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CHAPITRE 7 :
DÉVELOPPEMENT DURABLE ET ENVIRONNEMENT
Les préoccupations mercantiles des libre-échangistes ne
sont rien à côté de la survie de la planète.
Mais les libre-échangistes ont tous les outils nécessaires.
[...] nous avons le pouvoir d'embarrasser, c'est tout. Le déséquilibre
entre les règles efficaces [...] du commerce mondial et des accords
environnementaux faibles ne seraient pas fatal si [le] commerce et l'environnement
restaient dans des sphères séparées. Mais le monde
n'est pas aussi rigoureux. Si les grandes compagnies ne réussissent
pas à contrer un règlement national sur l'environnement,
le GATT et l'ALENA leur offrent une autre façon d'attaquer. Le règlement
sur l'environnement des uns est un obstacle commercial non tarifaire pour
les autres. [Elizabeth May, 29:1555]
Le complexe économie-environnement
L'environnement constitue le système qui maintient en vie l'homme
et les autres espèces sur terre; il fournit les ressources et assimile
les déchets, en plus d'être une source de beauté. Ces
fonctions s'effectuent dans ce qui correspond à un système
économique fermé où tout ce qui est produit sert d'intrant
à autre chose. Ce phénomène découle du premier
principe de la thermodynamique qui affirme que l'énergie ne peut
être créée ou détruite, seulement convertie
ou dissipée sous une forme quelconque. Par conséquent, toute
exploitation des ressources naturelles finit par produire des déchets
qui aboutissent dans l'environnement et restent sous cette forme jusqu'à
leur assimilation. Le stade du « développement durable »
est atteint lorsque, en situation d'équilibre entre le taux d'utilisation
et le taux de régénération naturelle des ressources
renouvelables, le taux de production de déchets est inférieur
aux capacités d'assimilation de l'environnement. Dans ces conditions,
l'état naturel de l'environnement peut se maintenir indéfiniment
pour les générations futures (qui, espérons-le, ne
vont pas le dégrader).
Il est une chose de définir le développement durable en
termes aussi généraux, le réaliser en est une autre.
Ainsi, les systèmes de marché parviennent à un partage
efficace des ressources naturelles ou transformées quand le prix
de toutes les ressources correspond à leur valeur de rareté,
dont les coûts reliés au droit d'utiliser notre système
commun de survie. En d'autres mots, les coûts de la pollution causée
par les activités économiques doivent entrer dans le prix
des ressources, autrement il y a peu d'incitation à économiser
et à corriger nos actions polluantes. En général,
le libre-échange peut mieux rectifier le marché pour réaliser
cet objectif de partage (à l'échelle du globe) que les barrières
tarifaires et non tarifaires qui s'opposent à l'utilisation efficace
des ressources. De toute évidence, une utilisation inefficace des
ressources n'est avantageuse ni pour l'économie, ni pour l'environnement.
Depuis les débuts de l'activité économique, et
la révolution industrielle en particulier, l'homme a pu exploiter
à grande échelle la plupart des ressources naturelles sans
payer directement le prix des fonctions de survie assumées par l'environnement.
Cela parce que l'environnement est, dans la plupart des cas, un bien public
gratuit. L'économie mondiale a donc profité d'une subvention
environnementale qui a donné lieu à la surexploitation des
ressources naturelles et entraîné dans bien des cas une grave
pollution de l'air, de l'eau et des sols, la perturbation des écosystèmes,
la destruction des habitats et l'extinction des espèces. En l'absence
de freins, les systèmes de survie assurés par la nature vont
se dégrader, parfois de façon irréversible, de notre
vivant et pendant bien des générations encore.
