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FAIT Rapport du Comité

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CHAPITRE 3 :
LE SOMMET DES AMÉRIQUES

Lors des deux premiers sommets des Amériques, [...] l'intégration économique des pays de l'hémisphère avait pour but de relever le niveau de vie [...], d'améliorer les conditions de travail pour tous et de mieux protéger l'environnement. [...] Les États de l'hémisphère ont adopté un ambitieux programme d'action en 23 points pour assurer des progrès tangibles, non seulement en stimulant le commerce, mais également en favorisant la démocratie, les droits de la personne, la santé, l'éducation, etc. Malgré un premier cadre de travail exhaustif, [...] l'intégration économique et le libre-échange ont dominé toutes les autres questions. Les résultats concrets des engagements pris au Sommet des Amériques sur le plan du développement social sont beaucoup plus difficiles à trouver. [Gauri Screenivasan, 27:1620]

Le processus du Sommet des Amériques

Les Amériques étant devenues, pour la première fois de l'histoire, une communauté de sociétés démocratiques, les chefs d'État et de gouvernement de la région se sont réunis à Miami (Floride), en décembre 1994, pour promouvoir leur intérêt mutuel à favoriser la prospérité économique, la démocratie et la sécurité dans l'hémisphère occidental. Lors de ce que l'on a appelé depuis le premier Sommet des Amériques de l'époque moderne, les dirigeants démocratiquement élus des 34 pays de l'Organisation des États américains (OEA) ont émis une Déclaration de principes sur les grands problèmes sociaux de l'hémisphère (voir l'annexe 3). Les quatre principes retenus visaient à :

1. maintenir et renforcer la communauté de démocraties des Amériques;

2. promouvoir la prospérité par le biais de l'intégration économique et du libre-échange;

3. vaincre la pauvreté et la discrimination dans notre hémisphère;

4. garantir un développement durable et conserver notre environnement naturel pour les générations futures.

Pour mieux étayer cette déclaration commune, les 34 pays s'engageaient à appliquer un Plan d'action dont les 23 objectifs contribueraient à la réalisation des quatre principes de base (voir l'encadré 3.1). Leurs gouvernements se sont effectivement lancés depuis, sur chacun de ces objectifs précis, dans nombre d'entreprises de portée générale qui, en sont à l'étape de la négociation ou de la planification, soit s'amorcent. Le Comité croit aussi comprendre que la poursuite de ces objectifs s'est étendue à d'autres organismes, selon leurs compétences propres, en fixant des échéances compatibles avec l'intérêt commun de la région. L'objectif du libre-échange est donc visé par le processus de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) mis au point par l'OEA, qui comporte trois grandes composantes administratives : 1) les ministres du commerce de l'hémisphère occidental; 2) les sous-ministres du commerce de l'hémisphère occidental; et 3) 12 groupes de travail (mués ensuite en 9 groupes de négociation). Pendant que l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS) traite des objectifs en matière de santé et d'éducation, le Service du développement durable et de l'environnement s'attaque aux problèmes de l'environnement et du développement durable; les quatre interventions en faveur de la démocratie tentées à ce jour par le Service pour l'encouragement de la démocratie (SED) ont été couronnées de succès, tandis que le Secrétariat des affaires juridiques de l'OEA cherche à améliorer l'administration de la justice. Le Groupe de suivi du Sommet a été chargé, enfin, d'évaluer les progrès réalisés sur tous ces plans.




Le Comité comprend que, même en l'absence de liens directs entre eux, ces objectifs peuvent être complémentaires. Il est généralement admis, par exemple, que sur la voie de la prospérité économique, la richesse créée par le libre-échange et l'efficacité accrue des marchés financiers, laquelle résulte en partie d'une mobilité plus grande des capitaux entre pays, peuvent accroître l'utilisation des services de santé et le niveau de scolarité atteint dans les régions en développement des Amériques. Une telle réorganisation des activités pourrait, en retour, contribuer à dissiper la pauvreté, du moins lorsqu'on la mesure non pas de façon relative mais en chiffres absolus, comme nous le verrons plus loin. D'autre part, comme il semble y avoir une corrélation positive entre la prospérité et les ressources financières ou humaines qu'une société consacre à l'environnement, la recherche de la prospérité économique par le libre-échange pourrait favoriser, outre le volet économique du développement durable, sa composante environnementale.

Le présent chapitre porte sur ces questions. Les sections qui suivent traitent de deux des trois objectifs du processus du Sommet des Amériques qui ne sont pas liés à la prospérité, à savoir la lutte contre la pauvreté et la promotion de la démocratie, alors que la question de l'environnement et du développement durable sera abordée au chapitre 7. Voyons d'abord les deux seuls autres enjeux du processus, le rôle de la société civile et des provinces dans l'initiative de la ZLEA.

