avons vu dans le cas de l'ALENA.

Nous avons vivement appuyé le rapport du GCSCE sur les industries culturelles. À nos yeux, il est très important d'établir une convention culturelle qui servirait à définir la culture non pas simplement comme une marchandise, mais plutôt comme une question d'importance nationale, et de pouvoir l'exclure de tout accord sur le commerce international qui peut être élaboré. Cela comprend, bien sûr, l'accord de libre-échange des Amériques.

Nous avons mis sur pied, à la Conférence canadienne des arts, un comité consultatif international assez bien en vue. Les membres de ce comité se concentrent en ce moment sur plusieurs questions. Parmi ces questions, il y a l'édification d'un réseau international d'organisations culturelles. Une des choses qui ont été dites très clairement, c'est qu'il nous faut engager ce genre de discussion et le genre de discussion qui aura lieu durant le volet du millénaire des négociations de l'Organisation mondiale du commerce. Nous nous préparons donc en vue de cela, et le comité souhaite savoir ce qui se fait parallèlement à cet égard dans d'autres pays.

Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère du Patrimoine canadien. Celui-ci appuie nos efforts à cet égard. De fait, c'est le ministère du Patrimoine canadien qui a «détaché» Mme Chan pour qu'elle puisse travailler pour nous.

La conférence internationale des ministres de la Culture, que Mme Copps a mis en branle en juin dernier, se poursuivra en septembre, cette année, au Mexique. Nous y prenons une part active. Nous organisons la démarche parallèle des organisations non gouvernementales.

Permettez-moi de faire une parenthèse: nous travaillons à organiser une conférence parallèle au Mexique—parallèle à celle des ministres—pour les organisations culturelles internationales. Nous éprouvons beaucoup de difficulté à cet égard, car il n'existe presque pas d'ONG au Mexique dans le secteur culturel. Nos contacts sont tous très proches du gouvernement, et le gouvernement mexicain n'est pas heureux d'accueillir une conférence d'ONG. Je crois qu'il en craint les conséquences, même s'il n'a certes rien à craindre de ce genre de conférence.

Si je mentionne cela, c'est que je crois que nous aurons le même problème au fur et à mesure que nous élargissons le cercle et commençons à travailler avec d'autres organisations culturelles en Amérique latine et en Amérique du Sud. Ce qui existe ici au Canada, c'est-à-dire une infrastructure culturelles très complexe, n'existe simplement pas dans ces pays. Nous devons trouver une façon de les engager dans la démarche.

En rapport avec cela, il y a la question de la société civique, il y a la façon dont cela se développe dans l'hémisphère sud et la façon dont nous jetons des ponts.

Le gouvernement canadien a mis sur pied un groupe de travail du secteur bénévole, dont la CCA fait partie. Le groupe de travail a pour tâche d'accroître la capacité du secteur sans but lucratif et d'améliorer ses rapports avec le gouvernement et le cadre de réglementation du secteur sans but lucratif.

Nous appuyons vivement cette initiative, car au fur et à mesure que s'accroît notre capacité en tant qu'organisme sans but lucratif, nous sommes mieux en mesure de sonder nos homologues dans d'autres pays et de travailler avec eux. La démarche qui consiste à passer par le secteur sans but lucratif des ONG est très importante en rapport avec ce genre d'accord de libre-échange, car il faut que la société civique se développe jusqu'à un certain point avant que ces organisations n'existent.

Je souhaitais simplement ajouter ce témoignage au processus du groupe de travail du secteur bénévole, que votre gouvernement a lancé dans le contexte du plan prévu dans le livre rouge.

Je parcourais simplement mes notes pour voir si j'ai oublié quelque chose.

Je vais m'en tenir à cela. Je crois que vous pouvez vous en remettre à mon mémoire si vous avez des questions.

Je demanderais maintenant à Marlene de traiter brièvement de la réunion de Paris.

• 1540

Mme Marlene Chan (coordonnatrice internationale, Conférence canadienne des arts): Nous essayons de saisir toutes les occasions qui nous sont offertes de travailler de concert avec les organismes comme le nôtre dans le secteur culturel.

Comme le Mexique ne devient pas tout à fait l'endroit idéal que nous avions imaginé, une autre question s'est présentée. Vous en êtes probablement conscients. On ne nous envoie pas régulièrement des renseignements sur ces choses, mais nous avons pu découvrir l'existence d'un colloque d'experts sur la culture, le marché et la mondialisation à Paris. Je crois que c'est une bonne occasion pour nous. Le thème est le suivant: La culture: une marchandise bien à part.

Nous espérons pouvoir y déléguer quatre membres de notre comité consultatif international, qui iront échanger avec quiconque s'y rend.

La présidente: À quel moment est-ce que cela aura lieu, à Paris?

Mme Marlene Chan: Les 14 et 15 juin.

La présidente: La semaine prochaine?

Mme Marlene Chan: Oui. Certains de nos membres n'ont même pas encore reçu leur invitation. Je sais que Ken disait qu'il n'a même pas vu ce que j'ai ici.

M. Ken Stein (vice-président principal, Affaires réglementaires de la société Shaw Communications Inc.): Et je suis membre du panel.

Mme Marlene Chan: Cela nous préoccupe donc beaucoup. C'est organisé par le Canada, dit-on, et par la commission nationale française pour l'UNESCO. Nous sommes un peu décontenancés dans tout cela, car chacun tient un beau discours sur la société civile et essaie de solliciter la participation des gens à ces discussions, mais personne ne semble être au courant.

Mme Megan Williams: Il y aura là certains représentants du ministère du Patrimoine canadien.

La présidente: Je crois que la ministre s'y rendra.

Mme Megan Williams: Eh bien, peut-être. Nous allons profiter de l'occasion, par l'entremise des membres du comité consultatif que nous allons y déléguer, de continuer à édifier notre réseau mondial d'organisations culturelles non gouvernementales et de continuer à discuter des conséquences en ce qui concerne le processus parallèle au Mexique. Nous aurons donc des réunions parallèles là-bas.

Il y a une petite chose que je voulais dire à propos de cela. Durant toute la série de réunions culturelles, depuis Stockholm jusqu'au Mexique et ainsi de suite, je crois que nous pouvons voir que l'UNESCO a subitement constaté qu'elle n'est peut-être pas aussi active dans le dossier de l'élaboration des politiques culturelles qu'elle croyait l'être. Elle fait maintenant du rattrapage.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Stein, vice-président principal, Affaires réglementaires de la société Shaw Communications—bienvenue.

M. Ken Stein: Formidable. Encore une fois, merci.

Cela m'impressionne toujours de voir aller Megan, car elle a ses notes devant elle, mais elle peut faire fi de son texte tout en étant beaucoup plus éloquente que quiconque.

J'ai préparé certaines notes, et je crois que je vais m'en tenir aux arguments que j'y ai formulés. Bien sûr, j'ai hâte de pouvoir répondre à vos questions.

Je suis, comme madame la présidente l'a dit, vice-président principal chez Shaw Communications. Je suis aussi président du Groupe de consultation sectorielle sur le commerce extérieur pour les industries culturelles—mieux connu sous le nom de GCSCE sur la culture.

Lorsque je me suis adressé en mars au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, j'ai exposé les recommandations que notre comité avait formulées à l'intention du ministre du Commerce international concernant la nécessité d'instaurer des stratégies nouvelles en matière culturelle et commerciale. Ces recommandations sont exposées dans notre rapport, qui a pour titre La culture canadienne dans le contexte de la mondialisation. J'espère que vous avez tous eu l'occasion de le passer en revue.

Le GCSCE lui-même représente une panoplie d'industries et d'organisations du secteur culturel. Vous en trouverez l'énumération à la page iv du rapport.

Voici un extrait de ce rapport:

    Le Canada doit aujourd'hui repenser la question des rapports entres les accords commerciaux et les politiques culturelles. Il se peut que les mécanismes et approches retenus par le passé pour empêcher que les biens et services culturels ne soient assujettis au même traitement que les autres biens et services ne suffisent plus. Comme l'ont bien démontré les événements des dernières années, l'exemption culturelle a ses limites.

J'ajouterais que les événements des dernières semaines ont certainement confirmé cette conclusion.

• 1545

En somme, le GCSCE recommande que le Canada prenne les devants et conçoive un nouvel instrument international qui exposerait les règles de base des politiques culturelles et du commerce, et permettrait au Canada et à d'autres pays de préserver les politiques qui font la promotion de leurs industries culturelles.

J'ai exposé les cinq éléments essentiels de ce nouvel instrument. Il s'agirait de ce qui suit: reconnaître l'importance de la diversité culturelle; reconnaître le fait que les biens et services culturels sont sensiblement différents des autres produits; reconnaître le fait que les mesures et politiques nationales visant à préserver l'accès à des produits culturels autochtones variés sont bien différentes des autres politiques et mesures; exposer les règles régissant la nature des mesures nationales réglementaires et autres que les pays peuvent et ne peuvent pas adopter pour améliorer la diversité culturelle et linguistique; et établir en quoi les règles de discipline s'appliqueraient ou non aux mesures culturelles qui respectent les règles convenues.

Nous croyons toujours que le mieux serait de procéder de deux façons:mettre au point un processus par lequel les gouvernements, les industries et d'autres organisations pourraient protéger et renforcer leur droit d'affirmer les objectifs culturels nationaux et de promouvoir la diversité culturelle. Par ce processus, nous saurions quels pays pensent, aucun nous, que dans une économie mondiale en croissance, il faut donner priorité à l'épanouissement de la diversité culturelle et aux moyens d'affirmer l'identité nationale. La ministre du Patrimoine canadien, Mme Copps, et son ministère ont travaillé fort en ce sens et l'effort doit se poursuivre.

Dans l'élaboration des nouveaux accords internationaux, le Canada continuerait de faire valoir la nécessité d'accorder une attention prioritaire aux objectifs culturels et de définir des mesures qui seraient acceptables pour protéger l'identité nationale et la diversité culturelle.

Au cours des derniers mois, nous avons eu l'occasion à quelques reprises de participer à des débats sur notre rapport et nous sommes très satisfaits de la réaction positive qu'il a suscitée au Canada et à l'étranger, notamment en Europe et aux États-Unis.

Par exemple, je dirais que la Fédération des réalisateurs européens—organisation qui, en elle-même, est importante dans le domaine des arts—préconise aussi l'adoption d'un instrument international permettant d'établir la légitimité des politiques culturelles.

