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SRID Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 16 mai 2001

• 1544

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

• 1545

Les membres du comité recevront tous la transcription de ces audiences et ils les liront. Je ne voudrais pas que vous ayez l'impression que notre jugement sera moins important parce que nous ne sommes que trois actuellement à cette table.

Nous entamons notre troisième audience sur la situation en Colombie. Nous avons la chance d'accueillir aujourd'hui trois témoins qui en savent long sur le sujet. Il s'agit du Pr Christina Rojas, universitaire colombienne qui enseigne actuellement à l'Université Carleton. Bienvenue. Le Pr Hal Klepak enseigne au Collège militaire Royal de Kingston. Nous accueillons de nouveau Luis, et nous sommes toujours très intéressés par ce qu'il a à nous dire. Il travaille à Peace Brigades International, sur le terrain, en Colombie.

Je ne sais pas si on vous a expliqué comment nous procédons, mais nous consacrons généralement 10 minutes à chaque exposé, puis nous passons aux questions.

Pouvons-nous commencer par vous, madame Rojas?

Mme Christina Rojas (professeure adjointe, École des affaires internationales Norman Patterson, Université Carleton): Tout d'abord, je tiens à remercier le comité de m'avoir invitée à discuter de la situation en Colombie et à proposer des solutions de rechange pour le Canada.

Je tiens d'abord à féliciter l'ambassade canadienne du travail important qu'elle réalise en Colombie, mais je suis également convaincue qu'on peut faire davantage. J'ai trois questions à poser. Premièrement, que s'est-il passé en Colombie? Deuxièmement, dans quelle mesure est-il important pour le Canada d'appuyer le processus de paix? Troisièmement, que peut faire le Canada?

Je propose trois grandes orientations. La première, c'est que le Canada devrait accroître son appui constant des initiatives de paix dans la société civile. Deuxièmement, le Canada peut renforcer ses liens avec la Colombie. Troisièmement, à l'échelle internationale, le Canada peut essayer d'influer sur la position américaine en matière d'aide militaire et d'éradication pour l'orienter vers des programmes de développement de rechange.

Premièrement, quelle est la situation actuelle en Colombie? Je vais vous présenter brièvement la situation des droits de la personne en Colombie dans la vie de tous les jours. Il faut signaler qu'en Colombie, près de 70 personnes sont tuées chaque jour, dont 20 pour des raisons socio-politiques. Parmi ces 20, cinq meurent au combat et les 15 autres sont des militants politiques, des syndicalistes, des défenseurs des droits de la personne qui sont tués dans les rues, dans leur foyer ou à leur travail. Chaque jour, 12 enfants meurent dans la violence, neuf autres sont kidnappés et 822 sont chassés de leur foyer. La plupart des personnes chassées de leur foyer sont des femmes et 53 p. 100 sont des enfants.

La croissance des groupes paramilitaires vient compliquer encore la situation des droits de la personne. En 1987, les groupes paramilitaires comptaient environ 650 membres; aujourd'hui, ils en comptent de 6 000 à 8 000. Les groupes paramilitaires commettent 76 p. 100 des meurtres pour raisons politiques. Cinq pour cent sont commis par des agents de l'État et 20 p. 100 par la guérilla.

Les droits sociaux et économiques sont également pertinents à la guerre intestine en Colombie. En 1999, le revenu par habitant était au même niveau qu'en 1995. La Colombie, un pays de 33 millions d'âmes, compte 22,7 millions de pauvres. Le taux d'emploi est de 20 p. 100 et le PIB a diminué de 4,5 p. 100 en 1999. Les programmes d'ajustement structuraux ont contribué à l'accroissement de la pauvreté et à la mauvaise distribution des revenus.

• 1550

Il importe également de mentionner que les droits culturels sont également violés en Colombie. Les communautés afrocolombiennes et indigènes sont les cibles des groupes paramilitaires et de guérillas. Il faut également signaler que 90 p. 100 des meurtres ne sont pas motivés par la politique. Cela signifie qu'il règne au pays une intolérance envers les homosexuels, les sans-abri et les enfants des rues. On y mène une campagne illégale de purification ethnique. À cette situation s'ajoute une forte proportion de violence contre les femmes et les enfants.

Les politiques nationales et internationales modifient la situation des droits de la personne en Colombie. D'une part, comme on l'a reconnu dans le rapport sur les droits de la personne et des Nations Unies, il y a en Colombie une polarisation accrue. Cette polarisation a pour conséquence, entre autres, une tendance à appuyer les solutions autoritaires au conflit.

Le problème actuel, c'est que nous sommes en période préélectorale, puisqu'il y aura élection présidentielle l'an prochain, et que cette polarisation se traduit sur ce qui se fait en politique. Par exemple, le Sénat est saisi d'un projet de loi sur les mesures de guerre. Certains des articles de ce projet de loi vont à l'encontre des normes internationales en matière de droits de la personne, entre autres en ce qui a trait au recours aux forces armées pour détenir des particuliers sans mandat, etc. Ce projet de loi est semblable à la Loi sur la sécurité nationale de 1970.

Il y a également polarisation dans les sondages sur les élections. Alvaro Uribe, un homme politique intransigeant, est en très bonne place dans les sondages. Il critique vertement le processus de paix du président Pastrana et appuie les groupes privés d'autodéfense.

Dans le contexte de cette polarisation, il faut tenir compte de l'aide de 1,3 milliard de dollars qui est versée à la Colombie. Ce plan, comme vous le savez, a été critiqué pour plusieurs raisons. Je vais en mentionner quelques-unes.

L'un des problèmes, c'est que 75 p. 100 de cette somme sert à payer l'équipement militaire.

M. Eugène Bellemare (Ottawa—Orléans, Lib.): Excusez-moi, cette somme est-elle en dollars canadiens ou américains?

Mme Christina Rojas: En dollars américains. Il s'agit d'une aide de 1,3 milliard de dollars US à la Colombie. Près de 75 p. 100 de cette somme sert à payer de l'équipement militaire, et ce, dans un pays où les besoins sociaux sont si grands.

Deuxièmement, il y a aussi la «narcotisation» des problèmes sociaux et politiques. On considère que le trafic de stupéfiants est le principal facteur de violence et qu'il est principalement concentré dans le sud de la Colombie, qui est le territoire du FARC.

Par exemple, on ne mentionne pas dans le plan que les groupes paramilitaires ont également augmenté leur production de coca. On a aussi critiqué la fumigation car elle est nuisible pour l'environnement. En outre, cette stratégie d'éradication de la coca est inefficace.

Les Nations Unies et la Colombie ont toutes deux produit un rapport sur le programme de lutte contre les stupéfiants. D'après ce rapport, le nombre d'hectares sur lesquels on cultive la coca a augmenté de 60 000 depuis 1999. Cela correspond à peu près au nombre d'hectares où cette culture a été éradiquée. Cela montre que l'on a beau mettre fin à la culture quelque part, elle ira s'établir ailleurs. Également, les pays voisins s'inquiètent de ce que la production pourrait être transférée au Venezuela, au Brésil ou en Equateur.

À l'heure actuelle, l'éradication est jugée de plus en plus insatisfaisante. Les gouverneurs du sud de la Colombie ont manifesté leur désaccord. À l'heure actuelle, 20 000 Indiens et paysans ont entrepris une marche du sud de la Colombie vers Cali pour protester contre la violence.

Même les membres du Congrès américain se sont dits insatisfaits du plan. Benjamin Gilman, qui était l'un des grands partisans de ce plan, y a retiré son appui.

Michael Shifter, du groupe Inter-American Dialogue, a également résumé les principales critiques de cette stratégie militaire. Il dit entre autres que l'armée ne respecte pas les droits de la personne et que certaines de ces violations sont bien documentées. Le problème, pour les États-Unis, c'est qu'ils devront s'engager dans une situation dont il leur sera difficile de se retirer.

• 1555

M. Shifter a recommandé au président Bush d'adopter une approche multilatérale complète à plus long terme. La nomination de John P. Walters, un conservateur pur et dur, montre que le président s'oriente peut-être vers une augmentation de l'intervention militaire.

Mais tout n'est pas aussi sombre. Nous croyons qu'il y aussi des choses positives. Parmi ces choses, il y a l'appui international au processus de paix. Le FARC et l'ELN ont convenu d'autoriser leurs alliés d'autres pays à participer au processus de négociation. Le Canada, et c'est important, participe aux comités. L'Union européenne a également approuvé un investissement de 304 millions de dollars pour la création de laboratoires de la paix. L'agent de lutte contre la drogue des Nations Unies en Colombie a également reconnu que les groupes paramilitaires participent au trafic des stupéfiants.

Il importe également de signaler les pressions qu'exerce la Commission des Nations Unies sur les droits de la personne. La Commission a annoncé qu'elle conserverait son bureau de Bogota jusqu'en 2002. Elle appuiera le processus de paix en Colombie, elle reconnaît les progrès des négociations avec les FARC et l'ELN, et se dit heureuse de la participation de la communauté internationale au processus de paix.

Tant le gouvernement que le Parlement canadiens devraient continuer de surveiller ce qui se passe dans cet important pays des Andes et partenaire du Canada.

Quelle importance la Colombie revêt-elle pour le Canada? La Colombie est importante pour le Canada à l'heure actuelle, mais elle le sera encore plus à l'avenir, en tant que partenaire commercial potentiel. L'investissement au Canada est important. Le Canada, étant membre de l'OEA, s'est montré engagé à protéger les droits humains. Je crois qu'il est important que le Canada se soit taillé une réputation dans la région, notamment en Colombie, grâce à sa participation à des missions de consolidation de la paix.

