Passer au contenu
;

FAIT Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

CHAPITRE 4 :
OCCASIONS ET ENJEUX D'UNE ZLEA

En deux mots, nous tâchons de tirer profit [...] des débouchés qu'offrent les Amériques au Canada, [qui s'y] est débrouillé extrêmement bien [...]. Non seulement nous avons [...] un accord de l'ALENA avec le Mexique [et les É.-U.] et un accord de libre-échange avec le Chili, mais le nombre de nos accords bilatéraux avec tous les pays des Amériques, tant en matière de commerce que d'investissement, a augmenté de façon spectaculaire. [...] Il est dans notre intérêt national [...] que nous soyons [vus] non seulement comme un participant mais également comme un chef de file dans l'unification de ce qui deviendra une région du monde d'une énorme importance. [Hon. Sergio Marchi, 24:1530]

La Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) représente de nombreuses occasions d'affaires pour les Canadiens et les autres pays de l'hémisphère. En premier lieu, elle offre des possibilités de commerce et d'investissement inexploitées en raison des entraves existantes. Mais dans un monde en mutation rapide où les nouvelles technologies favorisent l'intégration économique mondiale, on pourrait aussi y inclure les ententes commerciales véritablement nouvelles. Dans la prochaine partie, nous tenterons d'évaluer le mieux possible la valeur économique de ces occasions de commerce et d'investissement, tant les occasions ratées que celles à venir.

La ZLEA n'est pas sans soulever des enjeux politiques. Parmi les enjeux qui ont fait surface jusqu'ici, les quatre suivants sont parmi les plus importants : 1) l'absence d'une loi américaine sur la procédure accélérée (fast track) et l'apparente intransigeance du Brésil face à la ZLEA; 2) les disparités de taille et de développement des économies de l'hémisphère; 3) la facilitation du commerce ou l'administration des douanes; 4) et l'éventualité de crises financières mondiales. Il va sans dire que si les entraves au commerce ont été mises en place suite aux pressions de puissants groupes d'intérêt et de groupes de pression efficaces, il ne faudrait pas sous-estimer ces résistances, qui sauront exploiter ces enjeux à leur avantage et saboter les négociations. C'est dire qu'il est essentiel de bien gérer les enjeux et défis que pose une ZLEA, ce dont il sera d'ailleurs question dans les sections qui suivent.

Avantages économiques et occasions d'affaires

Le commerce international est important pour la prospérité et le bien-être d'un pays et de ses citoyens. Tous les participants au Sommet des Amériques reconnaissent ce fait, et ils ont pris l'engagement de négocier en vue d'une intégration économique accrue de l'hémisphère, notamment par l'élimination des entraves au commerce et à l'investissement. Mais on est loin de s'entendre sur ce qu'il faut attendre du libre-échange, c'est-à-dire sur les conséquences économiques qui pourraient en résulter.

Les leçons apprises suite aux débats sur le libre-échange canado-américain et sur le libre-échange nord-américain méritent d'être rappelées : le libre-échange vise la prospérité et le bien-être, ce n'est pas une question d'emplois gagnés ou perdus; certes, ce dernier point est important et il sera examiné au chapitre 61. En supprimant les obstacles douaniers et non douaniers, les prix des biens et services traduiraient mieux l'état de rareté des ressources entrant dans leur production, ce qui profiterait aux entreprises, industries ou secteurs de l'économie qui jouissent d'un avantage comparatif ou compétitif. Les ressources de ces économies seraient alors dirigées vers les sources et lieux de production les plus efficaces, le commerce et l'investissement étranger direct (IED) augmenteraient avec la diminution des incertitudes dues à l'instabilité politique et il se créerait ainsi plus de richesses dans la région. Du côté des exportations, on pourrait prédire avec certitude que les syndicats, le patronat et les actionnaires des entreprises des secteurs liés à l'exportation bénéficieraient de ces progrès; c'est dans ce sens qu'on entend habituellement l'argument de la prospérité. Quant aux importations, on pourrait aussi prédire que ces avantages commerciaux se traduiraient par une compétitivité accrue des entreprises canadiennes qui importent des biens et services pour leurs besoins de fabrication, sans compter la grande satisfaction que les consommateurs canadiens pourraient tirer de l'importation de biens et services de l'étranger. Le premier avantage figurerait aussi au tableau de la prospérité, alors que le second relevait plutôt du volet bien-être. En outre, à proportion des économies d'échelle et de gamme que pourront réaliser les exportateurs canadiens qui pénétreront les marchés étrangers, il en résultera une productivité et une richesse accrues2. Bien que difficiles à mesurer ou chiffrer, ces avantages économiques ne sont pas négligeables, et on estime généralement qu'ils compensent les pertes dans certains secteurs de l'économie ayant un désavantage comparatif ou compétitif.

