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CHAPITRE 8 :
LA CULTURE ET LA DIVERSITÉ CULTURELLE DANS LES AMÉRIQUES
Il importe d'établir un pacte culturel qui définisse la
culture non seulement comme une marchandise, mais comme un enjeu d'importance
nationale qui puisse être soustrait à l'application de tous
les accords commerciaux internationaux, y compris, bien sûr, celui
de la ZLEA. [Megan Williams, 32:1535]
Culture, diversité et politiques gouvernementales
Au chapitre 2, le Comité cite des statistiques sur la diversité
des sociétés de l'hémisphère occidental et,
les disparités économiques mises à part, il souhaite
que cette diversité des Amériques se maintienne. Si nous
avons bien compris, la ZLEA vise à accroître l'intégration
économique, non l'intégration politique ou l'assimilation
culturelle. Par conséquent, à mesure que les Amériques
s'intègrent économiquement, il importe que les pays de l'hémisphère
conservent des cultures nationales fortes pour assurer leur souveraineté
et leur sentiment d'identité. En fait, le Comité estime que
la culture est au coeur d'une nation et qu'il en est ainsi aussi bien du
Canada que des autres pays des Amériques.
L'UNESCO englobe dans la culture le patrimoine culturel, les imprimés
et la littérature, la musique et les arts du spectacle, le cinéma
et la photographie, la radio et la télévision, ainsi que
les activités socioculturelles. Sur la base de cette définition,
les industries culturelles canadiennes ont un chiffre d'affaires d'au moins
20 milliards de dollars (1994-1995), soit environ 3 p. 100 du produit intérieur
brut, et emploient 610 000 personnes à temps plein ou à temps
partiel.
Le gouvernement du Canada, en tant que gardien de notre identité
nationale, a investi des deniers publics et d'autres ressources dans le
secteur culturel aux fins de la construction nationale et de la promotion
d'une société multiculturelle. Il a donc accepté l'argument
invoqué par la collectivité culturelle suivant lequel notre
petit marché national ne peut pas à lui seul faire vivre
des entreprises mondialement compétitives offrant des produits distinctement
canadiens. Ces entreprises ne peuvent simplement pas amortir l'importante
mise de fonds initiale sur le seul marché national de manière
à être compétitives à l'échelle mondiale
tout en étant rentable compte tenu des risques marchands et financiers
qu'elles supportent. C'est seulement lorsque les produits canadiens attirent
de larges audiences étrangères qu'ils peuvent soutenir la
concurrence internationale, mais souvent alors au prix d'un gommage ou
d'une atténuation de leur spécificité canadienne.
Il y a peu de chances, sur un marché aussi concurrentiel, que les
produits canadiens qui remportent du succès sur les marchés
internationaux contre-subventionnent les produits culturels distinctement
canadiens. Il est impossible de commercialiser des produits culturels distinctement
canadiens sur le seul marché national sans l'aide financière
et réglementaire du gouvernement, pratique de plus en plus contestée
par les intérêts étrangers par suite de nos engagements
commerciaux internationaux.
Le Comité a reçu des témoignages de tout le milieu
culturel affirmant que cette aide est essentielle à la préservation,
voire la survie de la culture canadienne.
Les auteurs canadiens se taillent une place de choix sur le marché
mondial. Cela tient certes à la valeur de leur travail mais également
aux encouragements qu'ils reçoivent pendant leurs années
de formation. Les pressions qui ne cessent de croître en vue d'éliminer
les programmes publics canadiens visant à protéger et à
encourager la diversité culturelle menacent toutefois ce cadre,
souverain et formateur, dans lequel les créateurs apprennent et
approfondissent leur art. [Barry Grills, 32:1600]
Pendant les années où les politiques culturelles canadiennes
prenaient forme, le gouvernement se limitait presque exclusivement à
verser des subventions tant directes qu'indirectes et à accorder
une protection douanière en vue d'atteindre ses objectifs culturels.
Au fil des ans et par suite des progrès techniques en matière
de production et de distribution, les tarifs douaniers ont disparu tandis
que le nombre et le montant des subventions ont augmenté sensiblement
jusqu'aux dernières compressions budgétaires fédérales.