Afin d'en arriver à un résultat plus écologique,
les gouvernements de toute allégeance ont donc décidé
d'intervenir et de parfaire les conditions des marchés de diverses
façons, en utilisant des outils de coercition et de contrôle
(prescription de technologies de dépollution, règlements
sur les taux de déversement des effluents, règles sur l'élimination
des substances toxiques et financement direct des programmes de recyclage)
ainsi que des outils de marché (permis de pollution transférables,
systèmes de quota et subventions fiscales). Sur le front international,
les gouvernements se sont engagés à améliorer l'environnement
par plusieurs ententes multilatérales récentes. Ainsi, afin
de protéger l'environnement, la santé humaine et la vie sous
toutes ses formes, les gouvernements sont intervenus sur le marché
et ont remplacé, avec plus ou moins de succès, par leur jugement
sur la rareté des ressources, celui du secteur privé.
L'interaction de l'économie et de l'environnement, à la
fois complexe et dynamique, est encore mal connue. Sa prise en main est
en passe de devenir un sujet de préoccupation social constant. Tout
ce qu'on peut dire avec une certaine assurance, c'est que les espèces,
dont l'homme, ne sont pas seulement le résultat des habitats et
de leur évolution; elles en sont aussi la cause. D'un point de vue
économique, à défaut d'évaluation précise
des coûts des dégâts infligés à l'environnement
par notre comportement et plus particulièrement pas notre activité
industrielle, et très certainement pas la conjugaison des deux,
les dangers d'une défaillance du marché (accident de l'Exxon
Valdez) ou du gouvernement (disparition de la pêche commerciale à
la morue sur la côte Est) persisteront. Faute de connaissances plus
poussées, il est difficile de savoir quelles institutions protègent
le mieux l'environnement et sa capacité d'assimilation.
Politique commerciale et environnementale
Il n'y a pas de conflit fondamental entre l'objectif commercial d'un
partage efficace des ressources mondiales et l'objectif environnemental
du développement durable. Ils sont complémentaires à
la fois en théorie et lorsqu'ils sont bien mis en pratique. En fait,
à part l'élimination des barrières tarifaires et non
tarifaires qui créent une distorsion et nuisent à l'efficacité,
les institutions financières ont cherché à réduire
graduellement puis éliminer les subventions, en particulier à
l'exportation. Cette action est généralisée dans les
secteurs agricole et halieutique, où une capacité de production
excessive a causé une détérioration des sols et des
stocks de poisson.
La libéralisation du commerce des biens et services de l'environnement
procure un autre arrimage positif entre commerce international et environnement,
car une politique libre-échangiste réduit pour les gouvernements
les coûts rattachés à l'amélioration de la qualité
de l'infrastructure environnementale. La libéralisation de l'investissement
permet également aux entreprises des pays développés
d'exporter leurs procédés de production plus écologiques
et leurs techniques de gestion d'avant-garde aux pays en développement
qui n'en ont pas les moyens financiers.
Enfin, la libéralisation du commerce favorise la croissance économique
tant des pays développés que des pays en développement.
La prospérité produite par l'ouverture plus grande des marchés
étrangers et une production plus efficace permet aux pays de mieux
articuler et maintenir une politique de développement durable. Richesse
et protection de l'environnement sont corrélés positivement,
puisque les pays nantis ont démontré leur volonté
de protéger la nature, comme ils ont appris à la connaître,
pour des raisons tant de santé que d'esthétique, dans la
perspective de l'essor que prend l'écotourisme.
Aucun témoin n'a contesté cette compatibilité,
mais plusieurs estiment qu'il y a nivellement par le bas. Selon eux, les
normes nationales en matière d'environnement seront abaissées
ou flouées pour éviter que les compagnies déménagent
production et emplois vers les pays aux normes moins sévères
et moins rigoureusement appliquées; le Comité en doute. Selon
une étude de Dun and Bradstreet, 80 p. 100 des compagnies canadiennes
interrogées ont consacré entre 0 et 2 p. 100 de leur budget
à la protection de l'environnement. Une étude analogue réalisée
pour le compte du représentant commercial des États-Unis
indique que les coûts de dépollution y sont d'environ 1,1
p. 100 de la valeur ajoutée pour toutes les entreprises et que 86
p. 100 d'entre elles ont des coûts de dépollution de 2 p.
