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CITI Rapport du Comité

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IMMIGRATION, DÉTENTION ET RENVOIS

INTRODUCTION

Le 25 novembre 1996, l'honorable Lucienne Robillard, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, a créé le Groupe consultatif de la révision de la législation qu'elle a chargé d'effectuer un examen approfondi de la législation et des politiques canadiennes en matière d'immigration. Cette mission complexe a été confiée à trois personnes. Le président du Groupe, M. Robert Trempe, a été haut fonctionnaire au Québec pendant de nombreuses années, son dernier poste ayant été celui de sous-ministre adjoint dans l'ancien ministère des Affaires internationales et des Communautés culturelles. Mme Susan Davis, qui est avocate, a siégé au Comité consultatif du statut de réfugié, l'organe qui conseillait le ministre en matière de demandes d'asile avant la constitution de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié; elle a également occupé, entre autres, le poste d'agent de protection au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Quant à Mme Roslyn Kunin, elle est Directrice exécutive de l'Institution Laurier et présidente de sa propre maison d'experts-conseils. De 1973 à 1993, elle a occupé un poste d'économiste dans l'ancien ministère de l'Emploi et de l'Immigration.

Au début de janvier 1998, le Groupe consultatif a publié son rapport, sous le titre Au-delà des chiffres : L'immigration de demain au Canada. Tout en y proposant de nombreuses recommandations concernant l'application de la Loi, le Groupe souligne à quel point cette question du respect de la Loi est compliquée et préoccupe l'opinion. Les auteurs concluent à la nécessitéd'un débat public plus large et ils recommandent que le dossier soit renvoyé au Comité permanentde la citoyenneté et de l'immigration, qui pourrait, écrivent-ils, « convoquer des témoins de l'administration et de l'extérieur, réunir des données et publier un rapport spécial ».

D'où la recommandation 155 :

Comme les ordonnances de détention et d'expulsion du Canada suscitent beaucoup d'intérêt et qu'il est nécessaire de rétablir la confiance du public dans leur efficacité, la question devrait être référée au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes, pour examen.

Dans une lettre du 23 janvier 1998 adressée au président du Comité permanent, M. Stan Dromisky, la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration invite le comité à entreprendre la tâche évoquée dans la recommandation 155, ce que le comité a accepté.

POINTS SAILLANTS DU CHAPITRE 8 DE AU-DELÀ DES CHIFFRES : LE RESPECT DES RÈGLES : AU CRÉDIT DU RÉGIME

A. Analyse des problèmes dans Au-delà des chiffres

Le rapport Au-delà des chiffres est à la fois franc et pessimiste dans son analyse des difficultés associées au régime actuel d'application de la législation relative à l'immigration et de la capacité de Citoyenneté et Immigration Canada de surmonter ces difficultés :

Certaines personnes qui viennent au Canada ont constaté qu'il vaut peut-être mieux ne pas se plier à la Loi parce que, comme il est aujourd'hui conçu, le régime leur permettra de s'en tirer. Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ne peut pas contrôler la vaste quantité de gens qui entrent au pays bien qu'inadmissibles ou qui sont frappés d'une ordonnance de renvoi durant leur séjour. Le ministère n'a ni les moyens ni peut-être la volonté de traiter avec eux comme il le devrait. Le système mis en place pour faire respecter la Loi ne suffit plus à la tâche. Si on ne les motive pas à se conformer aux ordonnances de renvoi ou à se présenter aux autorités comme ils y sont tenus, les gens continueront de rester et de se perdre dans la nature1.

La méthode préconisée dans le rapport pour résoudre ces problèmes consiste à mettre l'accent sur la création d'outils législatifs et de procédures qui rendront possibles la détention et le renvoi de ceux qui ne se conforment pas au régime. Le rapport cite, comme deux des grands problèmes du régime actuel, le « manque de continuité dans l'application de la Loi » et l'absence de motivations à l'observation volontaire des règles découlant de la Loi. Ces problèmes sont caractérisés par :

  • l'incapacité de suivre efficacement les clients;
  • des retards à l'étape du renvoi;
  • une structure d'organisation fondée sur la procédure;
  • la perception du caractère arbitraire des décisions de détention2.

Les auteurs d' Au-delà des chiffres reprennent chacun de ces points un à un. Par « incapacité de suivre les clients », ils entendent qu'aucune vérification ne peut être faite pour savoir si le client respecte les éventuelles conditions et dispositions concernant son admission, son séjour ou son renvoi. Par conséquent, concluent les auteurs, le client n'a aucun intérêt à respecter les conditions. À l'étape du renvoi, de nombreux retards surviennent en raison de l'absence de documents de voyage, peut-être attribuable à un refus de la part des clients de coopérer - ce qui n'entraîne guère de répercussions pour eux - ou au refus de coopérer d'un gouvernement étranger.

La structure d'organisation étant fondée sur la procédure à Citoyenneté et Immigration Canada, plusieurs des activités nécessaires à la réalisation d'un renvoi sont traitées séparément, ce qui aboutit à un manque de coordination et de contrôle. Par exemple, remarquent les auteurs, certaines formalités qui pourraient être remplies au début du processus, comme la signature d'une demande de passeport, sont remises à plus tard. Enfin, les auteurs d' Au-delà des chiffres s'inquiètent du fait que la détention est perçue comme arbitraire. Les lignes directrices font défaut aux agents d'immigration, font-ils remarquer, et les normes semblent varier beaucoup d'un bureau à l'autre. Cette impression que les détentions sont arbitraires préoccupe beaucoup les témoins qui ont comparu, de même que les membres du Comité.

B. Principales solutions proposées dans Au-delà des chiffres

Le document Au-delà des chiffres propose la mise en place d'un nouveau statut, dit « statut provisoire », englobant les situations de ceux qui n'ont aucun autre statut. Les clients ne pourraient obtenir et conserver ce nouveau statut qu'à condition de remplir les demandes et de satisfaire aux conditions et exigences prescrites par la Loi sur l'immigration et son Règlement afférent. Le statut provisoire pourrait être accordé aux personnes se trouvant dans une situation donnée et qui : ne constituent pas un danger public; sont susceptibles de se présenter pour les formalités d'immigration en cas de besoin; collaborent avec les autorités et se plient aux conditions obligatoires et à toutes les conditions discrétionnaires éventuelles associées au statut3. En association avec ce projet, les auteurs prévoient l'établissement d'un suivi automatisé, que rendrait peut-être possible un système d'identification anthropométrique, certaines caractéristiques étant incluses dans une carte à puce que détiendrait chaque client.

Les personnes qui ne respecteraient pas les conditions associées au statut provisoire seraient détenues et, sauf empêchements, renvoyées du Canada. Ainsi, on peut prévoir que, si cette nouvelle approche était adoptée aux fins d'encourager le respect des règles, la détention pourrait être appliquée dans un certain nombre de situations où elle ne l'est pas à l'heure actuelle. Les auteurs insistent pour dire que les locaux de détention devraient offrir la possibilité de recourir à des moyens propres à favoriser le respect de la loi : appareils téléphoniques, conseils juridiques, etc.

Sur le plan de l'application de la loi, Au-delà des chiffres suggère aussi le regroupement de certaines fonctions exercées, d'une part par les agents principaux d'immigration, qui actuellement sont chargés des décisions en cas de violation simple de la Loi, dont certaines décisions menant à la détention, et, d'autre part, par les arbitres, qui prennent les décisions dans les cas les plus compliqués, y compris lorsqu'il s'agit de réviser la situation des détenus. Les agents de détermination agiraient en remplacement des arbitres dans un cadre administratif. D'après le raisonnement des auteurs, comme les arbitres ne font guère que confirmer les conclusions des agents principaux qui ont rédigé les rapports, ce nouveau système serait plus rapide et plus efficace, puisqu'il éliminerait de multiples transferts de dossiers. Il pourrait y avoir révision dans les cas les plus importants.

L'APPROCHE DU COMITÉ DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Même si Au-delà des chiffres avance de nombreuses autres propositions en ce qui concerne le respect des règles d'immigration, le Comité est conscient que les recommandations touchant le statut provisoire, la détention en cas de violation des règles associées à ce statut et le rôle des arbitres sont celles qui comptent le plus dans la vision du Groupe de travail. Il a donc l'intention de s'attacher d'abord à ces recommandations, et de les étudier en détail, non sans tenir compte néanmoins d'un certain nombre d'autres recommandations. D'autre part, de nombreux témoins ont signalé au Comité divers problèmes qu'ils jugent urgents, dont certains ne sont pas mentionnés dans Au-delà des chiffres. Le Comité compte donc se pencher sur ces questions également.