En outre, les subventions gouvernementales sont assorties depuis un certain
temps de stimulants fiscaux, de mesures liées à l'investissement
et de règlements dans les secteurs de la télévision,
du cinéma, de la musique et de l'édition.
Sphères de la politique commerciale et engagements canadiens
Les traités commerciaux varient sur le plan du traitement des
produits culturels et des disciplines qu'ils imposent aux pays signataires.
Au niveau multilatéral, l'Organisation mondiale du commerce (OMC)
administre l'Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce (GATT) et l'Accord général sur le commerce des services
(AGCS). Les pays signataires du GATT ont par ailleurs négocié
l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (ASMC) et l'Accord
sur les mesures concernant les investissements liés au commerce
(AMIC) qui leur imposent quelques disciplines de plus. Le Canada est signataire
de tous ces accords ainsi que d'accords régionaux et bilatéraux
comme l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et
l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis
(ALECEU).
Le GATT de 1994 assujettit tous les biens à des règles
de non-discrimination (c'est-à-dire le traitement de la nation la
plus favorisée (NPF) et le traitement national) bien qu'il admette
deux exceptions en faveur des produits culturels. L'article IV du GATT
permet de contingenter la projection en salle de films nationaux et l'alinéa
XXf) autorise des mesures liées à la protection des trésors
nationaux d'une « valeur artistique, historique et archéologique
». L'ASMC établit trois catégories de subventions concernant
les marchandises : les subventions prohibées, les subventions pouvant
donner lieu à une action et les subventions ne donnant pas lieu
à une action. Sont prohibées les subventions à l'exportation
et les subventions au remplacement des importations. Par ailleurs, les
subventions doivent être versées directement aux producteurs
comme c'est le cas des subventions postales aux producteurs de périodiques.
Tous les mécanismes de crédits d'impôt couramment utilisés
à l'appui de la production audiovisuelle peuvent donc être
considérés comme contraires aux dispositions sur le traitement
national. L'AMIC interdit l'établissement de certaines prescriptions
de résultats comme condition à l'investissement étranger.
L'AGCS régit les services, y compris les services culturels.
Cependant, les pays sont autorisés à se soustraire à
certaines des obligations qu'entraînent le traitement national et
le traitement de la NPF. Aux termes de l'article II, le Canada s'est soustrait
à l'obligation d'accorder le traitement de la NPF pour les traités
de coproduction cinématographique et télévisuelle
passés avec divers pays. Il ne l'a pas fait cependant pour sa politique
de distribution de longs métrages, laquelle accorde le traitement
de la NPF à certaines sociétés de distribution américaines.
Aux termes de la Partie III, le Canada n'a pris aucun engagement en matière
ni de l'accès aux marchés ou du traitement national des services
culturels, ni du commerce de gros des partitions musicales et des enregistrements
sonores et visuels.
De toute évidence, ces accords multilatéraux visent une
gamme de plus en plus large de produits et en viennent à régir,
au-delà des barrières tarifaires, la plupart des barrières
non tarifaires. Leur portée est maintenant si grande que d'inévitables
chevauchements créent de la confusion quant aux obligations des
signataires. Pour ce qui est des produits culturels, par exemple, la décision
de l'OMC concernant les périodiques (les magazines à tirage
dédoublé) a mis en relief la question de savoir si la culture
est un bien ou un service et de quel accord commercial relèvent
les produits qui combinent un bien et un service. En outre, certains produits
culturels sont considérés comme une propriété
intellectuelle assujettie à l'Accord sur les aspects des droits
de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC).
Il importe manifestement de dissiper cette confusion et de régler
d'autres questions connexes, non seulement pour le bien de notre collectivité
culturelle mais aussi pour la qualité de conception de nos politiques
nationales.
Le Canada a négocié une exemption culturelle dans ses
accords régionaux et bilatéraux. Le traitement des biens
culturels aux termes de l'ALENA (annexe 2106) est régi par l'article
2005 de l'ALECEU qui en prévoit l'exemption sauf disposition expresse.
Les parties sont donc libres d'intervenir à l'appui de leurs industries
culturelles au risque de représailles d'« effet commercial
équivalent ». Cette exemption des industries culturelles s'applique
aux relations entre le Canada et les États-Unis et le Canada et
le Mexique, mais pas entre les États-Unis et le Mexique. Pour ce
qui est des services culturels, il n'existe pas d'obligations ni de recours
contre les représailles puisque le chapitre sur les services de
l'ALECEU n'en fait pas mention.