Le fait que les FARC et l'ELN aient choisi le Canada pour faire partie du groupe de médiation confirmera la confiance dont jouit le Canada auprès du gouvernement colombien et des forces en conflit en Colombie. Il est également important de reconnaître la longue tradition du Canada en matière de paix et le rôle qu'il joue, et qu'il pourrait éventuellement jouer, dans le processus de négociation, soit par le truchement du Centre canadien international Lester B. Pearson pour la formation au maintien de la paix, soit de concert avec les communautés et les peuples autochtones.

La dernière partie concerne ce que le Canada devrait faire. Le Canada a déjà donné son approbation à un plan d'action canado-colombien. Je pense que les ONG et autres organisations devraient appuyer ce plan d'action. Décidée à mettre l'accent sur la consolidation de la paix, l'ACDI a déjà débloqué 60 millions de dollars sur cinq ans et collabore avec les Nations Unies et la Croix-Rouge.

En outre, je propose la recommandation suivante. Premièrement, il faudrait étendre le soutien permanent de l'ACDI et du CRDI aux initiatives de paix lancées par la société civile. Il est impératif d'assurer le suivi et la mise à jour du plan d'action selon la tournure que prennent les événements en Colombie.

J'appuie les propos de l'ambassadeur du Canada en Colombie. En effet, il est important de mettre en oeuvre des projets concrets qui facilitent le rétablissement de la confiance. Je crois qu'il est tout aussi impératif de soutenir l'articulation d'une stratégie qui propose des solutions de développement au niveau national, et non uniquement au niveau local, notamment en ce qui a trait aux politiques sociales et aux politiques en matière d'équité.

• 1600

Il faudrait accroître les efforts du CRDI pour la consolidation de la paix, de même qu'il faudrait renforcer les programmes d'aide aux femmes et aux enfants.

En ce qui concerne la deuxième stratégie, celle qui consiste à raffermir les liens institutionnels entre le Canada et la Colombie, je pense qu'il est important d'établir des liens entre les universités et les instituts de recherche et de proposer des solutions de rechange socio-économiques aux négociations de paix.

Deuxièmement, le Canada pourrait appuyer une initiative universitaire colombienne pour aider à l'élaboration de politiques au Canada et à l'intention de la Colombie, et ce faisant, engager les universitaires, les ONG et les décideurs à échanger sur la Colombie. De plus, le Canada pourrait animer le débat sur la Colombie et former l'opinion publique à ce sujet.

Le Canada pourrait organiser des visites de professeurs universitaires, de dirigeants syndicaux et de défenseurs des droits humains, notamment ceux dont la vie est menacée et qui doivent quitter le pays. Je crois qu'il est important qu'une délégation parlementaire se rendre en Colombie et se fasse une idée générale de la situation là-bas ainsi que de l'aide dont le pays a besoin.

Enfin, au niveau international, le Canada pourrait éventuellement influencer la position américaine au chapitre de l'aide militaire et de la lutte contre l'analphabétisme en l'orientant davantage vers l'élaboration de programmes de rechange. L'échec de la stratégie de lutte contre l'analphabétisme, les conséquences du déplacement interne et externe, l'extension du Plan Colombie aux pays avoisinants, la crainte de plus de violations des droits humains et la pauvreté sans cesse croissante sont autant de facteurs qui commandent la révision du Plan Colombie.

La tradition pacifique du Canada et sa réputation dans la région ainsi que la crédibilité dont il jouit auprès des différentes forces en conflit le placent dans une situation privilégiée qui lui permet de faire office de médiateur auprès des acteurs internationaux, notamment les États-Unis, pour les convaincre de réviser la stratégie actuelle de lutte contre l'analphabétisme et d'aide militaire.

Je vous remercie.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Madame Rojas, j'ai un exemplaire de votre mémoire ici. Il sera traduit, puis distribué aux membres du comité.

Je vous remercie.

Monsieur Klepak, vous avez la parole.

M. Hal P. Klepak (professeur, Histoire et stratégie, Collège militaire royal du Canada): Je vous remercie, madame la présidente.

[Français]

J'aimerais tout d'abord complimenter l'ambassade et surtout l'ambassadeur canadien en Colombie.

Nous sommes souvent gâtés par nos diplomates outre-mer. Le travail que ce monsieur et son équipe ont accompli en Amérique latine, surtout en Colombie ces dernières années, est absolument extraordinaire.

Ma présentation comportera trois parties. Je ne parlerai pas de mes suggestions. Je n'ai pas nécessairement de suggestions très élaborées à faire, mais peut-être pourrait-on en parler pendant la période de questions. Je vais d'abord parler de la guerre, et pourquoi elle ne finit pas. Je vais parler ensuite du contexte militaire et, pour terminer, du contexte régional, c'est-à-dire diplomatique de cette zone qui est de plus en plus compliquée, de plus en plus dangereuse.

[Traduction]

Je commencerai par vous dire pourquoi, à mon avis, la guerre ne se termine pas. Quand le Canada examinera la situation, il sera important de garder à l'esprit certaines questions. Il n'y a rien qui oblige réellement les deux parties, notamment les guérilleros, à venir s'asseoir à la table des négociations, tout comme il n'y a rien qui force les autres parties—comme vous avez dû l'entendre à plusieurs reprises, il y a bien plus que ces deux parties qui sont en cause—à venir négocier avec un réel désir de parvenir à une paix. Je ne crois pas que l'on soit encore rendu à cette étape-là.

D'une manière générale, et surtout dans le contexte des insurrections en Amérique latine, certains indicateurs laissent entrevoir de fortes chances de rétablissement de la paix en Colombie. Les gens se demandent fréquemment: «Comment se fait-il alors que la guerre ne se termine pas?» À cela, je répondrai que ces indicateurs qui laissent entrevoir de fortes chances de réussite montrent également qu'aucune des deux parties ne pourra gagner militairement. Dans l'ensemble, les deux parties en conviennent. En fait, les autres forces belligérantes savent qu'elles n'ont aucune chance de prendre le pouvoir.

• 1605

La guerre dure déjà depuis très longtemps, et c'est pourquoi tout le pays semble exténué, et pas uniquement les deux principaux belligérants. C'est souvent ce qui pousse les parties à entamer de véritables négociations. En outre, le public manifeste de plus en plus sa volonté de rétablir la paix, volonté qui est exprimée tous les jours par des centaines de milliers de personnes de toutes sortes de façon. En Amérique centrale, cela a déjà été, et continue d'être, une recette pour la paix, mais il ne s'agit pas ici d'Amérique centrale.

En ce qui concerne le gouvernement, ou plutôt l'élite dans son ensemble, si je peux me permettre d'utiliser ce terme, cette élite estime qu'elle n'a pas à faire de compromis sur des enjeux cruciaux se rapportant aux programmes des insurgés ou à la réforme, d'une manière générale.

Même si l'on a l'intention de modifier la ley del bachellerato—il s'agit malheureusement d'une loi, et je n'en dirai pas plus, qui permet aux enfants des riches de se soustraire au service militaire—personne, à moins d'être vraiment naïf, ne pense que la guerre sera faite sur le dos de l'ensemble de la population plus que cela n'a été le cas par le passé. En d'autres mots, c'est une guerre faite par les pauvres contre les pauvres, que l'on fasse partie de l'armée, des troupes paramilitaires ou des insurgés.

Les riches n'ont pas l'impression que la guerre les touche chez eux. Comment est-ce possible? Ce n'est pas que les riches n'ont pas été séquestrés, ni qu'ils n'ont pas été kidnappés ou qu'ils n'ont pas eu de problèmes. Je ne prétends pas que l'élite n'a pas souffert. Je dis simplement que l'élite s'est trouvée le moyen, avec le temps—en engageant des services de sécurité privés, en envoyant leur famille, surtout les enfants, à l'étranger et en réduisant et en répartissant leurs avoirs—de se prémunir contre les contrecoups qu'a connus l'économie au cours des dernières années. Les riches ont donc trouvé le moyen de se protéger contre l'essentiel de la débâcle économique.

Parallèlement à cela, les insurgés, à mon avis, n'ont pas vraiment de raison de faire des compromis. Ils savent tous qu'ils courent de graves dangers personnels étant donné que les groupes qui les ont précédés à la table des négociations ont conclu des accords avec le gouvernement. Ils risquent tous d'être éliminés une fois l'accord de paix conclu. D'autre part, et c'est peut-être ce qui importe le plus, leur situation financière n'a jamais été bonne. Ils n'entrevoient pas de réelles perspectives de réforme en conséquence de la paix. Au plan militaire, ils n'ont jamais été en meilleure posture qu'au cours des trois dernières années. Le recrutement est facile, et je pourrai invoquer d'autres éléments durant la période des questions.

Il est difficile d'imaginer que les parties conviendront d'une paix dans le contexte d'une guerre de cette nature, guerre qui ne cesse de se décentraliser de façon inhabituelle depuis le début, depuis les années 1960 et surtout durant les années 1990.

[Français]

Ayant dit cela, j'aimerais parler un tout petit peu de ce contexte militaire. C'était une longue guerre qui attirait extrêmement peu d'attention internationale. Ce qui a changé cet état de chose, ce sont les victoires extraordinaires des insurgés dans les derniers quatre ans. C'est ce qui a tout changé: l'optique de Washington, l'optique de la presse internationale, l'optique des capitales à gauche et à droite en ce qui concerne les enjeux en Colombie. Il y a eu des attaques extrêmement importantes dans des contextes extrêmement conventionnels, des contextes de guerre conventionnelle, qui ont eu très peu à faire avec les idées traditionnelles d'insurrection, comme l'emploi d'armes sophistiquées dans des attaques de cibles militaires sophistiquées.

Le Plan de Colombia frappe, mais ne sera pas décisif. Ce comité a probablement déjà vu qu'à Washington et à Bogotá, on a tendance à faire entendre des trompettes comme quoi on avance très bien, mais même les plus optimistes parlent de l'éradication de 20 p. 100 des sources financières de la guérilla ou, au moins, des guérillas les plus importantes. Alors 20 p. 100 de chute dans les revenus de ces organisations, c'est quand même, en fin de compte, presque risible.