Pour commencer, toutefois, le Comité souhaite faire quelques commentaires sur l'application du règlement par Citoyenneté et Immigration Canada et sur la question de la confiance du public dans le système. Comme nous l'avons dit, c'est le profond pessimisme du rapport Au-delà des chiffres sur ces deux sujets qui a motivé le renvoi de la question au Comité.

Certes, l'application de la loi pose effectivement quelques problèmes, mais le Comité ne croit pas qu'ils soient aussi graves que le laisse entendre Au-delà des chiffres. Par exemple, dans le domaine des renvois, des progrès sensibles sont enregistrés depuis quelques années. En 1997, le nombre de renvois était de 36,5 p. 100 supérieur à 1996, année au cours de laquelle il avait déjà augmenté de 21,7 p. 100. À l'heure actuelle, on compte 8 000 dossiers actifs de renvoi, ce qui n'est pas excessif, si l'on songe que plus d'un million d'immigrants sont entrés au Canada au cours des cinq dernières années seulement. Cela dit, Citoyenneté et Immigration Canada et le Comité sont conscients qu'il existe des problèmes sur le plan de l'application de la loi, et ils sont bien décidés à y apporter des solutions. Nous espérons que le présent rapport ira dans ce sens.

LA DÉTENTION

A. Valeurs

La liberté est une valeur fondamentale de la société canadienne. Nous chérissons notre propre liberté et celle des autres et ne la retirons que pour des raisons valides, imposées par la loi, et au moyen de processus qui sont justes et perçus comme tels. En général, avant de recourir à la détention, nous cherchons d'autres solutions qui sont conformes aux objectifs que nous tentons d'atteindre. Si la détention est nécessaire, nous essayons d'en limiter la durée si c'est possible, et nous faisons valoir les règles et les règlements qui visent à faire en sorte que les détenus sont traités humainement et que leurs droits et leur dignité sont respectés.

Ces valeurs ne changent pas du simple fait qu'une personne est détenue pour des motifs liés à l'immigration et qu'elle n'est pas canadienne. Dans le contexte de l'immigration, la détention vise deux buts : protéger les Canadiens des particuliers qui pourraient présenter un risque pour leur sécurité, et maintenir l'intégrité de la Loi sur l'immigration. La détention contribue à ce deuxième objectif en facilitant les formalités d'immigration et les mesures d'exécution nécessaires, y compris le renvoi des personnes qui peuvent légalement être renvoyées du Canada. C'est à cette seule condition, appliquée en temps utile, que le public pourra continuer de faire confiance au système.

Parmi les personnes détenues pour des motifs liés à l'immigration, très peu seront des demandeurs du statut de réfugié4, c'est-à-dire des personnes qui demandent la protection du Canada et dont la cause sera entendue, en temps utile, par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Tant que la Commission n'aura pas rendu sa décision, on ne saura pas si un demandeur sera considéré comme un réfugié au sens de la Convention. Le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime que la détention des demandeurs du statut de réfugié n'est pas souhaitable en soi mais, si elle est nécessaire, il exhorte les pays à reconnaître les conséquences graves qu'elle peut avoir sur des personnes déjà vulnérables, en particulier les femmes seules, les enfants, les mineurs non accompagnés et les personnes qui, sur le plan de la santé ou sur le plan psychologique, ont des besoins spéciaux découlant d'expériences passées. On pense ici, par exemple, aux victimes de torture, qui pourraient subir de nouveaux traumatismes si elles étaient détenues. Le Comité reconnaît le bien-fondé de ce point de vue et s'opposerait à toute proposition de modification législative qui n'en tiendrait pas compte.

B. Critères de détention

En général, le Comité appuie les critères de détention actuellement prévus dans la Loi sur l'immigration. Nous croyons toutefois que certains de ces critères devraient être appliqués différemment. Il est clair que les personnes qui pourraient représenter un danger public devraient être détenues, tout comme celles que l'on croit inadmissibles au Canada pour des motifs très graves. C'est le cas, par exemple, des terroristes, des criminels de guerre et des personnes présentant des risques pour la sécurité.

Outre ces motifs, la raison la plus fréquente justifiant la détention est la probabilité que la personne ne se présente pas pour les formalités d'immigration ou de renvoi du Canada. Toutefois, avant que l'ordonnance de détention ne soit rendue, des solutions de rechange à la détention, assorties ou non de conditions, sont envisagées si l'on estime que ces mesures réduiront à un niveau acceptable le risque qu'une personne ne se présente pas. Ces solutions de rechange sont le cautionnement en espèces, le gage conditionnel, ou la promesse de comparaître. Le Comité a été informé du succès du programme de cautionnements en vigueur à Toronto qui permet aux personnes qui ne peuvent pas offrir de garanties d'être libérées sous promesse de comparaître. Ce programme prévoit la surveillance de ces personnes. Des modalités et des conditions peuvent également être utilisées pour réduire les risques, comme l'imposition d'exigences de rapport, de restrictions concernant les déplacements, etc.

Bon nombre de témoins de sources non gouvernementales ayant comparu devant le Comité nous ont dit que les décisions de détenir des personnes sous prétexte qu'elles pourraient ne pas se présenter au moment voulu étaient souvent arbitraires et manquaient d'uniformité. Ils estimaient que les critères étaient appliqués différemment dans différentes régions du pays et que la durée de la détention variait également selon les endroits.

Le Comité sait qu'il y a toujours deux côtés à une médaille et que sans consulter le dossier de la personne détenue, il est impossible de savoir si la détention est justifiée ou si elle doit se poursuivre. Néanmoins, il a été troublé de constater qu'autant de témoins croient qu'il y a des décisions erronées dans ce domaine.

Nous savons que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a récemment distribué des Lignes directrices sur la détention afin d'aider dans leurs décisions les arbitres, qui sont les agents qui revoient les décisions de détention prises par les agents de Citoyenneté et Immigration Canada. Le Comité espère que ces lignes directrices amélioreront considérablement l'uniformité des décisions des arbitres en matière de détention ou de mise en liberté.

Le Comité a examiné les directives actuelles sur la détention que Citoyenneté et Immigration Canada a données aux agents d'immigration. Même si ces directives couvrent un certain nombre d'indicateurs concernant la probabilité qu'une personne soit disponible pour les formalités d'immigration, elles sont plutôt superficielles, comparativement aux Lignes directrices de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Nous estimons que des directives ministérielles plus détaillées permettraient de prendre des décisions plus judicieuses au départ et favoriseraient une plus grande uniformité dans tout le pays. Roger Tassé, qui a examiné les questions d'application pour le compte du Ministère en 1995, a signalé que des agents d'immigration de première ligne ont réclamé des critères pour les aider à prendre des décisions en matière de détention et de mise en liberté5. Il se pourrait également, comme l'a souligné un témoin, que de meilleures lignes directrices, qui indiquent plus clairement les raisons de la détention, contribuent à dissiper l'impression que certaines décisions trahissent du racisme.

Nous savons que Citoyenneté et Immigration Canada travaille depuis un certain temps à l'élaboration de nouvelles lignes directrices, et nous suggérons qu'elles soient présentées le plus tôt possible. En plus de fournir des renseignements plus détaillés sur les critères de détention et de mise en liberté, nous nous attendons à ce qu'elles traitent plus en profondeur de l'importance de la liberté individuelle et qu'elles fassent ressortir la nécessité d'examiner toutes les autres possibilités avant de priver une personne de sa liberté. Un certain nombre de principes et d'approches dans les nouvelles lignes directrices de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié semblent également utiles pour faciliter la décision des agents d'immigration en matière de détention.

Nous nous attendons également à ce que des directives soient données aux agents aux fins de l'évaluation de la durée de détention, si possible. Si l'on sait dès le départ que la détention sera de longue durée, il faudrait envisager la mise en liberté en attendant que les dispositions nécessaires aient été prises, au lieu de détenir la personne pendant tout ce temps.

Lors de l'introduction des lignes directrices, il devrait y avoir une période de formation qui permettrait aux agents de se familiariser avec leur contenu, de saisir la gravité de la décision et de mieux uniformiser les décisions.