100 ou moins1.
Lorsqu'on tient compte du phénomène des grappes industrielles
(nouvelles compagnies de haute technologie à Kanata, aciéries
à Hamilton, Ontario et à Pittsburgh, Pennsylvanie, studios
de cinéma à Hollywood, Californie), qui semble se produire
là où les avantages économiques offerts par la collectivité
compensent les coûts de la lutte antipollution, le Comité
n'est pas surpris de constater que les détracteurs n'ont pu signaler
aucun secteur économique qui aurait fui à l'étranger
notre réglementation trop sévère.
En outre, alors que personne ne conteste la compatibilité entre
le libre-échangisme et le développement durable, les critiques
ne manquent pas sur la compétence des experts commerciaux à
traiter des dossiers complexes touchant l'environnement. Même en
présence d'informations suffisantes dans les dossiers où
commerce et environnement se heurtent, les experts commerciaux font invariablement
passer les priorités commerciales avant l'environnement. En fait,
les nouveaux accords commerciaux ajoutent des munitions au secteur industriel
pour contester les mesures environnementales existantes.
La première fois, c'est le Venezuela qui a contesté des
mesures relevant de la U.S. Clean Air Act afin de réduire
les émissions relatives à l'essence nouvelle. C'est le gouvernement
du Venezuela qui a été à l'origine de cette contestation,
mais les véritables pressions pour modifier le règlement
émanaient des filiales des multinationales pétrolières
et gazières, celles-là mêmes qui n'avaient pas réussi
à faire obstacle au règlement à Washington. La contestation
à l'OMC était un autre moyen de s'y attaquer. La tactique
a réussi, avec le résultat qu'aux États-Unis l'air
est moins propre. [Elizabeth May, 29:1600]
Ces mesures poussent de nombreux témoins à conclure que
les institutions commerciales existantes, surtout l'Organisation mondiale
du commerce (OMC) et l'Accord de libre-échange nord-américain
(ALENA), ne se préoccupent pas de l'environnement, contrairement
à ce que d'autres prétendent.
Gestion des dossiers commerciaux et écologiques
Tout au long des audiences, les témoins ont souvent évoqué
les jugements de tribunaux commerciaux dans des dossiers écologiques,
sans ménagement parfois :
Depuis lors, à l'Organisation mondiale du commerce, il y a eu
l'affaire thon-dauphin, l'affaire tortue-crevette, l'affaire de l'hormone
de croissance bovine et, dans le contexte de l'ALENA, le cas de l'exportation
des billes de bois brut. Le Canada ne peut prendre des mesures pour contrôler
l'exportation de billes brutes afin de conserver des emplois au Canada
et réduire le stress que subissent nos forêts. Aux termes
de l'ALE, dans l'affaire saumon-hareng, il a aussi été déterminé
que le Canada ne peut interdire l'exportation de saumon et de hareng non
transformés, même si cela a une importance cruciale pour la
préservation des stocks halieutiques et la protection des emplois.
[Elizabeth May, 29:1600]
Pour l'essentiel, le Comité ne conteste pas les décisions
des tribunaux commerciaux, mais il prend bonne note de ces critiques. Dans
les dossiers de l'hormone de croissance bovine et de la pêche, on
allègue une barrière non tarifaire potentielle, déguisée
en mesure de protection de la santé ou de l'environnement, ce qui
justifie l'action des tribunaux commerciaux. La cause des hormones de croissance
bovine impliquait la nécessité de corroborer les faits scientifiques
et d'appliquer le principe de précaution; à la fin, le tribunal
a tranché en faveur du Canada et des États-Unis, contre l'Union
européenne qui interdisait l'importation. Les poursuites concernant,
dans un cas, le thon et le dauphin et, dans l'autre, la tortue et la crevette
mettaient en cause un pays puissant, les États-Unis, qui interdisait
des importations portant atteinte à la souveraineté d'un
pays étranger d'édicter ses propres normes environnementales.