Les possibilités de retraite vers des zones de distension ont changé la guerre. Les insurgés peuvent se rétablir après des défaites, là où ils ont des défaites.

• 1610

Les forces armées s'améliorent sous l'entraînement des Américains; les insurgés aussi. Et la guerre est énormément plus compliquée—et déjà le professeur Rojas a fait mention de cela—à cause des Autodefensas, des paramilitaires et de leur croissance.

Le respect des droits de la personne s'améliore, surtout chez les forces armées, mais il est important de souligner que, jusqu'à un certain point, les forces armées sont moins tentées par les abus en matière de droits de la personne à cause du fait que les Autodefensas sont beaucoup plus efficaces, beaucoup plus répandus pour faire le travail pour eux.

[Traduction]

Les voisins... Je dirais qu'il y a un genre de conspiration du silence, peut-être de bonne volonté, mais néanmoins une conspiration du silence entre les cinq capitales qui entourent la Colombie, les cinq pays limitrophes. On veut donner l'impression qu'on favorise le processus de paix et on ne veut pas mettre Bogota dans l'embarras.

On note toutefois derrière cette conspiration du silence un véritable malaise face à l'absence extraordinaire de consultation quant au Plan Colombie, non seulement de la part des États-Unis, ce qui n'est après tout pas nouveau quand on a affaire à une grande puissance, mais également de la part de la Colombie elle-même. Ce malaise était très clair à la réunion des ministres de la Défense des Amériques où la séance d'information sur ce que devait être ce plan colombien dans lequel les États-Unis ne jouent qu'un rôle secondaire a été donnée exclusivement par les représentants des États-Unis au niveau ministériel, tout comme à d'autres réunions, en particulier à Bogota, où, à chaque fois, les cinq ambassadeurs en question on dit qu'ils se surprenaient qu'il n'y ait pas eu du tout de consultation sur l'incidence du Plan Colombie sur le mouvement des réfugiés, sur l'environnement, etc.

La réponse des cinq voisins a dans tous les cas, sans exception, été militaire. Au Venezuela, qui est le pays le plus fortement touché, il y a des dizaines de milliers de militaires et des membres de la Garde nationale et de la police qui multiplient les activités pour essayer de contrôler une frontière aussi longue et complexe que celle qu'a ce pays avec la Colombie.

Au Panama, dont l'armée a Dieu merci été abolie en 1989 dans la foulée de l'invasion américaine, l'absence d'armée signifie que l'on a armé la police comme si c'était une armée, comme cela s'était fait sous Noriega et d'autres par le passé. Pourquoi? Pour dissuader ou repousser les insurgés qui voudraient passer la frontière.

Le Brésil qui, comme le sait certainement le comité, est une grande puissance régionale, a déployé beaucoup de troupes dans la région de l'Amazone qui est extrêmement vulnérable. Il est évident qu'une des premières priorités de défense pour le Brésil est actuellement de contrôler sa frontière avec la Colombie. Pratiquement tous les exercices à tous les niveaux se font dans cette optique, et le déploiement d'avions, de troupes, de navires et même de satellites dans ce contexte a pris une ampleur exceptionnelle.

L'Équateur, comme nous l'avons vu à l'occasion de l'enlèvement de certains Canadiens, a été terriblement touché ces dernières années, alors qu'auparavant on avait un peu l'impression qu'on laissait faire. L'Équateur a été très touché par le Plan Colombie, tout comme le Pérou. Dans les deux cas, les pays ont réagi avec leur force militaire, ce qui est très dommage.

Le résultat est que nous avons maintenant une frontière militarisée sur les cinq fronts possibles.

Les États-Unis, dernier de ces facteurs internationaux, sont évidemment très présents. Je ne m'inquiète pas beaucoup d'intervention directe; je crois que cela coûterait trop cher politiquement dans le pays. Nul doute cependant que le gouvernement des États-Unis veut donner l'impression d'être un intervenant sérieux, mais jusqu'ici, son action n'a pas été coordonnée avec la région ni même dans le contexte de la politique intérieure des États-Unis. Le Plan Colombie n'a pas de volet qui concerne les États-Unis.

[Français]

Les conclusions pour le Canada. Je ne vais pas discuter de mes suggestions. J'espère que quelques éléments vont ressortir après dans la discussion, mais j'aimerais simplement dire, au sujet des enjeux—et je suis d'accord avec le professeur Rojas—qu'ils sont grands. Il est extrêmement difficile de savoir où s'insérer. Il n'y a pas de réponse facile. Le processus de paix est à la fois sérieux et pas très sérieux, et doit être sur le qui-vive. C'est un processus de paix extrêmement centralisé et cela complique nos traditions de «Track II» lorsqu'il s'agit de ce genre de processus. Le problème, comme je l'ai mentionné auparavant, est tellement féodal que pour s'y attaquer facilement, il faut le faire. Alors, je pense qu'il va falloir agir avec attention, en reconnaissant qu'on traite d'une démocratie faible où les forces armées posent encore des difficultés, tout comme la police, et où, pour l'instant, on est encore loin d'une solution.

Merci.

• 1615

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci. Vous nous avez apporté une carte.

M. Hal Klepak: Oui.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): En espagnol.

M. Hal Klepak: Oui, parce qu'on m'a dit qu'il serait bon de ne pas avoir l'une ou l'autre langue.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): C'est en effet très sage. Merci de l'avoir apportée.

Monsieur van Isschot, vous avez la parole.

M. Luis van Isschot (représentant nord-américain, Projet de la Colombie, Peace Brigades International): Bonjour. Merci beaucoup de nous donner cette occasion d'échanger avec vous. Peace Brigades International s'inquiète beaucoup de la sécurité des défenseurs des droits de l'homme en Colombie, des militants d'action communautaire et des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays.

Je m'appelle Luis van Isschot. Je suis le coordonnateur nord-américain du projet des brigades de paix en Colombie. J'ai personnellement passé une année sur le terrain et j'y suis retourné au moins à cinq occasions pour des périodes de deux à huit semaines au cours des dix-huit derniers mois. Ma dernière visite remonte à environ un mois et beaucoup de ce que je vais vous dire aujourd'hui reflète certaines des études récentes que nous avons faites avec nos équipes sur le terrain au mois d'avril.

Créé il y a plus de six ans à la demande des travailleurs colombiens des droits de la personne, l'organisme Peace Brigades International, ou PBI, offre actuellement ce que l'on appelle un accompagnement de protection aux membres de 20 organisations non gouvernementales colombiennes, ainsi qu'à trois groupes de personnes déplacées à l'intérieur du pays. Dans le cadre de notre travail, nous entendons des témoignages de particuliers, de groupes et d'organismes touchés par la violence politique. Nous avons également été témoin de campagnes de terreur visant à saper les activités légitimes et indépendantes pour la défense des droits de la personne.

Pour ma part, j'ai traversé des points de contrôle paramilitaires situés tout près des bases de l'armée régulière. J'ai participé à l'étude médico-légale des corps criblés de balles d'étudiants tués lors d'un raid de la guérilla. Les exemples sont innombrables et, dans le cadre de nos activités, nous sommes tous les jours témoins de ce genre d'incident.

Nous avons 37 bénévoles attachés à quatre bureaux régionaux en Colombie, à l'heure actuelle, de sorte que le PBI représente l'une des organisations non gouvernementales internationales les plus importantes de Colombie, venant au deuxième rang derrière le Comité international de la Croix-Rouge.

Pour éclairer votre lanterne, l'accompagnement interne est conçu comme une façon de transformer le conflit, ce qui permet à des tierces parties de préserver l'espace politique nécessaire à la protection des droits de la personne. Pour notre part, nous ne sommes pas un groupe de promotion des droits. Nous sommes fondamentalement engagés à l'égard d'une stratégie impartiale et non interventionniste. Nous ne dénonçons pas les auteurs de violations des droits de la personne, pas plus que nous ne faisons de lobbying au sujet de l'ordre public.

Il y a précisément trois ans, dans la petite ville industrielle de Barrancabermeja, où j'ai habité pendant un an, 25 personnes ont disparu et 7 autres ont été tuées lors d'un raid paramilitaire de nuit. J'étais à Barrancabermeja ce soir-là et les semaines qui ont suivi. Pendant toute cette période, mes collègues et moi avons accompagné les familles des victimes. Mes collègues de Barrancabermeja—où nous avons une équipe de neuf personnes—continuent d'accompagner les familles des victimes, ainsi que bon nombre des représentants des organisations sociales et de défense des droits de la personne qui ont demandé la tenue d'une enquête approfondie et transparente sur les faits de cette affaire.

Je voudrais vous inviter à marquer un instant la mémoire des victimes du massacre du 16 mai. Je vais vous lire un extrait d'une lettre que j'ai écrite peu après le massacre, et où je rappelle les événements qui se sont déroulés au cours des premiers jours qui ont suivi.

[Français]

Dimanche matin, nous avons appris qu'un massacre s'était produit à quelques kilomètres dans un district ouvrier de la petite ville portuaire de Barrancabermeja. Miguel, volontaire espagnol pour le PBI, accompagnait Osiris Bayter, à ce moment présidente de Credhos, la Corporation régionale de droits humains. Lorsqu'il nous a téléphoné pour nous annoncer la nouvelle, les détails n'étaient pas encore clairs et personne ne savait exactement combien de personnes avaient été tuées. Mais vers la fin de la journée, le corps de José Javier Jaramillo avec ceux de six autres jeunes étaient apparus dans un centre funéraire où les amis et familles commençaient à se réunir.