Un commentateur a attiré notre attention sur un avantage non traditionnel nouveau dont ont profité les provinces canadiennes tributaires des richesses naturelles.

L'Alberta a développé une industrie à valeur ajoutée, [et] est moins sensible aux variations cycliques de l'économie. Les industries à valeur ajoutée, comme la transformation de la viande, les papiers et panneaux, équipement, matériel électrique, instruments de précision, [...] avions et pièces, meubles, se sont multipliées. [...] L'ALE et l'ALENA ont entraîné la création d'une industrie compétitive qui aide à amortir le contrecoup des variations brutales que connaît le secteur des ressources. [Rolf Mirus, 124:945]

Passant du général au particulier, une ZLEA devrait créer de nombreuses occasions de commerce et d'investissement pour les entreprises canadiennes. D'après une étude de l'impact éventuel de l'ouverture de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) à l'Argentine, au Brésil, au Chili et à la Colombie, le Canada pourrait s'attendre à une légère augmentation de la production totale de 10 sur les 23 secteurs de produits échangeables examinés, la croissance étant la plus forte dans la production de matériel électrique, de métaux non ferreux et de produits divers3. Le Comité a toutefois reconnu au départ qu'il n'y a pas d'ententes commerciales assez vastes pour permettre d'évaluer l'importance des occasions de commerce et d'investissement que représenterait une ZLEA. À défaut d'une base statistique fiable, le Comité a choisi de réunir un échantillon de gens d'affaires ayant l'expérience du commerce avec l'Amérique latine et les Caraïbes pour l'éclairer sur le potentiel de la région pour le Canada.

D'emblée, les experts étaient d'accord pour dire que l'Amérique latine et les Caraïbes représentent de modestes possibilités d'exportation pour le Canada.

Quand on regarde l'Amérique latine, on voit des sociétés et des économies dynamiques et en croissance rapide. [...] Les pays des Amériques centrale et du Sud constituent des débouchés commerciaux de plus en plus importants, et certains sont des concurrents des plus sérieux. [...] Ces dernières années, l'axe des activités s'est déplacé [...]. Au moment où en Amérique du Nord les perspectives [...] se raréfiaient, le marché [...] prenait rapidement de l'expansion en Chine, dans d'autres pays asiatiques et en Amérique latine. [Robert Weese, 31:1635]

L'Alliance des manufacturiers et des exportateurs a fait des sondages auprès de ses membres qui corroborent ces dires.

Leur opinion a changé du tout au tout depuis cinq ans. Aujourd'hui, 46 p. 100 de nos membres considèrent que l'Accord de libre-échange Canada-Chili leur ouvre des portes, et seulement 3 p. 100 y voient une menace éventuelle pour leurs affaires ou leurs débouchés. [...] Selon notre sondage, 79 p. 100 de nos membres appuient la négociation d'un accord de libre-échange des Amériques. [Jayson Myers, 28:1605]

Outre que ces occasions constituent un incitatif à négocier une entente de libre-échange panaméricain, l'Alliance estime qu'il y a une autre raison, d'ordre stratégique, qui explique cette position.

Il y a une autre raison extrêmement importante pour laquelle nos membres s'intéressent plus que jamais à la négociation d'un accord de libre-échange panaméricain. Je veux parler de la pénétration croissante du marché latino-américain par nos concurrents d'Asie, d'Europe et des États-Unis, sans oublier les importantes négociations en cours en Amérique latine même. Des pays comme le Mexique, le Brésil, l'Argentine et le Chili négocient d'autres accords de libre-échange sur une base bilatérale. Ce qui inquiète nos membres, qui cherchent à pénétrer le marché latino-américain et qui ne veulent pas être exclus de ces accords préférentiels. [Jayson Myers, 28:1605]

Il ne s'agit pas d'idées en l'air. Alors que nous discutons de la création d'une ZLEA, on a fourni au Comité l'exemple d'un tel cas.