Le rôle de la société civile dans la ZLEA

Le Canada a réclamé une participation étendue de la société civile à la conception des politiques étrangères, d'autant plus que les obligations commerciales se répercutent sans cesse davantage sur les questions de politique interne. Le processus de la ZLEA comporte un tel engagement, à l'insistance du Canada surtout. L'OEA a créé un Comité de la société civile dans la ZLEA, à Washington, et invité la population de l'hémisphère à lui faire part de ses opinions. Après avoir examiné les mémoires reçus, ce comité fera rapport aux ministres du commerce en novembre 1999.

Si avant-gardiste que cela puisse sembler, des représentants d'organisations non gouvernementales (ONG) estiment que, dans sa forme actuelle, le processus auquel ils participent, manque de transparence. Pour certains d'entre eux, ce qui a motivé la création d'un Comité de la société civile de la ZLEA n'est pas clair. Est-ce pour des raisons d'efficacité organisationnelle ou le but est-il de permettre aux ministres du commerce et à leurs fonctionnaires, par ce filtre structurel, de trier indirectement les commentaires et recommandations formulés dès le départ pour ne retenir que les plus favorables, leur permettant ainsi d'éviter les sujets de préoccupation les plus épineux du public? Selon eux, ce processus pourrait aussi se révéler inefficace car le dialogue ou les consultations véritables avec les décideurs, les négociateurs ou leurs fonctionnaires semblent faire défaut. Tout en comprenant clairement qu'elles ne sauraient jouer un rôle direct dans la négociation d'une ZLEA, les ONG se demandent ce que leurs efforts pourraient apporter.

Nous reconnaissons aussi qu'à la réunion ministérielle tenue au Costa Rica en mars 1998, notre ministre du Commerce international a invité ses collègues de la région à constituer un comité sur la participation de la société civile à la ZLEA. Ce qui s'est passé n'était toutefois pas entièrement satisfaisant. En fait, une série de suggestions ont été formulées et recueillies dans un bureau de Washington. C'est ce que les ONG ont appelé la boîte à suggestions; il n'y a pas eu de mécanisme réel pour en discuter. Nous exhortons donc le Canada à en faire un processus permanent et transparent avec les autres pays de la région. [Eleanor Douglas, 27:1640]

Des témoins ont aussi prétendu que l'idée d'encourager la participation de la société civile n'inspire que des efforts mitigés, surtout en Amérique latine où, a-t-on laissé croire, les fonctionnaires laissent traîner les choses, ne voyant dans ce processus qu'une invitation ouverte aux critiques des gouvernements et du commerce. Le revers de la médaille porte cependant à croire que les fonctionnaires craignent vraiment que des ONG et des groupes d'intérêt, qui ne demanderaient pas mieux que d'aigrir le climat s'ils en avaient l'occasion, ne représentent que leurs idées et ne monopolisent le processus de négociation. Certains ont aussi conseillé au Comité de prendre la souveraineté et la culture politique en considération à cet égard.

Il ne fait aucun doute que les questions de souveraineté nationale sont cruciales pour l'ensemble du processus. Il ne fait aucun doute non plus que nous avons des cultures politiques très différentes, et que l'Amérique latine elle-même n'est pas homogène. [...] Je pense que, si nous laissons chaque pays agir selon sa propre tradition politique, [...] nous allons voir la société civile y forger sa propre dynamique, selon sa situation particulière. Vous semblez laisser entendre dans votre question que nous ne pouvons pas obliger les autres nations à adopter les normes canadiennes relatives à la vie politique et à la société civile; je suis d'accord avec vous, et notre modèle n'est pas nécessairement le meilleur qui soit de toute façon. [Stephen Randall, 125:920]

Pour obtenir un large apport des populations des Amériques sur les questions du commerce et des investissements internationaux, le Comité recommande :

1. Que, à la réunion ministérielle qui se tiendra à Toronto en novembre 1999, le ministre du Commerce international encourage et incite ses collègues des Amériques à inclure la société civile de leur pays dans un processus de consultation effective.

Au Canada, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) a invité la population à lui dire ce qu'elle pense de la ZLEA; un avis en ce sens a paru dans la Gazette du Canada en février 1999. Le ministère se propose de recueillir ces opinions et de les transmettre aux fonctionnaires canadiens responsables et aux négociateurs de la ZLEA. Le ministre et ses fonctionnaires ont aussi eu des réunions et des discussions officieuses avec divers groupes d'activistes; ils parraineront en outre un colloque sur la ZLEA que tiendront en novembre 1999 l'organisateur « Common Frontiers » et diverses ONG.