• 1620

José était un jeune plutôt réservé et contemplatif, qui adorait jouer les Tamboras, musique folklorique traditionnelle de la rive de la vallée de Magdalena Media. C'est à travers l'OFP, l'Organisation populaire des femmes, que nous avons connu José. Lorsque Miguel nous a donné des nouvelles du massacre, je me suis senti paralysé, comme si j'avais heurté le mur de l'incrédulité. Mais les nouvelles rapportant la mort de José ont subitement fait tomber ce mur, me laissant blessé et vulnérable.

Au cours des jours suivants, à mesure que les informations et les rumeurs arrivaient, nous nous vîmes envahis par des émotions contradictoires et douloureuses. Je me souviens qu'une fois, on m'a dit que les informations concernant José étaient fausses et qu'il n'avait pas été tué. Pendant quelques instants, brillants et horribles, j'ai voulu croire que c'était un autre José qui était mort.

Plus tard, lorsque des amis m'ont confirmé les informations initiales, l'horreur m'a accaparé de nouveau. À partir de là, nous avons fait un pas de plus en vivant cet accompagnement, un des plus intenses que nous ayons expérimenté dans les mois vécus en équipe. Pendant ces jours, nous avons découvert une nouvelle perspective dans notre travail. Malgré notre apparente impuissance devant cette violence, je crois que nous avons acquis une conviction beaucoup plus forte sur la contribution, si humble soit-elle, qu'apportent les PBI dans la lutte pour la paix en Colombie.

Ces jours et ces nuits passés en contact avec les membres de Credhos et de l'OFP, maintenant la vigile à côté des barricades, ont eu raison de nos défenses émotives, nous laissant plus d'espace pour créer des liens avec les gens qu'on accompagne ici.

[Traduction]

Une organisation paramilitaire se faisant appeler Forces d'autodéfense de Santander et de César du Sud a revendiqué la responsabilité du massacre. Toutefois, il y a eu très rapidement une querelle entre ceux qui prétendaient que les membres des forces de sécurité colombiennes avaient participé au massacre et ceux qui soutenaient que les paramilitaires avaient agi de manière indépendante.

Je n'ai pas l'intention de débattre de cette question. Néanmoins, je pense qu'il fallait signaler cette affaire cruciale.

Si j'ai décidé de commémorer le massacre du 16 mai 1998, c'est entre autres parce que cela représente à mon avis un exemple paradigmatique. En d'autres termes, cela constitue un prélude macabre à un drame encore plus effrayant qui a atteint son paroxysme en décembre dernier, lorsque les forces paramilitaires ont établi des bases d'opération dans les quartiers pauvres de la ville de Barrancabermeja.

Au cours de l'an 2000 uniquement, une horrible guerre civile a fait plus de 500 victimes dans la ville. Selon les rapports de témoins étayés par des groupes locaux de défense des droits de la personne, le 22 décembre dernier, une centaine d'éléments paramilitaires sont entrés dans le quartier nord-est de la ville, en saisissant les maisons abandonnées et inhabitées. Un mois plus tard, la nuit du 20 janvier, une brigade paramilitaire a attaqué le district sud-est de la ville, en tuant trois personnes et en saisissant plusieurs maisons.

Malgré la présence accrue des policiers et des militaires dans ces quartiers, les paramilitaires continuent de se livrer à des confiscations, des menaces, des saisies de domicile, etc., en faisant pression sur les jeunes et des familles pour qu'ils dénoncent les prétendus sympathisants guérilleros.

Le 27 janvier, deux hommes se faisant passer pour des membres des Forces unies d'autodéfense de la Colombie, ou AUC, sont arrivés au centre des femmes dirigé par l'OFP, en exigeant que les femmes travaillant aux cuisines leur donnent les clés de l'immeuble. Lorsque les femmes ont refusé de se plier à cette demande, ils ont fait dire au coordonnateur de l'OFP qu'il devait aller parler à un prétendu commandant Fredy. À 13 h 05, le même jour, en présence d'un membre des PBI, un des paramilitaires qui avait menacé les femmes plus tôt ce jour-là est arrivé à l'OFP et a répété qu'ils allaient saisir le centre des femmes, «en enfonçant la porte et en écrasant tous ceux qui se mettraient sur leur chemin».

À ce moment, la police nationale est arrivée; elle a arrêté et inculpé le paramilitaire Luis Eduardo Perez Bernal. Or, deux jours plus tard, le 29 janvier, il a été libéré.

D'après l'OFP, on l'a revu depuis dans la région, circulant avec le même groupe paramilitaire.

Quelques jours plus tard, le 8 février à 7 h 55, un membre des PBI accompagnait l'OFP lorsque deux hommes armés en civil lui ont demandé de leur remettre son passeport et son téléphone cellulaire. Il a d'abord demandé pourquoi il devait accéder à une telle demande, mais il a été contraint d'obtempérer.

• 1625

Au moment où ils quittaient le centre communautaire des femmes, l'un de ces deux hommes, montrant le membre des PBI, a dit: «À partir de maintenant, tu es une cible militaire des forces d'autodéfense.»

La réaction de la communauté internationale, en particulier de l'ambassade du Canada en Colombie, a été vive et très appuyée. Des organismes locaux, nationaux et internationaux se sont dits légitimement préoccupés de voir un organisme humanitaire de grande réputation ciblé de cette façon. Le passeport du membre des PBI a été restitué peu de temps après et un cadre local du groupe paramilitaire a fait une déclaration reprise dans la presse pour dire qu'il n'avait rien à reprocher aux PBI.

Pour l'instant, nous sommes satisfaits de pouvoir continuer notre travail à Barrancabermeja, mais il convient de remarquer que l'expansion des forces paramilitaires de droite restreint considérablement les possibilités d'intervention des militants des droits de la personne et des activistes sociaux; il en va de même, de façon générale, pour tout le contexte de polarisation de la ville. Et cette tendance, comme on l'a déjà dit aujourd'hui, je crois, n'est nullement spécifique à cette ville, même si ce cas particulier me semble révélateur à plusieurs titres.

Avant de conclure, je vais donner un autre exemple de portée plus nationale. Le collectif d'avocats José Alvear Restrepo est un organisme non gouvernemental de défense des droits de la personne basé à Bogota et qui jouit d'une réputation internationale; il oeuvre en Colombie depuis une vingtaine d'années. Les PBI accompagnent les membres de ce collectif depuis cinq ans. Actuellement, à cause des menaces renouvelées et de la crainte généralisée qui sévit dans la capitale colombienne, les PBI ont intensifié leurs opérations d'accompagnement des membres du collectif, qui sont menées au besoin 24 heures sur 24. Les PBI ont fait part de leurs préoccupations lors de rencontres avec des hauts fonctionnaires, des militaires et des diplomates.

Pour mieux situer cet organisme, je dirais que lors d'une perquisition menée dans le cadre d'une enquête criminelle sur une tentative d'assassinat sur la personne du syndicaliste Wilson Borja, les autorités colombiennes ont trouvé une photo du membre du collectif et militant des droits de la personne Alirio Uribe Munoz, ainsi que des détails concernant ses adresses à la maison et au bureau.

Ce qui importe ici, c'est que l'agression du syndicaliste Borja a été revendiquée par Carlos Castano, dirigeant des groupes d'autodéfense AUC. La perquisition était effectuée chez l'un des hommes soupçonnés d'avoir agressé M. Borja lors de cette tentative d'assassinat, ce qui a fait craindre qu'on ait aussi donné l'ordre d'assassiner M. Uribe.

Le 5 mai, M. Uribe a fait l'objet d'une autre menace de mort lorsque son nom est apparu dans un tract annonçant une offensive paramilitaire dans la ville de Bogota ainsi que l'exécution d'un certain nombre de personnes désignées nommément. D'après la même source, un autre militant syndical, qui a été assassiné le 3 mars de cette année, avait déclaré une semaine avant sa mort que son nom apparaissait avec ceux de trois autres personnes, dont un autre membre du même collectif d'avocats, sur la liste des personnes qui devaient être exécutées, apparemment par des groupes paramilitaires.

J'insiste sur le fait que les membres du collectif d'avocats interviennent dans d'importantes affaires d'atteinte aux droits de la personne, qui dépassent les frontières de la Colombie et dont on parle au niveau international. Ces avocats ont été menacés à maintes reprises et certains d'entre eux ont été contraints à l'exil. À Barrancabermeja et dans de nombreuses régions du pays, des militants des droits de la personne ont été obligés de chercher refuge à l'étranger ou dans d'autres régions de la Colombie. On constate ainsi une tendance inquiétante selon laquelle l'espace disponible pour les militants de l'action humanitaire et des droits de la personne se restreint sous l'effet d'un conflit polarisé, et en particulier de la croissance exponentielle des groupes paramilitaires d'extrême droite.

Ma seule recommandation au comité, c'est que nous travaillions ensemble et que nous restions vigilants dans l'aide que nous apportons aux solutions non violentes proposées par la société civile colombienne pour résoudre le conflit, ainsi qu'au travail essentiel réalisé par les organismes colombiens de défense des droits de la personne.

Lorsque je suis intervenu devant le comité permanent en décembre 1999, j'ai invité les députés présents à se rendre en Colombie pour constater eux-mêmes l'urgence de la crise qui sévit dans ce pays. Mon invitation s'est répercutée dans de nombreux milieux, c'est pourquoi j'aimerais conclure en disant encore une fois combien il serait important qu'en tant que parlementaires canadiens, vous rencontriez les défenseurs colombiens des droits de la personne dont j'ai parlé cet après-midi.

Merci.

• 1630

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

La parole est à M. Dubé.

[Français]

M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Étant donné que j'ai manqué une bonne partie des présentations pour être présent à d'autres réunions, je ne ferai qu'un commentaire pour remercier de nous apporter des témoignages comme le dernier que j'ai entendu. Je veux aussi vous dire que je ne me suis pas absenté par manque d'intérêt pour cette grave question.