J'ajouterais aussi que selon la formule que j'ai reçue de cette fédération, on s'interroge aussi en ce moment sur la valeur des exceptions en tant que façon de protéger les mesures et politiques culturelles.

Sur la scène international, grâce à l'initiative de Mme Copps, il y aura une conférence de l'UNESCO, à Paris, les 14 et 15 juin.

Je crois que Megan a raison quand elle dit que l'UNESCO n'en fait peut-être pas tant, mais, pour être franc, je crois que Mme Copps en fait probablement plus que toute autre pour faire avancer les choses, pour exiger des gens qu'ils rendent compte de ce qu'ils font ou de ce qu'ils ne font pas. Cette conférence...

Je n'ai pas noté le même titre pour cette conférence, ce qui montre que cela n'est pas vraiment coulé dans le bronze. Je croyais que c'était La culture: le marché et la mondialisation. J'imagine que nous verrons au moment d'y être.

Le thème, en fin de compte, est comme le suivi du plan d'action adopté à la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles en Suède le 2 avril 1998. La conférence de l'UNESCO à Paris réunira des experts de toutes les régions du monde, qui essaieront de voir comment nous pouvons travailler ensemble pour nous assurer que les politiques culturelles obtiennent une attention tout à fait prioritaire.

Aux États-Unis, l'ambassadeur Chrétien et ses représentants ont formulé plusieurs idées sur la façon dont nous pouvons susciter un débat public positif sur ces questions aux États-Unis. J'ai fait partie d'un groupe d'experts à l'occasion d'un colloque tenu à Washington il y a à peine deux semaines. Y étaient délégués les représentants du Département d'État américain, de l'USTR, de la FCC et du Canada. La séance a été extrêmement utile. Nous y avons pigé des idées sur la façon de faire avancer le débat.

À mon avis, les ministres et leur ministère ont accordé une attention prioritaire à ces questions, et nous appuyons tout à fait leurs initiatives. Les deux ministères ont une idée claire de ce qu'il faut faire et de la nécessité d'une étroite collaboration. Je veux dire par là que tout le monde doit collaborer, mais particulièrement les ministère du Patrimoine et du Commerce.

Outre les travaux entrepris par les ministres et par votre comité, sans oublier les responsables des deux ministères, le gouvernement doit élargir les consultations et s'assurer qu'il y a au Canada un débat de fond sur les questions qu'il faut régler à cet égard.

Dans le contexte, le ministère du Commerce international a engagé des discussions en vue de sonder l'opinion des intervenants canadiens—je sais qu'il y a eu une séance à Toronto la semaine dernière—quant à la façon dont le Canada peut réaliser sa politique commerciale et ses objectifs culturels à la fois. L'effort en ce sens devra être constant et s'intensifier au fil des prochains mois.

Nous devons nous assurer d'approfondir le débat tout autant au Canada que cela se fait sur la scène internationale. Ce serait bien paradoxal si nous parvenions à avoir une discussion positive qui mène à des résultats concrets sur la scène internationale, sans qu'il y ait de véritable débat au Canada.

• 1550

Dans l'ensemble, tout de même, nous sommes heureux et étonnés de constater l'ampleur des appuis exprimés à l'égard des recommandations du GCSCE.

Durant les discussions que nous avons eues au cours des derniers mois, il y a une question qui a soulevé des préoccupations particulières. J'aimerais la porter à votre attention. Je crois que cela aura un rapport avec nos discussions, particulièrement en ce qui concerne les Amériques.

Je parle de l'attention qui n'est pas accordée au Canada à la nécessité de se donner, selon notre propre définition des choses, une industrie du contenu qui soit forte. Pendant que nous nous soucions des accords internationaux, il se peut bien que tous les efforts n'arrivent à rien si nous ne saisissons pas les occasions qu'offre la nouvelle économie. Cela devrait nous préoccuper de savoir qu'au moment où nous, au Canada, nous soucions davantage du contenu, les Américains en font plus, dans les faits, pour s'assurer d'avoir une industrie du contenu qui soit forte.

À une conférence récente de l'industrie, tenue il y a quelques mois, j'ai entendu un commissaire de la FCC dire—et je n'en croyais pas mes oreilles—que l'objectif premier des industries américaines de l'information, de la communication et du divertissement consistait à réaliser et à préserver une domination mondiale.

L'affirmation est radicale—et n'a rien de neuf selon d'aucuns—, mais cela démontre que le gouvernement américain et les industries de la diffusion et du divertissement ont créé des politiques et des structures industrielles pour arriver à cet objectif. Ils ont fait pression en faveur d'une évolution des règles qui régissent le commerce international pour s'assurer de pouvoir réaliser cet objectif au-delà de leurs frontières.

Si l'industrie culturelle canadienne veut concurrencer dans le domaine du contenu, nous devons être plus forts et mieux intégrés.

J'ai annexé quelques graphiques, qui proviennent de travaux que nous réalisons depuis deux ans au sein de nos propres industries. Ils démontrent de façon crue la comparaison qui existe entre les entreprises médiatiques canadiennes et les «joueurs» aux États-Unis.

Au Canada, pendant que nous nous soucions de la concentration de la propriété, comme le démontre le dernier graphique, le chiffre d'affaires annuel de notre industrie de la diffusion et du divertissement tourne autour de 2,5 milliards de dollars. La Disney Corporation, à elle seule, présente un chiffre d'affaires de plus de 34 milliards de dollars, alors que la société Time Warner s'approche des 38 milliards de dollars. Cela montre que nous n'évoluons pas vraiment dans la même sphère.

Cela joue dans les deux sens. Lorsque les Américains disent: «Eh bien, tout le monde peut se faire concurrence», il faut songer au fait que nous n'avons pas au Canada une structure qui permet d'être vraiment concurrentielle, et nous devons accorder une attention particulière à cela.

Ce qui me préoccupe, c'est qu'au fur et à mesure que la technologie fait tomber les barrières, nous n'aurons pas saisi l'occasion qui nous est offerte de construire au Canada une solide industrie qui sera en mesure de concurrencer efficacement partout dans le monde.

Permettez-moi une petite digression. Je crains que même si nous avons créé, en application d'une politique d'exception, une structure particulière au Canada et que nous prenons conscience du fait que cette politique d'exception ne fonctionne peut-être pas, il nous fait alors regarder à quoi ressemblent les autres structures dans le monde. Notre structure n'est peut-être pas concurrentielle.

Le commerce est une voie où la circulation se fait dans les deux sens. Cela met en jeu des accords internationaux, mais cela touche aussi notre capacité concurrentielle.

Il faut que chacun comprenne tout à fait clairement—et cela sera très pertinent en ce qui concerne les discussions sur l'accord de libre-échange des Amériques—que les États-Unis sont concentrés tout à fait sur l'objectif de domination mondiale dans le domaine des communications, de la technologie de l'information et de l'industrie du divertissement.

Cela est inquiétant de savoir qu'au Canada, nous disons que le contenu est important, mais, en même temps, nous ne faisons rien pour encourager nos industries à devenir fortes sur la scène internationale. Et je ne parle pas seulement de taille; cela s'applique aussi au soutien des petits entrepreneurs, quant à la façon dont ils participent à la nouvelle économie.

Pour ce qui est des questions précises qui ont été soulevées, j'avancerais que l'élaboration d'un nouvel instrument intégré sur la diversité culturelle devrait être traitée en priorité et fournir une façon meilleure de réaliser nos objectifs culturels en ce qui concerne les discussions commerciales, mieux que ne le fait l'approche fondée sur l'exception.

Comme l'effort ne fait que commencer et que le Canada s'est fait la figure de proue de ses initiatives—et cela ressort de la remarque de Megan concernant les difficultés qu'éprouvent les ONG au Mexique—, nous allons devoir travailler dur pour nous faire des alliés dans les Amériques et ailleurs.

Mme Copps m'a dit la semaine dernière que cela était intéressant; au moment où elle a assisté à la conférence des ministres de la Culture au mois de juin, c'était la première fois que se réunissaient les ministres de la Culture du monde—la toute première fois.

• 1555

Le fait que ces gens demandent: «Qui sont vos alliés?» constitue un bon départ. Nous commençons dans ce dossier, et il faudra énormément de travail.

Je crois que les efforts de Mme Copps et de M. Marchi devraient porter fruit dans ce domaine, mais cela prendra beaucoup de temps, et ils auront besoin d'appuis bien nourris pour y arriver.

Globalement, le gouvernement doit faire une priorité de l'élaboration de politiques visant à renforcer les industries du contenu et des médias au Canada. Si vous revenez armé d'un grand accord sur les Amériques et que les entreprises canadiennes ne peuvent tirer parti de cet accord, nous ne serons pas en bonne posture. En l'absence de telles politiques, nous ne pourrons tirer parti de ces nouveaux instruments. Nous ne pouvons permettre que cela se produise.

Je vous remercie de votre temps et de votre attention. Je suis bien disposé à répondre à vos questions.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Stein.

Le dernier témoin, mais certainement pas le moindre, est M. Barry Grills, coprésident de la Writers' Union of Canada.

Monsieur Grills, bienvenue.

M. Barry Grills (coprésident, Writers' Union of Canada): Merci.

Vous avez déjà en main un document que nous avons présenté—un mémoire ayant trait à l'OMC. Les notes dont je fais la lecture complètent ce mémoire, compte tenu des faits survenus depuis la rédaction du document. J'ose espérer aussi qu'il se rapporte de façon un peu plus précise aux Amériques.

Signalons que je suis aussi président bénévole du Cultural Agenda Lobby Committee de la Writers' Union of Canada.

En guise d'introduction, disons que la Writers' Union of Canada—je pourrais parler du syndicat des écrivains du Canada—est un regroupement de créateurs du secteur culturel dont les membres sont des auteurs de livres en tous genres. De ce fait, notre façon d'aborder la convergence de la culture et du commerce repose sur des assises assez larges. Nous tenons mordicus que la culture doit être envisagée comme bien plus qu'un produit ou une marchandise, qu'il s'agit d'un processus créatif que l'on nourrit dans un environnement culturel particulier.

En tant que Canadiens, nous sommes particulièrement sensibles à ce fait. Notre voisin le plus proche possède une puissante culture qui menace continuellement la nôtre, sinon par malice, tout au moins par le fait même de sa taille, de ses intérêts intrinsèques et de sa persistance.