Il faut se rappeler que l'enjeu, pour les tribunaux commerciaux, n'est
pas l'effet néfaste sur l'environnement (les activités industrielles
et l'exploitation des ressources nuisent presque toujours à l'environnement)
mais les allégations de distorsion du commerce par les méthodes
de pêche utilisées en contravention des normes environnementales
qu'une partie a établies et s'est engagée à respecter.
Le Comité reviendra à ces questions commerciales plus loin.
Par ailleurs, le Comité n'est pas du tout surpris que les tribunaux
commerciaux aient donné tort au Canada dans les deux poursuites
concernant ses ressources. Les politiques avaient été instaurées
pour protéger au pays les emplois et le commerce à valeur
ajoutée, objectif qu'on ne réfutait pas et qui rendait notre
position intenable. Le fait d'interdire l'exportation des billes de bois
et du poisson non transformé aurait pu être considéré
comme une mesure acceptable de protection de l'environnement par le passé
quand les pratiques forestières ne respectaient pas les possibilités
de rendement équilibré et encore moins le développement
durable, et que le total admissible des captures (TAC), ne reflétait
pas de façon précise les estimations des stocks de poisson
et de leur taux de renouvellement. Cependant, dans l'état actuel
des outils et des pratiques de gestion des ressources, cette politique
apparaît aux yeux des tribunaux comme strictement protectionniste,
discriminatoire et contraire aux engagements du traitement national. On
aurait pu trouver des moyens non discriminatoires, comme ailleurs au Canada
et dans le monde, pour protéger ces environnements.
En terminant ses observations à ce sujet, le Comité aimerait
faire comprendre au public que lorsqu'un tribunal commercial décide
d'invalider une mesure législative sur la protection de l'environnement
ou de l'hygiène jugée discriminatoire ou contraire aux engagements
internationaux, les choses ne s'arrêtent pas là. Quatre possibilités
s'offrent au pays en faute : il peut remplacer la mesure par une autre
qui n'est pas discriminatoire, négocier un compromis avec les parties
lésées, révoquer simplement la mesure ou décider,
sans rien faire, de la maintenir en acceptant des représailles ayant
un « effet commercial équivalent ». Deux de ces quatre
solutions ne comportent aucune conséquence apparente, directe ou
indirecte, pour l'environnement ou l'hygiène; il n'y en a que si
le pays négocie un compromis ou refuse d'adopter une nouvelle mesure,
mais le gouvernement souverain qui prend une telle décision doit
en répondre devant l'électorat. C'est là une question
importante pour la protection de l'environnement à laquelle le Comité
reviendra plus loin.
L'application cohérente des politiques exige évidemment
de la coordination entre les organisations internationales du commerce
et de l'environnement. Dans les cas cités, cette coordination semble
avoir fait défaut mais on a avancé l'explication suivante
:
Le problème que pose la présence de trois accords multilatéraux
sur l'environnement qui semblent, à première vue, comporter
des dispositions commerciales qui ne sont pas compatibles avec les dispositions
du GATT, mais n'ont pas été éprouvées [...]
c'est que les pays signataires ne disposent pas de mécanisme de
règlement des différends. Je pense à l'Accord de Bâle,
par exemple, qui n'a pas de mécanisme propre. C'est malheureux,
parce que, si les pays sont en désaccord et doivent porter leur
cause devant l'Organisation mondiale du commerce, ils ne seront pas nécessairement
entendus par des experts de l'environnement, mais par des experts commerciaux.
[Gordon Peeling, 30:1705]
Presque tous les environnementalistes qui ont comparu devant nous le
confirment et se plaignent de la difficulté d'appliquer les accord
multilatéraux sur l'environnement (AME).