Nous allons discuter avec les membres de ce comité et des autres pour voir comment on pourrait appuyer tout ce que vous dites, qui est bien triste.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Si vous n'avez pas d'objection, monsieur Bellemare...

Luis, nous vous avons déjà rencontré et je me suis déjà entretenue avec vous. Vous savez que nous avons présenté une résolution après avoir entendu votre récit de ce massacre en 1999, lorsque vous êtes venu ici. Ce qui est très frustrant pour vous, bien sûr, mais aussi pour nous en tant que parlementaires, c'est que nous parlons constamment d'atteintes aux droits de la personne et j'ai l'impression que nous tournons en rond et que ce ne sont que des paroles en l'air.

Qui a-t-il du côté des bons? Avec qui le gouvernement canadien travaille-t-il? Y a-t-il des bons? Vous parlez de la société civile et des défenseurs des droits de la personne; qui les protège? Avec qui travaillons-nous?

Monsieur Klepak.

M. Hal Klepak: Faute de mieux, je pense qu'il faut travailler avec le gouvernement. On ne peut pas métamorphoser entièrement la Colombie et nous n'avons pas le droit de faire une telle proposition. Nous sommes un pays souverain et nous voulons être considérés en tant que tel, au même titre que n'importe quel autre pays. Notre gouvernement est un gouvernement démocratique qui, selon les normes latino-américaines, n'est pas si mauvais. Depuis plusieurs décennies, le pays connaît les circonstances de la guerre, qui ont des conséquences dramatiques. La Grande-Bretagne serait dans un bien triste état aujourd'hui si elle avait tenté, en 1940, de mener une guerre aussi sauvage tout en préservant les attributs de la démocratie. C'est principalement avec le gouvernement que nous devons travailler, ne serait-ce que pour fournir une plate-forme de soutien aux ONG qui travaillent sur le terrain. Je pense que c'est inévitable.

En Colombie, il est bien difficile de distinguer les bons des méchants. Chacun se croit dans le camp des bons—ce n'est pas nouveau—mais les insurgés, qu'on accuse d'être des narcotrafiquants, affirment qu'ils agissent dans une perspective marxiste-léniniste de progrès de l'humanité, en fonction d'un idéal d'un monde meilleur. L'armée compte un grand nombre d'officiers et de soldats sincères et convaincus d'agir pour le bien de tous, et même si c'est beaucoup plus difficile à admettre, les autodefensas sont convaincus, malgré les moyens qu'ils emploient, qu'ils préservent la civilisation chrétienne.

C'est bien ce à quoi on peut s'attendre dans les affaires humaines. C'est bien triste. Je considère que nous devons interagir avec le gouvernement, tout en reconnaissant, comme je l'ai dit, que la démocratie colombienne est bien faible. Toute la Colombie est marquée par le narcotrafic; ce n'est pas simplement le fait des guérilleros. Comme je l'ai dit, les groupes d'autodéfense ne sont nullement à l'abri du narcotrafic, pas plus que le législatif, le judiciaire ou quelque autre institution. La gauche est coupable elle aussi. Cela nous amène à travailler avec les éléments irréprochables de la société civile.

• 1635

Je suis au regret de dire, j'espère que mes collègues seront d'accord avec moi, qu'il existe en quelque sorte en ce moment une industrie des ONG, un peu comme ceux qu'on a vus en Amérique centrale dans les années 1980, soit une explosion de milliers d'ONG littéralement, qui appliquent les mots d'ordre de la communauté internationale. Je crois donc que nous avons grandement besoin de nos propres ONG sur le terrain, qui pourront nous dire qui fait le bien et qui fait avancer des idées avec lesquelles nous pouvons être d'accord. Nous devons repérer ces organisations et concentrer nos efforts sur elles, me semble-t-il.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Le gouvernement protège-t-il ces organisations vouées aux droits de la personne?

M. Hal Klepak: En théorie, oui, mais comme le disait Luis, je pense que nous avons de sérieuses difficultés. Une des choses pour lesquelles nous sommes si souvent remerciés—et l'ACDI le sait fort bien—c'est que nous réussissons parfois à faire venir un chef syndical au Canada pour quelques mois de telle sorte qu'il ou elle puisse disparaître de la liste noire. Cette solution peut vous paraître absurde, mais c'est un service qui est très apprécié parce que c'est quelque chose de concret. On se trouve ainsi à brouiller quelque peu l'ordre des assassinats, et cela peut à tout le moins retarder les choses un peu. Officiellement, l'État fonctionne toujours. Il existe un dispositif de sécurité en place, mais il est plus connu pour son manque d'efficacité que son efficacité, je crois qu'on peut le dire.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Il existe une preuve abondante indiquant que le gouvernement soutient les forces paramilitaires. Je ne crois pas qu'elles soient rétribuées, donc se paient-elles avec le pillage de la guerre? Je ne comprends pas pourquoi un gouvernement élu démocratiquement aurait besoin des forces paramilitaires pour contrer une guerre civile comme celle-là.

Mme Christina Rojas: Je comprends vos questions, mais en Colombie, il n'y a jamais de réponses faciles. La Colombie est un pays très complexe. Mais je dirais que le gouvernement en Colombie est issu d'une longue tradition démocratique.

Pour vous donner un petit exemple de ce qui peut se faire en dépit de la guerre qui sévit en Colombie en ce moment, je dirais que les dernières élections étaient réussies. Dans quatre des cinq grandes villes, où résident entre 70 et 80 p. 100 de la population colombienne, des maires indépendants ont été élus, et ils n'appartenaient pas au parti traditionnel. Donc, au niveau local, on peut voir qu'il y a dans les municipalités un respect pour la démocratie et l'indépendance.

Plusieurs maires ont été assassinés. Des personnes qui oeuvraient au niveau gouvernemental et judiciaire ont été assassinées. Des candidats de la gauche et des partis libéral et conservateur ont été assassinés. Ils se battent pour la démocratie et pour leurs convictions.

En ce qui concerne les forces paramilitaires, je dirais que ce sont définitivement eux, les méchants. Tout le monde considère maintenant qu'ils constituent le principal obstacle aux négociations de paix. Il est important de neutraliser les forces paramilitaires. Celles-ci ne sont pas soutenues par le gouvernement. Le gouvernement a déclaré son opposition aux forces paramilitaires, et celles-ci ne sont considérées comme un partenaire dans la négociation. Ce sont de véritables tueurs et des bandits. On ne peut pas négocier avec eux, le gouvernement l'a dit très clairement.

• 1640

Le problème, c'est qu'aux premiers échelons des forces armées, il existe des rapports entre les forces paramilitaires et les soldats. Mais ce n'est pas une politique gouvernementale. Je crois qu'il y a une décision importante à prendre même s'il serait difficile de la mettre en oeuvre. Il y a eu plusieurs situations où le gouvernement aurait pu intervenir mais n'a rien fait, plus particulièrement en ce qui concerne les premiers échelons. Ces faits ont été prouvés.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Luis, voulez- vous ajouter quelque chose?

M. Luis van Isschot: J'ai quelques brèves observations à faire au sujet de ces diverses questions. Comme tout le monde ici présent, ceux d'entre nous qui sont membres des Brigades de la paix ont été vivement impressionnés par le rôle qu'a joué l'ambassade du Canada. J'aimerais que chacun d'entre nous continue de soutenir le travail qu'elle accomplit pour la défense des droits de la personne en Colombie. Cela veut dire, d'une part, qu'il faut continuer, comme on l'a dit, d'aider les personnes qui ont besoin de fuir la guerre en Colombie et de venir au Canada pour quelque temps, mais d'autre part, cela veut dire aussi qu'il faut défendre les gens sur le terrain, les gens qui comptent rester et faire ce travail.

Je crois sincèrement que l'ambassade du Canada et Ottawa réussissent à se faire écouter en Colombie. Rien ne se fait dans le vide. Habituellement, lorsqu'il s'agit de cas importants relatifs aux droits de la personne, le Canada n'agit pas seul. Il prend l'initiative, mais chose certaine, il n'agit pas seul. Ce genre de volonté politique permet de faire beaucoup pour protéger les défenseurs des droits de la personne, et cela facilite aussi le suivi et les visites que fait l'ambassade du Canada dans les régions. C'est un secteur où elle est très efficace, et je crois qu'il faut l'applaudir, il faut souligner son travail et il faut continuer. Je crois qu'Ottawa doit également faire savoir qu'il y a des gens au Canada que la situation préoccupe aussi.

Pour ce qui est des tentatives qu'a faites le gouvernement de la Colombie pour protéger les défenseurs des droits de la personne, le ministère de l'intérieur a un programme s'adressant aux militants des droits de la personne, qui existe depuis plusieurs années, mais sa mise en oeuvre a été inégale, et ce, pour une foule de raisons, dont le fait que certaines ONG en Colombie ont décidé qu'elles n'accepteraient pas les conditions des accords qui ont été conclus avec le gouvernement. Il y a plusieurs dynamiques différentes à l'oeuvre ici.

Il existe déjà des mécanismes en place, et c'est le genre de responsabilités qu'il faut rappeler périodiquement au gouvernement de la Colombie. La Cour interaméricaine des droits de l'homme a également adressé des recommandations très précises relativement aux mesures de protection concernant les droits de la personne et de même—j'ignore s'il existe un précédent pour cela—pour la protection de collectivités entières dans le cas des populations qui ont été déplacées sur le territoire. C'est le genre de conditions que le Canada peut approuver, et cela peut aider le gouvernement de la Colombie à intervenir.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Vous parlez de groupes déplacés sur le territoire. Voulez-vous dire à cause de la guerre ou du développement?