Recommandations :

1. Citoyenneté et Immigration Canada devrait donner priorité à la mise en oeuvre des nouvelles lignes directrices sur la détention que devront appliquer les agents d'immigration afin d'assurer une certaine uniformité dans tout le pays.

2. La détention devrait être imposée uniquement si les lignes directrices ont été scrupuleusement suivies et seulement en dernier recours, une fois que la possibilité de libération conditionnelle a été étudiée attentivement et écartée.

3. Les nouvelles lignes directrices réfugié devraient s'accompagner d'une formation poussée pour toutes les personnes qui devront les appliquer.

Les nouvelles lignes directrices de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié traitent en détail de la détention de longue durée. Elles tiennent pour principe que la détention doit durer un temps raisonnable, en fonction des circonstances du cas. Elles indiquent notamment que pour les personnes détenues avant leur expulsion, la détention continue n'est justifiée que si l'ordonnance de renvoi peut être exécutée dans un délai raisonnable (tel qu'indiqué dans le texte original).

Le Comité souscrit au principe et à son application. Il convient de se rappeler que ces gens sont détenus afin que la procédure d'immigration puisse suivre son cours. Si la procédure ne peut se poursuivre, ou ne peut être achevée dans un délai prévisible, sans faute attribuable au détenu, il faudrait sérieusement envisager de libérer ce dernier. Cependant, à la suite de notre visite des centres de détention et sur la foi des témoignages entendus, nous concluons que ce principe n'est pas toujours appliqué avec suffisamment de rigueur.

Nous savons que certains cas de détention de longue durée seront raisonnables, en particulier si celle-ci est attribuable aux agissements mêmes du détenu. Dans d'autres cas cependant, nous ne voyons pas la nécessité de poursuivre la détention, quand le renvoi n'est pas imminent : par exemple, à cause de l'inaction des agents d'immigration, d'un danger dans le pays de destination, ou de l'absence de collaboration de la part du pays de renvoi.

Quelle que soit la cause, nous croyons qu'il devrait y avoir un calendrier plus explicite en vertu duquel les personnes détenues qui ne constituent pas un danger public devraient être libérées si le renvoi n'est pas imminent. Que ce délai soit de 90 jours, ou d'une autre période, nous ne sommes pas en mesure d'en décider, mais il devrait être suffisamment long pour donner aux agents toutes les chances d'effectuer le renvoi, et assez court pour les inciter fortement à agir.

Recommandation :

4. Les personnes détenues qui ne sont pas un danger public devraient être relâchées après une période prescrite si, pour une raison qui ne dépend pas d'elles, leur renvoi n'est pas imminent. Il faudrait réécrire les Lignes directrices de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à cet égard et inclure cette politique dans la nouvelle Loi sur l'immigration.

Comme nous l'avons noté au début du texte, il y a deux grands motifs de détention, et jusqu'ici nous avons traité de la détention comme moyen de garantir qu'une personne sera présente aux auditions de l'immigration ou pour son renvoi. Ce motif, et celui du danger public, sont de loin les deux plus importants pour la détention des immigrants.

Le Comité souligne cependant qu'une disposition peu utilisée de la Loi sur l'immigration permet la détention d'un immigrant dont l'identité n'est pas établie. En vertu de cette disposition, un arbitre doit cependant se prononcer sur la détention tous les sept jours. Nous abordons ce point parce qu'il fait partie de notre mandat : restaurer la confiance du public dans l'application des lois sur l'immigration. Nous sommes conscients que cela compromet la crédibilité que de savoir que des gens arrivent au Canada sans documents de voyage, parfois sans papiers, affirmant parfois ignorer tout du vol par lequel ils sont arrivés, et se voient autorisés à entrer au pays et à demeurer en liberté en attendant l'audition de leur requête de statut de réfugié.

Nous savons que Citoyenneté et Immigration Canada a entrepris plusieurs démarches législatives et administratives par le passé, et en entreprend encore avec succès, pour régler ce problème. Malgré tout, il continue de dérouter le Canada, comme d'ailleurs les autres gouvernements occidentaux. Parce que la question de l'identité personnelle est fondamentale, et pour restaurer la confiance du public dans l'application de la loi, conformément à son mandat, le Comité est prêt à recommander le recours à la détention jusqu'à ce que l'identité de la personne soit connue.

Le Comité tient à souligner que cette recommandation ne traduit pas un désir de sa part de voir augmenter considérablement le niveau des détentions au Canada. Nous pensons que les moyens technologiques pourraient être utilisés à bon escient pour obtenir des renseignements sur les personnes qui arrivent sans papiers. Cela réduirait du même coup la nécessité de les détenir pour motif d'identité inconnue.

Le Comité recommande que Citoyenneté et Immigration Canada fasse des pressions pour que des techniques de balayage soient utilisées dans les aéroports étrangers, de manière à contrôler les documents de voyage de tous les passagers à destination du Canada qui montent à bord de vols ayant posé des problèmes de contrôle auparavant. Le fait de balayer les documents de voyage à l'étranger et de transmettre les données au Canada aurait plusieurs avantages. Cela permettrait d'établir sans l'ombre d'un doute sur quelle ligne aérienne a voyagé la personne qui arrive et quel a été son aéroport d'embarquement. Plus personne ne pourrait faire de fausses déclarations à ce sujet. De plus, le document balayé servirait à établir l'identité que la personne a utilisée pour monter à bord de l'avion. Par conséquent, il deviendrait beaucoup plus facile d'établir l'identité de cette personne, une fois celle-ci arrivée au Canada, ce qui réduirait le nombre des détentions pour ce motif.

Recommandations :

5. Citoyenneté et Immigration Canada devrait recourir à la détention dans les cas où l'identité d'une personne n'est pas établie.

6. Citoyenneté et Immigration Canada devrait envisager la possibilité d'instaurer, en coopération avec les transporteurs aériens, un système visant à balayer les documents de voyage des personnes qui se rendent au Canada à bord de vols ayant posé des problèmes par le passé.

C. Conditions dans les centres de détention des immigrants

Au-delà des chiffres ne fait qu'effleurer les conditions dans les centres de détention, mais les témoins du Comité nous ont alertés au sujet de problèmes qu'ils percevaient dans ces établissements. Les membres du Comité sont donc allés visiter, individuellement et en groupe, soit le centre de détention de Mississauga, soit celui de Laval, soit les deux. Plusieurs choses les ont frappés. Ceux qui ont visité les deux centres ont dit que c'était le jour et la nuit. La comparaison est au désavantage du centre de Mississauga (le Celebrity Inn) qui, entre autres lacunes, manque d'espaces communs intérieurs et ne dispose que d'un espace extérieur exigu et sinistre. Il n'y avait pas non plus d'installations de jeu pour les enfants. Sans être extrêmement sale, le centre de Mississauga ne reluisait pas de propreté, et la qualité de l'air laissait à désirer.

Le Comité a conclu qu'il fallait uniformiser les conditions des centres de détention des immigrants, et que ceux-ci devraient s'inspirer de celui de Laval. Il est important que ces centres soient aussi semblables que possible; si cela n'est pas possible dans les installations actuelles à Mississauga, Citoyenneté et Immigration Canada devrait considérer déménager.

Nous connaissons l'utilité du travail accompli par les organisations non gouvernementales dans les centres de détention. Nous savons en outre qu'il existe déjà des partenariats entre Citoyenneté et Immigration Canada et un certain nombre de ces groupes, et nous sommes d'avis qu'il faudrait les renforcer et chercher les moyens de permettre aux ONG d'élargir leur travail. Bien entendu, cette idée concerne également les nombreux autres moyens par lesquels les organisations non gouvernementales aident les immigrants et les réfugiés, mais leur oeuvre est particulièrement essentielle dans les centres de détention.

Recommandations :

7. Les conditions dans les centres de détention de l'immigration devraient être uniformes. S'il est impossible d'améliorer le centre de Mississauga, on devrait chercher une nouvelle installation.

8. Citoyenneté et Immigration Canada devrait raffermir ses partenariats avec les organisations non gouvernementales et chercher les moyens de permettre à celles-ci d'élargir le travail qu'elles accomplissent dans les centres de détention de l'immigration.

