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FAIT Rapport du Comité

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CHAPITRE 14 :
DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Même si le Canada a signé ces traités, nous n'avons pas encore élaboré de politique nationale à cet égard. À l'aube des négociations de l'Organisation mondiale du commerce, il est donc essentiel que le Canada adopte une politique nationale sur ces questions au lieu de s'en faire imposer une par ses partenaires commerciaux. [Glen Bloom, 112:1020]

Savoir, propriété intellectuelle et commerce international

Le savoir a toujours été reconnu comme un des moteurs de la croissance économique. La façon dont le savoir produit la croissance demeure quelque peu obscure, mais les travaux récents de nombreux chercheurs ont réussi à débrouiller un peu la question. Il est aujourd'hui largement reconnu que l'aptitude d'un pays à faire concurrence aux autres dans une économie mondialisée dépend de plus en plus de sa capacité d'innover. L'accumulation du savoir, par les inventions et leur diffusion dans le monde des affaires, permet aux entreprises d'incorporer des technologies et des procédés toujours plus efficaces et d'inventer des produits répondant aux besoins des consommateurs. Il est de plus en plus incontestable que le niveau de vie d'une population dans une économie moderne essentiellement fondée sur le savoir dépend de sa productivité, elle-même fonction des investissements en recherche et développement (R-D). Pas étonnant alors que, à l'aube du nouveau millénaire, la compétitivité, la productivité par habitant et l'innovation soient tellement à la mode.

Pour favoriser l'innovation, le droit de propriété intellectuelle constitue un outil fondamental. La société reconnaît depuis longtemps que l'information, lorsqu'elle est privée (et entre bonnes mains) plutôt que publique, constitue une source de richesse personnelle. Par contre, lorsque cette information est largement diffusée, elle risque d'être utilisée par d'autres et de produire très peu de richesse personnelle, au moins en termes relatifs. Sans cette capacité de capter la richesse émanant de toute nouvelle information, l'individu est peu enclin à la divulguer, de sorte que les entrepreneurs ne peuvent pas l'exploiter et que l'économie n'en profite pas. Comme tout le savoir présente des caractéristiques d'un bien public, où l'usage de l'un n'influe pas sur l'usage productif qu'un autre fait de la même chose, la création d'un droit de propriété sur le savoir reconnaît donc les efforts d'innovation dans la mesure de leur potentiel économique. Du point de vue de la société, le fait d'accorder des pouvoirs pour empêcher les autres d'exploiter une découverte protégée par un droit de propriété sans indemniser son auteur incite à rivaliser pour innover en échange du dévoilement public de la découverte. L'information privée est rendue publique à profit; seul son usage demeure de propriété privée.

Les droits de propriété intellectuelle englobent le droit d'auteur et les droits connexes, les marques commerciales, les indications géographiques, les conceptions et modèles industriels, les brevets, les plans des circuits intégrés et la protection de l'information non divulguée (voir l'encadré 14.1). Tous ces droits ont en commun les attributs suivants : admissibilité, durée, étendue, exigence de nouveauté et exigence d'accès. Bref, plus la protection est longue, plus elle est étendue, plus l'exigence de nouveauté est lourde, ou moins les exigences d'accès découlant du droit sont lourdes, plus il sera difficile d'inventer quelque chose de semblable, moins on risquera qu'il y ait des inventions consécutives et plus les concurrents potentiels seront entravés. Le contraire est vrai également. Cela ne veut pas dire que les marchés de haute technologie seront vulnérables aux monopoles parce que des produits, technologies et modes de production nouveaux seront toujours une source de concurrence.




La course déclenchée par les droits de propriété intellectuelle ne sont pas sans coût pour la société. Tous les systèmes d'incitatifs pour l'innovation, incluant le droit de propriété intellectuelle, souffrent à des degrés divers de la compétition créée. En tête de liste se trouvent, source de gaspillage, les travaux parallèles de R-D suscités par l'idée que seul le vainqueur est récompensé. Par ailleurs, le pouvoir d'exclure les autres entraîne la diffusion de la technologie à un rythme qui est loin d'être optimal. Cependant, sans le droit d'exclure, il n'y aurait souvent rien à diffuser; une petite pointe d'une grosse tarte vaut souvent mieux qu'une grosse pointe d'une petite tarte. Pour cette raison, un régime de droits de propriété intellectuelle efficace s'accompagne idéalement d'une politique de concurrence vigoureuse et efficace.

Dans une économie moderne avancée qui repose sur le savoir, étant donné que les bénéfices nets d'un régime de droits de propriété intellectuelle sont nettement positifs, il importe de moins en moins qu'il y ait trop de concurrence dans la R-D et trop peu dans l'utilisation des découvertes. Les économies en développement ne voient cependant pas les choses du même ...il, ce qui crée des tensions lorsqu'on tente d'intégrer les deux types de sociétés sur les plans du commerce et de l'investissement. Comme elles sont depuis toujours des importatrices nettes de technologies et de produits protégés par des droits, ces sociétés moins développées préféreraient en général éviter de payer les redevances dont les droits sont assortis. Avant de traiter ces questions dans le contexte de la ZLEA, il convient d'examiner de plus près les traités internationaux sur les droits de propriété intellectuelle.

Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)

Les traités internationaux sur les droits de propriété intellectuelle existent depuis la fin du siècle dernier. Ils ont couvert la propriété industrielle, les marques de commerce, les conceptions et les modèles industriels, les brevets, les droits d'auteur, etc. L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), créée par une convention signée en 1967, est devenue l'organisme international responsable de l'application des traités sur la propriété intellectuelle existant à l'époque1. Depuis l'entrée en vigueur de la convention en 1970, l'OMPI constitue le forum où se sont développés les traités existants et où les nouveaux traités ont été négociés. Les signataires des traités ont longtemps reproché à l'OMPI de ne pas disposer de mécanismes coercitifs2. L'application des traités a toujours été de nature volontaire.

Les participants au Cycle d'Uruguay s'entendaient pour dire que le temps était venu de changer les choses et d'imposer l'application de certains des traités. Présenté comme le plus complet sur la propriété intellectuelle, l'ADPIC est issu des pourparlers multilatéraux du Cycle d'Uruguay. Contrairement aux traités de l'OMPI, il oblige les pays membres à respecter et à faire respecter les normes minimales qu'il prescrit.

Au sens strict, l'ADPIC n'en est pas un accord de libéralisation du commerce, car il ne renferme aucune mesure d'ouverture des marchés ou de libéralisation du commerce. Cependant, il facilite le commerce indirectement en prescrivant des mesures de protection des droits de propriété intellectuelle dans le contexte de marchés plus ouverts.

L'accord porte sur trois grandes questions :

    1. l'établissement de normes dans le domaine des droits de propriété intellectuelle;

    2. l'intégration des normes à la loi des pays membres et la création d'un mécanisme international chargé de les appliquer;

    3. le mécanisme de règlement des différends entre les membres concernant la mise en oeuvre de l'accord.

Certaines dispositions de l'accord (traitement national, traitement de la nation la plus favorisée) s'appliquent aux sept champs de propriété intellectuelle tandis que d'autres fixent des normes applicables à certains champs. Les sept champs sont : le droit d'auteur et les droits connexes, les marques de commerce, les indications géographiques, les conceptions et les modèles industriels, les brevets, les plans de circuits intégrés et la protection d'informations non divulguées. L'accord traite également du contrôle des pratiques anticoncurrentielles dans les permissions contractuelles.

Alors que les autres accords de l'OMC ont pris effet le 1er janvier 1995, les signataires avaient un an de plus pour appliquer l'ADPIC, c'est-à-dire jusqu'au 1er janvier 1996. Le délai supplémentaire devait permettre à de nombreux pays développés d'adapter leurs lois aux normes prescrites et de créer les structures nécessaires pour faire appliquer les droits de propriété intellectuelle sur leur territoire. Les pays en développement et les économies en transition se sont vu accorder un délai de 5 ans, et les pays les moins développés, de 11 ans.

Droits de propriété intellectuelle et ZLEA

Sauf erreur, certains pays américains (l'Équateur et Panama notamment) ont encore jusqu'à l'an 2006 pour mettre à jour leur régime de droits de propriété intellectuelle. D'autres (comme l'Argentine) accusent du retard dans l'intégration de leurs obligations. Le Comité reconnaît toutefois comme principe fondamental que le travail intellectuel mérite une reconnaissance et une rémunération appropriées, un peu comme les autres types de travail, l'effort physique notamment, et l'investissement en capital. La première question est la suivante : l'ADPIC répond-il aux besoins du Canada? À ce propos, on nous a expliqué comment cet accord est apparu et ce qu'il a accompli.

[Il] s'agit d'un tout. Les États-Unis sont censés ouvrir l'accès à leur marché et exercer des pressions sur la Communauté européenne pour qu'elle en fasse autant dans les secteurs de l'agriculture et des textiles et, en contrepartie, un grand nombre de pays en développement sont censés accepter une norme internationale de protection des droits de propriété intellectuelle. L'ADPIC, fondé sur les principes des conventions de Paris et de Berne - sur les brevets et le droit d'auteur -, oblige les signataires à respecter un seuil international de normes de protection pour tous les domaines de propriété intellectuelle : brevets, marques de commerce et droits d'auteur. Deuxièmement, l'accord exige des mesures d'application efficaces aux frontières des pays et sur leur territoire. Troisièmement, les signataires doivent accepter les dispositions de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce. C'était un choix déterminant, de faire trancher les différends à l'OMC plutôt qu'à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. [Owen Lippert, 112:935]

La deuxième question est la suivante : le Canada doit-il faire front commun avec les États-Unis pour réclamer que l'accord de la ZLEA améliore l'ADPIC, ou plutôt convenir avec les pays d'Amérique latine que l'ADPIC est suffisant? Les témoins, peu nombreux à aborder la question, sont en général favorables à la position américaine.