M. Luis van Isschot: Les chiffres ne sont pas exacts, mais il y aurait entre 1,5 et 2 millions de personnes déplacées sur le territoire de la Colombie. Si je regarde dans mes notes, j'ai la certitude que je pourrais vous citer un chiffre précis. Ces déplacements de population sont surtout attribuables à la guerre.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Eugène, me permettez-vous de poser une autre question?

M. Eugène Bellemarre: Je vous en prie. Vous êtes la présidente.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Je suis un peu gourmande ici. Je suis heureuse que nous ne soyons pas nombreux aujourd'hui parce qu'habituellement, la présidente n'est pas en mesure de poser des questions.

Plusieurs personnes ont dit qu'une solution militaire est la meilleure façon de contrer les narcotrafiquants en Colombie. Mme Rojas a affirmé qu'elle n'était pas d'accord, et je me demande quel est l'avis de M. Klepak à ce sujet. J'ai la certitude que vous avez une opinion. Auriez-vous l'obligeance de m'en faire part.

M. Hal Klepak: Je trouve scandaleux que l'on fasse aussi souvent référence à ce que Mme Rojas a appelé la solution autoritaire et d'autres la solution militaire. De nombreux observateurs, même à gauche, affirment depuis longtemps que le problème en Colombie ne tient pas au fait que l'armée est trop forte, comme c'est le cas dans d'autres pays d'Amérique latine qu'on pourrait vous nommer, mais que l'armée est trop faible. C'est une armée sédentaire. Elle ne sort pas de ses casernes et ne terrorise personne. Elle reste là, et attend. Cela irrite énormément les Américains étant donné que le gouvernement n'a aucune politique active. Donc, dans une certaine mesure, le succès et la popularité des forces paramilitaires sont fonction de l'incapacité ou du refus de l'armée de mener une guerre énergique.

• 1645

Il y a ce qu'on appelle la solution Rangel, du nom du professeur Alfredo Rangel, qui a enseigné dans plusieurs universités à Bogota. Il dit que c'est bien là le problème, que nous avons une armée qui ne fait pas la guerre. Si les guérilleros ne sont pas contraints par l'armée à venir négocier, alors pourquoi négocieraient-ils? Étant donné que la guerre leur profite tellement de toute façon, ils n'ont pas intérêt à venir négocier, et il faudrait à tout le moins exercer des pressions militaires suffisantes pour que les guérilleros aient une raison de négocier.

Sur le plan historique, cela semble parfaitement logique, mais le genre de mobilisation qu'il faudrait dans le cadre de l'effort national pour mener une vraie guerre avec une armée conscrite, avec un fer de lance vraiment professionnel, comme disent les militaires, qui agirait vraiment, et qui serait en mesure de détruire l'ennemi et qui aurait la liberté d'action que la nature de la guerre nécessite, causerait des pertes énormes. À mon avis, cela ne se ferait pas du jour au lendemain et laisserait des cicatrices épouvantables sur le tissu politique.

Même si l'on admet, pour ainsi dire, la logique d'un argument pour lequel un adversaire accepterait de négocier si la guerre est très bien menée, on peut affirmer par contre que la défaite de la gauche laisserait en suspens un grand nombre de questions relativement à la réforme. Ces mouvements révolutionnaires existent parce que la réforme est nécessaire. Je suis d'accord pour dire que la Colombie est une démocratie, et je répète que pour cette région, c'est une démocratie qui a remarquablement réussi, mais elle éprouve aussi de sérieuses difficultés.

Je pourrais peut-être ajouter un mot en réponse à votre question précédente sur les forces paramilitaires. Curieusement, ce sont les gouvernements démocratiques qui ont souvent besoin de ses forces paramilitaires, ou qui s'imaginent en avoir besoin. Les élites qui les appuient ont besoin d'elles, du moins, plus que les éléments autoritaires. Pourquoi? Parce que dans une certaine mesure, l'armée a les mains liées. Il serait facile d'exagérer cela dans le contexte de l'histoire colombienne, mais l'armée va subir des pressions internationales. Il va falloir envoyer des observateurs. La presse aura des agents de liaison dans les brigades de l'armée, et elle aura même des agents à Bucaramanga et Barrancabermeja.

Et si l'armée agit, il est sûr qu'elle sera critiquée, alors que si les élites locales ont fondé dans les années 1960 ce qu'on pourrait appeler les forces paramilitaires modernes, et si elles ont pris de l'expansion et si elles se sont enrichies, c'est parce qu'elles répondaient à un besoin local. En fait, l'une des choses qui m'horrifie, c'est de voir à quel point ces autodefensas sont souvent populaires sur le plan local. Vous savez, ces gens agissent. Les militaires restent dans leurs casernes et ne font rien, mais ces gens-là s'organisent et obtiennent les résultats.

Bien sûr, ce genre de remarque chagrine tous ceux qui sont de notre côté, mais ce serait une erreur de penser que, parce que nous parvenons à nous réunir et à nous mettre d'accord pour dire que c'est le seul principal obstacle—je suis tout à fait d'accord avec Mme Rojas—à un processus de paix réussi... Mais le fait est que localement, surtout pour les élites, ce sont souvent les forces paramilitaires qui obtiennent les résultats.

C'est une question grave, me semble-t-il, pour la démocratie. Les militaires ne peuvent pas faire un sale travail comme celui-là, même s'il y a beaucoup de sale travail à faire en Colombie, alors que les forces paramilitaires n'ont pas du tout l'impression d'avoir les mains liées. Et c'est une perspective très inquiétante.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Madame Rojas, allez-y.

Mme Christina Rojas: Les guérilleros colombiens sont les plus vieux guérilleros d'Amérique latine, même plus vieux que les guérilleros cubains. Ce n'est pas la première fois que l'on négocie avec les guérilleros colombiens. Au cours des 20 ou 25 dernières années, il y a eu des pourparlers avec les guérilleros. Toutes ces négociations ont débouché sur des solutions militaires. Ces solutions n'ont rien donné.

Je pense qu'il y a une chose qui est maintenant très claire presque partout en Colombie. Comme je dis, le moment n'est pas bien choisi. Les gens sont déçus. Mais je crois que la seule solution pour la Colombie est le dialogue. C'est la seule solution. La solution militaire n'a rien donné et ne donnera rien. Ça n'a pas marché en Amérique centrale et ça ne marchera pas non plus en Colombie.

• 1650

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Comment allez-vous amener les narcotrafiquants à la table de négociation? Que pouvez-vous leur offrir alors qu'ils ont tant à gagner sans négocier avec vous?

Et vous mentionnez constamment la gauche. Chose certaine, on ne considère pas que les narcotrafiquants sont à gauche, n'est-ce pas? Ils ne sont rien d'autre que des criminels n'est-ce pas?

M. Hal Klepak: Comme l'ont dit mes deux collègues, les autodefensas ont probablement aujourd'hui autant besoin des narcotraficantes que des mouvements d'insurrection traditionnels, si je puis dire. Mais chose certaine, le discours demeure celui de la gauche, et je crois que c'est cela qui nous embrouille.

Oui, d'où provient l'argent? Les gens vous diront que 93, 90 ou 80 p. 100 de l'argent des mouvements insurrectionnels provient de l'extorsion et des narcotraficantes, mais les dirigeants, peut-être pour des raisons de cohésion interne et peut-être même pour cette cohésion unificatrice et romantique aussi, emploient encore des mots, et on le constate à lire leurs programmes de réforme et leurs revendications, qui émargent encore au vieux discours de la gauche—avec quelques petites nuances, oui, mais cela reste tout de même le vieux discours de la gauche.

C'est tellement comme dans la vraie vie, n'est-ce pas. Oui, ce n'est que du maquillage, mais la réalité demeure tellement dure qu'on ne peut pas parler de négociation. On peut peut-être dire sous la table: «Nous allons vous acheter en vous offrant ceci ou cela, pour que vous n'ayez pas à pratiquer le trafic de la drogue», mais on ne peut pas dire ça publiquement. Vous devez encore dire que vous allez négocier la liste en 10 ou 12 points, et que vous allez réformer l'Organisation des États américains ou le système des alliances, ou que vous allez faire droit à la liste de revendications de ceux qui se disent à gauche.

Je me demande, même si l'on pratique encore l'endoctrinement, dans quelle mesure les recrues récentes comprennent vraiment en quoi consiste cette révolution gauchiste, que l'Amérique latine a dépassé après tout depuis longtemps à plusieurs égards. Mais chose certaine, dans leur propre perception à eux, les dirigeants continuent d'utiliser ce discours et de se dire fidèles à ces idéaux.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Voulez-vous ajouter quelque chose, Luis?

M. Luis van Isschot: Franchement, d'après notre perspective à nous, il est difficile de commenter l'évolution du trafic de la drogue, même si ce trafic se pratique dans toutes les régions où nous sommes présents. Ce trafic pèse sur la situation.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Bellemare, je vais vous donner un peu de temps. Je vais vous permettre de vous faufiler ici.

M. Eugène Bellemare: J'ai toujours su que vous étiez très généreuse.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Ah, je suis généreuse.

M. Eugène Bellemare: Je vous en sais gré.

Je ne sais pas vraiment où commencer. On se retrouve ici devant une sauvagerie à vaste échelle.

La présidente voulait savoir qui sont les bons et qui sont les méchants. J'aurais deux questions. L'élite et les gens d'affaires sont ceux qui pourraient perdre le plus, les narcotraficantes. Ils ont gagné de l'argent, et ils pourraient aller ailleurs et profiter de leur butin. Mais l'élite, vous l'avez mentionné, et les gens d'affaires—est-ce que ce sont ces personnes avec qui le gouvernement du Canada devrait travailler pour les convaincre que, oui, vous êtes maintenant dans une zone de libre-échange, nous allons parler affaires, mais ce que vous faites à vos gens, aux femmes, aux enfants, aux travailleurs, ne me plaît pas?