Participation des provinces à la mise en oeuvre de la ZLEA

Au Canada, la mise en oeuvre des traités internationaux doit se faire dans le respect des compétences législatives résultant du partage établi entre le fédéral et les provinces par la Constitution canadienne. Dès lors que le traité ou un aspect du traité porte sur un domaine de compétence des provinces, la participation de celles-ci est indispensable au respect des engagements découlant du traité en question. Sans nul doute, la meilleure façon de s'assurer de la coopération des provinces est de les associer à l'ensemble du processus de négociation des ententes internationales.

La pratique adoptée par le gouvernement canadien à ce sujet semble pour l'instant répondre assez bien aux besoins des divers éléments de la Fédération canadienne. Les provinces sont informées régulièrement de l'évolution des négociations.

Le Comité est conscient que l'équipe de négociations canadienne comprend déjà plusieurs représentants des divers ministères fédéraux touchés. Le gouvernement canadien devrait convenir avec les provinces d'un mécanisme permettant à celles-ci d'être pleinement informées du contenu des négociations et leur offrir la possibilité de faire valoir leurs points de vue et de défendre leurs intérêts au sein ou auprès de l'équipe de négociations. Le Comité recommande :

2. Que le gouvernement du Canada poursuit sa pratique qui consiste à informer et à consulter les provinces sur les questions liées à la libéralisation des échanges dans l'ensemble des Amériques, et de les associer aux procédures de négociations lorsque cela est souhaitable, de façon à protéger leurs intérêts dans leurs domaines de compétence, le tout, dans le respect des intérêts de l'ensemble de la Fédération canadienne.

La prospérité, la pauvreté et la ZLEA

Le commerce est important pour assurer la prospérité et le bien-être d'une nation et de ses citoyens. Tous les participants au processus du Sommet des Amériques le reconnaissent volontiers et se sont engagés, au nom de leur pays, à négocier une intégration économique plus poussée de l'hémisphère par l'élimination d'une grande gamme d'entraves au commerce et aux investissements. Dans l'ensemble, les partisans et les adversaires des ententes de libre-échange ne contestent pas le bien-fondé de la prémisse sous-jacente, à savoir que le libre-échange se traduit par une plus grande prospérité. Les adversaires contestent cependant qu'un mieux-être en résulte, surtout parce que le fait de lier des économies compétitives par le commerce et les investissements contraint, selon eux, les gouvernements à freiner les politiques et les programmes publics, d'où une diminution générale du niveau de bien-être. Les gains de prospérité ne compenseraient vraisemblablement pas ces pertes. D'autre part, d'après les témoignages entendus, c'est la répartition des richesses ainsi créées qui donne lieu à l'opposition, dans le cas des anti-libre-échangistes, et aux rajustements souhaités par certains libre-échangistes. Ce n'est pas l'ampleur mais bien le partage du gâteau économique qui est en cause ici. Seuls les libre-échangistes les plus fervents prétendent que le libre-échange profite universellement à la société, pendant que les adversaires les plus tenaces affirment qu'une politique de libre-échange profite seulement à quelques capitalistes de grandes sociétés d'exportation et de transnationales. La vérité se trouve évidemment quelque part entre ces deux positions extrêmes.

Il ne fait pas partie du mandat du Comité, même si c'était possible, de donner une idée exacte de ce que chacun perd et gagne dans une ZLEA. Comme le processus du Sommet des Amériques englobe le problème de la pauvreté, le Comité doit cependant faire rapport sur cet aspect de l'équation. Il faut prêter une attention particulière aux conséquences sur la prospérité et la pauvreté dans ce contexte car, contrairement au libre-échange entre le Canada et les États-Unis, les petites économies en développement des Amériques n'offrent pas les mêmes avantages sociaux qu'il faudrait peut-être pour compenser adéquatement ceux qui y perdent dans un régime de libre-échange. Certains tomberont vraisemblablement sous des seuils critiques de pauvreté.

Le Comité a entendu, à cet égard, des opinions contradictoires sur l'incidence de la libéralisation du commerce en Amérique latine. Si certains témoins entrevoient une hausse générale de la prospérité et une réduction de la pauvreté dans l'ensemble de la région, d'autres soutiennent que les riches et la classe moyenne, et surtout ceux qui sont associés de près au secteur des exportations, sont avantagés aux dépens des pauvres, de plus en plus marginalisés. Le Comité a jugé particulièrement intéressant le témoignage d'un chercheur sur le terrain selon lequel, lorsqu'on examine le casse-tête de la prospérité et de la pauvreté par rapport à une norme absolue, l'on constate que :