Il est évident que la propriété intellectuelle est cruciale à l'aube du nouveau millénaire pour les questions de compétitivité et pour faire en sorte que les entreprises canadiennes prospèrent non seulement au Canada mais aussi sur le marché mondial. Il faut absolument que les lois canadiennes sur la propriété intellectuelle favorisent le développement de la propriété intellectuelle au Canada et les entreprises qui oeuvrent dans ce domaine. En outre, il faut faire en sorte qu'il existe des normes internationales suffisantes et efficaces pour protéger la propriété intellectuelle. [Glen Bloom, 112:1015]

Un témoin a proposé plus précisément que :

Les négociations sur les DPI dans le cadre d'une ZLEA devraient plutôt porter sur des questions plus épineuses. Ces dossiers comprennent les licences obligatoires, les exceptions culturelles, la protection des circuits de distribution, les formes de vie supérieure, les nouvelles obtentions végétales, les systèmes de réseaux d'information, les secrets commerciaux, l'épuisement géographique des droits, et l'éventuelle création d'un conseil hémisphérique de la propriété intellectuelle. Si toutes ces questions étaient réglées, il serait possible de mettre au point non seulement un ADPIC-plus, mais aussi un ALENA-plus qui pourrait constituer la norme internationale pour une bonne partie du prochain siècle. [Owen Lippert, mémoire, p. 8-9]

Il faut cependant formuler deux réserves. La première concerne la question relativement nouvelle de la biotechnologie et de ses conséquences environnementales et morales.

[Le] Canada tentera d'obtenir l'intégration d'un chapitre sur la propriété intellectuelle dans la ZLEA. [Il] peut jouer un rôle unique [...] sur la brevetabilité des formes de vie. [...] À l'heure actuelle, un précédent fait son chemin devant les tribunaux canadiens. Il s'agit de la demande de brevet de l'université Harvard pour sa souris génétiquement modifiée, «l'oncosouris» [...] prédisposée à être atteinte de cancer aux fins de la recherche. Le fait que le Canada n'ait pas encore emboîté le pas aux Américains et accordé un droit de propriété exclusif à des formes de vie supérieure est un précédent international d'une grande importance [...] De nombreuses controverses sont associées au dossier. Notamment, on se demande si le fait de breveter certains formes de vie ne contrevient pas aux obligations des pays signataires de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, dont le Canada fait partie. [...] je veux simplement porter à votre attention le fait que la brevetabilité des formes de vie au Canada n'ait pas fait l'objet d'un vaste débat public. [Michelle Swenarchuk, 30:1630-1635]

La deuxième mise en garde concerne l'application des mécanismes de règlement des différends aux droits de propriété de produits culturels.

Les droits en matière de propriété intellectuelle suscitent des préoccupations du même ordre. Nous craignons fort que la tendance qui se dessine dans les ententes commerciales soit de confier la résolution des litiges de PI à des groupes spéciaux, ce qui menacerait les créateurs et les nations. Les droits de PI ont une application traditionnelle dans les questions industrielles, mais la tendance est de les appliquer toujours davantage à la culture, ce qui devrait être débattu sur la place publique. Est liée à cela la nécessité d'étudier davantage la question des droits d'auteur à l'échelle internationale, étant donné surtout l'ampleur des risques de contrefaçon par des moyens électroniques; il faut donc veiller à l'échelle internationale à ce que ces droits soient protégés par des mécanismes de règlement des différends légaux et publics plutôt que par des tribunaux commerciaux. [Barry Grills, 32:1555-1600]

Le Comité ne voudrait pas, tout compte fait, que le gouvernement se précipite dans ce débat controversé sans avoir terminé sa consultation du public. Il recommande donc :

27. Que le gouvernement du Canada continue de consulter les parties concernées afin que sa position sur la propriété intellectuelle représente les intérêts de tous les Canadiens et que cette politique soit défendue dans les négociations sur la Zone de libre-échange des Amériques.


1 L'OMPI a remplacé l'organisme international appelé les Bureaux internationaux unis pour la protection de la propriété intellectuelle, qui comprenaient le bureau administratif international créé par la Convention de Paris pour la protection de la propriété intellectuelle de 1883 et le bureau créé par la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques de 1886. Voir Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Genève, OMPI, juillet 1998.

2 B.K. Zutshi, « Bringing TRIPS into the Multilateral Trading System », in Jagdish Bhagwati and Mathias Hirsch (ed.), The Uruguay Round and Beyond : Essays in Honor of Arthur Dunkel, The University of Michigan Press, n.d., p. 41.