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CONCLUSION
Comme pour n'importe quel casse-tête, il faut toujours [...] considérer
les points communs qui permettent d'agencer les morceaux au lieu des différences
qui empêchent de le faire. De plus, il faut viser la simplicité.
Il n'est pas nécessaire de régler tout le casse-tête
d'un coup. [Annette Hester, 31:1615-1620]
L'objectif
Il y a des accords de libre-échange de toutes sortes et de toutes
tailles, mais tous prévoient, à quelques exceptions près,
que les biens produits dans la région s'échangent à
l'intérieur des pays membres et entre eux en franchise de douane.
Les plus grands accords de libre-échange sont l'Accord de libre-
échange nord-américain (ALENA) pour l'ampleur de l'activité
économique et l'Union européenne pour le nombre de pays membres.
Tous deux sont des arrangements économiques globaux qui vont bien
au-delà de l'abolition des droits de douane. À l'autre bout
de l'éventail se trouvent les accords de libre-échange comme
le CARICOM et le CACM, qui sont sans doute les plus petits au monde en
termes économiques. Ce sont aussi ceux qui confèrent aux
pays membres le moins de droits et d'obligations.
L'initiative de la Zone de libre-échange des Amériques
(ZLEA), telle que définie dans la Déclaration ministérielle
du Sommet des Amériques de Denver en 1995, a pour objectif :
l'ouverture maximum des marchés par des niveaux élevés
de discipline, à partir des accords existant dans l'hémisphère;
le respect intégral des dispositions de l'Organisation mondiale
du commerce (OMC); la mise sur pied d'une ZLEA équitable, qui aura
une portée étendue et qui couvrira notamment tous les domaines
mentionnés dans le Plan d'action du Sommet des Amériques;
la non création de barrières contre d'autres pays; et enfin,
un processus qui représentera une entreprise unique comportant des
droits et des obligations réciproques.1
Ce n'est pas une mince affaire. Sur le plan de la production économique
ainsi que du nombre et de la diversité des pays membres, l'initiative
de la ZLEA vise l'accord de libre-échange le plus vaste et le plus
divers jamais tenté. Si la ZLEA devient réalité, elle
compléterait et consoliderait à la fois la mosaïque
d'accords bilatéraux de commerce et d'investissement en vigueur
dans la région. Chose plus importante encore, elle modifiera l'orientation
préférentielle des échanges en fonction de lignes
de production efficaces. Même si l'impact est censé être
limité en termes absolus et relatifs, les pays d'Amérique
latine seront le plus touchés par la réorientation des échanges
étant donné que les États-Unis sont de loin leur plus
grand partenaire commercial sans avoir pour autant conclu d'accord commercial
préférentiel avec eux.
La ZLEA a également pour objectif d'améliorer la sécurité
des investissements transfrontaliers. S'il y avait moins d'incertitude
à cet égard, il y aurait sans doute plus d'investissements
étrangers directs (IED) car cela renforcerait la tendance à
adopter des techniques de fabrication plus souples. Comme celles-ci permettent
une plus grande spécialisation des tâches dans la fabrication
de produits complexes grâce à l'externalisation de certaines
composantes, la gamme des avantages, nouveaux ou non, offerts par divers
pays de l'hémisphère sur les plans de la production ou de
la logistique s'élargirait. L'assemblage du produit final se ferait
alors plus près des points de consommation.
Ce sont les petits pays les plus souples dans la réforme des
politiques nationales qui auront le plus à gagner à une ZLEA.
La possibilité pour leurs entreprises et leurs industries les plus
rentables de s'affranchir des marchés nationaux leur procurera des
économies d'échelle grâce en partie à des influx
d'investissement étranger direct. Une montée en flèche
de leur productivité est alors à prévoir. Au bout
du compte, les avantages d'une hausse de la productivité découlant
d'une intégration économique plus poussée et rationnelle
de l'hémisphère se répartiront largement entre les
multinationales nord-américaines, les travailleurs spécialisés
nord-américains et la main-d'oeuvre latino-américaine.
Échéancier et structure
Amorcées pendant le deuxième Sommet des Amériques
à Santiago, Chili, en 1998, les négociations de la ZLEA doivent
être conclues en 2005 au plus tard. Des progrès concrets sous
la forme d'un accord sur des mesures précises de facilitation des
échanges doivent être réalisés d'ici l'an 2000.
Un Comité de négociations commerciales (CNC) composé
des sous-ministres du Commerce a été chargé de superviser
et d'orienter le travail des neuf groupes de négociation créés
à la quatrième réunion ministérielle à
San José, Costa Rica. Le CNC et les 9 groupes de négociation
sont dirigés par un président et un vice-président
remplacés tous les 18 mois.