Pour un créateur, la culture est un processus qui commence bien avant la production d'un bien culturel et qui émane en règle générale d'un environnement culturel diversifié. Comme l'avait déclaré mon ancienne contre-présidente, Merilyn Simonds, la culture est le droit d'une nation à s'entendre penser.

Nous estimons donc que la culture, sa diffusion et son développement constituent un droit fondamental et souverain, une liberté essentielle dont la préservation est la responsabilité et l'obligation du gouvernement national, même et surtout lorsque celui-ci est à une table de négociations portant sur le commerce ou l'investissement.

Le gouvernement canadien a traditionnellement adopté ce point de vue, le plus notablement lorsqu'il a signé, en compagnie des provinces et des territoires canadiens, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturel, sous l'égide des Nations Unies. Il s'agit là d'un énoncé clair des intentions et de droits en matière de culture que j'ai brièvement définis ci-dessus.

Si l'on n'affirme pas avec conviction que la culture est un environnement propice à la création avant même la production de tout bien culturel, cet environnement s'affaiblira et il deviendra impossible de créer un produit culturel distinctement canadien, c'est-à-dire différent des autres produits culturels.

Après avoir défini notre point de vue de façon thématique et fondamentale, il convient d'énoncer les dossiers précis qui nous préoccupent grandement.

Nous sommes extrêmement inquiets de la tendance croissant, à l'OMC et dans les autres projets d'ententes relatives au commerce ou à l'investissement, à utiliser les mécanismes de réforme des différends à propos de questions qui, à notre avis, n'ont rien à voir avec le commerce. Dans le domaine de la culture, surtout de la manière dont nous l'avons définie, les mécanismes de règlement des différends commerciaux reviennent à «privatiser» ce qui constitue en fait un différend intéressant en public souverain. De tels différends devraient être réglés à l'aide de mécanismes plus appropriés qui tiennent compte du fait que, même si le commerce fait toujours partie de la culture, cette dernière va bien au-delà du commerce en tant qu'entreprise de l'espèce humaine.

Les droits en matière de propriété intellectuelle suscitent des préoccupations du même ordre. Nous craignons fort que la tendance qui se dessine dans les ententes commerciales soit de confier la résolution des litiges en matière de propriété intellectuelle à des groupes spéciaux, ce qui menacerait les créateurs et les nations. Les droits de propriété intellectuelle ont une application traditionnelle dans les questions industrielles, mais la tendance est de les appliquer toujours davantage à la culture, ce qui devrait être débattu sur la place publique.

• 1600

Est liée à cela la nécessité d'étudier davantage la question des droits d'auteur à l'échelle internationale, étant donné surtout l'ampleur des risques de violation par des moyens électroniques des droits d'auteur individuels; il faut donc veiller à l'échelle internationale à ce que ces droits soient protégés par des mécanismes de règlement des différends légaux et publics plutôt que par des tribunaux commerciaux.

Parce que la souveraineté démocratique nationale est essentielle à la création et au développement de la culture canadienne, les divers litiges liés au chapitre 11 de l'ALENA soulèvent bien des préoccupations. Bien que ces litiges n'aient généralement pas eu trait à la culture en soi, ils ont démontré que les sociétés peuvent forcer l'abrogation de la législation de pays souverains, souveraineté qui est essentielle à la culture canadienne.

Comme vous le savez probablement, le Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur tente de mettre sur pied une entente internationale sur la culture qui protégerait la diversité de cette dernière dans le cadre d'une libéralisation des échanges commerciaux. Nous appuyons, nous aussi, une entente internationale sur la culture et travaillons en collaboration avec le GCSCE sur la question. Mon comité présentera sous peu à ce groupe un mémoire détaillé sur le sujet, à la lueur de nos rencontres récentes avec les membres de ce groupe et d'autres représentants du secteur de la culture.

Nous avons adopté pour approche d'élargir la définition de la culture dans le cadre des échanges commerciaux, pour que ce soit le bien culturel et non pas la souveraineté culturelle qui soit l'objet des échanges. Nous aidons également le GCSCE à présenter cette proposition d'accord culturel distinct aux autres nations, par l'entremise d'organes tel que le Congrès des écrivains européens; pour ce faire, nous pressons les membres de ce Congrès de s'adresser à leurs ministres du Commerce respectifs, nous leur transmettons le rapport du GCSCE et les informons de l'importance que nous attachons à la souveraineté culturelle.

Les auteurs canadiens se taillent une place de choix sur le marché mondial. Ceci tient certes à la valeur de leur travail mais également aux encouragements qu'ils reçoivent aux étapes formatrices de leur développement. Les pressions qui ne cessent de s'accroître en vue d'une élimination des programmes publics canadiens visant à protéger et à encourager la diversité culturelle menacent toutefois ce contexte, souverain et formateur, dans lequel les créateurs apprennent et approfondissent leur art. Ceci n'est pas le lot exclusif du Canada. D'autres pays de l'hémisphère occidental, États-Unis exceptés, se trouvent dans la même situation.

Nous insistons sur les principes que nous avons déjà définis en matière de culture et vous prions d'examiner le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui énonce les principes que nous estimons fondamentaux pour les droits culturels des pays souverains et que nous utilisons comme énoncé de principe pour toute entente culturelle internationale.

L'écrivain John Ralston Saul, membre de notre syndicat, signale que les ententes commerciales, outre leur fonction première, constitue un facteur de restructuration de la société. Le Canada peut jouer un rôle de chef de file dans la défense du droit culturel au processus créatif et à un contexte souverain, non seulement pour les Canadiens mais aussi pour les autres peuples.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Grills.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Merci, madame la présidente.

À regarder le graphique sur le derrière de la couverture du mémoire de M. Stein, je peux voir la taille des sociétés Time Warner et Disney Corporation. Sachant que la principale exportation des États-Unis est l'industrie du divertissement, je me demandais simplement...

Je crois bien que les groupes qui présentent ces exposés sont un peu naïfs de croire qu'ils peuvent faire adopter ce pacte international, cet accord international. Cela remonte à dix ans, au premier accord de libre-échange conclu avec les États-Unis. Je crois que les gens étaient nombreux à croire, même à ce moment-là, que cette exception ne servirait pas à protéger la culture du Canada.

Le fait que les États-Unis aient le droit d'instaurer des mesures de représailles d'un effet équivalent représente une arme très puissante, comme nous venons de le voir.

Vous avez dit, madame Williams, que les mesures de représailles n'auraient pas un effet notable, mais ce n'est certainement pas ce que me disent les représentants de certaines des industries qui vivent sous cette menace. Ils s'en préoccupent vraiment. Je crois que cela est reflété dans le fait que le projet de loi C-55 a dû être modifié.

Je ne sais pas très bien comment vous croyez en arriver à cet accord international, les États-Unis ayant cette planification massive de l'industrie en ce qui concerne l'exportation de la culture. Nous n'avons pu obtenir cela au moment du premier accord de libre-échange, nous n'avons pu l'obtenir dans le cas de l'ALENA et nous ne pourrons l'obtenir à l'Organisation mondiale du commerce. Maintenant, nous croyons arriver d'une façon ou d'une autre à ce prétendu accord culturel, qui serait lié d'une façon ou d'une autre à l'Organisation mondiale du commerce pour modifier les règles touchant les exportations culturelles.

Je vous le demande: est-ce là une position réaliste?

La présidente: Madame Williams.

• 1605

Mme Megan Williams: Je ne sais pas si vous avez lu l'édition du Maclean's qui est actuellement en kiosque, mais on y trouve un éditorial assez touchant signé Peter Newman, le grand nationaliste canadien. La conclusion de son texte disait plus ou moins qu'il est peut-être absurde de préconiser une culture nationale au Canada, mais qu'il est encore plus absurde de ne pas essayer.

Vous savez, j'aborde une bonne part de ce travail dans un esprit que l'on pourrait qualifier de pessimisme optimiste. D'une certaine façon, et surtout lorsque je regarde le graphique de Ken, je vois qu'il est absurde, devant la taille même de l'industrie américaine du divertissement, d'affirmer que nous avons le droit de nous exprimer de notre propre voix et de faire valoir notre propre culture. D'une certaine façon, je vois ce raz-de-marée qui vient nous submerger, mais, d'une autre façon, nous travaillons pour les arts au Canada. J'ai la conviction qu'il nous faut écouter des écrivains comme Peter Newman. Nous devons écouter ce qu'ils ont à dire, et nous n'aurions jamais entendu cela si ce n'était de certaines politiques culturelles qui servent à promouvoir notre industrie canadienne de l'édition. Nous n'aurions pas lu ses livres, et nous n'aurions pas vu l'histoire du Canada à travers ses yeux.

Donc, jusqu'à ce que le raz-de-marée nous emporte donc, nous sommes là pour préconiser des choses comme un pacte international qui élimine la culture de la catégorie des simples marchandises. Je vais continuer à croire que cela fonctionnera.

Quand je vois que nous avons l'appui de mes collègues et d'autres penseurs au Canada, y compris John Ralston Saul, j'ai l'impression que le poids intellectuel du pays soutient cette idée. Essayons donc.

La présidente: Monsieur Stein.

M. Ken Stein: D'abord et avant tout, vous avez raison lorsque vous parlez de la taille des États-Unis et, visiblement, ceux-ci ont des projets bien connus en ce qui concerne les Amériques. Ils sont très actifs dans le domaine du divertissement en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Je crois donc qu'ils verraient d'un mauvais oeil toute entente que nous aimerions conclure avec le Mexique ou avec d'autres pays—quant à l'effet qu'elle aurait sur les entreprises particulières qu'ils ont en principe déjà choisi de soutenir.

Par ailleurs, comme le dit Megan, nous croyons qu'il faut faire un effort de ce côté-là. Cela m'a frappé de constater, dans plusieurs discussions que j'ai eues à Washington depuis quelques mois, qu'un certain nombre d'Américains sympathisent avec nous, pour ne pas dire qu'ils appuient les objectifs que nous mettons de l'avant. Ils ont leurs propres préoccupations concernant leur propre marché en ce qui concerne la domination des grandes sociétés et l'homogénéisation des produits.

Je crois que nous avons l'occasion de discuter avec des Américains en vue de nous entendre sur une formule qui permet de mettre en place des mesures culturelles. Je crois que nous avons déjà entamé ces discussions. Comme on l'a dit, l'ambassadeur et son personnel ont eu de bonnes idées quant à la façon d'y arriver. Cela prendra peut-être du temps, mais je crois qu'il y a beaucoup plus de volonté de parler de cela et de regarder la situation, particulièrement du point de vue de la diversité culturelle. Je crois que, si nous abordons la question de ce point de vue, nous obtiendrons des appuis beaucoup plus importants.