Le sommet réunissant le plus grand nombre de dirigeants mondiaux
a eu lieu en juin 1992 à Rio de Janeiro. À cette occasion,
ces derniers ont pris l'engagement de protéger le climat de la planète
d'une déstabilisation catastrophique causée par les gaz à
effets de serre, de protéger la diversité des ressources
génétiques, des espèces et des écosystèmes
du monde et d'augmenter l'aide internationale aux pays en développement.
Pour assurer la protection de la santé, le bien-être des êtres
humains et le maintien des systèmes de survie, ils ont en outre
adhéré au principe de prudence. Mais sept ans après
Rio, ces accords multilatéraux sur l'environnement ou AME, [...]
sont remarquables par le nombre de gouvernements qui n'ont pas honoré
leurs engagements.
[D]epuis 1992, l'Organisation mondiale du commerce, qui n'existait même
pas à l'époque de Rio, affiche un bilan impressionnant pour
ce qui est de la mise en oeuvre de son régime commercial. Le nouvel
organisme d'application du GATT, créé dans la foulée
des négociations commerciales multilatérales du long cycle
de l'Uruguay, a été respecté et chaque fois qu'une
violation de ses conditions est soupçonnée, des litiges commerciaux
et des sanctions commerciales efficaces, rapides et impitoyables s'ensuivent.
[Elizabeth May, 29:1555]
Comme beaucoup de témoins l'ont indiqué, la volonté
politique de régler les problèmes environnementaux au niveau
international semble faire défaut. Les tribunaux commerciaux créés
pour faire appliquer les ententes commerciales ne devraient donc pas servir
de bouc émissaire lorsque des ententes environnementales multilatérales
inapplicables échouent. Un moyen complémentaire, quoique
moins efficace, est venu s'ajouter aux politiques depuis l'ALENA.
C'est la raison pour laquelle nous envisageons des accords parallèles
[...] Nous pensons que beaucoup d'avantages peuvent découler de
ces accords et de toute la promotion de la libéralisation des échanges.
Nous pensons que le développement économique, l'expansion
du commerce, la création d'emplois, la nouvelle richesse et la capacité
des gouvernements d'obtenir de nouvelles rentes [...] Tout cela consolide
les institutions qui peuvent obtenir de meilleurs résultats et mieux
respecter les normes en matière d'environnement, de santé,
de sécurité [...] et nous croyons que cela compense les coûts.
[Gordon Peeling, 30:1705]
La promotion de normes relatives à l'environnement et au travail
devrait être considérée comme une question distincte
de l'accord de la ZLEA sur les investissements ou le commerce et traitée
parallèlement, comme accord connexe. [Gordon Peeling, 30:1615]
Ces accords parallèles peuvent pallier aux difficultés
d'application des accords multilatéraux sur l'environnement et faire
l'équilibre entre les objectifs commerciaux et écologiques.
On a avancé quelques principes de base :
Le régime de l'ALENA permet effectivement d'assurer à
la fois le développement durable et la libéralisation du
commerce, de combattre le protectionnisme dans nos principaux marchés
étrangers, et d'assurer la protection et l'amélioration de
l'environnement [...] Tout d'abord, il faut insister sur les principes
du préambule, les aspirations normatives du régime. Et j'aimerais
signaler en passant que le texte de l'ALENA sur le commerce, le texte principal,
affirme au début que l'objectif général de la libéralisation
du commerce dans le cadre de l'ALENA est, entre autres, de promouvoir le
développement durable et de renforcer les lois et la protection
de l'environnement. La libéralisation du commerce est donc un moyen
d'atteindre ces objectifs supérieurs, selon le texte principal de
l'ALENA. Deuxièmement, le texte de base de l'ALENA affirme également
la primauté des ententes multilatérales sur l'environnement,
dont certaines prévoient des restrictions au commerce, sur la libéralisation
du commerce assurée par l'ALENA même. Et ici, je pense que
nous devons maintenir ce principe et examiner de plus près l'aspect
multilatéral [...] Troisièmement, l'application des règles
touchant l'environnement est un sujet complexe. Dans le cadre de l'ALENA,
le Canada a convenu qu'il ne permettrait pas de restrictions commerciales
générales pour assurer la concrétisation des objectifs
environnementaux. Le Mexique et les États-Unis n'ont pas réussi
à échapper à cette menace pour l'orientation fondamentale
du régime de libéralisation du commerce. [John Kirton, 122:940-945]
Cependant, les environnementalistes ne sont pas impressionnés
par les ententes parallèles dans leur formulation actuelle.