Le soutien administratif des négociations est assuré par
un secrétariat situé à l'endroit où se réunissent
les groupes de négociation. Le financement du secrétariat
vient à la fois des ressources locales et des institutions du Comité
tripartite. Le soutien technique et analytique des négociations
est assuré par le Comité tripartite dont les membres sont
l'Organisation des États américains, la Banque interaméricaine
de développement et la Commission économique pour l'Amérique
latine et les Caraïbes.
Le Comité estime que les questions de facilitation des échanges,
y compris les procédures douanières, constituent un bon indicateur
des chances de succès de la ZLEA. Si ces questions se règlent
convenablement, le reste des négociations trouvera son propre élan.
De toute évidence, les questions les moins litigieuses seront les
premières à être réglées, les autres
devant l'être par la suite mais avant le délai de 2005. La
gestion des neuf groupes de négociation devrait faire en sorte que
les divergences de vues entre les pays participants soient suffisamment
conciliées au bon moment et que des progrès se fassent tout
au long des négociations. Si ces négociations devaient s'enliser
ici ou là et que la volonté des participants restait intacte,
il faudrait trouver un autre mécanisme pour régler les questions
en suspens. Peut-être vaudrait-il mieux les renvoyer au Comité
de négociations commerciales ou aux sous-ministres du Commerce,
niveau auquel il peut y avoir plus de pouvoir.
Intérêts et priorités du Canada
Il faut d'abord se rappeler que le Canada est signataire de trois accords
de libre-échange d'une grande portée dans la région
des Amériques bien que deux d'entre eux ne soient pas encore entièrement
en vigueur et que, par conséquent, le gros des bienfaits économiques
qui en découlent reste à venir. Ces accords ont été
conclus avec les États-Unis, le Mexique et le Chili, trois pays
qui comptent pour plus de 97 p. 100 des marchés d'exportation du
Canada en volume des ventes. Un accord de la ZLEA n'augmenterait donc que
modestement le potentiel d'exportation, les pays du MERCOSUR constituant
les marchés les plus importants. Par conséquent, il s'agit
d'une initiative de diversification des marchés dont l'envergure
n'est pas aussi grande que certains le prétendent.
Comme dans le cas de l'accord de libre-échange entre le Canada
et le Chili, les effets bénéfiques de la ZLEA se feront probablement
sentir davantage sur le plan de l'investissement. Le Canada sert de plaque
tournante ou de réservoir secondaire de capitaux d'investissement
destinés aux Amériques. L'extension et la consolidation,
sous l'égide de la ZLEA, des mesures contenues dans les accords
bilatéraux en matière d'investissement que le Canada a conclus
dans la région offrent les meilleures chances de retombées
économiques pour le Canada. Les multinationales canadiennes seront
plus compétitives dans un régime d'investissement libéralisé
à l'échelle de l'hémisphère, pouvant ainsi
mieux soutenir la concurrence, surtout de l'Asie du Sud-Est, sur les marchés
américains et européens. Cette augmentation des flux canadiens
d'investissement étranger direct se traduira par une hausse du commerce
canadien dans la région et du nombre d'emplois spécialisés
au Canada.
Le Canada a donc trois priorités dans le cadre de la ZLEA : 1)
la réduction à néant des droits de douane; 2) l'élimination
des procédures douanières superflues et coûteuses en
tant qu'obstacle au commerce; et 3) de solides mesures de protection des
investissements dans toute la région des Amériques. Voilà
les objectifs à atteindre avant tout et le plus intégralement
possible. Il convient d'accorder aux autres enjeux des négociations,
bien qu'importants, une priorité moindre.
Une démarche stratégique
Le Canada n'aura probablement pas, dans le cadre de la ZLEA, les mêmes
priorités et les mêmes intérêts que les autres
pays. Les États-Unis insisteront sans doute davantage sur les tarifs
douaniers, les procédures douanières et les droits de propriété
intellectuelle. En revanche, le Brésil et bien d'autres pays latino-américains
mettront vraisemblablement l'accent sur le règlement des différends,
l'agriculture et l'investissement. Le Canada devra donc se trouver des
alliés où il peut et le plus souvent les États-Unis,
le Mexique et le Chili seront ces alliés.
On peut tirer des leçons d'autres accords commerciaux multilatéraux.
L'Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers
(GATT) de 1947 et l'Accord général sur le commerce des services
(AGCS) étaient, au départ, des traités faibles. Ils
ne visaient pas à régler nombre de distorsions commerciales
de l'époque même s'il était mutuellement avantageux
de le faire. Le GATT de 1994 a fini par être un accord robuste et
il en sera probablement de même pour l'AGCS. Le Comité croit
qu'on peut appliquer cette philosophie à la ZLEA.
1 Sommet
des Amériques, Deuxième réunion ministérielle,
Carthagène, Colombie, 21 mars 1996, Déclaration conjointe,
p. 1.