Si vous abordez la question du point de vue de la protection, visiblement, tout appui que vous espériez obtenir aux États-Unis disparaît entièrement. Mais si vous abordez la question du point de vue... en disant «il nous faut un grand nombre de voix, toutes sortes de joueurs dans le monde»...

Je crois que la «diversité biologique» est l'exemple préféré de Mme Copps. Nous avons mis en place des mesures pour protéger la diversité biologique, et nous avons mis en place des mesures pour protéger nos droits individuels; alors pourquoi ne pouvons-nous mettre en place des mesures qui garantissent que nous pouvons améliorer et protéger les droits de nos institutions culturelles?

M. Charlie Penson: Je vous concède cela, mais si ce n'est pas une position réaliste, nous pourrions nous bercer d'illusions pendant dix années encore et croire que nous avons cette protection. Ne serait-il pas mieux d'aborder la question du point de vue d'une conduite anticoncurrentielle aux États-Unis, dans les cas où vous parlez de la domination de certaines entreprises? Ne serait-ce pas une meilleure solution que d'essayer de faire en sorte que la distribution de films se fasse de telle manière qu'on en vienne à fractionner ces organisations pour qu'elles ne puissent dominer le marché dans la mesure où elles le font en ce moment? D'ailleurs, Bill Gates est actuellement aux prises avec ce genre de poursuites.

La question, j'imagine, pour nous qui essayons de décider de la politique à adopter concernant l'accord de libre-échange des Amériques, consiste à dire qu'il nous faut ne rien signer tant et aussi longtemps que ce nouvel instrument culturel n'est pas en place?

M. Ken Stein: Non, c'est pourquoi nous avons préconisé une démarche à deux voies. Nous avons dit que nous reconnaissons—et je crois avoir dit cela la dernière fois où je me suis adressé au comité—que pour toute une série de raisons, le Canada souhaite se donner des politiques commerciales libérales. Nous sommes d'accord avec cela. Nous croyons qu'il faut s'en aller dans cette voie.

• 1610

Mais nous disons, en même temps, que nous voyons là l'occasion d'élaborer un nouvel instrument qui, essentiellement, dirait que les pays ont le droit de prendre ce genre de mesures en particulier pour protéger leurs institutions culturelles.

Nous n'en avons pas dressé une liste exhaustive, mais les États-Unis appliquent des restrictions en matière de propriété. Ils ont des lois et des règles sur la radiodiffusion. Ils ont des règles antitrust que nous considérons comme bizarres. S'ils trouvent que nos règles sont bizarres, eh bien, nous trouvons que les leurs sont bizarres aussi, mais ils ont droit à leurs lois bizarres, et nous avons droit à nos lois bizarres à nous.

M. Charlie Penson: À l'OMC, le prochain volet comportera de discussions sur le droit international régissant la concurrence. Bon nombre de ces industries évoluent dans bien des pays. Elles ne se confinent pas à un seul pays. La vôtre en est peut-être un exemple, je n'en sais rien.

Il me semble qu'il est possible de procéder de la façon que je propose et qui permettrait d'arriver à l'objectif que vous désirez. Sinon, je ne vois pas pourquoi les États-Unis signeraient ce pacte international dont vous parlez: pas plus tard que cette semaine, ils adoptaient une démarche inverse en luttant contre le projet de loi C-55.

M. Ken Stein: Je ferai deux observations.

Premièrement, au moment où j'étais à Washington pour assister à un colloque, une des observations qui m'a semblé remporter le plus grand nombre d'appuis revenait à dire: «L'OMC ne règne pas sur le monde entier». Je crois savoir qu'une telle affirmation a remporté un franc succès au Congrès américain aussi. Les membres du Congrès américain ont dit: «Eh bien, ce n'est pas l'OMC qui va nous dicter notre façon de faire.»

Assis ici, je dis: «Eh bien, pourquoi ne pas adopter la même position au Canada?» Si le Congrès américain peut le dire, nous pouvons le dire aussi.

Deuxièmement, je crois que nous entamons à peine cette discussion. Nous devons donner la chance au coureur. Nous essayons de trouver une façon d'avoir cette discussion. C'est une discussion qu'il n'est pas facile de lancer, mais je crois que nous essayons de le faire. Je crois que ce que nous disons, c'est simplement: donnons-nous l'occasion d'amorcer cette discussion.

Je crois que les gens ont l'impression que les bases sont bonnes, qu'il faut voir où cela peut aller. Je connais la position américaine sur les magazines. Essentiellement, l'initiative canadienne rend les États-Unis très réticents, très nerveux. D'après ce que je peux voir de certaines des discussions qui ont lieu aux États-Unis et de certains des documents qui y sont produits, il y a tout à coup un intérêt très vif pour les questions culturelles et commerciales, alors qu'il n'y en avait pas il y a un an. Les documents produits par les diverses cellules de réflexion s'empilent, aux États-Unis, à propos de cette question.

Le problème, c'est lorsqu'ils considèrent les mesures culturelles mises en place comme des mesures protectionnistes. C'est cela qui leur pose un problème. Lorsqu'ils y voient simplement une façon de protéger une activité commerciale, les appuis disparaissent. Mais si vous pouvez expliquer très clairement qu'il s'agit d'une chose très importante du point de vue culturel—et nous n'avons peut-être pas très bien fait valoir cet argument dans certains domaines—, alors je crois qu'il est possible d'obtenir des appuis plus importants, même aux États-Unis.

La présidente: Monsieur Grills, avez-vous quelque chose à ajouter à cela?

M. Barry Grills: Je serai très bref, madame la présidente.

Je crois que vous êtes en train de dire, d'une certaine façon, que le raz-de-marée va nous emporter de toute façon. Alors, à quoi bon?

M. Charlie Penson: Non, ce n'est pas cela.

M. Barry Grills: Pas tout à fait, mais...

M. Charlie Penson: Il ne semble pas réaliste de croire qu'ils vont signer l'accord international que vous proposez. Une meilleure méthode consisterait peut-être à aller du côté de la conduite anticoncurrentielle, là où il y a concentration, dans des entreprises comme la Time Warner où toute autre entreprise qui domine l'industrie de telle sorte que les petites entreprises ne peuvent se mettre en branle.

M. Barry Grills: D'accord. Merci.

D'abord et avant tout, nous croyons bien avoir des appuis, surtout en Europe, à l'égard de ce genre d'accord international. Le Canada est dans une position tout à fait extraordinaire, étant le voisin d'un pays si énorme. D'une certaine façon, je suis témoin de l'exercice économique américain depuis, disons, une vingtaine d'années, ce qui est un peu naïf en soi.

Comme l'a expliqué un de nos membres, M. David Suzuki, cela tient à une économie de croissance sur une planète dont les ressources sont limitées. De cette façon, je crois qu'il s'agit d'une question culturelle.

• 1615

Comme M. Stein l'a souligné, nous devons mieux faire pour véhiculer ce message et faire valoir une définition beaucoup plus précise, mais globale, pour que les Américains comprennent que, lorsque nous traitons de culture ici, nous ne parlons pas d'un bien qu'il est possible de traiter dans une optique protectionniste. Ce dont il est question ici, c'est de droits souverains fondamentaux.

Je sais que cela est difficile. Mon expérience touche pour la plus grande part l'AMI, et je pouvais voir cela là. C'était déroutant au point d'en être presque incroyable.

Je crois que nous avons l'occasion de faire cela. C'est pour cela que nous allons de l'avant.

La présidente: Formidable. Merci.

Avez-vous des questions, monsieur Tremblay?

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Merci, madame la présidente.

Pour ce qui est de la naïveté, je suis tout à fait d'accord avec vous, madame Williams: qui ne risque rien n'a rien. Voilà pour commencer. Je suis tout à fait convaincue que le gouvernement fédéral devrait encore assumer la responsabilité qu'il assumait au cours des années cinquante, c'est-à-dire de venir en aide à la culture canadienne en venant en aide aux auteurs, aux compositeurs et aux artistes en général.

Je me souviens des années cinquante, à l'époque où il y avait CBC Wednesday Night, par exemple.

Je ne suis pas aussi jeune que j'en ai l'air, je le sais.

Évidemment, ce n'est plus les années cinquante, et nous devons composer avec la mondialisation, ce qui veut dire que notre culture rayonne partout—du moins nous l'espérons—et, certainement, que d'autres cultures se rendent ici.

Je me demande si vous avez étudié les rapports qui existent entre la culture au Québec et en France, pour savoir si cela est susceptible d'être utile dans le sens où la France a aussi—je vais essayer de le dire délicatement—une culture dominatrice en langue française, particulièrement en ce qui concerne les livres et les auteurs; néanmoins, le Québec est parvenu non seulement à se défendre, mais encore à exporter ses livres grâce à toutes sortes d'ententes mercantiles avec la France. La littérature québécoise est reconnue comme étant une branche distincte de la littérature de langue française.

Je me demande si vous avez étudié ce modèle. Si tel est le cas, vous pourriez peut-être nous en parler.

L'idée de M. Stein—de passer par les éléments de la diversité, plutôt que par le protectionnisme—me paraît extrêmement importante. Mon expérience en ce qui concerne les Américains, c'est que lorsque vous leur parlez de la protection ou de l'aide gouvernementale ou de tout ce qui va à l'encontre du capitalisme pur et dur, selon moi, ils ne comprennent rien. Ils ne saisissent tout simplement pas lorsque nous parlons du rôle de l'État. Nous avons vu ce qui s'est passé dans le cas de la télévision publique, par exemple, et des arts aux États-Unis. C'est donc certainement la voie qui pourrait être prise.

Je vais poser une question concernant l'initiative de Mme Copps. L'an dernier, j'ai assisté à un souper où elle a reçu les ministres de la Culture de divers pays européens. L'union fait certainement la force. Quelqu'un—je crois que c'est vous, monsieur Grills—a mentionné cela.

Pouvez-vous utiliser cette initiative particulière? Le groupe a été mis sur pied pour relever ce genre de défi. Comment utiliser ce groupe particulier et ce genre d'initiative pour contrer les effets de l'influence américaine? Je suis d'accord avec le fait que l'influence américaine se fait sentir partout.

Voilà donc mes deux questions: la première concernant l'initiative de Mme Copps, et la deuxième, la relation entre le Québec et la France pour ce qui est de la littérature.