Autrement dit, avons-nous des leviers d'action, faute d'un meilleur terme? On ne peut pas entrer dans le pays comme une armée brutale qui vous envahirait et dirait: «Nous allons vous régler votre cas», et ensuite partir. On ne peut pas faire ça. C'est impossible. Mais allez là-bas et avoir des discussions avec l'élite et les gens d'affaires, qui ont voyagé par le monde, qui ont des contacts à travers le monde... Si vous étiez un homme d'affaires en Colombie, et que vous veniez me voir, ou que je vous voyais, vous voudriez peut-être développer des contacts avec le Canada. Si, même socialement, vous sentez qu'il y a un froid, ne voudriez-vous pas dire que ceci peut être fait, ou ne peut pas être fait, et que vous y pouvez quelque chose?

• 1655

M. Hal Klepak: Je crois que c'est l'ACDI qui a eu la sagesse de mener une étude récemment qui portait justement sur cette question.

Un homme merveilleux du nom de Fernando Cepeda, un ancien ambassadeur au Canada—il y a peut-être des gens ici présents qui le connaissent—qui est un intellectuel authentique de la bonne couleur, a déclaré un jour que le milieu des affaires était el gran ausente, le grand absent dans tout ce débat. Il avait fondé ce mouvement appelé Ideas para la Paz, qui veut dire Idées pour la paix, qui est une ONG.

Il serait le premier à dire que nous parlons d'un milieu d'affaires qui, pour des raisons historiques, culturelles et peut-être aussi politiques, n'est pas intervenu par le passé. C'est la pression grise au gouvernement, mais ce n'est pas la structure organisée. C'est un peu comme une éponge. Vous pressez et elle cède. Puis vous dites, eh bien, je devrais presser ailleurs, et cela cède encore.

C'est très difficile. Il est étonnant de voir combien il s'est peu fait de choses sur le front des ONG pour organiser les idées. Il est vrai qu'elles n'ont pas grand-chose à perdre, mais c'est exceptionnel. Je sais que notre ambassadeur estime que cela a de l'importance.

Comment on compose avec ça, alors qu'eux-mêmes sont divisés en grosses entités agricoles, et même ensuite entre les cultures et les ganaderos, et entre les éleveurs, entre les gros exportateurs et les petites gens de l'endroit? Ça ne se prête pas, semble-t-il, facilement en tout cas, à la création d'un point de pression.

Mais Dieu sait que c'est le point de pression dont on a besoin au sein de l'élite, capable de toucher le gouvernement, là où le gouvernement va le sentir. Nous sommes bien loin de la réussite. C'est peut-être un secteur où le Canada peut faire plus.

M. Eugène Bellemare: D'accord.

Madame Rojas, allez-y.

Mme Christina Rojas: Je veux ajouter à cela que les gens d'affaires ont participé aux négociations et au comité de négociation. Je ne me souviens pas actuellement, mais il y a au moins quelques mois le directeur de ce comité était l'un des hommes d'affaires le plus important de la Colombie.

En Colombie, il existe cinq groupes très puissants et très riches. On les appelle les cacaos, ce qui signifie chocolat, parce que c'est ainsi que l'argent s'échangeait en Colombie. Les cinq sont les plus riches personnes du pays.

Les cinq sont allés à San Vincente del Caguan pour rencontrer la guérilla. Ils participent aux négociations, comme vous dites, ils ont même des fondations qui étaient auparavant des entreprises privées.

Il est donc important de travailler avec eux, mais il faut aussi que les gens comprennent que les questions comme la redistribution de la richesse, des terres, les impôts et le bien-être sont importantes, car, à mon avis, un des échecs en Colombie a précisément été celui de la réforme sociale. C'est un des points dont il faut discuter dans les négociations.

En ce sens, je dirais que les milieux d'affaires doivent être plus généreux. Sans la participation des intérêts privés, l'accord, la paix, seront très difficiles. Ils doivent intervenir.

M. Eugène Bellemare: La réforme sociale devrait-elle venir de l'intérieur du pays, des groupes, ou d'organisations comme l'ACDI?

Mme Christina Rojas: Les deux.

Comme je l'ai déjà dit, la Colombie n'a pas fait beaucoup sur le plan de la distribution du revenu. La Colombie, comme le Brésil et le Chili, est un des pays où la richesse est la plus mal répartie en Amérique latine.

L'Amérique latine est le continent où la répartition de la richesse est la plus inéquitable au monde. L'Afrique et l'Asie n'ont pas ce problème. Il y a une grande inégalité dans la région, et en Colombie en particulier.

• 1700

Oui, je pense que l'ACDI devrait intervenir, et ici aussi le Canada a un rôle important, non seulement par l'intermédiaire de l'ACDI mais aussi au moyen de la BID, la Banque mondiale, l'OEA.

Comme je l'ai déjà dit, l'ajustement structurel à la campagne a laissé derrière lui un grand nombre de paysans plus pauvres encore. Je pense donc que ce modèle, ce genre de chose, doit être examiné à travers une autre lentille. Sans cela, la paix sera très difficile.

M. Eugène Bellemare: Quels autres pays sont présents en Colombie, comme nous par l'intermédiaire de l'ACDI?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Luis, vous avez dit avoir cette information. Vous l'avez sûrement.

M. Luis van Isschot: Non. Je n'ai pas ce renseignement.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Oh, vous ne vous occupez que des ONG canadiennes.

M. Luis van Isschot: Non, mais je peux vous dire que notre organisation reçoit de l'argent de diverses sources européennes. Beaucoup de pays européens en particulier font des dons directement. Je ne suis pas un expert de ce domaine.

M. Hal Klepak: Il s'agit des Hollandais, des Suisses, des Suédois, les acteurs habituels, et l'ACDI est un contact très rapproché avec eux sur le terrain.

Ils tiennent des réunions pour voir ce qui peut être coordonné à l'aide au moins des fonds locaux qui sont à la discrétion de l'ambassadeur ou si l'ACDI a une discrétion semblable. Mais tout le monde s'entend pour dire, encore une fois, comme en Amérique centrale, que ce n'est pas particulièrement bien coordonné. Il s'agit de gouvernements souverains qui ont des problèmes budgétaires, etc., au pays, et chacun veut voir son drapeau sur les projets importants. C'est très naturel.

Il y a une certaine coordination. Il y a d'autres intervenants. Il y a beaucoup de gens qui sont à la recherche d'idées sur la manière de coordonner des idées pour avoir des effets plus grands malgré le peu de ressources—mais il n'y en a pas si peu que ça. Il y a beaucoup d'argent là-bas.

Une des accusations qui est faite, c'est que la Colombie ne sait pas très bien recevoir. Un peu comme en Amérique centrale, le pays n'arrive pas très bien à faire entrer ce qui pourrait être disponible. Évidemment, le plan Colombie serait à certains égards l'exception, et la règle ailleurs. Mais il y a beaucoup d'autres acteurs.

M. Eugène Bellemare: Je m'adresse à M. van Isschot. À propos de vos brigades de la paix internationales, vous vous contentez d'aller là et d'accompagner les gens. Je me demande ce que les parents en pensent. Vous avez à peu près l'âge de mon fils et si mon fils partait comme ça pour aller dans un village dans un pays où il me faut un programme pour suivre ce qui se passe et qu'il n'y a rien de bon, je me ferais du souci pour vous la nuit.

M. Luis van Isschot: Bien sûr.

M. Eugène Bellemare: Qu'est-ce que vous faites exactement? Vous ne faites qu'accompagner les gens dans les villages?

M. Luis van Isschot: Je vais essayer de résumer.

M. Eugène Bellemare: Qu'est-ce que vous dites à vos parents?

M. Luis van Isschot: Je vais répondre à cette question ensuite.

Je veux parler d'abord de l'accompagnement que nous faisons, qui est un modèle que nous avons développé au cours des 21 dernières années. Nous le faisons depuis le début des années 1980 en Amérique centrale. C'est un modèle d'accompagnement qui repose sur bien plus que le fait d'être un étranger, ou d'avoir l'air différent du Colombien moyen ou d'avoir un passeport étranger. C'est quelque chose de beaucoup plus profond que cela, parce que nous avons fait beaucoup d'effort non seulement pour dialoguer avec le gouvernement colombien, mais aussi avec toute la communauté internationale au niveau gouvernemental, non gouvernemental et multilatéral, de sorte que si quelque chose devait arriver à un membre de notre organisation, il y a beaucoup de gens qui se préoccupent de notre bien-être, non seulement comme personnes et êtres humains, mais aussi en raison du travail que nous faisons. Ils accordent du prix à notre présence sur le terrain—le Canada étant l'un de ces pays, mais nos contacts vont au-delà grâce au système de l'ONU.

Notre philosophie est d'essayer d'atténuer un conflit armé de façon bien précise, dans des situations bien particulières, pour créer de petits îlots où les gens peuvent faire du travail du droit l'homme ou de l'organisation locale de façon non violente, à la recherche de solutions non violentes à un conflit, ce qui permet à l'aide humanitaire d'être apportée en toute sécurité aux groupes qui sont en difficulté, qui sont déplacés, parce que c'est nous, sur le terrain, qui pouvons donner aux organisations qui apportent de l'aide des renseignements sur la situation de sécurité d'un groupe déplacé de manière à ce qu'elles soient plus attentives à leurs besoins.

• 1705

C'est un exemple typique, classique. Ou encore nous travaillons dans la même région avec Médecins Sans Frontières, OXFAM, la Croix-Rouge, etc., et nous communiquons tous à intervalle régulier, voire tous les jours. Voilà ce que nous faisons.

Nous ne sommes pas tous des jeunes. Je dirais que l'âge moyen de nos bénévoles est d'à peu près 35 ans, ce qui est relativement jeune, mais cela montre qu'il y a un certain éventail d'âges.