Depuis la libéralisation économique, la formation du MERCOSUR et l'engagement officiel qui a été pris à l'égard de la stabilité économique et financière, le niveau de vie de la classe inférieure s'est amélioré notablement. Les gens mangent mieux, les achats d'appareils ménagers de base ont augmenté, tout comme la consommation d'énergie. [...] J'ai regardé la consommation des ménages dans les statistiques de l'IBGE brésilien, et elles font apparaître une augmentation très marquée des achats de réfrigérateurs et de cuisinières au cours des 10 dernières années dans le quintile inférieur de la population, selon les revenus [...]. En 1987, dans les ménages disposant d'au plus deux salaires minimums - et je crois qu'en 1996, le salaire minimum était de 112 $ - on trouvait 60 p. 100 des ménages qui avaient un réfrigérateur. En 1996, la proportion était de près de 70 p. 100. [Annette Hester, 31:1655]

Ce même chercheur a constaté, par ailleurs, que lorsqu'on se sert d'une norme relative :

On mesure l'inégalité des revenus par le coefficient de Gini, qui va de zéro à un, zéro correspondant à des revenus parfaitement égaux et un à des revenus tout à fait inégaux. En 1987, ce coefficient était de 0,56 alors qu'en 1996, il était passé à 0,58. Il y a donc une grande inégalité des revenus. [...] Qu'est-ce qui se produit quand on cherche à déterminer où la situation s'est améliorée et où elle s'est détériorée [...] Dans toutes les nouvelles régions du Brésil, le Nord-Est, Belém, Fortaleza, Recife, Salvador - le coefficient de Gini s'est amélioré. [...] Là où la situation s'est considérablement détériorée, c'est à Sao Paulo, à Porto Alegre [...] [Annette Hester, 31:1655]

Ces résultats l'amènent à conclure :

Je sais que selon la théorie commerciale le gâteau sera plus gros pour tout le monde. Le système est très efficace pour accroître le gâteau, mais tout se gâte à la distribution. [Annette Hester, 31:1700]

Le Comité n'a rien à redire à ces conclusions, conscient que si la pauvreté a pu s'atténuer dans l'absolu au Brésil depuis 10 ans, elle semble s'être accrue en termes relatifs. Il ajouterait cependant une réserve à toute conclusion sur la pauvreté tirée des divergences détectées dans la répartition des revenus au moyen du coefficient de Gini qui ne tiendront pas compte des écarts différentiels attribuables aux différentes phases du cycle économique aux modifications de la structure économique du pays qui ne sont pas liées au commerce, et à l'évolution d'autres facteurs de politique sociale. De toute manière, les conclusions du chercheur sont probablement justes, dans l'ensemble, pour le gros de l'Amérique latine puisque, malgré une poussée impressionnante pendant la première moitié de la décennie, l'économie brésilienne a connu une croissance plus lente que l'ensemble de la région. Ces résultats quelque peu mitigés ne servent donc qu'à renforcer la tendance du Comité à prendre l'avis d'un expert dont les opinions sur le libre-échange et ses incidences sur la prospérité et la pauvreté sont modérées.

Quand nous recommandons à des pays en développement une mesure de libéralisation, que ce soit dans le secteur du commerce ou dans celui des services financiers, il faut tempérer quelque peu cette recommandation par le fait que ces politiques ou ces suggestions ont des répercussions sur la pauvreté et le développement. [...] Mais tout indique [...] que le lien entre libéralisation et développement est plutôt complexe. En fait, le résultat dépend beaucoup de la situation initiale des pays où cette libéralisation se produit, de même que de la qualité des institutions sociales, économiques et politiques chargées de gérer le changement. [Rohinton Medhora, 28:1620]

Le Comité n'est pas certain, en fin de compte, de ce qu'on gagnerait à comparer d'anciennes ententes commerciales ou des conclusions qu'on devrait en tirer. Les ententes de libre-échange sont généralement conclues par des pays qui se trouvent à peu près au même stade de développement social, contrairement à celui sur la ZLEA. Le Comité ne peut que conclure, à ce stade, qu'une ZLEA est susceptible d'apporter la prospérité générale aux Amériques; il reste cependant impossible de savoir si cette prospérité sera répartie également ou équitablement dans ces sociétés de manière à avoir un effet, dans un sens ou dans l'autre, sur la pauvreté. C'est pourquoi il se sentirait particulièrement inquiet si une réforme aussi profonde des sources de prospérité que représente une ZLEA n'était pas conçue de manière à atténuer les énormes écarts de richesse et les profondes inégalités raciales et sexuelles qui existent en Amérique latine. Il faudrait, pour assurer un équilibre approprié entre la prospérité économique et la lutte contre la pauvreté et la discrimination dans le cadre du processus lancé par le Sommet des Amériques, créer et doter de ressources adéquates des institutions politiques propres à notre hémisphère. Le Comité s'est fait dire à cet égard :

