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CHAPITRE 16 :
RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Il existe toutefois des raisons politiques, stratégiques et même
commerciales pour approfondir certaines questions dans un contexte régional.
Si l'on accepte cette hypothèse, il faut étudier ensuite
de façon plus détaillée quelle sera l'interaction
entre ces règles régionales et les règles multilatérales.
[Robert Howse, 33:1540]
Nécessité d'un mécanisme de règlement des différends
En plus de s'entendre sur les termes d'un traité pour la Zone
de libre-échange des Amériques (ZLEA), les parties devront
également s'entendre sur un mécanisme pour le règlement
des différends pouvant surgir lors de la mise en oeuvre ou de l'application
du traité. Presque tous les gouvernements qui participent aux négociations
en vue de l'établissement de la ZLEA sont déjà membres
d'au moins un accord régional sur le commerce ou de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC). Ils ont déjà une expérience
du règlement des différends suivant les procédures
de ces accords.
Les accords de libéralisation des échanges ne seront que
des coquilles vides si les parties à ces accords ne respectent pas
leurs engagements. Elles peuvent longuement discourir sur les difficultés
qu'elles rencontrent dans la mise en oeuvre de l'accord, mais s'il n'y
a pas de volonté ferme de chacune d'elles de vouloir appliquer l'esprit
et les termes de l'accord, celui-ci risque de demeurer un voeu pieux. L'ajout
d'un mécanisme forçant la mise en oeuvre des termes de l'accord
sous peine de représailles s'avère plus convainquant que
bien des conférences diplomatiques ou des comités de discussions,
sans parler de ce qu'il peut faire pour l'efficacité du gouvernement.
La possibilité pour une Partie contractante du GATT, le prédécesseur
de l'OMC, de bloquer la création d'un groupe spécial ou encore
l'adoption d'un rapport d'un tel groupe a été une critique
constante des dernières décennies de l'existence de l'organisme.
La conclusion, dans le cadre de l'OMC, du Mémorandum d'accord
sur les règles et procédures régissant le règlement
des différends (MRD) a mis en place un mécanisme qu'il
est actuellement presque impossible de paralyser. Il n'est plus possible
de bloquer la création d'un groupe spécial ni l'adoption
du rapport d'un tel groupe ou de l'Organe d'appel.
Le MRD, qui fêtera son cinquième anniversaire avec l'arrivée
du nouveau millénaire, commence cependant lui aussi à faire
l'objet de critiques. Bien qu'aucun mécanisme de règlement
des différends ne soit parfait, les participants aux négociations
de la ZLEA pourront bénéficier de l'expérience des
mécanismes de règlement des différends des divers
forums bilatéraux, régionaux et multilatéraux pour
établir un mécanisme qui leur sera propre et qui saura répondre
aux préoccupations des futurs membres de cette zone de libre-échange.
Il se peut que cette expérience ait un impact décisif sur
les procédures de règlement des différends proposées
pour la ZLEA.
Choix d'un mécanisme de règlement des différends
Leur puissance économique importe beaucoup moins, il va de soi,
lorsque les pays membres disposent d'un mécanisme équitable
de règlement des différends. Dans le cadre de la ZLEA, les
petites économies pourraient ainsi jouir du même traitement
et des mêmes droits que les grandes puissances économiques,
telles les États-Unis et le Brésil. Le mécanisme de
règlement des différends de l'OMC donne une assez bonne idée
de la forme que prendrait un système impartial. Des pays moins avancés
peuvent avoir gain de cause face aux États-Unis et à l'Union
européenne, les contraignant ainsi à modifier des mesures
qui ne respectent pas les engagements pris dans les accords de l'OMC.1
L'égalité de tous les pays membres sera un facteur essentiel
du succès éventuel de l'accord. Les petits pays ne voudront
pas d'un accord de libéralisation du commerce s'ils sentent que
les règles du jeu peuvent varier selon la puissance économique
des pays membres.
Aucun participant aux négociations de la ZLEA ne semble contester
la nécessité d'un mécanisme de règlement des
différends. La Déclaration conjointe de la quatrième
réunion ministérielle tenue le 19 mars 1998 à San
Jose, Costa Rica, parle du règlement des différends en ces
termes :
Créer un mécanisme juste, transparent et efficace pour
le règlement des différends entre les pays membres de la
ZLEA, en tenant compte entre autres du Mémorandum de l'OMC sur les
règles et procédures en vigueur pour le règlement
des différends de l'OMC. Concevoir les moyens pour faciliter et
promouvoir l'utilisation de l'arbitrage et autres moyens de règlement
pour résoudre les différends privés dans le cadre
de la ZLEA.