Même si, en principe, les enfants ne sont pas gardés dans les centres de détention de l'immigration, ils peuvent demeurer avec leurs parents détenus, afin que la famille ne soit pas séparée si tel est son désir. Toujours difficile, la détention est particulièrement éprouvante pour les enfants. Non seulement elle les prive d'une bonne part de leurs activités normales, mais, surtout, elle les empêche d'aller à l'école. Pour cette raison, le Comité estime qu'il faudrait prendre des dispositions spéciales à l'égard des enfants qui passent plus de sept jours dans un centre de détention et prévoir de leur donner certains cours et une formation linguistique, aux frais du gouvernement fédéral.

Recommandation :

9. Les jeunes qui passent plus de sept jours dans un centre de détention devraient avoir accès à des programmes d'enseignement et de formation linguistique, dont les frais seraient assumés par le gouvernement fédéral.

En parlant aux détenus, des députés ont trouvé que certains détenus éprouvaient un isolement très grand, parce qu'ils ne semblaient pas au courant de leur situation juridique ou de leurs droits. Nous savons que Citoyenneté et Immigration Canada fournit à tous les détenus une brochure dans diverses langues sur leurs droits et sur les règles de l'institution. Cependant, les détenus sont dans une situation nouvelle et éprouvent souvent des problèmes de langue car ils sont parfois analphabètes. Il est clair qu'un document écrit n'est pas toujours suffisant. Nous recommandons donc un suivi verbal dans la langue du détenu dans le cas de ceux qui semblent en avoir besoin, afin que leur position et leurs droits leur apparaissent le plus clairement possible. Les organisations non gouvernementales pourraient avoir un grand rôle à jouer à cet égard.

Recommandation :

10. Le bref document fourni à tous les détenus aux centres de détention des immigrants devrait être suivi d'une communication verbale dans la langue des détenus afin que ceux-ci comprennent leur situation juridique et les règles de l'institution. Les organisations non gouvernementales devraient être invitées à prêter main-forte à cet égard.

Le Comité a signalé précédemment que le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés s'est prononcé très clairement contre la détention, dans la mesure du possible, des revendicateurs du statut de réfugié et au sujet des conditions en vertu desquelles ceux-ci peuvent être détenus quand cela s'avère nécessaire. Le Comité, ayant étudié attentivement les politiques du Haut-commissariat des Nations Unies sur la détention, estime que les valeurs qu'il appuie, les recommandations qu'il formule dans le présent rapport et les pratiques actuelles en matière de détention (dont nous n'avons pas discuté ici puisqu'il n'était pas nécessaire de le faire) sont tout à fait conformes à la position du Haut-commissariat des Nations Unies.

Il reste à préciser la position du Comité par rapport à l'opinion exprimée par le Haut-commissariat des Nations Unies, soit que les revendicateurs ne doivent pas être logés avec des criminels, à moins qu'il n'existe aucune autre solution raisonnable. Le Comité fait sienne cette vue et va même plus loin, affirmant que les demandeurs ne devraient jamais être logés avec des criminels. Nous savons que cela ne se produit pas dans les centres de détention de l'Immigration dont nous discutons dans le présent document, soit Mississauga et Laval. Cela pourrait toutefois se produire dans d'autres centres, quand les immigrants sont détenus dans des prisons provinciales. Par conséquent, le Comité exhorte le gouvernement à s'assurer que les demandeurs du statut de réfugié qui ne présentent aucun élément de criminalité ne soient pas détenus avec des criminels.

Recommandation :

11. Le gouvernement devrait s'assurer que les demandeurs du statut de réfugié qui ne présentent aucun élément de criminalité ne soient pas détenus avec des criminels.

Un certain nombre de témoins ont évoqué devant le Comité le fait que l'on passe les menottes aux détenus dans les centres de détention de l'immigration. Il serait même arrivé qu'une personne ait été ainsi menottée en présence de ses enfants. La politique voulant que les détenus soient menottés lorsqu'on doit les transporter ailleurs pour une audience ou pour une révision des motifs de leur détention, est compréhensible et nous reconnaissons qu'elle puisse être nécessaire, au nom de la sécurité. Des exceptions à cette règle sont prévues pour les mineurs, les femmes enceintes, les personnes âgées et certains cas à caractère médical.

Néanmoins, nous trouvons cette pratique déplorable. Les personnes en question ne sont pas des criminels, et on devrait s'efforcer de modifier des pratiques qui tendent à les faire passer pour tels. Au lieu qu'il soit toujours nécessaire de transporter les détenus pour leur audience, ce qui coûte cher et mobilise beaucoup de ressources, le Comité propose que les agents et les arbitres de l'immigration se déplacent jusqu'aux centres de détention, afin d'y tenir leurs audiences. Peut-être les centres ne contiennent-ils pas de salles adéquates pour l'instant, mais cela ne devrait pas être un problème insurmontable. Si, comme nous l'avons déjà dit, le centre de Mississauga doit être remplacé, on pourrait y prévoir des salles d'audience appropriées, au moment d'établir les plans du nouveau bâtiment.

Recommandation :

12. Les audiences de révision des motifs de détention et autres audiences concernant l'immigration devraient être tenues dans les centres de détention, ce qui éviterait la nécessité de menotter les détenus pour les transporter.

D. Au-delà des chiffres et la détention

Il doit être clair désormais que le Comité ne peut approuver les propositions principales contenues dans le document Au-delà des chiffres portant sur le statut provisoire et la détention. Nous n'avons pas jugé utile d'approfondir la question du statut provisoire puisque nous rejetons l'idée même de la conséquence de la violation de ce statut, soit la détention obligatoire.

Plusieurs motifs nous poussent à nous opposer à l'approche présentée à l'égard de la détention dans Au-delà des chiffres. Nous estimons que cette approche entraînerait presque certainement une augmentation appréciable de la détention, ce que n'ont d'ailleurs pas réfuté les auteurs du rapport lors de leur témoignage. Le Comité accepterait peut-être une telle augmentation, quoique à regret, si la gravité des problèmes d'immigration la rendait inévitable. Cependant, même si le système d'immigration comporte certains problèmes, nous n'avons rien entendu pouvant nous convaincre que leur gravité est telle qu'elle justifie la détention obligatoire ou que celle-ci pourrait constituer une solution aux problèmes d'exécution.

Au-delà des chiffres fait état de craintes au sujet des décisions arbitraires touchant la détention, question qui préoccupe également le Comité, mais nous ne sommes pas convaincus que le système proposé remédierait à la situation. Il risque en fait de l'exacerber. En effet, la détention serait obligatoire dès la perte du statut provisoire pour violation à des règles administratives ou autres, mais l'intéressé aurait toujours la possibilité de présenter des motifs justifiant la violation d'une condition. Les agents seraient donc tenus de prendre en considération un plus grand nombre de facteurs qu'à l'heure actuelle, ce qui aurait pour effet d'accroître considérablement l'aspect discrétionnaire des décisions.

De plus, nous ne sommes pas convaincus que la détention obligatoire devrait ou pourrait être utilisée pour faire respecter les règles. Comme mesure pour assurer la conformité, elle dévie considérablement des principes actuels s'appliquant à la détention, principes que nous acceptons tels quels et ne souhaitons aucunement modifier, à moins d'une situation d'urgence. Nous revenons à cet égard aux valeurs dont nous avons discuté précédemment dans le rapport, dont la principale est la liberté. Nous ne voulons pas priver de leur liberté des gens dont le seul crime est d'avoir violé des règles administratives, comme des exigences de communication.

Cela ne signifie pas qu'il faut renoncer à exiger que les gens respectent les règles et procédures établies. Mais il existe des sanctions pour les personnes qui ne se conforment pas aux règles. Par exemple, le demandeur de statut de réfugié qui ne dépose pas à temps les documents voulus risque d'être considéré comme s'étant désisté. Si une personne ne se conforme pas dans les 30 jours à une ordonnance de renvoi, celle-ci se transforme automatiquement en ordonnance d'expulsion et il devient alors pratiquement impossible de revenir au Canada. Pour ce qui est des infractions graves comme l'omission de se présenter pour un examen, une enquête, ou un renvoi, la Loi prévoit déjà la prise d'un mandat d'arrestation.

Cependant, c'est surtout parce qu'il n'existe pas de grave problème de détention que le Comité se refuse à adopter l'approche proposée dans Au-delà des chiffres à l'égard de la détention. Nous avons plutôt des problèmes de renvoi, sujet dont il sera question dans la prochaine section du rapport. Nous craignons en effet que l'adoption des propositions contenues dans Au-delà des chiffres concernant le statut provisoire et la détention risque de causer plus de problèmes que ce que nous connaissons maintenant.