Des questions comme l'environnement, le rôle de l'éducation, le rôle des mères et les répercussions pour la santé des enfants, tout cela est englobé dans le document général et est abordé dans d'autres forums de l'hémisphère tels que l'Organisation panaméricaine de la santé. [Kathryn McCallion, 23:1215]

La Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque mondiale, la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) de l'ONU et l'Agence canadienne de développement international (ACDI) figureraient parmi ces autres institutions. L'Organisation des États américains (OEA) a demandé à la BID, par exemple, de doubler ses prêts en faveur de l'enseignement primaire et secondaire au cours des trois prochaines années par rapport aux trois années précédentes. Elle a également prié la BID, la CEPALC et la Banque mondiale de collaborer à un programme de télé-enseignement acheminé entre autres par satellite. Le Comité voudrait toutefois en savoir plus long sur ces institutions, leurs programmes, leur efficacité et leurs dispositifs de financement pour s'assurer que, en dehors de la ZLEA, les composantes du processus du Sommet des Amériques ne se limitent pas à un effort mitigé. Étant donné l'effort accru réclamé dans ces domaines, le Comité retient l'avis des témoins entendus pour s'assurer d'assortir, au départ, les réformes du libre-échange de conditions idéales qui vont de pair avec les objectifs de la lutte contre la pauvreté et la discrimination. Le Comité recommande :

3. Que le gouvernement du Canada examine le mandat et la mission de l'Organisation panaméricaine de la santé, de la Banque interaméricaine de développement et de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, notamment leur capacité à remplir leur mandat à l'égard des cinq objectifs fixés dans le Plan d'action du Sommet des Amériques concernant la lutte contre la pauvreté et la discrimination dans l'hémisphère occidental.

La démocratie, les droits de la personne et la ZLEA

Les principes de la démocratie et de la prospérité économique sont aussi indissociables dans le cadre du commerce. Ils se recoupent sur au moins trois points : 1) la stabilité économique assurée, en partie, par le libre-échange favorise la stabilité politique, et vice versa; 2) la stabilité économique qu'apportent la privatisation et la déréglementation de l'activité économique nécessaire au succès du libre-échange décourage le clientélisme chez les dirigeants politiques et hauts fonctionnaires corrompus; et 3) la prospérité économique résultant de l'intensification de la compétition étrangère dans le sillage du libre-échange remplace les méthodes coercitives utilisées pour stimuler les agents commerciaux et gouvernementaux par des incitatifs financiers qui conditionnent le travail et les investissements des gens, donnant ainsi une preuve tangible de respect des droits de la personne qui profite à chacun.

Examinons de plus près le premier point de recoupement. La stabilité économique due au libre-échange crée un intérêt fondamental à éviter les conflits politiques et armés. Un témoin en a donné un exemple au Comité dans le cadre du MERCOSUR. En tentant de mieux voir si les accords commerciaux n'ont trait qu'au commerce, le Comité a obtenu la réponse suivante d'un témoin :

Sur un autre front, les accords commerciaux agissent comme une force politique. L'exemple le plus récent qui vient à l'esprit est la situation du Paraguay où, récemment, l'ancien président a été mis en cause dans l'assassinat du vice-président. À une autre époque, l'assassinat du vice-président aurait fort bien pu causer de l'instabilité politique, voire un coup d'État. Mais les temps ont changé. Le Paraguay est membre du MERCOSUR et a signé le protocole d'Ushuaia, qui a donné corps à la « disposition démocratique » du MERCOSUR. Un coup d'État risquait donc de menacer son adhésion au MERCOSUR. Comme vous le savez, la crise a été évitée grâce aux présidents du Brésil et de l'Argentine. Ce n'est là qu'un des nombreux exemples que je pourrais donner et qui illustrent comment les accords commerciaux ont une influence au plan politique. [Annette Hester, 31:1610]

Selon l'opinion générale recueillie par le Comité, la situation politique semble s'être sensiblement améliorée en Amérique latine, au point que l'aboutissement d'entreprises économiques particulières, comme la ZLEA, étayeraient les progrès démocratiques réalisés jusqu'ici.