Suivant cette déclaration, l'impartialité, la transparence
et l'efficacité devraient être les principales qualités
du futur mécanisme de règlement des différends de
la ZLEA. Ainsi, indépendamment du développement économique
ou de la puissance politique des membres de la future ZLEA, ceux-ci seraient
traités de façon identique.
Cela ne semble cependant pas suffisant, car une poursuite devant un
tribunal commercial entraîne nécessairement des frais. Avant
d'initier une telle procédure, un État fait normalement une
analyse des coûts et des bénéfices reliés à
l'exercice de ce recours. Si les coûts, dont les frais de litige,
paraissent dépasser les bénéfices attendus, l'État
peut fort bien décider de ne pas exercer le recours. Mais étant
donné que les petits pays les plus démunis ne sauraient,
à l'instar des grands pays les plus nantis de notre hémisphère,
répartir ces frais de litige sur une grande assiette économique,
ils jugeraient sans doute le coût des poursuites prohibitif dans
la majorité des cas. Des propositions destinées à
remédier au déséquilibre ont été signalées
au Comité.
Je pense en particulier au mécanisme de règlement des
différends à l'OMC. Il y a eu un certain nombre de propositions
qui ont circulé au sujet de la possibilité de fournir aux
petits pays pauvres les ressources juridiques, financières et techniques
nécessaires pour soumettre des litiges à ce mécanisme
de règlement des différends. Il me semble que, quand nous
élaborerons une ZLEA, nous devrions penser à cet aspect et
l'inclure dès le départ, sans quoi tout le monde n'aura pas
le même accès à ce mécanisme. C'est une chose
à laquelle nous attachons beaucoup d'importance, avec notre petite
économie ouverte; nous tenons à vivre dans un système
dont les règles sont respectées. Il s'agit donc d'une question
tout à fait pratique que le Canada peut appuyer. [Rohinton Medhora,
28:1625]
Il serait donc souhaitable de créer un programme d'aide financière
pour le règlement des différends. Un tel programme ne devrait
couvrir qu'une portion des frais de litige qu'entraîne un recours
légitime afin d'éviter d'engendrer une prolifération
de recours qui pourraient raisonnablement se régler par la négociation
entre les parties. De plus, une limite devrait être imposée
au montant qu'un pays pourrait recevoir pour une période de temps
donnée.
Dans le cadre de l'OMC, les membres d'un groupe spécial ne peuvent
pas être des ressortissants des parties au différend. Ainsi,
si le Canada et les États-Unis sont parties à un litige,
aucun ressortissant de ces deux pays ne peut être membre du groupe
spécial. Cette exigence a pour objectif de garantir l'impartialité
des membres d'un groupe spécial face au litige qu'ils ont à
juger. On nous a indiqué qu'il faudrait aller encore plus loin pour
garantir l'impartialité des groupes spéciaux; on préconise
l'établissement de tribunaux autonomes et indépendants du
secrétariat de l'organisation internationale. De cette façon,
il serait possible d'éviter l'intervention des parties et même
du secrétariat de l'organisme dans le processus. [Howard Mann, 33:1540]
La transparence du système de règlement des différends
est aussi une préoccupation croissante des parties à un accord
de libéralisation des échanges. Plusieurs critiques exprimées
à l'égard des mécanismes de règlement des différends
de l'OMC portent plus précisément sur la transparence du
système. Lors d'un différend à l'OMC, les arguments
des parties et les délibérations du groupe spécial
et de l'Organe d'appel sont gardés secrets. Seuls les parties au
litige et les autres membres qui ont exprimé leur désir de
faire valoir des représentations en rapport avec le différend
sont admis à faire valoir leur point de vue; aucun organisme qui
n'est pas membre de l'OMC peut participer2.
Des témoins nous ont signalé l'importance de la transparence
des procédures de règlement des différends et ont
exprimé l'opinion que les arguments des parties et les audiences
devraient être rendus publics. De plus, des tiers devraient pouvoir
intervenir et exprimer leurs points de vue sur le litige. [Robert Howse,
33:1530 et Howard Mann, 33:1545]
L'efficacité du mécanisme de règlement des différends
est un autre élément à envisager. Le système
doit être en mesure de rendre une décision dans un laps de
temps relativement court. Une partie ne devrait pas pouvoir paralyser le
système. Enfin, il faut assurer que les décisions seront
appliquées par les parties au litige. Le Comité recommande
:
29. Que le gouvernement du Canada adopte comme position d'exiger
que le mécanisme de règlement des différends de la
Zone de libre-échange des Amériques soit fondé sur
les principes de l'Organisation mondiale du commerce, notamment en mettant
l'accent sur l'application des décisions d'un groupe spécial,
la compensation et les représailles.
Bien que le mécanisme de règlement des différends
de l'OMC ait plusieurs qualités, il n'en demeure pas moins perfectible.
