|
Rapport minoritaire présenté par la députée
Wendy Lill
pour le compte du groupe parlementaire fédéral du NPD
Dans son rapport, Appartenance et identité, le Comité
permanent du patrimoine canadien présente les fruits d'une étude
de très grande envergure dont on ne doit pas sous-estimer l'importance.
Nous tenons à féliciter le Comité, et en particulier
son président et le personnel de la Direction des comités,
pour leur appui et leur dévouement.
Le Comité a eu le privilège d'entendre des centaines de
personnes : des artistes, des créateurs, des curateurs, des peintres
et des dramaturges, de même que des représentants de groupes
très différents comme des organisations du secteur des arts,
des conglomérats du secteur des médias et de tout petits
musées ruraux, tous des gens animés d'une grande passion
pour leur métier et profondément dévoués à
leur art et à leur pays. Nous les remercions de s'être dérangés
pour nous communiquer leur enthousiasme et leur vision des choses.
Certains thèmes ont fait figure de leitmotiv : le désir
irrépressible des artistes de créer et de refléter
leur expérience; l'importance de la Société Radio-Canada;
l'importance d'un Conseil des arts du Canada fort et le rôle essentiel
que joue le gouvernement fédéral dans l'épanouissement
de la culture canadienne. On nous a aussi parlé des répercussions
des compressions budgétaires sur toutes les institutions culturelles
et de la difficulté qu'éprouvent nos artistes à gagner
convenablement leur vie. Le rapport contient de nombreuses recommandations
valables sur des questions importantes comme le financement de la Société
Radio-Canada, les lois sur le droit d'auteur et sur le statut de l'artiste,
l'aide aux établissements d'enseignement et aux centres de formation
dans le domaine de la culture, et l'aide du gouvernement fédéral
aux bibliothèques, aux archives, aux musées et à notre
patrimoine immobilier. Nous encourageons ces recommendations.
Cependant, le NPD estime que certains problèmes n'ont pas été
abordés, ou alors trop superficiellement, dans le rapport. On pense
notamment à la question du contenu canadien. En effet, il devient
crucial de définir ce que l'on entend par contenu canadien en raison
de la nouvelle définition utilisée dans le récent
accord conclu entre le Canada et les États-Unis sur les périodiques
à édition fractionnée. Selon cette définition,
n'importe quel document peut être considéré comme canadien
s'il est publié initialement dans un périodique distribué
au Canada. Nous estimons que cette définition compromet gravement
notre souveraineté culturelle et créera un précédent
qui risque de susciter des contestations dans les domaines du cinéma,
de l'édition de livres, de la musique et dans tous les autres domaines
de l'activité culturelle.
Le rapport accepte beaucoup trop facilement le caractère prétendument
inévitable et inéluctable de la mondialisation et de la concentration
des entreprises et ne prend pas le temps de faire une analyse rigoureuse
des répercussions de ces forces sur la culture de notre pays. Cela
est extrêmement regrettable. Un comité de la stature du Comité
permanent du patrimoine canadien aurait dû agir comme tribune où
débattre à fond de ces questions.
Le rapport passe par ailleurs sous silence la question de la propriété
étrangère de notre système de distribution des longs
métrages, et celle de la mainmise presque totale des entreprises
étrangères sur l'édition et la distribution du livre
au Canada. Le rapport est aussi muet sur la question de la concentration
des médias et de ses conséquences sur la possibilité
pour les Canadiens d'entendre et d'exprimer des points de vue variés.
Nous sommes d'avis que le Gouvernement du Canada devrait revoir toutes
les prises de contrôle et toutes les fusions dans le secteur canadien
de la culture de manière à garantir aux créateurs
les meilleures perspectives possibles et au public le plus grand accès
possible à la culture canadienne.
Pour ce qui est des aspects de la politique du Canada en matière
de commerce international qui concernent la culture, le Comité a
entendu des témoignages sur l'échec consternant de l'OMC
et de l'ALENA au niveau de la protection de la culture canadienne. Il y
a eu un débat animé sur l'attitude à tenir à
l'avenir en la matière, mais la majorité des personnes entendues
ont réclamé que toute nouvelle entente commerciale comporte
des protections solides pour la culture canadienne. Les Néo-démocrates
sont du même avis. Nous estimons que toute politique culturelle doit
avoir pour prémisse notre droit inaliénable de gérer
nos affaires culturelles comme nous l'entendons, sans risquer de nous exposer
à des mesures de rétorsion.