Recommandation :

13. Citoyenneté et Immigration Canada devrait rejeter les propositions contenues dans Au-delà des chiffres visant l'établissement d'un statut provisoire et la détention obligatoire à la perte de ce statut.

Dans le cadre des changements structurels en matière d'immigration proposés dans Au-delà des chiffres, il a été proposé d'éliminer les arbitres, qui sont des employés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et de confier la révision des cas de détention à des agents de détermination de statut, qui seraient des employés de Citoyenneté et Immigration Canada.

Le Comité ne peut approuver cette proposition. Nous jugeons adéquats et appropriés les mécanismes actuels pour la révision des cas de détention. Il nous semble particulièrement utile que les examens soient réalisés par des personnes qui sont indépendantes de Citoyenneté et Immigration Canada et qui ont l'apparence de l'être. Comme l'ont souligné les témoins, cette indépendance a été acquise graduellement au fil des ans et ne doit pas maintenant être sacrifiée. Le Comité est fermement convaincu qu'il faut conserver l'indépendance, en principe et dans la pratique, de la fonction de révision des cas de détention.

Recommandation :

14. La fonction de révision des cas de détention doit continuer d'être exécutée par des personnes n'appartenant pas à Citoyenneté et Immigration Canada.

LES RENVOIS

A. La nature du problème

Comme nous l'avons dit plus haut, nous sommes d'avis que les problèmes les plus graves dans le domaine de l'application de la loi concernent les renvois, et non pas la détention. De plus, nous n'avons aucune envie de prêter notre voix à des recommandations qui feraient de la détention un problème, alors qu'elle n'en est pas un pour l'instant.

À quoi faisons-nous allusion lorsque nous affirmons que les renvois sont un problème? Essentiellement, nous estimons que le Canada a de la difficulté à renvoyer à point nommé les gens qui, juridiquement, n'ont pas le droit de rester ici. Cela mine la confiance du public dans les services qui sont responsables d'appliquer le règlement. Il s'agit maintenant pour le Comité de cerner et d'analyser les divers facteurs qui contribuent à ces difficultés et d'y chercher des solutions.

Citoyenneté et Immigration Canada a établi à l'intention du Comité une liste des principaux obstacles qui l'empêchent d'exécuter les renvois. La voici :

1. Le renvoi des personnes qui sont arrivées sans papiers soulève des complications. Cette absence de papiers est parfois attribuable à un refus de coopérer soit de la part des personnes concernées, qui ne s'occupent pas d'obtenir leurs documents, soit de la part du pays où elles sont censées retourner.

2. Les activités nécessaires pour mener à bien un renvoi exigent beaucoup de ressources, et à l'heure actuelle celles-ci sont restreintes et déjà utilisées au maximum.

3. Les technologies disponibles étant désuètes, il est difficile de suivre les gens à la trace tout au long du processus et impossible de produire toutes les données dont on a besoin.

4. Il existe plusieurs recours juridiques qui retardent le renvoi.

5. Lorsqu'un renvoi est retardé, la personne concernée s'enracine de plus en plus au Canada. S'il ne s'agit pas d'un criminel, un renvoi à ce stade est souvent considéré comme cruel.

À ces difficultés s'ajoutent un certain nombre d'autres raisons susceptibles d'empêcher le renvoi : la suspension des renvois à destination de pays qui présentent un danger; les demandes des tribunaux internationaux, qui prient parfois le Canada de différer à tel ou tel renvoi jusqu'à ce qu'ils aient examiné le cas; la disparition des personnes qui sont prêtes à tout pour ne pas être renvoyées.

Ce sont là des problèmes difficiles, et le Comité ne prétend pas avoir toutes les réponses. En effet, si les solutions étaient évidentes, elles auraient été appliquées il y a longtemps. Néanmoins, nous allons essayer de traiter la plupart des problèmes que nous avons soulevés et, en plus, de répondre à certaines autres préoccupations sur lesquelles les témoins ont attiré notre attention.

B. Les outils informatiques

Dès le début de notre étude, il est apparu clairement que Citoyenneté et Immigration Canada souffrait d'un sérieux manque de données en ce qui concerne l'exécution de la loi, ce qui l'empêchait de bien mesurer l'ampleur des problèmes et de répondre aux demandes émanant des parlementaires et d'autres personnes. D'ailleurs, dans son rapport de décembre 1997, le vérificateur général a souligné ces lacunes.

Citoyenneté et Immigration Canada ne peut pas suivre un client de manière continue à toutes les étapes du processus, ce qui dans bien des cas empêche le renvoi. Ainsi, on ne peut présenter actuellement un profil complet des endroits où se trouvent tous les cas de renvoi dans le système. Il est même impossible d'établir l'inventaire complet de tous les cas de renvoi ou de connaître le nombre d'ordonnances de renvoi en souffrance. On ne dispose donc que d'évaluations approximatives, ce qui gêne la planification des ressources et empêche de fournir aux gestionnaires les données qui pourraient les aider à mieux cerner les problèmes liés aux renvois.

Après une première tentative avortée de modification des systèmes, laquelle a dû être abandonnée faute de fonds suffisants, le ministère, nous a-t-on appris, est en train d'élaborer un système national de gestion des cas qui permettra de suivre les dossiers d'exécution à un coût raisonnable. Ce système sera implanté dans les grands centres au cours de la première moitié de 1999; dans l'intervalle, le bureau de Toronto a reçu un nouveau système local.

Le Comité ne saurait trop insister sur l'importance de ces initiatives à caractère informatique. Sans un bon suivi des renseignements, le ministère non seulement ne peut pas remplir ses fonctions correctement, mais il ne peut pas, non plus, fournir aux organismes de contrôle, comme le vérificateur général et notre Comité, les renseignements indispensables à une analyse en profondeur des problèmes. Outre cela, comme nous l'avons dit, les gestionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada ne disposent pas des outils nécessaires pour gérer le programme comme il devrait l'être. Le Comité exhorte donc le gouvernement à donner la priorité à l'élaboration d'outils informatiques pour le renvoi et de la gestion des cas.

Recommandation :

15. En matière de renvoi et de gestion de cas, Citoyenneté et Immigration devrait accorder la priorité à l'élaboration d'outils informatiques modernes, qui soient capables de soutenir sa fonction d'exécution.

C. La coopération des gouvernements étrangers

Lorsqu'une personne arrive au Canada après avoir détruit ou perdu ses documents de voyage et autres pièces d'identité, son renvoi peut s'avérer difficile. Le pays de destination doit être convaincu que la personne renvoyée est un de ses ressortissants. Toutefois, certains pays font obstacle aux renvois légitimes parce qu'ils ne veulent pas reprendre l'individu. Cela se produit parfois, même lorsqu'une entente bilatérale a été conclue avec le pays en question.

Le Comité n'est pas convaincu que le Canada fait tout ce qu'il peut pour persuader ces pays qu'ils ont l'obligation de reprendre leurs ressortissants. M. Roger Tassé constate dans son rapport que les agents d'exécution estiment qu'il serait possible de faire davantage pour convaincre les gouvernements étrangers de collaborer, de fournir des documents de voyage et d'accepter le retour de leurs ressortissants.

Nous souscrivons entièrement à la recommandation 144 d'Au-delà des chiffres - « Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et les ministres des Affaires étrangères et du Commerce international devraient convenir ensemble d'un ordre de priorité des actions de leurs ministères en vue d'engager la collaboration des pays étrangers pour l'émission de documents de voyage et l'accueil de leurs ressortissants » - mais nous irons plus loin.

Le Comité estime qu'il faut éviter l'erreur de considérer ce problème comme devant être réglé par les seuls fonctionnaires responsables de l'exécution à Citoyenneté et Immigration Canada. Des liens pourraient être établis, pour certains pays, entre leur refus de reprendre leurs ressortissants et les avantages qu'ils retirent. Par exemple, certains pays envoient au Canada un nombre important de travailleurs saisonniers, ou un grand nombre d'étudiants. Il serait donc possible d'exercer des pressions pour obtenir de la part de ces pays une plus grande collaboration quand il s'agit de reprendre leurs ressortissants, s'ils ne veulent pas perdre au change.