Merci.

Mme Megan Williams: Ma réponse à votre question sera peut-être un peu indirecte. J'ai travaillé dans le domaine culturel toute ma vie, et nous nous sommes maintes fois tournés vers le Québec pour voir l'exemple d'un gouvernement provincial qui adopte une attitude tout à fait éclairée quant au soutien de la culture.

Par exemple, le Québec est la seule province à avoir une loi sur le statut des artistes. Cela existe au niveau fédéral, mais cela n'existe dans aucune autre province du Canada. Lorsque nous nous adressons au monde des arts partout au Canada, nous prenons souvent l'exemple du Québec. Je crois que les gouvernements provinciaux, en particulier, ont beaucoup à apprendre de la façon dont le Québec traite la culture.

Nous constatons aussi que la France a une voix qui porte au plus haut point au sein du groupe de contact des ministres de la Culture, une voix qui se fait très éloquente sur les questions touchant la souveraineté culturelle et la diversité culturelle.

• 1620

Quant à la réunion des ministres de la Culture, Marlene et moi avons participé à une réunion du groupe de contact tenu ici en février, où il y avait des représentants de tous les ministères qui assistent aux réunions.

J'aborde votre question de façon très indirecte. Nous avons pris conscience du fait que le développement culturel au Canada se situe sur une échelle tout à fait différente de celle d'autres pays. Par exemple, le ministère mexicain de la Culture a reçu une invitation du Canada a participé à un colloque portant sur le droit de prêt public. Au Canada, les auteurs dont les livres se trouvent dans une bibliothèque publique reçoivent non pas des droits en contrepartie de l'usage fait d'une oeuvre, mais plutôt des droits annuels pour l'usage public fait de leurs livres. Eh bien, lorsque le ministère mexicain a reçu cette invitation, il n'avait aucune idée de ce qu'était le droit de prêt public. Il l'a simplement mise de côté, ne sachant pas de quoi il s'agissait.

Les Mexicains ont utilisé cet exemple pour souligner le genre de choses que peuvent permettre d'accomplir les conférences des ministres et des organisations non gouvernementales. Le seul fait de parler aux représentants d'autres pays du genre d'instruments dont nous disposons au Canada pour promouvoir la culture et la diversité culturelle est un processus très important. Il y a donc une forme très importante de sensibilisation qui se fait. Nous, dont le pays est bien développé, pouvons venir en aide aux autres pays de cette façon.

Il y a autre chose. Cela n'a rien à voir avec rien, en fait, mais je ne peux le passer sous silence. J'ai amené mon enfant voir La Guerre des étoiles hier soir, et tout est fondé sur des différends commerciaux. Toute la lutte, tout l'argument sont centrés sur des différends commerciaux intergalactiques. Voilà un fait ironique.

Le fait que les Américains aient dit directement, sans ambages, que rien d'autre n'est acceptable sinon la domination mondiale dans les différends commerciaux est illustré à merveille dans ce film. Je crois que cela devrait être un document obligatoire pour quiconque s'intéresse aux différends commerciaux internationaux.

Mme Raymonde Folco: Mais je crois que l'histoire de la domination mondiale était l'affaire du «méchant» dans ce film. Nous avons gagné.

Mme Megan Williams: Oui, d'une certaine façon, vous avez raison; tout à fait. Voilà une leçon intéressante. Nous devons en écrire davantage là-dessus, je crois.

Mme Raymonde Folco: Quelqu'un a une autre observation?

M. Ken Stein: Oui, à propos de la question du Canada et de la France.

Je crois que Mme Trautmann, la ministre ayant le plus de responsabilités à cet égard en France, a démontré un intérêt personnel très vif pour ce genre d'approche. Je crois qu'elle appuie vivement Mme Copps pour ce qui est d'essayer de faire progresser le dossier et qu'elle appuie très vivement l'idée selon laquelle l'UNESCO s'appliquerait davantage, par exemple, à mettre le plan d'action en branle, pour que cela se fasse. Je crois donc qu'il faut qu'il y ait ce genre de discussion.

Il est intéressant de savoir qu'aux fins de notre GCSCE, les membres originaires du Québec ont renseigné le gouvernement du Québec là-dessus. Je crois que, d'une façon générale, cela nous semble un domaine où nous pouvons travailler ensemble pour essayer de réaliser nos objectifs.

Mais ce n'est pas publié. Je pense que nous sommes sur la même longueur d'ondes. D'après certaines des discussions auxquelles j'ai assisté à Washington, je sais qu'un certain nombre de gens—je ne dis pas qu'ils viennent du Québec—s'intéresseront plus particulièrement à l'industrie du Québec plutôt qu'à l'industrie de langue anglaise du Canada.

L'autre précision que je voulais apporter, c'est que nous avons toujours eu l'impression au Canada que même si la langue française est le plus souvent protégée en raison de l'existence d'une barrière naturelle, le groupe de personnes qui forment le GCFCE et qui proviennent de partout au pays, de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve, est parvenu à mieux comprendre les problèmes qui se posent aux personnes de langue maternelle française. Je pense qu'il est en soi important de veiller à pouvoir protéger ce genre de situations dans notre pays également.

Je pense que c'est un argument que nous devons défendre aussi bien à l'échelle internationale, qu'il est important pour nous de pouvoir compter sur notre propre type de structure. Nous ne voulons pas nous soumettre au diktat des lois américaines sur la concurrence ni à la définition qu'ont les Américains de ce qui est de la culture et de ce qui n'en est pas, ni au fait qu'ils évoluent effectivement dans un marché unilingue. Bien sûr, on y parle d'autres langues, mais leur façon de voir la langue est différente de la nôtre. Leur approche de l'immigration et du multiculturalisme est différente de la nôtre, très différente.

• 1625

Je pense qu'il nous faut simplement pouvoir servir ce genre d'arguments, mais du point de vue de la langue française et du gouvernement de la France, je pense qu'il s'agit de gens qui, au moins au début des discussions, appuieront tout à fait ce genre d'approche.

Mme Raymonde Folco: Je ne sais pas si j'ai expliqué ça correctement, mais ma question concernait la relation entre la littérature française au Québec et la littérature de langue française en général et je me demandais si l'on pouvait établir en quelque sorte la même relation entre la culture américaine et la culture canadienne anglaise. Mais il semble que ce ne soit pas le cas.

Vous savez, il y a à Montréal beaucoup de livres en «français de France», comme nous disons au Québec, mais il y a aussi un marché pour la littérature canadienne française. Nous avons donc été en mesure de tenir notre bout et même d'aller de l'avant. Je me demande s'il n'y aurait pas une leçon à tirer de cela.

M. Ken Stein: C'est intéressant—et je suis sûr que Barry en sait plus à ce sujet—, mais les auteurs canadiens se débrouillent fort bien sur le marché américain; pourtant, quand je lis ce qu'ils écrivent, je me dis qu'ils sont canadiens. Ils parlent de choses qui, selon moi, sont canadiennes, ce qui ne les empêche pas d'être extrêmement populaires aux États-Unis. Alors, je pense que pour certaines parties de la culture...

Comme le disait Megan, vous êtes parfois amené à penser à autre chose. Elle a fait une allusion à La Guerre des étoiles.

Je trouve intéressant que les Américains en général soient très préoccupés par la culture, c'est-à-dire que le débat a une pertinence pour eux. Dans ce sens, ils ne sont pas des partisans stricts du libre échange. En fait, bien des membres du Congrès affectionnent beaucoup le protectionnisme et veulent pouvoir protéger les emplois américains et la façon de faire des Américains, n'est-ce pas?

Mme Raymonde Folco: De l'autre côté de l'équation, il y a la protection de leurs propres emplois...

M. Ken Stein: Exactement.

Mme Raymonde Folco: ...Pas nécessairement des nôtres.

M. Ken Stein: Et de leur façon de faire.

Mme Raymonde Folco: Oui.

M. Ken Stein: Ainsi donc, ce n'est pas une image homogène des États-Unis non plus. Par contre, s'il y a une chose sur laquelle ils s'entendent, c'est que si vous empêchez l'entrée d'un produit américain, ils vont se serrer les coudes pour vous faire changer d'idée.

M. Barry Grills: J'aimerais ajouter un commentaire là-dessus. Ce sujet m'a toujours fasciné.

Je ne mettrai pas de gants blancs: pour ce qui concerne le Québec, je pense qu'il a pratiquement été le négligé, et c'est de cette façon que nous nous percevons face aux Américains. Eux ont appris à se battre.

En ce qui concerne la France, ce qui est ironique, selon moi, c'est que le Québec est considéré comme un allié par la Writers' Union. Nous communiquons tout le temps au sujet de ces questions. La France aussi est une alliée.

Pour en revenir à ce que Ken disait au sujet des Américains, si vous demandez à l'Américain moyen de définir la culture, il vous dira que c'est d'aller à l'opéra plutôt qu'à un concert de Michael Jackson. Ce n'est pas l'idée d'une mosaïque, qui est, je crois, l'image que nous avons utilisée pour décrire ce que nous tentons de faire au Canada. Eux parlaient d'un creuset. C'est cela, pas seulement la domination de l'économie et des marchés, mais aussi cette approche semblable à la fin de l'empire romain où il y a une culture mondiale dominante qui vous absorbe dans quelque chose considéré comme très glorieux. Je pense que le problème que nous avons, ou le Québec...

Disons-le comme ceci: j'aimerais que les Américains parlent une autre langue. Cela nous aiderait beaucoup.

Des voix: Oh, oh.

Mme Raymonde Folco: À vrai dire, ils le font. Ils parlent américain.

M. Barry Grills: Ils le font, mais cela s'entend mal dans une pièce bondée.

Le président suppléant (M. Murray Calder) Dufferin— Peel—Wellington—Grey, Lib.)): Le fait est qu'ils n'en parlent pas d'autre, et nous devons nous en accommoder.

Monsieur Penson.

Mme Raymonde Folco: Je pense que Mme Chan voulait ajouter quelque chose.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Marlene.

Mme Marlene Chan: Vous avez fait quelques commentaires au sujet d'une rencontre des ministres de la Culture avec Sheila Copps et vous avez demandé comment on pourrait mettre à profit cette expérience. Je pense que ce que vous avez dit au sujet du Québec est illustré par la réunion des ONG qui a eu lieu en même temps que la réunion des ministres, parce qu'il y avait des Américains à la table alors qu'il n'y en avait pas à la réunion des ministres de la Culture.