Nous pensons que le Gouvernement du Canada se trouve aux prises avec
un grand défi qui consiste à instituer, à préserver
et à nourrir un climat humain et créateur pour nos artistes
et pour nos concitoyens face aux forces de la mondialisation et à
la concentration des entreprises.
Dès le début du rapport, le Comité fait l'éloge,
à juste titre, du Rapport final du Groupe de travail sur la politique
culturelle au XXIe siècle de la Conférence canadienne
des arts. Le groupe parlementaire du NPD souscrit aux excellentes recommandations
formulées dans ce rapport. Nous les reproduisons ici (avec la permission
des auteurs) en guise de conclusion de notre rapport minoritaire.
Le Groupe de travail estime qu'en l'occurrence, la démarche la
plus simple serait la meilleure. Tout d'abord, la politique doit reposer
sur la législation et, notamment, sur la législation qui
a permis de créer le ministère du Patrimoine canadien. Il
convient donc d'apporter un certain nombre de modifications à cette
législation :
- le ministère devrait désormais s'appeler « ministère
de la Culture et du Patrimoine canadiens »;
- il conviendrait de réaffirmer le lien entre le support et le
contenu en confiant le mandat exclusif de ces deux aspects de la culture
au ministère de la Culture et du Patrimoine canadiens;
- il faudrait formuler les principaux objectifs d'une politique culturelle
canadienne, comme suit :
i. Que le gouvernement fédéral reconnaisse le rôle
vital qu'il joue dans le soutien, la promotion et l'essor des arts, du
patrimoine et des entreprises culturelles, d'une part, et qu'il charge
le ministère de la Culture et du Patrimoine canadiens de coordonner
ces efforts.
iii. Que tout l'éventail des institutions, ministères
et organismes auxquels s'applique la politique culturelle facilite le plus
possible l'accès des Canadiens aux oeuvres et productions d'artistes
et producteurs canadiens.
a. Que le Gouvernement du Canada, par l'entremise du ministère
de la Culture et du Patrimoine canadiens, utilise les outils de la législation,
de la réglementation et des mesures d'encouragement direct et indirect,
ainsi que le système fiscal, pour atteindre ses objectifs culturels.
b. Que le Gouvernement du Canada confère au ministère
de la Culture et du Patrimoine canadiens tous les pouvoirs pour mettre
en oeuvre et administrer des mesures applicables aux investissements étrangers
dans les arts et les entreprises culturelles.
iv. Que le ministère de la Culture et du Patrimoine canadiens
encourage et respecte des valeurs telles que la diversité régionale
et ethnoculturelle, le rôle des peuples autochtones et la nécessité
d'inciter la population canadienne à mieux apprécier son
expérience et ses inspirations collectives.
v. Que le ministère de la Culture et du Patrimoine canadiens
soit chargé de créer un environnement propice à l'encouragement
et au respect des droits et de l'oeuvre des créateurs et artistes
canadiens au moyen des révisions apportées à la Loi
sur le droit d'auteur, la Loi sur le statut de l'artiste, la
Loi sur les biens culturels et autres instruments à la disposition
de l'État.
vi. Que la responsabilité de conserver et de faire connaître
des oeuvres importantes pour le patrimoine canadien, sous toutes ses formes,
soit assortie d'une série d'instruments spécialisés
tels que les musées d'art ou autres musées, publics ou privés.
vii. Que le ministère de la Culture et du Patrimoine canadiens
favorise la percée de nombreux artistes, créateurs et producteurs,
et facilite la mobilisation de nouveaux publics, en association avec les
autres paliers gouvernementaux, le secteur privé et le secteur culturel.
viii. Que les divers organismes, institutions, programmes et mesures
qui représenteront la politique culturelle fédérale
se plient à certaines obligations, soit la transparence et la reddition
publique de comptes.