Qu'est-ce que nos parents et nos familles en pensent? Ça dépend de chacun. Mes parents lisent les journaux colombiens sur le Web quand je suis là-bas et suivent la situation de très près.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Ils doivent être très fiers de vous.

M. Luis van Isschot: Peut-être bien.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Ils doivent se dire qu'ils sont réussis avec vous.

M. Eugène Bellemare: D'accord. On a essayé, mais

[Français]

d'un côté pratico-pratique,

[Traduction]

vous voilà en train d'aller de village en village pour accompagner des groupes même si ce sont des groupes internationaux, mais vous aidez les gens. Puis j'imagine des groupes paramilitaires qui errent dans le pays—sur un mulet, dans une jeep, ou je ne sais trop. Pour eux, est-ce que vous n'êtes pas un enquiquineur? Si c'est le cas, vous devez compter sur leur sens de l'humour. S'ils sont de mauvais poil un beau matin, vous devez...

Mme Luis van Isschot: Oui.

M. Eugène Bellemare: Qu'avez-vous pour vous protéger? Ces gens-là sont sans foi ni loi.

Mme Luis van Isschot: Eh bien, on part du principe que les paramilitaires, la guérilla, même l'armée dans une situation donnée sont des acteurs politiques. Leur violence a des objectifs politiques et ils nous font comprendre ces objectifs. Il nous faut comprendre les motivations d'un acteur armé dont les objectifs sont politiques ou politisés et voir jusqu'à quel degré ils sont sensibles aux pressions internationales parce qu'aussi étonnant que cela puisse paraître, même quelqu'un qui admet ouvertement avoir massacré des paysans en Colombie, comme c'est le cas du chef des paramilitaires en Colombie, est sensible aux pressions internationales. Il s'est placé sur la scène politique mondiale et il y est sensible.

Quels sont leurs sentiments envers nous? Eh bien j'imagine que oui, nous sommes des enquiquineurs. C'est d'ailleurs notre objectif. Quand ça se met à barder, nous essayons de juger si notre présence peut être utile. Il y a des situations où des objectifs politiques et militaires l'emportent sur les pressions internationales. Par exemple, il peut arriver qu'éliminer tel ou tel travailleur des droits de l'homme est plus important pour les militaires, les paramilitaires ou la guérilla que toutes les répercussions pouvant provenir du Canada, des États-Unis ou de quiconque d'autre. Il y a eu des cas comme ceux-là en Colombie.

Il faut donc voir et être constamment à l'affût de cette dynamique.

M. Eugène Bellemare: Est-ce qu'il me reste encore du temps?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Non, nous avons dépassé le temps prévu. Mais si vous voulez continuer, je suis certaine que les témoins ne vous en voudront pas. J'ai une ou deux questions aussi.

M. Eugène Bellemare: D'accord, deux choses. Je veux vous parler des activités de l'ACDI en Colombie et j'aimerais connaître vos impressions. Deuxièmement, je vais vous demander ce que vous pensez des parlementaires qui vont—je vais être charitable—dans un endroit dangereux pour prendre des photos de ce qui se passe ou de faire de l'agitation auprès de ceux qui n'aiment pas être agités.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Vous voulez dire être visible et irritant.

M. Eugène Bellemare: Commencez donc par les parlementaires qui vont vous visiter. Est-ce que nous serions en sécurité, oui ou non? Si la réponse est non ou peut-être, expliquez-nous pourquoi. Est-ce qu'on accomplirait quoi que ce soit à part revenir avec les photos pour dire à nos parents et amis: «J'y étais, je suis un pseudo- Hemingway, j'ai été au milieu de cette pagaille.» Est-ce que cela apporterait quoi que ce soit de positif? Examinons d'abord cette question puis je vous parlerai des activités de l'ACDI là-bas.

• 1710

Mme Christina Rojas: Comme je l'ai dit dans mon exposé, je pense que l'un des atouts du Canada, c'est sa crédibilité et son assurance. Ce n'est pas très répandu en Colombie.

M. Eugène Bellemare: Chez qui?

Mme Christina Rojas: Tout le monde.

M. Eugène Bellemare: Oh.

Mme Christina Rojas: Je veux vous dire que les deux groupes de guérilleros, l'ELN et les FARC, ont proposé que le Canada fasse partie des deux commissions.

Je pense que la presse internationale est très importante. Ça n'a pas été facile. Il y a 10 mois, la guérilla n'a pas accepté de forces internationales, en particulier les FARC. Ils ne voulaient pas être soumis au contrôle de forces internationales. Ça été très difficile pour le gouvernement et même pour les négociateurs de faire venir des gens de l'étranger. Ça été un combat, mettons. Maintenant il y a une ouverture vis-à-vis des forces internationales. C'est une situation très importante.

En ce qui concerne la légitimité du processus, c'est encore plus important, parce que lorsque vous allez en Colombie, vous dites par votre seule présence que vous croyez au processus de paix et que vous êtes en mesure de le soutenir. Comme je l'ai déjà dit, à l'heure actuelle, ils croient que quelque chose peut être fait et que la solution doit être pacifique. C'est très important.

En ce qui concerne la sécurité, il y a eu des commissions qui sont venues d'Europe. Savez-vous qui est allé en Colombie dans la zone militarisée? Le président... Eh bien, je ne sais pas s'il est président, mais le directeur de Wall Street. Il est allé à del Caguan et a rencontré Manuel Marulanda, le chef de la guérilla. Regardez dans le journal, il y a peut-être une photo.

Mettez-vous à la place des petites gens. Lorsqu'ils voient Manuel Marulanda en compagnie d'un type de Wall Street—un des êtres les plus puissants qui soit, le représentant du capital. Il a même rencontré des guérilleros embusqués dans les montagnes de Colombie depuis 50 ans. C'est très important.

Pour autant que je sache—vous direz peut-être autre chose—rien n'est arrivé; c'est-à-dire qu'il y a eu toutes sortes de commissions, et elles respectent... Je ne sais pas comment ça se dit en anglais, mais c'est comme hechos de paz. C'est-à-dire...

M. Hal Klepak: La réalité est un fait.

Mme Christina Rojas: La réalité de la paix. C'est ce qu'il faut bâtir.

L'ambassadeur du Canada en Colombie m'a plu. Il m'a très impressionnée. Il a dit que le Canada devrait créer hechos de paz. Le Canada peut avoir des choses concrètes qui donneront de la crédibilité au processus, et le processus a besoin de crédibilité. Le Canada, ce n'est pas les États-Unis. Comme le Canada fait partie des Amériques et bénéficie de cette image dans la région, je pense que ça vaut la peine.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Je pense que le Pr Klepak doit nous quitter. Il a...

M. Hal Klepak: Buenos dias, madame la présidente.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Ils ne vont pas le faire attendre pour vous.

M. Hal Klepak: Non, malheureusement.

Mais je voudrais faire écho à tout ce que le Mme Rojas a dit. Il y a peut-être deux autres choses.

Très rapidement, d'abord, le Canada est important pour les Amériques. Nous ne sommes pas habitués à ça à l'OTAN ou ailleurs, mais les gens nous écoutent. C'en est même gênant à certains moments, parce que nous avons le deuxième PIB en importance des Amériques et nous sommes les nouveaux venus. Les gens nous regardent et observent ce que nous faisons et disons—surtout ce que nous faisons, ce qui peut être gênant.

Tout ce qu'elle a dit... De plus, c'est par votre intermédiaire que nous allons entrer dans le débat canadien, puisque nous comptons—la connaissance. Parce qu'il y a bien peu de gens qui connaissent bien ces dossiers, et si au Parlement il n'y a personne, je trouve cela bien triste.

La Colombie est un grand pays. Elle a de l'importance en Amérique latine et nous sommes un pays étonnamment grand. Nous comptons dans les Amériques. C'est seulement qu'à côté de notre voisin, ça ne paraît pas toujours.

• 1715

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Pourrais-je vous faire une demande? Je me demande si le manque de compréhension de la situation est le gros problème ou si c'est seulement que nous ne savons pas ce que l'on devrait faire. Est-ce les deux? J'aimerais vous demander de nous donner des suggestions si on veut obtenir plus d'information sur la Colombie. Si vous pouviez nous envoyer cela par écrit, nous pourrions aussi faire un peu plus de recherche.

Merci à tous.

Luis, allez-y.

M. Luis van Isschot: Permettez-moi d'ajouter une précision sur la visite parlementaire. De nombreuses délégations ont déjà visité la région où les guérilleros ont rencontré le président du New York Stock Exchange, et je crois que c'est très important. Bien sûr, en tant que représentants du gouvernement, vous souhaitez peut-être effectuer une telle visite. Mais à des milliers de kilomètres de cette attention médiatique, et à des milliers de kilomètres de la région où l'on dépense actuellement la majeure partie du budget du Plan Colombie, il y a des coins de ce pays qui méritent d'être visités également.

Au début de l'année nous avons accueilli, dans une toute petite collectivité isolée de la région d'Urabà, une délégation représentant six bureaux du Congrès des États-Unis. Le groupe était composé de deux membres de la Chambre des représentants accompagnés de huit fonctionnaires environ. Sans crainte, la délégation s'est déplacée sans garde du corps ni escorte. Les délégués sont allés rencontrer les membres d'une petite collectivité, qui ont partagé avec eux leur expérience du déplacement à l'intérieur de leur pays, ainsi que les craintes qu'ils éprouvent face aux représailles possibles de la guérilla et des groupes militaires. Dans le cadre d'une visite de parlementaires canadiens, vous pourriez prévoir ce type de rencontre à l'ordre du jour. Ce n'est qu'une suggestion.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci à tous d'être venus aujourd'hui. Je vous remercie pour le travail humanitaire que vous effectuez. En tant que Canadiens, nous sommes très fiers de vous. Merci encore.

La séance est levée.

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