Au Québec, il y a maintenant la Coalition pour la diversité culturelle, qui est dans une très grande mesure organisée pour travailler avec la France et pour nous offrir le point de vue d'une ONG en essayant de faire le lien entre la culture et le commerce. Je pense que nous nous rendons toujours mutuellement service. Comme nous sommes à Ottawa, nous avons des cercles et des réseaux d'information différents, et ils utilisent les leurs pour travailler avec nous et nous faisons de même pour travailler avec eux.

• 1630

Je ne dis pas que c'est une situation idéale, mais c'est l'une des façons dont ça marche. Je pense qu'il s'est réellement agi de la première organisation qui nous a demandé pourquoi nous n'abordions pas toute cette question selon le point de vue de la diversité culturelle. Ils avaient bien réfléchi à la question avant de venir à cette réunion en juin.

Je pense que les gens ont saisi la balle au bond. Je n'en entendais pas autant parler avant la réunion. Alors je crois que nous tirons des leçons de cette expérience.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Très bien.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Je tenais simplement à souligner que j'entends très souvent dire, lorsque je viens à ce genre de réunions, que les Canadiens sont menacés par la culture américaine. Je vous dirai que, selon moi, il y a probablement des millions de Canadiens qui ne se sentent pas du tout menacés et qui sont très heureux de la culture qui existe et à laquelle ils ont accès, qui leur procure beaucoup de plaisir.

Quoi qu'il en soit, j'ai une question à vous poser, madame Williams. Elle concerne un commentaire que vous avez fait dans votre exposé en disant que la réunion des ministres à Seattle constituera une occasion de discuter à la prochaine ronde de l'OMC, je présume, de ce nouvel instrument culturel.

Je suppose que ce que j'ai du mal à comprendre, c'est la façon dont les négociations se dérouleront et ce que vous proposez exactement. Si je comprends bien, la dernière ronde, soit l'Uruguay Round, s'est déroulée d'un seul tenant. On ne pouvait s'entendre sur l'un ou l'autre des objets de négociation sans s'entendre sur l'ensemble des enjeux. Il aura fallu sept ans pour y parvenir.

Je sais qu'on ne prévoit pas que les négociations dureront sept ans, cette fois, mais on s'attend à ce qu'elles durent relativement longtemps, c'est-à-dire probablement trois ans, parce qu'il y a des enjeux controversés. L'agriculture est un exemple d'enjeu qui n'a pas vraiment été assujetti aux règles commerciales et, cette fois, on espère réaliser certains gains majeurs. Le tout sera très controversé. Il y a un certain nombre d'autres enjeux.

Imaginons maintenant qu'on mette l'instrument culturel dans la balance et qu'on procède d'un seul tenant. On ne pourra s'entendre sur rien avant de s'entendre sur tout.

Est-ce bien ce que vous souhaitez? Souhaitez-vous que cette question soit abordée dans le cadre des négociations de l'OMC?

Mme Megan Williams: Tout ce que je puis vous dire, c'est que nous souhaitons effectivement que cette question soit abordée dans le cadre des négociations de l'OMC. En ce qui concerne les détails relatifs à l'élaboration de l'instrument et à son intégration, je puis vous dire que nous allons agir dans un esprit de collaboration. Il est certain que la plupart des organismes culturels ont eux aussi l'intention de faire que cela se réalise.

Je ne connais pas encore assez bien le processus pour pouvoir parler des moyens que nous prendrons pour parvenir à nos fins. Je suis simplement heureuse de pouvoir compter sur les conseils de notre comité consultatif international de même que sur des personnes qui, comme mon collègue ici présent, ont travaillé dans ce dossier. Nous allons être occupés au cours des prochaines semaines.

Ken, peut-être pourriez-vous fournir une réponse plus complète.

M. Ken Stein: À la lumière de la situation, on se demande s'il y aurait lieu de créer un groupe de travail chargé d'étudier la façon dont cette question sera abordée dans le cadre des pourparlers. Pour être tout à fait franc avec vous, l'utilité d'une telle démarche ne fait pas l'unanimité au sein du GCSCE. Devrions-nous faire fi des discussions de Seattle et dire: «Tant pis, nous allons agir par nous-mêmes», ou devrions-nous tenter d'envisager la création d'un groupe de travail?

Nous croyons M. Marchi et les fonctionnaires très sensibles à ces questions. Au cours des dernières années, les fonctionnaires se sont probablement intéressés de plus près à la question de la culture, de sorte qu'ils sont au fait de bon nombre des questions en cause. La façon dont elles seront abordées au sein du groupe de Seattle sera probablement fonction de certains des ministres du Commerce.

Le problème qui se pose, à mes yeux, est le suivant: les ministres du Commerce ne sont pas nécessairement en prise sur le domaine culturel. Selon qu'on est d'Australie, de Nouvelle-Zélande ou d'ailleurs dans le cadre de tels pourparlers, on aura un ordre de priorité tout à fait différent, établi en fonction de la situation qu'aura connue le pays concerné au cours de la dernière année.

M. Charlie Penson: Les priorités seront à coup sûr nombreuses.

M. Ken Stein: Exactement.

M. Charlie Penson: Ce sera donc l'un des nombreux objets de discussion.

M. Ken Stein: Je n'ai pas la moindre idée des éléments qu'on retrouvera dans ces ordres de priorité. Comme Megan l'a indiqué, on aura beaucoup de travail à faire au cours des prochains mois simplement pour déterminer si ces questions pourraient être confiées à un groupe de travail.

M. Charlie Penson: Si j'ai soulevé cette question, c'est parce que les possibilités sont nombreuses. Il y a d'autres organisations internationales, par exemple celles des Nations Unies et l'Organisation internationale du travail, qui ne fait pas partie de l'OMC, mais qui n'en compte pas moins quelque 160 pays membres.

• 1635

J'ai simplement l'impression que le processus s'en trouvera compliqué d'autant. Plus nous ajoutons d'éléments, et plus nous ajoutons d'éléments controversés...

Nous venons tout juste de constater l'existence d'un différend majeur entre le Canada et les États-Unis dans le dossier de la culture: j'entre tout juste du Japon, où j'accompagnais le ministre du Commerce. La Quadrilatérale, c'est-à-dire le Japon, les États-Unis, le Canada et l'Union européenne, qui comptent essentiellement pour 65 p. 100 du PIB et du commerce mondiaux, a discuté des questions qui pourraient être inscrites à l'ordre du jour de la prochaine ronde de pourparlers commerciaux. Il s'agit donc d'un assez bon point de départ.

Le règlement des questions déjà soulevées ne se fera pas sans mal. Si deux des pays qui prennent part aux discussions ont un différend dans le domaine culturel, quelles sont les chances qu'ils puissent s'entendre à l'OMC?

Mme Williams dira sans doute que nous devrions mettre le processus en branle et voir ce qui arrivera par la suite. Fort bien. Je me demandais simplement quelle était votre position à ce propos.

M. Ken Stein: La seule autre chose que je puisse dire à ce sujet, c'est que, à mon avis, Megan ne devrait pas se sentir inexpérimentée sur ce plan parce que la plupart de nos règles commerciales et les données contextuelles découlent de discussions portant sur les biens. Ce que nous ont enseigné ces pourparlers commerciaux et le processus du GCSCE au cours des dernières années, c'est que le domaine des services est tout à fait différent et que, toujours dans le domaine des services, bon nombre de relations et de liens sont aussi différents.

Ce que je pense au fond, c'est que, à moins que nous ne trouvions des moyens de régler ces problèmes—au Canada, c'est la culture, mais dans d'autres pays, ce sera l'investissement ou autre chose encore. À moins que l'Organisation mondiale du commerce ou d'autres organisations ne soient en mesure de disposer de ce qu'elles pourront considérer comme des questions extérieures et de mettre en place un mécanisme de règlement de ces questions, elles auront du mal à obtenir ce genre d'accord.

M. Charlie Penson: Un disque compact est-il un bien ou un service?

M. Ken Stein: Eh bien, lorsque vous entendez la musique qui est stockée, c'est un service.

Des voix: Oh, oh.

M. Charlie Penson: Il s'agit cependant d'une autre question controversée.

M. Ken Stein: Oui, mais, voyez-vous, nous sommes aux prises avec ce problème parce qu'on a défini un magazine comme un bien. Au GCSCE, nous pensons que la question de savoir s'il s'agit d'un bien ou d'un service n'est pas pertinente; ce qui importe, c'est qu'on considère qu'il s'agit d'une entité, d'un produit culturel.

M. Barry Grills: Peut-être pourrais-je pousser la réflexion un peu plus loin. Ce que vous voulez dire, je crois, c'est que, lorsqu'on discute du commerce, tout devient un bien, un service, un produit ou un investissement, et c'est ce qui pose problème. Or, nous sommes fermement convaincus que la culture, dans certains aspects fondamentaux, est au-dessus de ces questions terminologiques. Quoi que nous fassions, quel que soit le niveau auquel nous intervenons, c'est là le point de vue que nous devons adopter. Quelqu'un a perdu de vue la notion de ce qu'est la culture à titre de droit humain fondamental.

Lorsqu'on la définit de façon stricte comme un bien ou un service vendu, on perd de vue son caractère unique. Ce n'est pas un disque compact. D'abord, quelqu'un a écrit une chanson, et il a écrit une chanson parce qu'il venait du Canada, ou du Québec, ou qu'il...

Mme Raymonde Folco: En fait, le Québec fait toujours partie du Canada.

M. Barry Grills: C'est ce que je voulais dire. J'aurais pu parler du Nouveau-Brunswick ou d'ailleurs.

Mme Raymonde Folco: D'accord. Je vous demande pardon.

M. Barry Grills: Traditionnellement, le Canada a pris des mesures qui rendent compte de cette réalité, mais tout ramener au commerce comme on le fait actuellement est un phénomène relativement récent. C'est un peu comme si, dans ce cas précis, nous procédions à rebours.

Je pourrais peut-être tracer une brève analogie pour expliquer ce que je vais dire. À mes yeux, nous avons une maison, et cette maison renferme des personnes qui ont des occupations, des motivations, des ambitions fondamentales, et ainsi de suite. Dans la maison, on retrouve des écrivains, des politicologues, et toutes sortes de personnes. Il y a aussi des personnes qui font du commerce.

Depuis quelques années, on est témoin du phénomène suivant: les personnes qui font du commerce disent: «C'est moi qui suis la personne la plus importante de la maison.» Très bien, excepté qu'on fait subitement fi de toutes les autres personnes qui vivent dans la maison.