Au début des années 1980, le Chili et l'Argentine comptaient 24 différends frontaliers non résolus, qui risquaient tous de dégénérer en guerre ouverte. Bien sûr, ces pays avaient à l'époque une dictature militaire à leur tête, toujours prête à utiliser ses troupes. Ils avaient une façon très militariste de régler les problèmes. Aujourd'hui, 23 de ces 24 différends ont été résolus de façon pacifique, et le dernier est en voie de règlement. Voilà un bon exemple de la façon dont ces pays règlent leurs différends frontaliers. Le plus récent à avoir été réglé [...] entre le Pérou et l'Équateur, avait dégénéré en guerre en 1995 mais a été réglé à la fin de l'an dernier. Il ne reste que quelques petits différends qui ne risquent pas de dégénérer en guerre ouverte. [Paul Durand, 25:1605]

Quant au deuxième recoupement de la prospérité économique et de la démocratie, le problème de la corruption gouvernementale, ou du clientélisme comme on dit souvent, doit être combattu au moyen d'instruments tant politiques qu'économiques. Les premiers comprendraient la modernisation de l'État par l'établissement d'un code de procédures bureaucratiques plus simple et transparent, et les seconds, des initiatives de déréglementation et de privatisation. Ces deux types d'instruments sont compatibles et peuvent même constituer des conditions préalables importantes au succès du libre-échange, rehaussant ainsi à la fois la prospérité et les principes démocratiques. Voici comment un témoin a expliqué cette relation au Comité, ainsi que les signes de progrès constatés sur ce plan en Amérique latine :

La privatisation a pour effet de faire en sorte qu'il y a moins d'incitations à la corruption et moins de possibilités de corruption parce que l'activité gouvernementale est réduite. La déréglementation a fait diminuer grandement le nombre de fonctionnaires susceptibles d'être soudoyés pour obtenir une faveur en matière de réglementation. La démonopolisation a provoqué un accroissement de la concurrence et a créé, par sa nature même, les conditions qui font ressortir la corruption.

L'un des éléments essentiels des investissements étrangers qui se font en Amérique latine est l'importation, si vous voulez, de l'éthique de ces sociétés multinationales qui est appliquée aux systèmes commerciaux dans ces pays d'Amérique latine. Autrement dit, certaines des grandes sociétés transnationales n'iront tout simplement pas dans un pays si elles doivent se frayer un chemin par la corruption, et elles le font savoir aux gouvernements. [Bob Clark, 25:1635]

Les droits de la personne constituent, entre la démocratie et la prospérité économique, un autre lien qu'ont à coeur bon nombre de témoins entendus par le Comité ou qui lui ont transmis des mémoires. Certains tiennent mordicus à ce que tout accord de la ZLEA traite directement des questions des droits de la personne. En voici un petit échantillon :

Notre principal argument est que les traités sur les droits de la personne, y compris la Charte des Nations Unies, devraient avoir la suprématie sur tous les traités commerciaux. Il est intéressant de noter que les lois commerciales du Canada, toutes nos lois en fait, sont assujetties à la Charte des droits que renferme la Constitution. Aucune loi commerciale, que ce soit la Loi sur la concurrence ou la Loi antidumping, d'une province ou du gouvernement fédéral, ne peut l'emporter sur la Charte des droits. Selon nous, les accords commerciaux doivent reconnaître nos lois sur les droits de la personne, les traités sur les droits de la personne que nous avons ratifiés, comme le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et ces traités devraient avoir la priorité. Nous croyons que les accords et les traités devraient être mis en oeuvre parallèlement et qu'ils devraient être compatibles. [Hon Warren Allmand, 28:1535]

et

Bien entendu, nous voudrions que la protection des droits fondamentaux des gens devienne la principale priorité dans tout accord commercial. [L]e Canada et les autres pays de la région [devraient signer et ratifier] la Convention américaine relative aux droits de l'homme de 1978 et le Protocole de San Salvador sur les droits économiques, sociaux et culturels, de 1988. Nous savons qu'il ne s'agit pas d'instruments parfaits, mais c'est un bon début et nous invitons le gouvernement canadien à les examiner de près et à les ratifier. En ce qui concerne le Protocole de San Salvador, 10 pays l'ont ratifié jusqu'ici, soit seulement un de moins que les 11 requis pour [son entrée] en vigueur. [...] Nous recommandons que le Canada signe et ratifie ces deux accords. [Eleanor Douglas, 27:1635]

D'autres témoins, également perturbés par les violations systématiques des droits de la personne en Amérique latine, préfèrent pourtant que l'on cherche à protéger ces droits dans des forums et des institutions parallèles.

La cause profonde et le contexte historique des violations des droits de la personne en Amérique latine ont été bien exposés et résumés.