Au sujet du traitement de la culture aux termes de l'ALENA et de l'ALECEU,
le Comité a deux observations à faire qui ont trait directement
à la ZLEA. La première, c'est que le Canada n'est manifestement
pas parvenu dans le cadre de l'ALENA à obtenir l'appui du Mexique
en vue de faire de la culture quelque chose de plus qu'une marchandise,
peut-être parce que le Mexique désire exploiter le gros marché
latinophone des États-Unis et que l'obstacle de la langue est tel
qu'il lui enlève toute crainte d'être dominé par Hollywood
ou d'autres intérêts industriels américains. La seconde
observation, c'est que le recours à l'exemption, un compromis jugé
insatisfaisant par beaucoup de groupes culturels, résulte directement
du manque de convergence entre le Canada et les États-Unis. Notre
désaccord à l'amiable sur la culture peut avoir conduit à
la disposition d'exemption, mais ce recours a des limites puisque les solutions
auxquelles il peut donner lieu ne sont pas régies par des règles
établies, mais par le rapport de force des deux États en
litige - situation que nous essayons d'éviter en tant qu'économie
ouverte de taille moyenne.
Le fait d'exempter la culture des accords commerciaux ne soustrait pas
les questions culturelles à certaines règles internationales.
En l'absence d'un cadre institutionnel efficace au sein duquel le commerce
international et l'investissement dans les industries culturelles peuvent
se dérouler, le Canada connaîtra de plus en plus de conflits
culturels bilatéraux avec des pays ou des blocs plus grands et plus
riches. Dans le passé, les États-Unis ont adopté une
position ferme dans les différends culturels avec le Canada, car
ils craignaient une réaction en chaîne sur la politique des
autres pays. [Keith Acheson, 96:1025]
Le différend concernant les périodiques à tirage
dédoublé en est un bon exemple. Une solution négociée
a finalement été trouvée mais non sans l'émasculation
des dispositions les plus discriminatoires du projet de loi C-551.
En outre, le Canada a été amené à remplacer,
dans ses stratégies protectionnistes, les restrictions dont il frappait
les produits étrangers par des subventions directes aux produits
canadiens. L'exemption n'a donc pas fait disparaître des accords
et des engagements commerciaux internationaux du Canada les politiques
culturelles protectionnistes.
Nouvelles technologies et structures d'organisation
La micropuce et la révolution numérique, qui ont essaimé
de l'industrie informatique vers les télécommunications et
la radiodiffusion, sont, avec la libéralisation croissante des marchés
nationaux, à l'origine de deux grands changements socio-économiques
: la mondialisation et la convergence. Leur impact se fait sentir dans
presque tous les secteurs de l'économie mais nulle part autant que
dans le secteur culturel.
L'annexe 1 décrit assez en détails la nature et les conséquences
prévues de la mondialisation mais l'important, pour notre propos,
c'est que les entreprises culturelles en tout genre doivent se repositionner
pour pouvoir prospérer à « l'ère de l'information
». Elles s'étendent, directement par fusions et acquisitions
et indirectement par alliances et consortiums, au-delà de leurs
frontières nationales afin d'apporter leurs produits aux marchés
mondiaux. Pour une industrie caractérisée par d'énormes
coûts fixes initiaux, c'est-à-dire une industrie où
la première unité produite est très chère comparativement
aux suivantes, la pénétration des marchés étrangers
cadre bien avec les stratégies de maximisation des marchés
et de distribution des produits. Les entreprises culturelles ainsi constituées,
qui deviennent parfois des multinationales, sont donc en train à
la fois d'abattre les frontières nationales et de « hausser
la barre » du succès commercial.
La transmission de données, d'information et de signaux audio
et vidéo, après numérisation et compression, par des
médias à grande capacité (fibres optiques et radiofréquences)
favorise la convergence de secteurs naguère distincts : la téléphonie,
la câblodistribution, la radiotélédiffusion et la micro-informatique.