À une échelle plus large, le gouvernement pourrait établir un lien entre l'aide étrangère, qui rend service au pays d'accueil, et la coopération en cas de renvoi, qui, elle, rend service au Canada. Les problèmes avec certains pays ne sont pas nouveaux. Si, jusqu'à maintenant, ceux-ci n'ont pas répondu suffisamment lorsqu'ils ont été pressentis d'une manière normale, le Comité est d'avis qu'il serait temps d'exercer des pressions supplémentaires. Outre les liens dont il est question plus haut, il pourrait être utile de faire en sorte que le ministre dépose chaque année un rapport au Parlement dans lequel seraient cités les pays qui refusent de fournir des documents et de coopérer en accueillant leurs propres ressortissants, avec dans chaque cas le nombre de personnes en cause.

Recommandations :

16. Le gouvernement devrait faire davantage pression sur les pays qui se montrent réticents à reprendre leurs ressortissants, en établissant des liens entre leur coopération à cet égard et certaines mesures comme la délivrance des visas, les programmes pour les travailleurs et l'aide extérieure.

17. Le ministre de la Citoyenneté et de l'immigration devrait déposer chaque année un rapport au Parlement dans lequel seraient cités les pays qui se refusent à coopérer dans les cas de renvoi du Canada de leurs ressortissants, avec dans chaque cas le nombre de personnes en cause.

D. L'interception à l'étranger

Si banale que cette affirmation paraisse, l'une des raisons qui font des renvois une telle source de problèmes est le grand nombre de dossiers de renvoi. Une solution évidente, que d'ailleurs le gouvernement cherche à appliquer, serait de faire en sorte, par divers moyens, que les personnes non admissibles ne viennent pas au Canada. Ces moyens sont : l'application de sanctions à l'endroit des transporteurs; l'obligation d'obtenir un visa pour tous les visiteurs; et la sensibilisation des agents étrangers des lignes aériennes, afin de leur apprendre à reconnaître les documents canadiens.

Le Comité appuie ces initiatives, qu'il considère comme le moyen le plus économique et le plus efficace de réduire les longues et coûteuses formalités de renvoi à l'endroit des personnes non admissibles. À notre avis, dès que Citoyenneté et Immigration Canada disposera de ressources supplémentaires, il devrait les consacrer à l'élargissement des activités d'interception à l'étranger.

En formulant cette recommandation, nous sommes conscients des difficultés auxquelles seront confrontés les demandeurs d'asile de bon droit, qui chercheraient peut-être une protection au Canada, mais qui se buteront à une interception dans le cadre de ces activités. Nous soulignons toutefois qu'ils pourront encore s'adresser à nos ambassades et à nos consulats et faire valoir leurs cas pour obtenir protection.

L'aggravation des difficultés que nous pose l'application des règlements est largement attribuable, on le sait depuis plusieurs années, à des réseaux de passeurs professionnels très bien organisés et fort lucratifs. Ces gens exploitent les personnes qui espèrent améliorer leur sort en venant s'établir dans un pays de l'Ouest. Le Canada est une destination aussi prisée que l'Europe de l'Ouest ou les États-Unis. La solution de ce problème complexe exigera une coopération et des échanges de renseignements entre les pays destinataires, ce à quoi le Canada s'emploie déjà, d'après les renseignements dont nous disposons. Néanmoins le Comité exhorte le gouvernement à déployer encore plus d'efforts, et notamment peut-être à inciter les autres pays à considérer le fait d'organiser, ou de conspirer en vue d'organiser, l'entrée illégale de personnes dans un autre pays comme une infraction criminelle. Ainsi, l'agence de voyages qui organiserait l'entrée d'un groupe de personnes non admissibles, au moyen, par exemple, d'une fraude ou de faux passeports, pourrait être poursuivie, avec l'aide du Canada, dans n'importe quel pays où l'organisation aurait des activités.

Recommandations :

18. Étant donné que l'interception à l'étranger des personnes non admissibles constitue le moyen le plus efficace de réduire les coûteuses et longues procédures de renvoi, Citoyenneté et Immigration Canada devrait consacrer les ressources supplémentaires qui lui seront dévolues à l'élargissement de ses programmes d'interception à l'étranger.

19. Le gouvernement canadien devrait inciter d'autres pays à considérer le fait d'organiser, ou de conspirer en vue d'organiser, l'entrée illégale de personnes dans un autre pays comme une infraction criminelle.

20. Le gouvernement canadien devrait travailler en collaboration avec d'autres pays qui font aussi face aux conséquences de l'immigration illégale afin d'exercer des pressions internationales sur les principaux pays d'où proviennent les immigrants illégaux.

E. L'évaluation des risques

La plupart des demandeurs d'asile rejetés par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ont la possibilité de demander ce que l'on appelle une évaluation des risques (la Catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada). Cet examen a notamment pour but de faire en sorte que le Canada remplisse bien ses obligations découlant d'instruments autres que la Convention sur les réfugiés, comme par exemple la Convention contre la torture.

Ce sont des fonctionnaires du ministère qui effectuent l'analyse en question : ils évaluent dans quelle mesure la personne, si elle est renvoyée dans son pays d'origine, est sujette à un risque objectivement identifiable dans toutes les parties du pays en question. Il faut que le risque soit particulier à la personne. La menace doit peser sur la vie de la personne, ou supposer une possibilité de sanctions extrêmes ou de traitement cruel. Il est très rare que ces critères soient réunis, et le processus demande beaucoup de temps.

Dans son rapport de décembre 1997, le vérificateur général critique les critères et les méthodes actuellement appliqués dans l'évaluation des risques. Les critères souligne-t-il, sont très semblables à ceux qui servent à déterminer le statut de réfugié. De plus, les renseignements sur les personnes et sur les pays qui servent à ces décisions sont ceux-là mêmes, ou presque, qui ont déjà servi à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, (exception faite des données fournies par les candidats dans leurs demandes).

Au-delà des chiffres reconnaît l'importance d'un examen des risques préalable au renvoi et recommande que toute personne renvoyée du Canada puisse y recourir (recommandation 152). Ce rapport propose des conditions très strictes : sur réception de l'avis l'informant de la date, de l'heure et de la destination de son renvoi, le requérant disposerait de 48 heures pour soumettre sa demande, laquelle entraînerait automatiquement un sursis d'exécution de l'ordonnance de renvoi, jusqu'à réception d'une réponse, c'est-à-dire pendant une semaine, espère-t-on.

Aucun des témoins entendus par le Comité n'estime raisonnable le délai préconisé dans la recommandation 152. D'après le représentant d'une agence qui aide les requérants à demander de telles évaluations, un délai de 48 heures est loin d'être suffisant pour réunir tous les renseignements nécessaires à la présentation d'une demande correcte. Le Comité est d'accord. De plus, une fois que le plan de renvoi est en place et que, suppose-t-on, les billets d'avion sont achetés, il apparaît insensé, voire coûteux, d'interrompre le processus pendant une période susceptible de se prolonger.

Revenons aux critiques du vérificateur général, et plus particulièrement à celles qui portent sur le chevauchement des critères appliqués et des renseignements considérés. Nous proposons d'élargir le champ de compétence de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de manière à englober l'évaluation des risques, laquelle serait effectuée plus ou moins en même temps que l'examen visant à déterminer le statut de réfugié. Lorsque la Commission rejetterait une demande, elle aurait alors en main la majeure partie des documents nécessaires à l'évaluation des autres risques concernant la personne. Ce mécanisme permettrait d'épargner un temps considérable. Quant aux personnes dont la Commission accepte la demande, elles seront fixées sur leur sort beaucoup plus rapidement et, soulagées du stress psychologique découlant de l'incertitude, elles pourront commencer à s'intégrer à la vie au Canada. Il pourrait encore s'avérer nécessaire d'effectuer une évaluation des risques quelque temps avant le renvoi effectif de certaines autres personnes, par exemple lorsque les conditions à l'intérieur d'un pays auraient changé ou que de nouveaux éléments de preuve seraient devenus disponibles. Toutefois, ces examens pourraient également être effectués par la Commission.

Recommandation :

21. Le gouvernement devrait effectuer un transfert de compétence et confier à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié la tâche de procéder à l'évaluation des risques.