D'ici l'échéance fixée pour mener à bien les
négociations de la ZLEA en 2005, les pays qui participent aux négociations
pourront bénéficier de quelque 10 ans d'expérience
de ce mécanisme afin d'établir un système de règlement
des différends plus adapté à la ZLEA.
Problèmes particuliers à résoudre
Un des principes de base de l'OMC est que chaque membre de l'organisation
doit traiter tous les autres membres de la même façon; c'est
le principe de la nation la plus favorisée (NPF). L'adhésion
d'un membre à un accord régional de libéralisation
des échanges va toutefois directement à l'encontre de ce
principe puisqu'un État membre peut accorder plus de concessions
aux autres qu'il ne peut en accorder aux membres de l'OMC.
Les accords régionaux n'en sont pas moins reconnus par l'OMC.
L'article XXIV du GATT de 1994 et l'article V de l'Accord général
sur le commerce des services (AGCS) dispensent les membres qui sont parties
à un accord régional de libéralisation des échanges
de l'application du principe NPF pour ce qui est des engagements pris dans
cet accord. Il ne faut toutefois pas en conclure que les accords régionaux
n'entravent pas une plus grande libéralisation du commerce.
Cette multiplication de nouveaux domaines d'intervention de l'OMC et
la conclusion d'accords dans ces domaines variés font en sorte qu'il
y a maintenant un risque de contradiction entre les accords et entre les
engagements. [Ivan Bernier, 104:940]
La prolifération des accords régionaux de libéralisation
des échanges pose certaines difficultés d'application et
d'interprétation. Utilisons un exemple pour illustrer notre propos.
L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et les accords
de l'OMC ont des dispositions similaires dans plusieurs domaines. Au moment
d'un différend entre le Canada et les États-Unis, la partie
plaignante peut déposer sa plainte auprès de la Commission
du libre-échange de l'ALENA ou auprès de l'Organe de règlement
des différends de l'OMC. Le choix du forum sera fait en fonction
de l'évaluation qu'elle fait des dispositions de chaque accord,
dans l'espoir de trouver le plus favorable.
Cette faculté de pouvoir rechercher le forum qui est le plus
favorable (forum shopping) pourrait nuire à la stabilité
et à la prévisibilité du système commercial
international. Si toutes les dispositions qui portent sur un même
domaine étaient identiques (c.-à-d. avaient la même
formulation) d'un accord à l'autre et si l'interprétation
des dispositions identiques était la même, il n'y aurait probablement
pas de problèmes. Mais ce n'est pas ce qui se produit actuellement.
La prolifération de règles de base différentes
mènera droit à la recherche de la tribune la plus favorable,
et rien ne pourra l'empêcher. Il suffira d'examiner les diverses
règles pour trouver ce qui fait le mieux son affaire. Il sera donc
essentiel de veiller à la compatibilité ou la similarité
des règles. [Howard Mann, 33:1555]
On nous a également expliqué la situation en ces termes
:
La prolifération des dispositions semblables mais non identiques
interprétées par diverses tribunes nuira à la prévisibilité
des règles et des normes du droit commercial et compromettra l'un
des principaux objectifs de la réglementation du commerce international.
[Robert Howse, 33:1535]
Les participants aux négociations de la future ZLEA doivent prendre
conscience des inconvénients qu'entraîne cette multitude d'accords
de libéralisation des échanges avec des dispositions similaires
mais non identiques. Trois solutions sont envisageables. Une première
serait de ne pas conclure d'accord régional de libre-échange
et de s'en rapporter à l'OMC. Cette proposition fait toutefois abstraction
de la raison d'être des accords régionaux qui est de répondre
plus adéquatement que l'OMC aux besoins d'un groupe de pays.
Une deuxième solution consisterait à utiliser les mêmes
termes d'un accord à l'autre lorsque l'on traite des mêmes
sujets. Encore là, cette solution fait abstraction des besoins spécifiques
des parties à un accord régional. Il est normal de voir une
différence d'un accord à un autre puisque la dynamique entre
les parties n'est pas la même.
Une troisième solution serait de fixer une hiérarchie
entre les divers accords régionaux et entre les accords régionaux
et les accords de l'OMC. Cela aurait pour conséquence de ne plus
permettre à une partie à un différend de rechercher
le forum qui lui serait le plus favorable puisque cette hiérarchie
déterminerait lequel des accords serait applicable dans un cas particulier.
1 Accords
résultants de négociations commerciales multilatérales
du Cycle d'Uruguay.
2 Pour
une description des principales critiques exprimées à l'égard
du mécanisme de règlement des différends de l'OMC,
le lecteur devrait prendre connaissance du chapitre 3 du rapport de juin
1999 du Comité permanent des Affaires étrangères et
du Commerce international, Le Canada et l'avenir de l'Organisation mondiale
du commerce : Pour un programme du millénaire qui sert l'intérêt
public.