Même en essayant d'être aussi objective que possible, j'ai
beaucoup de mal à trouver des avantages concrets à l'accord
parallèle sur l'environnement. Depuis que la commission existe,
elle a produit deux rapports qui ont permis de désigner les grandes
régions polluantes en Amérique du Nord [...] À part
cela, elle n'a pas réalisé grand chose. Je ne pense pas que
c'est la voie à suivre; je répète que les dispositions
de l'accord limitent la capacité du gouvernement d'établir
des normes et que ce n'est pas un accord parallèle qui va arranger
les choses. [Michelle Swenarchuk, 30:1730]
S'il y a incompatibilité entre commerce et environnement, comme
cela est peut-être ressorti de l'affaire Venezuela c. US
Clean Air Act et celle sur les hormones de croissance bovine, elle
se trouve dans les instruments politiques et l'information scientifique
sous-jacente. Le Comité recommande :
11. Que le gouvernement du Canada veille à faire respecter
dans l'ensemble des Amériques des normes environnementales nationales
appropriées et les normes établies dans les accords internationaux
applicables. Que le gouvernement du Canada, lors de la négociation
de l'accord sur la Zone de libre-échange des Amériques, cherche
à faire clarifier les obligations découlant des accords multilatéraux
sur l'environnement et prévoie de meilleures disciplines multilatérales
pour régir les mesures écologiques et sanitaires à
incidence commerciale.
et
12. Que le gouvernement du Canada veille à ce que ses représentants
commerciaux aient accès aux données scientifiques les plus
à jour sur l'environnement.
Les témoins nous ont donné des avis contradictoires sur
les règles devant guider un accord sur l'environnement de la ZLEA.
D'une part :
Nous recommandons que le Canada tente de préciser les règles
existantes, et je pense ici à l'interface entre le commerce et l'environnement.
Pour y parvenir, il faudrait élaborer et appliquer de façon
transparente des normes environnementales et des mesures fondées
sur des données scientifiques valables et refuser la discrimination
injustifiée ou l'extraterritorialité unilatérale touchant
les procédés de production. [...] [Nous favorisons] également
le principe de la prudence lorsque des normes ou des règlements
techniques internationaux n'existent pas ou sont insuffisants, dans la
mesure où les normes ou règlements nationaux permettent l'évaluation
du risque et dans la mesure où ce risque est fondé sur des
données scientifiques et techniques sûres, recueillies dans
un délai raisonnable. [Gordon Peeling, 30:1610-1615]
D'autre part :
[Je] vais me contenter d'attirer l'attention sur deux questions mettant
en cause l'environnement et le commerce. La première concerne les
procédés de fabrication et les méthodes de production,
dont il y aurait lieu, à notre avis, de délibérer
à l'OMC à titre de « nouvelles questions». À
l'heure actuelle, l'OMC ne tient aucun compte des procédés
et des méthodes. Autrement dit, un pays importateur ne peut pas
faire de discrimination à l'égard de biens qui sont fabriqués
d'une manière qui nuit à l'environnement. Nous croyons qu'en
s'attachant presque exclusivement aux caractéristiques physiques
d'un bien, l'OMC contrarie les efforts visant à mettre en place
des règles du commerce international qui encouragent la production
et la consommation durables. L'interprétation que donne actuellement
l'OMC des procédés et méthodes semble protéger
plutôt les producteurs que le grand public. Nous croyons que les
procédés de fabrication et méthodes de production
sont une préoccupation environnementale clé qui, dans certaines
circonstances bien définies, devraient être un motif valable