F. Les évaluations des considérations d'ordre humanitaire

En général, le motif invoqué par les personnes qui font une demande d'établissement au Canada sur la base de considérations humanitaires est la crainte de se buter à des difficultés excessives s'il leur faut présenter leur demande à l'extérieur du Canada. L'examen de ces demandes, bien qu'il ne concerne pas précisément la fonction d'exécution de la loi, risque de retarder le renvoi dans certains cas. D'après la loi, le simple fait qu'une personne demande un réexamen de son cas pour des motifs d'ordre humanitaire n'interdit nullement l'exécution d'une ordonnance de renvoi, mais les agents d'immigration sont réticents à le faire, en particulier s'il s'agit d'un cas notoire.

Le rapport du vérificateur général indique clairement que le processus comporte de nombreuses lacunes, par exemple : l'encadrement des décisions fait défaut; les décisions ne sont pas documentées, de sorte que les raisons de l'acceptation du rejet ne sont pas évidentes; les agents qui prennent les décisions sont mal encadrés et mal formés; les statistiques générales sur le nombre de demandes, y compris les demandes renouvelées, font défaut.

Dans la réponse qu'il a donnée au vérificateur général, le ministère reconnaît le bien-fondé des critiques ci-dessus et expose les mesures qu'il entend prendre pour améliorer la situation, dont certaines, remarquons-nous, sont en cours depuis plusieurs années. Le Comité est d'accord pour dire qu'il y a beaucoup à faire sur ce plan. Il pense que les demandes d'établissement au Canada sur la base de considérations humanitaires pourraient aussi être confiées à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, puisque beaucoup de demandeurs sont en fait des demandeurs d'asile rejetés.

En outre, compte tenu du témoignage selon lequel le processus peut demander de six à huit mois ou plus, nous pensons qu'il serait peut-être approprié de fixer une norme de rendement en ce qui concerne la réponse à ces demandes. Pour les cas ordinaires, 90 jours devraient être la limite maximale du délai admissible. Dans les cas d'urgence, notamment lorsqu'il s'agit d'un renvoi imminent, nous pensons que la réponse devrait arriver beaucoup plus vite. En ce qui concerne les critères applicables aux considérations humanitaires, nous pensons qu'il faudrait accorder davantage d'attention aux intérêts des enfants.

Recommandations :

22. Citoyenneté et Immigration Canada devrait répondre rapidement aux critiques du vérificateur général concernant le processus d'évaluation des considérations humanitaires.

23. Citoyenneté et Immigration Canada devrait envisager la possibilité de regrouper les examens des motifs humanitaires avec les examens des risques, et de confier le tout à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

24. Des normes de rendement devraient être établies en ce qui concerne la réponse aux demandes d'établissement pour motifs humanitaires. Le délai maximal devrait être de 90 jours, tandis que les cas urgents devraient normalement être traités plus vite.

25. Les critères des considérations humanitaires devraient être élargis de manière à accorder davantage d'attention aux intérêts des enfants.

G. Le renvoi de résidents de longue date au Canada

Le Comité souhaite soulever une question qui a fréquemment suscité la controverse au cours des dernières années : que faire dans les cas de renvoi qui touchent des personnes au Canada depuis longtemps, souvent depuis qu'elles sont très jeunes? Ces personnes ont été élevées ici et ont été façonnées par leurs expériences canadiennes. Tous leurs liens sont probablement ici. Le Comité croit donc fermement que nous devrions en assumer la responsabilité. La Loi sur l'immigration n'établit aucune distinction entre les résidents permanents arrivés il y a 6 mois et ceux qui sont au Canada depuis 20 ans ou depuis leur enfance. Ces facteurs peuvent être pris en considération dans des demandes pour considérations humanitaires présentées au ministère ou par la Division d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Néanmoins, la loi n'offre aucune protection à cet égard. Nous constatons cependant que, dans le passé, la loi canadienne établissait ce genre de distinction que l'on trouve également dans les dispositions législatives de certains autres pays.

La France par exemple dispose de règles complètes à cet égard. Elle protège notamment contre l'expulsion les personnes de moins de 18 ans, les personnes qui sont résidentes autorisées depuis avant l'âge de 10 ans et, dans certains cas, les personnes mariées à des citoyens français ou parents d'un enfant né en France.

Nous ne recommandons pas de modifier complètement la loi canadienne, mais nous estimons qu'il est temps de revoir notre position actuelle, du moins en ce qui concerne les personnes qui arrivent ici en bas âge. Il est tout à fait compréhensible que certains pays hésitent à reprendre des personnes qui n'ont aucun lien avec eux et ne connaissent pas la langue, quand celle-ci n'est ni l'anglais ni le français.

Il semble particulièrement nécessaire de revoir la position des enfants puisque l'absence de citoyenneté canadienne dans leur cas est sans doute attribuable à une omission de la part des parents et n'est donc pas de leur faute. En fait, bon nombre de ces personnes se croient apparemment citoyens canadiens, ayant vécu ici toute leur vie.

Quel est le lien entre cette question et les renvois? En premier lieu, en réduisant le nombre de personnes devant faire l'objet d'un renvoi, nous pourrons mieux exploiter nos ressources limitées en matière d'exécution et viser seulement les personnes auxquelles le Canada ne doit rien ou à peu près. En deuxième lieu, comme nous l'avons déjà souligné, certains pays refusent de reprendre des gens et y font obstacle. Ils seront peut-être plus prêts à recevoir d'autres ressortissants si nous n'essayons pas également de leur renvoyer des personnes qui vivent au Canada depuis longtemps. En troisième lieu, les pays qui acceptent de reprendre ces personnes le font souvent à contrecoeur, ce qui peut nuire aux relations bilatérales. Le Canada réagirait sans doute de la même façon si les rôles étaient inversés.

Recommandation :

26. Citoyenneté et Immigration Canada devrait envisager sérieusement d'inclure dans la modification de la Loi sur l'immigration des dispositions législatives pour protéger contre l'expulsion les résidents permanents qui sont au Canada depuis longtemps, particulièrement s'ils sont arrivés en tant qu'enfants.

H. Le Comité consultatif sur la situation dans les pays de renvoi

Le Comité s'est dit en faveur du renvoi opportun des personnes visées, mais il convient qu'il doit y avoir certaines exceptions à cette règle, notamment quand l'expulsion vers un pays donné n'est pas sécuritaire, non pas à cause de la situation à laquelle pourrait faire face un individu (comme dans le cas des critères établis pour l'examen des risques), mais parce que l'ensemble des conditions dans un pays risque de compromettre la vie ou la sécurité de pratiquement tous ses habitants.

La ministre a créé le Comité consultatif sur la situation dans les pays de renvoi, chargé de la conseiller quant aux pays dont la situation justifierait la suspension temporaire des renvois. Il convient de souligner que même si un pays est jugé dangereux, le Canada peut tout de même y renvoyer des individus s'il existe des raisons impérieuses de le faire, par exemple le grave danger public que présente un criminel.

Le Comité consultatif est composé de représentants de différentes directions de Citoyenneté et Immigration Canada et recueille de l'information auprès d'organisations non gouvernementales, de diplomates canadiens, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, du Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et d'autres sources appropriées.

Certains témoins, représentant d'une organisation non gouvernementale informée des situations à l'étranger, ont mis en doute les critères qu'utilise le Comité consultatif pour prendre ses décisions. Selon eux, ces critères ne conviennent pas. Nous avons examiné ces derniers, mais sans expérience directe, il nous est impossible d'en arriver à une conclusion. Néanmoins, nous jugeons inquiétant qu'un organisme non gouvernemental compétent préconise la révision de ces critères et nous recommandons par conséquent que le gouvernement consulte des organisations non gouvernementales qualifiées concernant le bien-fondé des critères qu'applique le Comité consultatif.

Recommandation :

27. Citoyenneté et Immigration Canada devrait consulter des organisations non gouvernementales compétentes au sujet du bien-fondé des critères qu'applique le Comité consultatif sur la situation dans les pays de renvoi.

I. Le droit international

Une organisation très versée dans le droit international en matière de droits de la personne et le droit canadien de l'immigration a également témoigné. Selon ses représentants, la Loi sur l'immigration n'est pas toujours appliquée de façon à respecter les droits humains énoncés dans les traités internationaux. Le Comité pense, tout comme ce groupe, que les droits de la personne à l'échelle internationale sont très importants. Nous appuyons aussi l'une de leurs recommandations et estimons que, lorsqu'un organisme international chargé d'appliquer un traité demande officiellement au Canada de ne pas exécuter une ordonnance d'expulsion, celui-ci devrait étudier la question attentivement.