Elle a également mis un peu sens dessus dessous le secteur dans
la mesure où la crainte d'un manque de contenu est venue
remplacer la vieille hantise du manque de fréquences. La principale
stratégie de repositionnement des entreprises a reposé jusqu'ici
sur les fusions et les acquisitions horizontales et verticales. En mettant
ces stratégies en oeuvre, elles tendent à transformer des
produits distincts (livres, magazines, musique, films, émissions
de télévision et de radio, etc.) en produits multimédias
tout en essayant de transformer leurs différents systèmes
et réseaux de distribution (câble coaxial, fil téléphonique,
satellites, Internet, etc.) en une « autoroute de l'information »
intégrée.
Du côté culturel, ces nouvelles technologies permettent
non seulement d'abaisser le coût de production des produits traditionnels
mais aussi d'en élaborer de nouveaux. Les artistes en tout genre
peuvent maintenant s'exprimer par les cédéroms, les jeux
vidéo, la réalité virtuelle, l'animation numérique
ainsi que par la programmation, l'enseignement et la formation interactifs.
En outre, un magazine ou un livre en ligne, qui coûte moins cher
à produire que sur papier, peut intégrer le son et l'image,
d'où une redéfinition de l'acte de lire. Un film peut comporter
plusieurs intrigues et dénouements, de sorte que les spectateurs
sont appelés à participer par des choix interactifs, d'où
une redéfinition de l'expérience cinématographique.
Le revers de la médaille, c'est que ces nouveautés, tant
des technologies que des produits, multiplient les occasions de vol ou
d'utilisation clandestine, ce qui oblige les décideurs à
recentrer leurs efforts sur l'amélioration de la législation
nationale en matière de propriété intellectuelle et
l'ADPIC. Ces nouveaux produits posent aussi de plus en plus la question
de savoir s'il s'agit de biens ou de services et de quels accords commerciaux
ils relèvent.
Adaptation, réponses stratégiques et outils d'intervention de l'avenir
La mondialisation ne pose pas seulement des défis sans précédent
au secteur culturel, elle interpelle aussi les décideurs culturels
canadiens. Voici ce qu'a déclaré un témoin devant
le Comité :
Le problème vient de l'ampleur du secteur canadien de la radiodiffusion
- production, musique, cinéma -, qui obtient d'excellents résultats
avec la structure actuelle [...] L'Internet se développe et il nous
sera impossible de contrôler ce qu'on y offre. Il va donc falloir
laisser à l'actuelle industrie canadienne de la radiodiffusion un
certain temps pour se transformer en industrie des nouveaux médias
qui devra faire face à la concurrence mondiale parce que nous ne
pourrons pas contrôler [...] ce qui entre dans les foyers canadiens.
[Willie Grieve, 124:925]
Ce que ce témoin donne à entendre, c'est que les politiques
et les règlements conçus pour que les produits étrangers
contre-subventionnent les produits canadiens, tels qu'orchestrés
par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes (critères de contenu canadien, groupage de produits,
obligation de transmission et autres conditions de délivrance des
permis), ainsi que les autres instruments de politique publique vont perdre
de leur efficacité par suite de l'élargissement du choix
de programmes et du passage à des systèmes de transmission
de signaux à plus large bande. Cette incapacité de réglementer
le contenu et la transmission des produits culturels par Internet n'est
pas sans conséquences et, puisqu'il est prévisible que les
producteurs passeront aux systèmes moins encombrants, une révision
des politiques s'impose. L'impératif de contenu canadien doit donc
changer et viser à assurer l'accès moins par la réglementation
qu'en favorisant les entreprises de production ayant une solide réputation
de qualité. Selon un expert, le Canada risque de perdre du terrain
précisément parce qu'il semble moins ciblé.
Le problème, c'est que nous ne cherchons pas assez à nous
doter d'une puissante industrie de production de contenu qui nous est propre.