La tendance aux structures sociales et aux économies durables est remarquable depuis quelques années, mais c'est un phénomène relativement récent. Il ne s'agit pas ici de sociétés où les institutions démocratiques, le système judiciaire indépendant, la structure démocratique viable et le respect des droits de la personne ont suivi la même évolution que les nôtres. Nombre de ces pays ont été conquis. Leur histoire est celle de peuples conquis qui n'ont ni le même genre d'institutions ni les mêmes traditions démocratiques établies, qui n'ont pas ce respect des droits individuels que nous considérons comme naturels. Ce n'est pas le cas de tous, mais je pense qu'il y a des différences visibles dans la façon dont les gens abordent la notion de société civile, d'engagements qui débordent le cadre institutionnel. [George Haynal, 25:1620]

Aux yeux du Comité, au moins trois éléments importants font actuellement défaut en Amérique latine pour assurer la revalorisation des droits de la personne et des valeurs démocratiques : 1) la participation de la « société civile »; 2) la saine conduite des affaires publiques; et 3) la primauté du droit. Le premier, une société civile active, découle de la conviction qu'il faut donner aux citoyens l'occasion d'être consultés, d'une manière ou d'une autre, par les gouvernements qui légifèrent sur des questions qui les concernent. Puisqu'il est pratiquement certain qu'aucune loi ne fera jamais l'unanimité, une démocratie saine sera caractérisée par une société civile dynamique aux aguets de lois et de codes qui présentent à ses yeux, bien que ce soit un jugement subjectif, un déséquilibre des droits et des obligations. Le Comité estime toutefois que, dans le cadre du processus de la ZLEA qui a trait à la société civile, la recommandation no 1 permet de parer à cet aspect du problème.

Ces sociétés se sont déjà elles-mêmes attaquées au deuxième élément, la saine conduite des affaires publiques. Il y a déjà eu passablement de déréglementation et de privatisation des économies latino-américaines, et ce mouvement s'est accompagné de l'établissement de règles bureaucratiques simples et transparentes destinées à prévenir la corruption. Le Comité ne peut qu'encourager les gouvernements latino-américains à poursuivre ces efforts car il reste encore beaucoup à faire pour mettre en place des codes de conduite bureaucratiques transparents. Un témoin, qui a aussi loué le rôle du gouvernement du Canada dans la ratification de la convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre la corruption en 1998, s'est montré plus direct :

Il est un autre domaine où il serait possible de réaliser des progrès rapides cette année et où le Canada pourrait jouer un rôle de premier plan, à savoir la transparence tant des marchés publics que des autres rouages administratifs. La transparence va de pair avec la bonne gouvernance, des mécanismes plus équitables et ouverts, et une baisse de la corruption. Elle contribuerait à créer un climat commercial limpide où les affaires sont empreintes d'intégrité et où le régime juridique garantit l'application uniforme des règles. [Robert Weese, 31:1640]

Le Comité accepte cette perception et reviendra à cette question, sur laquelle il aura même des recommandations à formuler, dans les chapitres qui traitent des marchés publics et de la facilitation du commerce.

Pour ce qui est du troisième élément, enfin, nombre de pays latino-américains ont adopté, par exemple, des lois interdisant la suppression des syndicats ouvriers et l'utilisation de la main-d'oeuvre enfantine; on y trouve cependant plein de gens qui se livrent à des actions antisyndicales et d'ateliers clandestins qui emploient couramment des enfants, sujet auquel le Comité reviendra au chapitre 6. Cela porte à croire que le problème n'est pas l'absence de lois en Amérique latine, mais plutôt que la primauté du droit n'existe pas. La charpente de la démocratie doit reposer sur un solide fondement de respect des droits de la personne, de sorte que l'application équitable des lois par un corps policier et un système judiciaire indépendants - c'est-à-dire soustraits à l'assemblée législative et aux dirigeants politiques - constituent un impératif démocratique. Ce qui nous ramène à la question initiale avec laquelle les témoins étaient aux prises, celle de savoir si un accord sur la ZLEA doit incorporer des dispositions spéciales sur l'application des lois et créer des organismes de répression des violations des droits de la personne.

Il pourrait être tentant, à première vue, d'insérer dans la structure de la ZLEA une « disposition sur les droits sociaux ou de la personne » qui permettrait à un organisme supranational de frapper de sanctions commerciales les pays dont les gouvernements ont un « bon » dossier de violations systématiques des droits de la personne. De telles façons de remédier aux lacunes démocratiques d'autrui comportent toutefois des risques. Comme un témoin l'a affirmé avec raison :

Je ne préconise pas l'ajout d'une « disposition démocratique » à l'accord sur la ZLEA. Dans l'état actuel des choses, le MERCOSUR est une union douanière entre pays qui ont plusieurs éléments en commun, dont leur niveau de développement, tandis que la ZLEA est une zone de libre-échange réunissant des pays très différents. Je crains que ce type de disposition, s'il était préconisé par le Canada ou les États-Unis, ne soit perçu comme une ingérence et ne risque de faire échouer l'accord. [Annette Hester, 31:1610]

Le Comité est bien conscient également du fait que, tout en étant un document politique négocié entre gouvernements souverains, un accord de libre-échange est avant tout un instrument économique destiné à résoudre ou à atténuer des problèmes économiques. C'est un instrument un peu fruste dont les institutions, sans expérience, ne sont pas bien outillées pour remédier aux violations des droits de la personne. La façon dont une décision d'imposer des sanctions lierait les partenaires commerciaux du pays en cause est au mieux bien vague, par exemple, sans parler du partage du fardeau et de l'imposition des sanctions. La Convention américaine relative aux droits de la personne, appliquée par la Commission interaméricaine des droits de la personne et la Cour interaméricaine des droits de la personne, est manifestement un bien meilleur instrument social pour y parvenir.