Nous ne sommes pas prêts à recommander que l'expulsion ne soit jamais exécutée dans ces cas, car une telle omission pourrait dans certains cas extrêmes être choquante pour la population canadienne. En général cependant, nous recommandons que Citoyenneté et Immigration Canada accorde une grande attention à de telles demandes et n'ordonne une expulsion que pour des raisons impérieuses.

Comme déjà souligné, le Comité convient que les droits de la personne à l'échelle internationale sont une question très importante. C'est pourquoi nous exhortons le gouvernement à rédiger les nouvelles dispositions législatives en matière d'immigration de manière à les rendre conformes, dans la mesure du possible, au droit international en matière de droits de la personne.

Recommandations :

28. Quand un organisme international chargé de mettre en application un traité touchant les droits de la personne demande officiellement au Canada de ne pas mettre à exécution une ordonnance d'expulsion, Citoyenneté et Immigration Canada devrait étudier la demande attentivement. Dans ces cas-là, le recours à la déportation ne devrait avoir lieu que pour les motifs les plus graves.

29. Quand Citoyenneté et Immigration Canada rédige de nouvelles dispositions législatives en matière d'immigration, il devrait dans la mesure du possible les rendre conformes au droit international en matière de droits de la personne, particulièrement la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant que le Canada a signée en 1991.

J. Les criminels de guerre

Le document Au-delà des chiffres recommande notamment de simplifier le processus visant les personnes ayant commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité afin qu'elles puissent être renvoyées beaucoup plus vite qu'actuellement. Le Comité n'a pas entendu beaucoup de témoignages sur la question des criminels de guerre et pense, comme l'un des témoins, que la question est fort complexe. Nous avons conclu que la question doit faire l'objet d'une étude beaucoup plus approfondie avant que des recommandations ne puissent être formulées. Par conséquent, même si la question préoccupe grandement l'ensemble des Canadiens, nous formulerons nos recommandations plus tard ou attendrons que les dispositions législatives proposées en matière d'immigration soient soumises à notre étude.

K. Le transport maritime

La Fédération maritime du Canada est le seul représentant de l'industrie des transports qui ait comparu. Ses représentants ont souligné certaines anomalies dans le traitement des compagnies de transport maritime dans la Loi sur l'immigration, par comparaison avec les autres compagnies de transport. Ils ont informé le Comité que lorsqu'ils agissent comme agents pour des lignes maritimes qui n'ont pas de bureau au Canada, ils sont tenus responsables des violations de la loi touchant les bateaux, par exemple la présence de passagers clandestins ou de déserteurs. Les agents canadiens, qui sont dans l'impossibilité d'empêcher ces infractions, sont donc obligés d'en assumer la responsabilité financière.

La Fédération a formulé un certain nombre de recommandations notamment l'adoption d'un article distinct concernant le transport maritime, la possibilité d'arrêter un navire pendant plus de 48 heures (la période autorisée à l'heure actuelle) et l'ajout de définitions pour certains termes clés afin de clarifier les dispositions qui s'appliquent à ces compagnies.

Le Comité convient que l'application de la Loi sur l'immigration au transport maritime nécessite une étude plus approfondie et des règles précises. Nous appuyons également de façon générale les recommandations qui précèdent et exhortons le gouvernement à revoir les articles de la loi s'appliquant au transport maritime en vue d'élaborer des règles qui sont claires et justes pour l'industrie et qui favorisent l'exécution efficace de la Loi sur l'immigration.

Recommandation :

30. Citoyenneté et Immigration Canada devrait revoir les articles de la loi applicables au transport maritime en vue d'élaborer des règles qui sont claires et justes envers l'industrie et qui favorisent l'exécution efficace de la Loi sur l'immigration.

L. La nécessité d'un code d'éthique ou de conduite

Certains témoins se sont dits mécontents de l'attitude des agents d'exécution, particulièrement dans les grands centres. Nous savons qu'il y a plusieurs années, M. Tassé a recommandé dans son rapport l'adoption d'un code d'éthique pour les agents de renvoi, recommandation à laquelle ont fait écho bon nombre des témoins qui ont comparu au cours de la présente étude. Citoyenneté et Immigration Canada a élaboré et distribué un code général de conduite à l'ensemble de son personnel et dirige des séances pour que ses employés se familiarisent avec ce code. Le ministère réalise également certains travaux sur les valeurs et l'éthique dans les fonctions d'exécution, mais il ne semble pas avoir l'intention d'élaborer un code d'éthique ou de conduite lié à ce domaine en particulier.

Certaines des préoccupations exprimées par les témoins entendus concernant les renvois pourraient bel et bien figurer dans un tel code. Par exemple, on nous a signalé une situation susceptible de présenter un danger, soit le renvoi de personnes qui auraient pu être désignées des réfugiés par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié s'il n'y avait pas eu de possibilité de refuge intérieur, c'est-à-dire la présence d'un lieu sûr dans leur pays d'origine. En effet, il arrive que des agents chargés d'exécuter le renvoi de telles personnes ne tiennent pas compte de ce genre de précision apportée par la Commission et pensent pouvoir se contenter d'envoyer l'intéressé n'importe où dans son pays d'origine. Selon le Comité, s'il n'est pas possible de renvoyer une personne dans la partie du pays jugée sûre par la Commission, le renvoi ne doit pas être exécuté.

De la même façon, un témoin signale que les autorités du pays d'origine sont parfois informées du renvoi chez eux de revendicateurs du statut de réfugié dont la demande a été rejetée, une situation qui pourrait mettre ces personnes en danger. En l'absence d'éléments de criminalité, nous ne voyons aucune raison de communiquer de tels renseignements.

Le Comité comprend qu'une organisation ne peut avoir un code d'éthique particulier pour chacune de ses nombreuses activités. Il semble toutefois que le travail accompli par les agents d'exécution nécessite l'élaboration d'un code distinct ou, à tout le moins, d'une section distincte dans le code de conduite général applicable à l'ensemble du ministère. Une telle mesure devrait déjà avoir été prise, comme l'avant d'ailleurs recommandé.

Recommandation :

31. Citoyenneté et Immigration Canada devrait élaborer un code d'éthique ou de conduite visant tout particulièrement la fonction d'exécution, pouvant faire partie du code de conduite général ou constituer un document distinct.

M. Organisme de surveillance

Cependant, aucun organisme n'est à l'abri des erreurs, même s'il est doté d'un code de conduite exemplaire. Il importe cependant que les organismes gouvernementaux prévoient des mécanismes adéquats permettant de traiter les plaintes qui restent en suspens après être passées par les filières internes voulues.

Nombre de témoins qui ont comparu devant le Comité ont justement proposé la création d'un organisme pour surveiller l'ensemble du processus d'exécution. Il ne s'agit pas d'examiner les fonctions stipulées par la loi et qui font donc l'objet d'une surveillance judiciaire, mais bien de revoir les questions inhérentes au système, particulièrement celles qui semblent violer le code de conduite dont l'adoption a été recommandée ci-dessus, ou qui s'avèrent inéquitables. Nous constatons que M. Tassé a fait une recommandation semblable dans son rapport. Nous pensons aussi qu'un organisme de surveillance indépendant doté d'un objectif clair serait un précieux atout dans notre système d'exécution de la Loi sur l'immigration.

Recommandation :

32. Citoyenneté et Immigration Canada devrait créer un organisme de surveillance clairement chargé de traiter les plaintes concernant le système d'exécution. Cet organisme accueillerait les plaintes au sujet du traitement subi ou de la violation du code de conduite qui n'ont pas été résolues après être passées par toutes les filières internes appropriées.


1 Au-delà des chiffres, p. 102.

2 Ibid., p. 103.

3 Les conditions obligatoires seraient : respecter les délais serrés liés à la présentation d'une demande d'asile; se prêter aux vérifications de sécurité et aux contrôles à caractère pénal; tenir le Ministère informé de tout changement d'adresse; subir un examen médical dès son arrivée; se présenter comme convenu; enfin, coopérer avec les autorités pour obtenir ses documents de voyage.

4 Parmi les 100 personnes sous garde en avril 1998 qui n'étaient pas des criminelles, 15 demandaient le statut de refugié.

5 Roger Tassé, Renvois : processus et personnes en état de transition, février 1996.