Pendant que nous nous soucions des accords internationaux, il se peut que
tous ces efforts ne servent à rien si nous ne savons pas saisir
les occasions qu'offre la nouvelle économie. Le fait de savoir qu'au
moment où nous, au Canada, nous soucions davantage du contenu, les
Américains s'efforcent davantage de créer une solide industrie
du contenu devrait nous inquiéter. [Ken Stein, 32:1550]
Chose sûre, les politiques culturelles fondées sur des
secteurs distincts devront être repensées par suite de l'estompage
des limites traditionnelles. En fait, il faudra travailler davantage à
égaliser les règles du jeu entre des industries jadis distinctes
car les politiques risquent d'être contournées par des producteurs
étrangers à l'affût de marchés de produits et
de systèmes de distribution le moins restrictifs possible. Le Canada
risque d'être le seul perdant si l'esprit d'entreprise authentique
se dévoie ainsi dans un entrepreneuriat bureaucratique ruineux.
Dans une optique proactive, les témoins ont proposé des
outils culturels sélectifs adaptés à un marché
de plus en plus internationalisé :
Les taxes d'accise ou les droits d'utilisateur peuvent servir de façon
non discriminatoire à créer un mécanisme de financement
des artistes par l'utilisateur. Cette formule, déjà utilisée
par le Fonds canadien pour la télévision, pourrait être
également appliquée à d'autres secteurs culturels.
L'article IV du GATT prévoit des contingents à l'écran,
pour les films vraiment d'origine nationale, dans les salles de cinéma.
Il n'a jamais été mis en pratique, mais l'idée a été
reprise dans les exigences en matière de contenu canadien pour le
secteur de la radio et de la télévision sans que les organisations
commerciales n'établissent de règles claires et ne donnent
leur approbation unanime. Néanmoins, l'idée de contingenter
les produits culturels à contenu national existe; il y aurait lieu
de la mieux définir et de l'incorporer à un nouveau mécanisme.
[Dennis Browne, 96:1000]
Enfin, les décideurs culturels canadiens ne peuvent plus compter
autant qu'avant sur les mesures protectionnistes traditionnelles du fait
que beaucoup d'entreprises canadiennes s'apprêtent à pénétrer
sur les marchés étrangers. L'ouverture des marchés
nationaux devient maintenant une considération importante dans l'élaboration
des politiques si l'on veut que les marchés étrangers restent
ouverts aux produits culturels canadiens. Le Canada se trouve donc à
la croisée des chemins concernant l'interaction des politiques culturelle
et commerciale. Le GCSCE culturel estime qu'il devrait préconiser
un nouveau instrument commercial culturel.
Le Canada devrait prendre les devants et concevoir un nouvel instrument
international qui établirait les règles de base des politiques
culturelles [...] J'ai exposé les cinq éléments essentiels
de ce nouvel instrument : reconnaître l'importance de la diversité
culturelle; reconnaître que les biens et services culturels sont
sensiblement différents des autres produits; reconnaître que
les mesures et politiques nationales visant à préserver l'accès
à des produits culturels autochtones variés sont bien différentes
des autres; exposer les règles régissant la nature des mesures
réglementaires et autres que les pays peuvent et ne peuvent pas
adopter pour améliorer la diversité culturelle et linguistique;
et établir en quoi les règles de discipline s'appliqueraient
ou non aux mesures culturelles qui respectent les règles convenues.
[Ken Stein, 32:1545]
Le Comité se demande quel serait le statut juridique de ce pacte
et de quel organisme relèverait son application. S'agirait-il d'un
instrument en dehors de l'OMC ou d'un instrument sectoriel comme celui
des télécommunications et des services financiers dont l'OMC
aurait la responsabilité? L'un des témoins (Ken Stein, 32:1645)
voudrait que le pacte relève de l'UNESCO. Cette solution réussirait-elle
cependant à soustraire les produits culturels aux engagements commerciaux
internationaux? L'adoption d'un pacte culturel entraînerait aussi
l'établissement d'une instance à laquelle pourraient s'adresser
les parties en litige. Comme les Canadiens l'ont vu dans le récent
différend avec les États-Unis au sujet des magazines à
tirage dédoublé, cette solution risque d'augmenter la confusion
et de rendre plus coûteuse la gestion des enjeux. S'il s'agissait
en revanche d'un accord sectoriel, l'OMC serait peut-être mieux placée
pour gérer les conflits. De toute façon, il reste beaucoup
à faire pour rendre les mécanismes possibles plus efficaces.
