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FAIT Rapport du Comité

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Annexe A

M. Bill Graham, député
Président, Comité permanent des affaires étrangères
et du commerce international
Chambre des communes
Ottawa, Canada
K1A OA6

Monsieur,

Je vous remercie de votre lettre de même que de l'invitation à vous communiquer mon point de vue sur la question de la politique du Canada en matière de non-prolifération nucléaire, de contrôle des armements et de désarmement. Je suis désolé de ne pouvoir m'adresser de vive voix aux membres du comité et je vous sais gré de l'occasion qui m'est offerte de vous faire part des observations qui suivent.

Premièrement, je vous félicite de votre initiative. Il s'agit selon moi de la plus importante question en matière de sécurité de l'après-guerre froide. Elle sera le fondement du règlement des conflits internationaux pour des décennies à venir. Qui plus est, elle régira le rythme et l'espoir de relever les normes d'un comportement civilisé entre les États et les peuples.

Deuxièmement, j'aimerais que votre groupe comprenne que mes récentes déclarations dans le cadre desquelles j'ai demandé aux puissances nucléaires de renouveler leur engagement en ce qui a trait à l'élimination de leurs arsenaux nucléaires ne m'ont pas été inspirées du jour au lendemain. Mes doutes, mes préoccupations et ma consternation concernant la politique et les pratiques régissant le rôle des armes nucléaires ne datent pas d'hier. Elles sont le fruit des réflexions d'un initié, de quelqu'un qui a exercé des responsabilités uniques depuis l'étape de la conception jusqu'à celle des opérations. J'en suis venu à comprendre que nous, Américains, avons créé un ensemble d'organismes, de réseaux et de processus d'une telle complexité que nous en sommes venus à ne plus pouvoir en gérer les activités. Le prix à payer a été énorme au chapitre des ressources, du risque et de la chance que nous avons laissé échapper de rétablir nos rapports avec la Russie. Heureusement, notre savoir-faire, la chance et l'intervention divine nous ont permis de traverser notre demi-siècle de confrontation sans holocauste nucléaire.

Troisièmement, il est vraiment triste que l'homme soit incapable de se départir du dispositif de sécurité le plus bizarre et le plus terrifiant qu'il ait jamais conçu. Je suis convaincu que, dans le cadre de vos travaux, vous avez entendu les tenants actuels de la stratégie de dissuasion nucléaire. Je les connais tous et j'ai eu de longues discussions avec la plupart d'entre eux au sujet du rôle que revêtent les armes nucléaires pour la sécurité nationale, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Leurs arguments me sont terriblement familiers et je les connais par coeur. Ils sont sérieux et bien raisonnés. Ils sont aussi remarquablement pervers, pas seulement du point de vue d'un environnement de sécurité profondément modifié mais aussi de celui des questions morales sous-jacentes. En fait, ce que j'ai trouvé le plus difficile à reconnaître dans le cadre de ma propre réévaluation des armes nucléaires, c'est que pendant la majeure partie de ma carrière la valeur morale de ces armes terriblement destructrices m'avait échappé. La lumière s'est fait le jour où on m'a confié la responsabilité d'élaborer le plan américain de guerre nucléaire et que j'ai pris conscience des conséquences que constituait le fait de pointer 10 000 armes en direction de l'Union soviétique. C'est à ce moment que j'ai vraiment compris l'honnêteté brutale de l'observation de Joseph Staline sur les temps modernes : « La mort d'une seule personne est une tragédie; la mort de millions de personnes est une statistique. »

Alors que vous examinez la question cruciale de savoir dans quelle mesure le Canada, cette extraordinaire mosaïque de peuples et ce grand ami des États-Unis, devrait s'aligner sur le rôle permanent des armes nucléaires, je vous encourage à réfléchir sérieusement à l'opportunité et aux enjeux. Mon pays a grandement besoin de se donner de nouvelles règles de conduite relativement à cette question. Nous avons eu le malheur, en élaborant notre politique gouvernementale, de devenir cyniques et arrogants lorsqu'il s'est agi de prendre des décisions touchant des centaines de millions de gens. Nous avons banalisé la possibilité d'un échec de la dissuasion, ce qui nous justifiait facilement de ne pas avoir tenu compte des conséquences. Nous avons appris à vivre avec une arme qui engourdit notre conscience et nous déshumanise. Nous devons entendre les voix de la raison qui nous exhorteront à plus de rectitude et de leadership à l'échelle mondiale. À vous de jouer.

Je vous souhaite bonne chance dans vos travaux et je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.

Lee Butler
Général, USAF (Retraité)

(juillet 1998)