de restriction des importations. [Simon Rosenblum, 122:1215]
Les environnementalistes rejetteront d'emblée, il va de soi,
la première proposition qui, en plus de viser à maintenir
le fardeau de la preuve scientifique sur les épaules de ceux qui
établissent les normes sanitaires et environnementales, retient
l'évaluation des conséquences environnementales fondée
sur les caractéristiques des produits plutôt que sur la notion,
beaucoup moins étroite, du cycle complet de la production et de
la consommation. Le Comité est toutefois convaincu que, en prenant
du recul par rapport au foisonnement de détails pour examiner les
grands enjeux, on arrivera à la conclusion que cette approche offre
plus de souplesse administrative aux pays qui poursuivent leurs propres
objectifs environnementaux, lesquels peuvent différer de ceux d'autres
pays. Considérons le cas suivant, peut être précurseur
des futures décisions en matière de développement
durable :
On se butte rapidement à un problème quand on veut prendre
une décision au nom de l'Organisation mondiale du commerce pour
interdire, par exemple, la présence de plomb dans l'essence [...]
Cette décision entraîne des coûts pour certains grands
pays de l'Asie du Sud-Est [...] L'alimentation en eau potable de la population
est un problème de santé pour eux en raison des nombreuses
pertes de vie enregistrées chaque année. C'est leur priorité
en ce domaine. Pour ce qui est de la qualité de l'air, la présence
de plomb dans l'essence vient bien loin sur la liste de leurs priorités.
[...] Comment pourraient-ils lui donner plus d'importance? Ils n'ont pas
les ressources financières nécessaires et ils le feraient
au détriment d'autres questions plus importantes. [Gordon Peeling,
30:1715]
Certains témoins ont bien reconnu la supériorité
de cette approche.
Pour ce qui est du rapport entre le commerce et la responsabilité
nationale sur le plan de l'environnement, nous sommes convaincus que la
position du Canada lors des prochaines négociations de l'OMC ne
doit d'aucune façon mettre en péril le pouvoir souverain
des nations de gérer leurs ressources naturelles et d'imposer une
réglementation environnementale visant à les protéger.
[...] En cette matière, un équilibre délicat s'impose.
D'une part, le souci de protéger l'environnement ne doit pas être
prétexte à des mesures protectionnistes entravant le libre-échange
ou contournant des dispositions à cet égard. D'autre part,
l'harmonisation des objectifs nationaux par des accords multilatéraux
sur l'environnement doit s'effectuer d'une manière qui tienne compte
de la pratique du commerce international et qui y soit intégrée.
[Colin Isaacs, 110:915]
Le Comité convient qu'une plus grande souplesse dans l'établissement
des priorités nationales fera plus qu'empêcher le recours
aux mesures écologiques pour dissimuler le protectionnisme commercial
: il permettra d'établir des normes environnementales plus élevées.
Nous recommandons donc :
13. Que le gouvernement du Canada fasse en sorte que les règles
régissant un accord sur la Zone de libre-échange des Amériques
ne réduisent en rien le droit souverain qu'il a de prendre des règlements
dans l'intérêt public.
À défaut de la volonté politique de faire respecter
les AME, il semble que ces mesures atténueront les conflits entre
objectifs commerciaux et écologiques.
1 Comité
d'examen environnemental de l'ALENA, Accord de libre-échange
nord-américain : Examen de l'environnement au Canada, Gouvernement
du Canada, Ottawa, octobre 1992, p. 62; Office of the United States Trade
Representative, Review of U.S.-Mexico Environmental Issues, Washington,
D.C., 25 février 1992.