M. Charlie Penson: Toutes ces questions n'ont-elles pas un volet commercial?

M. Barry Grills: Oui, c'est vrai, mais...

M. Charlie Penson: N'y a-t-il pas un intérêt commercial?

M. Barry Grills: Oui, je vends des livres, mais, dans ma liste de motivations humaines, cette activité vient à peu près au cinquième rang.

M. Charlie Penson: C'est vrai, mais qu'arrive-t-il lorsque nous abordons cette question du point de vue de ce que nous pouvons faire pour que cet accord culturel se matérialise et que l'un des principaux enjeux est la souveraineté de chacun des pays, c'est-à-dire sa capacité de protéger sa culture? Que faites-vous des artistes canadiens qui travaillent dans d'autres pays?

• 1640

Vous savez, nous vivons à côté d'un gigantesque marché auquel la plupart des artistes canadiens rêvent d'accéder. Si les États-Unis décidaient de protéger leur souveraineté en ne nous permettant plus d'y faire des affaires, si vous voulez, qu'arriverait-il aux artistes canadiens qui dépendent lourdement du marché américain? En d'autres termes, c'est un jeu qui se joue à deux. N'ont-ils pas le droit de montrer un peu les dents dans ce dossier?

M. Barry Grills: Je pense que le fait que nous ayons été en mesure de vendre des livres aux États-Unis n'a strictement rien à voir avec le commerce. À mes yeux, le phénomène s'explique simplement par le fait que le livre est...

Lorsqu'on publie un livre aux États-Unis, quelque chose d'inhabituel se produit. À supposer que l'action se déroule en Ontario, l'Ontario deviendra l'État de New York. On ne demande pas que les livres américains vendus ici et dont l'action se déroule dans l'État de New York soient modifiés de façon que l'action se déroule en Ontario.

Le problème qui se pose ici, c'est que nous sommes confrontés à un grand pays qui ne reconnaît pas la culture, nous essayons d'en venir à une entente avec un certain nombre d'autres pays qui la reconnaissent probablement, afin de leur faire comprendre qu'il existe bel et bien quelque chose qu'on appelle la culture.

Lorsqu'on occupe le haut du pavé au point où le graphique l'indique, on n'a pas à reconnaître la culture...

Nous avons l'intention de leur faire comprendre que la culture existe bel et bien et que le livre que j'écris et dont l'action se déroule en Ontario se déroule bel et bien en Ontario même pour un lecteur de l'Alabama. L'Ontario est un lieu réel.

M. Charlie Penson: Pour en revenir de façon plus concise à ma question, que faites-vous du phénomène Céline Dion? Elle tire la plupart de ses revenus du travail qu'elle effectue aux États-Unis. Il en va de même pour k.d. lang et d'autres artistes canadiens. Que faire de ceux qui travaillent dans l'industrie cinématographique à Hollywood?

Si j'ai bien compris, nous parlons de la souveraineté culturelle dans l'intention de protéger ici notre marché à l'intention de nos productions canadiennes et des artistes canadiens qui souhaitent travailler et s'épanouir ici. Ils ont aussi besoin du marché américain. Ne craint-on pas de soulever un nouveau problème?

M. Barry Grills: Je n'ai pas le sentiment que nous cherchions à protéger le marché canadien. Ce que nous essayons de faire, c'est protéger le milieu culturel à l'origine du travail culturel. Il s'agit non pas de protéger le marché, mais bien plutôt le milieu culturel. Je crois que c'est à cela que tient la différence.

Ken, vous avez cité avant la réunion un exemple concernant les Canadiens qui font carrière dans l'industrie cinématographique aux États-Unis. Que me disiez-vous? Je ne veux pas vous couper l'herbe sous le pied, mais c'était très intéressant.

M. Ken Stein: Je ne suis pas certain de me rappeler cet exemple particulier, mais le fait est que, à mon avis, personne ne tente d'ériger des barrières ni rien du genre. Nous avons beaucoup plus souvent utilisé l'exemple suivant: dans le cadre d'autres pourparlers commerciaux, nous avons trouvé des moyens de cerner des secteurs où les gens de métier, les gens de l'intérieur, s'en remettent à d'autres secteurs d'exportation comme—d'accord, tout dépend des accords conclus dans ce domaine.

Par exemple, il y a l'OIT. Bon, l'OIT n'est peut-être plus aussi importante qu'elle l'était ou ne vient peut-être plus tout à fait aussi haut sur l'écran radar, mais, dans les régimes relatifs aux biens, elle a à coup sûr joué un rôle particulièrement important. Il y a des accords environnementaux qui sont négociés de façon autonome et auxquels la plupart des accords commerciaux se réfèrent—eh bien, parfois. Peut-être la culture et l'environnement ont-ils davantage en commun sur ce plan. Dans le domaine des télécommunications, il est certain que tous les accords sont tributaires de la gestion du spectre assurée par l'UIT.

Tout ce que nous avons dit, c'est qu'il y a place à la tenue de telles discussions et à la conclusion de tels accords. Voilà comment nous aimerions procéder.

En ce qui concerne la question de l'accès, la question, à mes yeux, est la suivante: dans quelle mesure les Canadiens auront-ils l'occasion de se faire valoir s'ils n'ont pas accès aux véhicules de communication canadiens? C'est difficile, mais k. d. lang, Céline Dion ou Shania Twain auraient-elles réussi si, au Canada, elles n'avaient pas eu accès aux stations de radio qui font jouer leurs disques, le temps tout au moins de démarrer? Pour les artistes, la question de l'accès revêt une importance énorme.

• 1645

Au Canada, ma société possède la chaîne Country Music Television. Lorsque le CRTC a rayé CMT, la version américaine, de la liste, je n'ai eu aucun mal à défendre sa décision dans les émissions de ligne ouverte des quatre coins du pays. Je disais: Combien de Canadiens entendiez-vous sur les ondes de la chaîne Country Music Television lorsque c'était un service par câble américain? Ils n'étaient guère nombreux. Aujourd'hui, on entend des Canadiens. L'un des aspects les plus populaires du travail que nous faisons a trait au soutien et à l'épanouissement des chanteurs country canadiens. Il s'agit d'un volet important de notre mission.

De toute évidence, ils ne vendent pas beaucoup de disques compacts, mais cela représente une partie importante de notre mandat. Le travail que nous effectuons dans les petites collectivités, etc., constitue simplement un aspect de l'ensemble. Voilà ce qu'il importe de pouvoir préserver. Nous ne demandons pas de faveur particulière pour Shania Twain, et nous ne cherchons pas à protéger l'industrie canadienne de la musique. Il s'agit d'une question tout à fait différente. C'est un problème à caractère purement commercial. Nous voulons cependant garder au Canada la capacité d'avoir nos propres méthodes et de faire ce genre de choses.

L'autre volet de ce phénomène qui concerne votre question me ramène au point que j'ai tenté de soulever, mais sur lequel je suis passé vite. À titre de Canadiens, nous devons nous-mêmes faire davantage. Nous avons, je crois, mis au point notre propre petite structure, et il est intéressant de constater que, dans certains domaines, nous sommes très forts.

L'exemple que j'ai utilisé avec Barry a trait aux journaux. Dans le monde entier, nombreux sont ceux qui considèrent les journaux comme un phénomène culturel. Au Canada, ce n'est pas le cas. Nous avons plutôt tendance à considérer les personnes qui s'occupent des journaux comme ce qu'elles sont—très solides et très avisées sur le plan économique, et capables de soutenir la concurrence mondiale. C'est un constat agréable.

À mes yeux, les journaux sont culturels. Nous nous sommes donnés les moyens de faire en sorte qu'il en soit ainsi.

La radio constitue un autre exemple des plus intéressants. De nos jours, la plupart des émissions sont captées en direct. Lorsqu'on roule le long de l'autoroute 401, qu'on traverse St. Catharines, le sud de l'Ontario ou une autre région, on capte toutes ces excellentes chaînes radiophoniques américaines, y compris la plupart de celles de Buffalo. Cela n'a aucun effet sur nos propres chaînes. Au sein du marché, elles se tirent extrêmement bien d'affaire. Inutile de nous protéger contre les États-Unis. Ce que je veux dire, c'est que c'est déjà la réalité. Lorsqu'on est dans sa voiture, on peut capter ces chaînes. Le problème, c'est simplement qu'elles n'ont aucune incidence. Nos chaînes radiophoniques remportent des succès incroyables parce que nous avons été en mesure de les rendre pertinentes.

Alors, oui, il y a des choses que le Canada devrait faire et que l'industrie canadienne devrait faire pour devenir plus forte. À mon avis, il y a des questions auxquelles nous ne prêtons pas suffisamment d'attention.

Au fur et à mesure que nous nous avancerons dans ces pourparlers commerciaux, Mme Copps, M. Manley, M. Marchi et M. Martin devraient s'intéresser au moyen de consolider l'industrie canadienne. Au fur et à mesure que notre culture s'internationalise, nous allons avoir besoin d'une capacité plus grande de soutenir nos artistes, et c'est l'une des questions que nous devons examiner.

Dans le cadre des pourparlers commerciaux, on a par le passé, en vertu d'un mécanisme existant, obtenu que l'étude de certaines questions soit confiée à un groupe de travail, qui avait pour mandat de proposer des idées qui étaient examinées au cours des six mois suivants.

En ce qui concerne la discussion de Seattle, pour en revenir à ce que vous disiez, je pense que c'est tout ce que nous demandons en regard de ce genre de discussion.

Le président suppléant (M. Murray Calder): D'accord.

Dans le même ordre d'idées, Ken, juste avant de passer à Mme Folco, j'aimerais aussi poser une question.

Si nous arrêtons un tel accord sur la culture—et c'est ce à quoi nous nous employons actuellement—, je tiens à savoir à quelle fin il sera utilisé. Allons-nous l'utiliser à l'intérieur des limites de l'OMC, où 134 pays vont devoir donner leur accord—en d'autres termes, nous allons l'utiliser de façon multilatérale—, ou allons-nous l'utiliser en marge de l'OMC, auquel cas nous allons tôt ou tard l'utiliser de façon bilatérale, comme nous le faisons aujourd'hui avec les États-Unis dans le cadre du projet de loi C-55? Où allons-nous l'utiliser?

M. Ken Stein: C'est une très bonne question parce que les possibilités sont très nombreuses. Sur ce point, je pense que les préférences des diverses parties varient.