Le Groupe de travail recommande au gouvernement fédéral
de nommer une commission spéciale, chargée de collaborer
avec les organismes, ministères et programmes dont le travail touche
de près ou de loin à la culture, afin de s'assurer que leurs
activités et priorités demeurent en conformité avec
les objectifs de la politique culturelle. Cette commission spéciale,
composée d'artistes, de travailleurs culturels, de membres du grand
public, de fonctionnaires et de représentants du Comité permanent
du patrimoine canadien, serait dotée d'un mandat qui ne devrait
pas dépasser trois ans.
Dans l'ensemble, son travail consistera à faire en sorte que
les orientations, institutions, mesures et programmes culturels respectent
les principaux objectifs de la politique culturelle fédérale.
La commission spéciale devra s'assurer que chaque élément
de la politique culturelle fédérale contient la preuve quantitative
et qualitative de sa contribution aux objectifs de ladite politique.
Si la commission constate qu'un élément est incompatible
avec les objectifs de la politique, elle devra recommander au ministère
de la Culture et du Patrimoine canadiens les modifications, remplacements
ou suppressions nécessaires.
Le Groupe de travail exhorte le Gouvernement du Canada d'entamer de
toute urgence la troisième phase des révisions de la Loi
sur le droit d'auteur et de lancer une étude approfondie des
mécanismes plus efficaces qui sont en place dans les autres pays,
afin de reformuler ou d'actualiser cette législation.
Le Groupe de travail suggère au Gouvernement du Canada de créer
un fonds d'aide juridique pour aider les créateurs et titulaires
de droits d'auteur à financer des contestations juridiques lorsque
leurs oeuvres sont exploitées par des usagers non autorisés.
La défense des droits économiques et moraux entraîne
des débours que seule une infime minorité de créateurs
ou de titulaires de droits d'auteur peut se permettre. La plupart d'entre
eux n'ont guère d'autre choix que de perdre des retombées
économiques auxquelles ils ont pourtant droit.
Le Groupe de travail recommande la tenue d'une conférence spéciale
sur le statut de l'artiste, à laquelle participeraient le gouvernement
fédéral et ses homologues provinciaux, afin de tracer les
grandes lignes d'un plan d'action susceptible d'améliorer la situation
des artistes et créateurs. En y invitant les représentants
des principaux syndicats et organismes de représentation des artistes,
les gouvernements seraient mieux placés pour cerner les problèmes
les plus aigus.
Le Groupe de travail recommande aux ministres de la Culture (fédéral
et provinciaux) de considérer comme prioritaire le financement des
organismes de service aux arts et des associations professionnelles qui
regroupent les entreprises culturelles.
Le Groupe de travail estime que la santé à long terme
de la culture canadienne est assujettie à notre capacité
collective de soutenir ces institutions. Dans le cadre de la révision
et du peaufinage des mesures culturelles, le gouvernement fédéral
devrait formuler une politique applicable aux établissements nationaux
de formation, afin de leur assurer un financement stable et suffisant.
C'est alors seulement qu'ils pourront consacrer leur énergie à
remplir leur véritable mandat, soit la formation des nouvelles générations
d'artistes et de travailleurs culturels.
Que Développement des ressources humaines Canada, en collaboration
avec le ministère du Patrimoine canadien, mette en oeuvre un programme
stable, pluriannuel de financement de la formation artistique ainsi que
du perfectionnement et de l'accroissement des compétences dont ont
besoin les artistes et travailleurs culturels.
Que, dans le cadre des négociations relatives à la dévolution
aux provinces des services propres au marché du travail, Développement
des ressources humaines Canada s'assure que les conseils sectoriels de
formation et de perfectionnement sont considérés comme les
mieux placés pour s'adresser au secteur; que leur financement fasse
l'objet d'une obligation écrite dans les ententes sur le transfert
des responsabilités.
Le Groupe de travail recommande à la commission spéciale
de prêter une attention particulière à la manière
dont les importantes institutions culturelles nationales se complètent
et s'épaulent pour remplir leur mission collective, soit développer,
célébrer et encourager l'expression culturelle au Canada.