Comme ce nouvel instrument culturel, une fois réglées
toutes ces questions et d'autres encore, constituerait vraisemblablement
l'instrument idéal à l'ère de la mondialisation des
échanges, c'est loin d'être chose faite puisqu'il faudrait
que des pays comme les États-Unis le signent pour qu'il soit applicable,
du moins du point de vue canadien. Comme l'a affirmé un expert du
commerce international de produits culturels :
Au cours de négociations commerciales internationales, le Canada
peut former des alliances avec d'autres pays qui partagent ses idées
afin d'améliorer les chances d'établir un ensemble de valeurs
et de règles qui échappe à la jungle des interactions
bilatérales. (...) Le mystère n'est pas de savoir pourquoi
des pays comme le Canada devraient appuyer un accord négocié
dans le cadre de l'OMC, mais plutôt pourquoi les maîtres de
la jungle - les États-Unis, le Japon ou l'Union européenne
- devraient le faire. [Keith Acheson, 96:1025]
Le Comité estime qu'il faudrait chercher à conclure un
pacte semblable dans le cadre d'un accord régional comme celui de
la Zone de libre-échange des Amériques. Cependant,
mis à part l'opposition américaine, la conclusion de ce pacte
dans la région des Amériques présente d'autres complexités.
Nous travaillons à organiser une conférence parallèle
au Mexique - parallèle à celle des ministres - pour les organisations
culturelles internationales. Nous éprouvons beaucoup de difficulté
à cet égard, car il n'existe presque pas d'ONG à caractère
culturel au Mexique. Nos points de contact sont tous très proches
du gouvernement, et le gouvernement mexicain n'est pas heureux d'accueillir
une conférence d'ONG. [...] je crois que nous aurons le même
problème au fur et à mesure que nous élargissons le
cercle et commençons à travailler avec d'autres organisations
culturelles en Amérique latine et en Amérique du Sud. Le
genre d'infrastructure culturelle très complexe que nous avons au
Canada n'existe simplement pas dans ces pays. [Megan Williams, 32:1535]
Le Comité reconnaît en outre qu'aucun des traités
d'intégration économique - MERCOSUR, Communauté andine,
CARICOM, MCAC - n'accorde au secteur culturel un statut différent
des autres secteurs sauf en matière d'investissement et de contrôle
étrangers. On ne trouve nulle part de réglementation en matière
de contenu. En outre, alors que le Brésil et l'Argentine exportent
beaucoup de produits audiovisuels vers les petits marchés du Paraguay
et de l'Uruguay - leurs parts de marché combinées étant
aussi importantes que celle des États-Unis sur le marché
canadien -, il n'y a même pas un soupçon de protectionnisme
culturel de la part du Paraguay et de l'Uruguay. Bien que le Comité
trouve ce manque de volonté de maintenir et de défendre le
secteur culturel national inquiétant pour les intérêts
du Canada et menaçant pour la diversité culturelle hémisphère,
un témoin a proposé de fixer aux partisans d'un pacte culturel
au sein de la ZLEA un objectif stratégique de conciliation.
La ZLEA se trouvera dans un cul-de-sac, pour user d'une autre métaphore.
Même si rien n'arrive, on pourra en tirer bien des leçons.
[...] On peut établir des relations avec les nations des Caraïbes,
celles de l'Amérique latine, etc., pour nous préparer à
la possibilité d'amener les Américains à négocier
dans ce nouveau cadre, ce qui représente, pour le Canada, un rôle
ambitieux. [Sandy Crawley, 96:1135]
Le Comité prend bonne note de ces vues et recommande :
14. Que le gouvernement du Canada préserve l'identité
culturelle du Canada par la poursuite de ses politiques actuelles d'exception
culturelle tout en s'employant à établir un nouvel instrument
international relatif à la culture sur le modèle proposé
dans le rapport du GCSCE culturel, éventuellement dans le cadre
de l'Organisation mondiale du commerce, et à chercher à forger
des alliances entre les pays des Amériques en vue de la conclusion
de cet instrument.
1 Le projet
de loi C-55 compte parmi les réactions législatives du Canada
à la décision que l'OMC a rendu contre ses politiques en
matière de périodiques ou de magazines à tirage dédoublé.
À l'origine, il visait à modifier ces politiques de manière
à atteindre les mêmes objectifs tout en tirant parti des différences
entre le GATT et l'AGCS en matière d'obligations.