Certains ont laissé entendre que, parce qu'il n'a pas ratifié cette convention, le Canada ne saurait défendre les droits de la personne dans la région. Le Comité ne partage pas cet avis. Si le Canada n'a pas signé cette Convention, c'est surtout parce que, comme ce document est antérieur à l'adhésion du Canada à l'OEA, il ne serait pas facile de rendre la législation canadienne actuelle compatible avec elle. Il y a peu de chances, par exemple, pour que les lois canadiennes sur la propagande haineuse et la pornographie juvénile soient compatibles avec la « liberté d'expression » établie par la convention; il en serait de même pour diverses lois canadiennes par rapport à la disposition sur le « droit à la vie » dont l'application commence au moment de la conception et non pas à la naissance. À moins de signer la convention en l'assortissant de réserves ou de la faire modifier sensiblement, le Canada peut s'appuyer sur sa réputation en matière de droits de la personne pour défendre efficacement les droits de la personne dans les Amériques.

Le respect des droits de la personne n'est pas, par essence, un problème économique mais bien, comme on l'a déjà indiqué, un problème de culture politique et sociale. C'est par les mécanismes et les institutions actuels de l'hémisphère occidental que les notions et les normes de droits de la personne, l'accès universel au système judiciaire et les recours contre toute abolition de ces droits doivent se concrétiser. Le passé indique aussi que le libre-échange ne peut contribuer qu'indirectement à améliorer les comportements nationaux en matière de respect des droits de la personne par un dialogue constructif. D'autre part, les décisions d'un organisme commercial de l'hémisphère occidental, en s'inspirant des actions de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), favoriseront de plus en plus un climat de respect des droits de la personne. Le fait demeure que le libre-échange mène à une plus grande prospérité et que ce sont les pays prospères qui, dans l'ensemble, respectent le mieux les droits de la personne.

Pour toutes ces raisons, le Comité est d'avis qu'il faut éviter qu'un éventuel organisme administratif de la ZLEA, comme celui de l'OMC, ne devienne ou ne soit transformé en une organisation des droits de la personne. Nous avons déjà des institutions qui en sont chargées; si leur fonctionnement laisse à désirer, il faut y remédier. Des administrations qui font double emploi ne sont pas une solution, et il ne faudrait créer de nouveaux instruments normatifs de protection des droits de la personne fondés sur le commerce qu'en dernier recours. Le mieux serait donc de travailler à la protection des droits de la personne, qui est d'une importance primordiale pour chacune des sociétés démocratiques des Amériques, en dehors du processus de la ZLEA mais à l'intérieur comme à l'extérieur du cadre établi au Sommet des Amériques. Bien que le Comité soit réceptif à un moyen efficace et relativement peu coûteux d'atteindre cet objectif démocratique dans le cadre de l'accord sur la ZLEA, la structure de l'hémisphère occidental est ainsi conçue pour l'instant. Comme il l'a fait dans son neuvième rapport, le Comité recommande :

4. Qu'au moment d'établir ses positions en vue de la négociation d'un accord sur la Zone de libre-échange des Amériques, le gouvernement du Canada en examine l'incidence sur les droits de la personne et veille notamment à ce qu'elles ne soient pas contraintes aux obligations internationales du Canada en la matière ou les mesures destinées à protéger et à faire appliquer graduellement les droits reconnus en droit international. Le gouvernement du Canada devrait aussi encourager ses partenaires de négociation à en faire autant et profiter de ces négotiations pour faire progresser le respect des droits de la personne dans l'ensemble des Amériques.

Le Comité estime enfin que les sociétés canadiennes établies en Amérique latine et dans les Caraïbes constituent aussi un moyen de promouvoir le respect des droits de la personne si elles prêchent par l'exemple dans leur façon de traiter les travailleurs et leurs associés locaux. Le Comité juge adéquats le code de déontologie que le Canada s'est volontairement donné en affaires ainsi que la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption. Il recommande donc :

5. Que le gouvernement du Canada intensifie ses efforts pour promouvoir les codes de conduite commerciaux volontaires adoptés par les sociétés canadiennes ainsi que la Convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques sur la lutte contre la corruption.