Le Groupe de travail recommande à la Commission spéciale
d'examiner divers modèles de collaboration plus étroite entre
la CBC/SRC, l'Office national du film et Téléfilm Canada
afin de s'assurer que ces organismes font leur possible pour faciliter
l'accès des Canadiens à la culture et encouragent l'essor
de l'expression culturelle au Canada.
Le Groupe de travail recommande au gouvernement d'inscrire à
l'ordre du jour de la prochaine réunion fédérale-provinciale
des ministres de la Culture un projet de type «Ville culturelle».
Le Groupe de travail recommande également à la Fédération
canadienne des municipalités d'envisager la possibilité d'intéresser
ses membres à ce projet. Le Groupe de travail suggère que
les travaux débutent en l'an 2000.
Le Groupe de travail estime que les Canadiens devraient avoir librement
accès à leur patrimoine. Il recommande donc ce qui suit :
- Les collections des musées devraient être accessibles
à tous. Pour assumer cette responsabilité, les musées
devraient prendre des initiatives dynamiques : accroître le nombre
et la fréquence des expositions itinérantes, des échanges
et des programmes éducatifs; mettre à profit la nouvelle
technologie.
- Les gouvernements (fédéral et provinciaux) et les municipalités
devraient collaborer pour garantir aux musées et autres établissements
de conservation du patrimoine un financement stable et continu. Ils devraient
mettre en oeuvre une stratégie de propagation qui permettrait à
tous les Canadiens et Canadiennes d'apprécier leur patrimoine culturel.
- Les musées et autres établissements de conservation du
patrimoine ont un rôle crucial à jouer dans la découverte,
la promotion et l'intégration sociale des artistes, des chercheurs
et des connaisseurs. C'est ce qui leur permettra d'éveiller la créativité
chez tous les Canadiens.
- Que le Gouvernement du Canada mette en oeuvre une stratégie
nationale de conservation, afin de s'assurer que notre patrimoine collectif
reçoive des soins adéquats et fasse l'objet d'une recherche
documentaire approfondie. Cette stratégie ne doit pas seulement
faire appel à la communauté muséale. Elle doit aussi
mobiliser nos concitoyens, les entreprises et les organismes sans but lucratif.
Le Groupe de travail recommande au ministre des Finances d'inclure dans
son prochain budget fédéral des modifications de la Loi
de l'impôt sur le revenu, afin de faciliter l'application des
dispositions qui encourageront les particuliers à faire des dons
aux oeuvres de charité et aux organismes agréés de
service aux arts.
Le Groupe de travail recommande la mise en place, toutes affaires cessantes,
d'allègements fiscaux pour investissement dans toutes les entreprises
culturelles. Ces mesures d'encouragement sont cruciales pour permettre
aux producteurs canadiens de demeurer efficaces et compétitifs,
tant au Canada que sur la scène internationale.
Le Groupe de travail recommande au gouvernement fédéral
de nommer immédiatement un groupe de travail mixte, composé
de représentants du ministère du Patrimoine canadien et du
ministère des Affaires étrangères et du Commerce international,
chargé de dresser les plans d'un organisme culturel international
qui entrerait en fonction le 1er janvier 2000.
Le Groupe de travail recommande au Sous-comité parlementaire
du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux
d'organiser dès que possible des audiences qui permettront de rédiger
une déclaration des « droits mondiaux parallèles ».
À partir de là, le Canada ne ratifiera les accords sur le
commerce et les investissements internationaux que s'ils respectent les
principes de cette déclaration. Il faudrait achever ces travaux
avant la série de négociations qui est prévue pour
l'an 2000 à l'Organisation mondiale du commerce.
Le Groupe de travail exhorte le gouvernement à rendre plus sévères
les critères d'évaluation du « bénéfice
net » afin que tout investisseur étranger autorisé
à faire son entrée dans n'importe quel secteur de la culture
au Canada soit tenu de produire, distribuer et promouvoir un contenu canadien.
Pour les entreprises étrangères, cet engagement n'est pas
seulement la preuve d'une conscience sociale. Il faut également
le considérer comme un juste paiement du droit de conclure des affaires
en sol canadien.
En outre, nous croyons fermement qu'il faut confier au ministère
de la Culture et du Patrimoine canadien la responsabilité de la
gestion des investissements étrangers dans le secteur culturel.