Un tel accord, à mes yeux, irait au-delà de l'OMC. La meilleure tribune que nous ayons trouvée jusqu'ici consiste en une approche qui s'apparente à l'UNESCO, en vertu de laquelle nous conclurions un accord que soutiendrait le plus grand nombre de pays possible, y compris les États-Unis. Essentiellement, un tel accord porterait que, au moment où nous entrons dans le XXIe siècle, il existe dans le domaine culturel un certain nombre de choses que nous sommes autorisés à faire.

Il ne s'agit pas que de questions commerciales. Il y a un éventail d'autres mesures que nous sommes autorisés à prendre pour protéger nos cultures dans nos pays. Ce serait, je crois, le premier choix.

• 1650

Le GCSCE s'est toutefois penché sur la question du point de vue commercial. Nous l'avons donc abordée du point de vue de l'OMC, de l'AGCS, de la discussion sur les Amériques et d'autres aspects du même genre. Nous étions d'avis que, dans le cadre de pourparlers commerciaux, il devrait reconnaître l'existence de ce type d'instruments ainsi que le fait qu'il est possible de prendre, à l'aide de ce type d'instruments, certaines mesures qui ont un effet sur le régime commercial.

Nous n'avons pas été en mesure d'aller plus loin.

J'ai à ce propos mes propres idées. J'aimerais rencontrer un comité d'experts. Il y en a un certain nombre au Canada, y compris Peter Grant et M. Bernier. Aux quatre coins du monde, on en trouve d'autres qui possèdent une certaine expertise dans le domaine du commerce et de ce genre d'enjeux. J'aimerais qu'on leur confie le mandat de mettre au point une certaine terminologie provisoire à propos du fonctionnement précis qu'aurait un tel mécanisme et de la façon dont il s'intégrerait dans l'OMC. À mon avis, c'est ce qu'il faut faire.

Je crois savoir que les ministères du Patrimoine et du Commerce pensent qu'on devra faire davantage au niveau intergouvernemental avant que cela ne se produise. C'est probablement ainsi qu'on procédera.

Le président suppléant (M. Murray Calder): D'autres commentaires?

Megan.

Mme Megan Williams: Tout ce que je voulais dire, c'est que c'est pour l'essentiel l'opinion que nous avons à la CCA. À l'occasion de notre dernière comparution devant le comité du MAECI, nous avons pressé le gouvernement canadien d'adopter une approche proactive de ces questions et de convoquer une rencontre internationale à l'occasion de laquelle le pacte pourrait être élaboré.

Le président suppléant (M. Murray Calder): L'une des choses qu'on nous a dites, c'est qu'il existe apparemment un consensus général en vertu duquel les règles que nous établirons, à supposer que nous choisissions de le faire, devraient l'être sur le plan international et que les autres accords commerciaux devraient s'appliquer à l'intérieur des limites de l'OMC, sans contredit dans les limites de ces paramètres.

Dans le domaine de la culture, il me semble que, à supposer que nous adoptions une approche bilatérale, nous nous retrouverons, lorsque tout aura été mis en place, avec des centaines d'ententes différentes, qui sont presque identiques, mais pas tout à fait. L'administration serait beaucoup plus facile si les accords étaient tous identiques—dans l'hypothèse où une telle chose est envisageable.

Barry.

M. Barry Grills: Je pense que, autour de la table, le fait qu'il doit pratiquement s'agir d'un document mondial fait l'unanimité. Dans mon exposé, j'ai mentionné le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui existe déjà. Le Canada l'a déjà ratifié. Il suppose l'adhésion des gouvernements infranationaux de sorte que toutes les provinces l'ont signé aussi.

Je parle de mémoire. Je n'ai pas d'exemplaire du document avec moi. J'ai donné le dernier à quelqu'un d'ici à propos de l'AMI.

Il a fallu 70 pays et dix ans pour que l'instrument accède au statut d'accord international. Sur le plan philosophique, on y définit la culture au sens où nous l'entendons, laquelle y est enchâssée en tant que droit international. On y établit une distinction entre les produits en désignant ces derniers par ce qu'ils sont, à savoir des produits. À titre de document mondial, dans ce cas—et je ne voudrais pas passer pour son principal partisan et promoteur—, il porte sur des questions à partir desquelles nous pourrons en venir à un accord international.

Je fais ici une mise en garde. La recherche que j'ai effectuée sur ce document s'est faite au niveau de l'OCDE, et, parmi les 29 pays membres de l'OCDE, 27 l'ont signé et deux s'en sont abstenus. La Turquie ne l'a pas fait, pas plus que, bien entendu, les États-Unis. Je tenais à le dire.

Le président suppléant (M. Murray Calder): D'accord.

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Je dois partir, mais je tenais auparavant à faire un dernier commentaire.

En abordant la question de la culture et du commerce, vous avez, je crois, fait allusion à ce que les Français appellent les règles du jeu—c'est-à-dire les modalités.

• 1655

Il me semble que les modalités auxquelles la plupart d'entre vous travaillez sont tout à fait différentes de celles auxquelles les Américains travaillent à l'OMC. Dans un cas, on parle de commerce et de biens, et vous parlez de culture. C'est presque comme si vous ne parliez pas la même langue. Vous comprenez leur langue, mais je ne suis pas certaine qu'ils comprennent la vôtre.

M. Ken Stein: Ils ne la comprennent que trop bien.

Mme Raymonde Folco: Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas.

À propos de Céline Dion, par exemple, il ne suffit pas de dire qu'il existe à Montréal une industrie de la musique qui a été en mesure de soutenir Céline Dion à ses débuts, c'est-à-dire lorsqu'elle était très très jeune. On doit également tenir compte du fait—et je cite l'exemple du Québec parce que, de toute évidence, je viens de cette province, mais j'aurais tout aussi bien pu prendre un exemple dans n'importe quelle autre province du Canada—qu'il y a une culture.

Lorsqu'on parle d'auteurs ou de compositeurs plutôt que de personnes qui chantent ou qui interprètent, on parle de quelque chose qui existe dans un territoire, qu'il s'agisse d'un pays ou d'une province, de quelque chose d'indéfinissable. Et pourtant, on peut écrire quelque chose qui fait partie de ce tout indéfinissable.

Écrire un livre canadien, ce n'est donc pas tout à fait la même chose qu'écrire un livre américain. À nos yeux, tout au moins, il y a une différence. Cela ne vaut peut-être pas en Europe, mais pour nous, il y a une différence. La personne qui a écrit le livre a été en mesure de plonger ses racines dans ce qu'il y a ici, dans cette réalité palpable que nous appelons la culture, et qui est presque indéfinissable.

À mes yeux, c'est là le problème. Comme les modalités sont si différentes, on doit, lorsqu'on veut vendre un livre, d'abord parler de la personne qui l'a écrit. D'où lui en est venu le sujet? Comment est-elle parvenue à transformer le sujet, l'idée abstraite qui a germé dans son esprit, en quelque chose qu'on peut reconnaître comme de la littérature canadienne, non seulement du point de vue du contenu, mais aussi de celui du style?

Il est très intéressant de constater que nous n'avons pas parlé de cette question aujourd'hui. Et partout, il me semble que c'est essentiellement ce dont nous devrions parler dans le cadre de discussions sur la culture. Nous évoquons la préservation de cette réalité indéfinissable que nous appelons la culture ou les cultures canadiennes. Je pense qu'il y en a plusieurs.

D'une certaine façon, je crois que les Américains et peut-être les personnes qui nous font face de l'autre côté de l'océan ne sont pas disposés à aller dans cette direction et à parler dans ces termes, et partout, ce sont des termes qui nous sont chers. D'après ce que je peux voir, ils sont à la base de tout le reste. Sinon, pourquoi nous donnerions-nous le mal d'en parler? Sinon, les Américains ne nous posent aucun problème.

Ce n'était qu'un commentaire. Ce n'est pas une question, mais je constate que certains hochent la tête.

Le président suppléant (M. Murray Calder): Barry.

M. Barry Grills: C'est exactement l'idée que je cherchais à faire passer, à savoir qu'il existe une sorte de terreau culturel d'où le produit est tiré. À cet égard, Céline Dion constitue un excellent exemple. Dans mon mémoire, je crois avoir utilisé les mots «étapes formatrices». Dans toute entreprise culturelle, on note des étapes formatrices au cours desquelles l'artiste doit être encouragé. Au Canada, il existe une tradition en vertu de laquelle on entend cet appel pour ensuite y répondre.

Lorsque, enfant, Céline Dion chantait sur les tables du restaurant de ses parents, l'environnement en question avait quelque chose de culturel. Lorsqu'elle leur a dit: «Je veux être une chanteuse célèbre», ses parents ont répondu: «Eh bien, vas-y.» Du point de vue culturel, je ne crois pas que cela aurait pu se produire en Ontario, ni en Saskatchewan, ni ailleurs. Cet exemple montre bien l'influence du terreau québécois. C'est alors qu'entrent en scène les étapes formatrices. Elle n'est pas automatiquement devenue une super vedette. Au Québec en particulier, mais aussi dans l'ensemble du Canada, il y avait des mécanismes qui lui ont parmi de parvenir à ses fins.

Ce phénomène est très difficile à définir, en particulier au profit d'un Américain, et il est presque impossible à définir lorsqu'on réfléchit en termes commerciaux. Comme je l'ai indiqué, le commerce fait partie de notre culture. C'est l'une des choses que nous faisons en tant que culture. Je tiens à souligner cette reconnaissance.

• 1700

Le président suppléant (M. Murray Calder): D'autres commentaires?

À la lumière de ce que nous avons entendu jusqu'ici à propos des enjeux portant sur la ZLEA, je pense—pour reprendre, Megan, l'approche de la Guerre des étoiles—que nous allons avoir besoin de la sagesse de Yoda pour parvenir à nos fins. Espérons que la force sera avec nous lorsque nous entreprendrons les négociations de l'OMC et de la ZLEA.

Nous constituons une documentation détaillée. Une des choses que nous avons constatée, c'est que nous sommes incontestablement beaucoup plus avancés qu'au moment de notre arrivée au pouvoir en 1993. Dans un certain nombre de dossiers, l'agriculture étant mon principal point d'intérêt, nous commençons à nous sentir de plus en plus à l'aise avec les positions commerciales et les positions de négociation que nous avons.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier beaucoup de vos témoignages et des renseignements que vous nous avez fournis. Ils nous aideront à établir notre position.

La séance est levée.