[Gildan Activewear Inc.] est une entreprise de fabrication [de textiles] établie à Montréal. Nous comptons 5 000 employés, dont 1 000 au Québec et les autres dans les Antilles et en Amérique centrale, plus précisément au Honduras, au Nicaragua, au Salvador, et en Haïti. [...] Si nous réussissons bien, c'est parce que notre participation à l'accord bilatéral américain connu sous le nom d'Initiative du bassin des Caraïbes [...] nous donne accès aux Antilles et à l'Amérique centrale. [...] Nous sommes passés d'un chiffre d'affaires de moins de 30 millions en 1992 au chiffre actuel de 330 millions et nous prévoyons atteindre le demi-milliard l'an prochain. [...] Nous devons savoir, en tant que Canadiens, que les Américains sont nos principaux concurrents dans le cadre de cet accord bilatéral. [...] Ils ont une bonne longueur d'avance sur nous du fait qu'ils ont conclu divers accords bilatéraux et sont ainsi [...] des précurseurs du libre-échange dans les Amériques.

Récemment, par exemple, ils ont eu l'audace de présenter aux États-Unis une mesure législative appelée l'accord de parité Antilles-ALENA. De la sorte, [ils] ont essentiellement créé un accord bilatéral qui confère aux Antilles l'ensemble des avantages de l'ALENA, tout en excluant nommément le Canada de toute participation. [Greg Chamandy, 31:1625]

Pour ces raisons, et d'autres aussi, le Comité estime que l'examen d'une ZLEA s'impose. En dépit du faible pourcentage d'échanges entre le Canada et l'Amérique latine et les Caraïbes par rapport à notre commerce avec les autres pays, un accord de libre-échange avec cette région semble bien être dans l'intérêt du Canada. Les échanges entre le Canada et les pays de ces régions augmentent très rapidement depuis qu'ils ont renoncé à leur politique de remplacement des importations à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Comme le montre le chapitre 1, ces échanges ont crû plus rapidement que ceux avec les États-Unis, bien que ceux-ci bénéficient d'un accord de libre-échange général alors que ce n'est pas le cas pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Il s'agit d'un véritable exploit qui montre bien l'importance des appuis institutionnels au-delà de la série d'accords d'investissement bilatéraux qui existent à l'heure actuelle.

Le gouvernement canadien devrait éviter de se fonder sur ses relations commerciales passées avec l'Amérique latine et les Caraïbes qui ne sont qu'une petite fraction de ses échanges globaux avec le reste du monde pour se faire une idée de ce qu'elles pourraient devenir. Le Comité est d'avis que ces régions offrent des occasions de commerce et d'investissement pour les entreprises canadiennes qui vont au-delà de ce que peut indiquer l'expérience passée. Le Canada devrait plutôt se tourner résolument vers l'avenir, et reconnaître le vaste potentiel économique de la région. Le Comité estime que toutes ces raisons d'envisager une ZLEA sont valables et convaincantes.

Le jeu des Américains et des Brésiliens

Officiellement, tant les États-Unis que le Brésil sont en faveur d'une ZLEA et acceptent les échéances convenues pour sa mise en place, mais on pourrait prétendre que leurs actions indiquent le contraire et sont éloquentes. Dans le cas des États-Unis, le Congrès hésite à autoriser l'administration Clinton à engager des négociations suivant la procédure accélérée. Quant au Brésil, le gouvernement accorde à l'amélioration et à la consolidation du MERCOSUR la priorité sur la négociation d'une ZLEA.

La politique bipartisane, l'énorme déficit historique du commerce des marchandises et le moyen de faire prendre en compte les préoccupations syndicales et environnementales dans les nouveaux accords commerciaux préoccuperaient le Congrès américain. En attendant le compromis qui dénouera l'impasse, les négociateurs américains s'en trouvent handicapés et leur réputation et leur sérieux en souffrent. En outre, les 33 autres équipes à la table sentent qu'il y aura deux séries de négociations : la première avec l'administration américaine et l'autre avec le Congrès. Rien d'étonnant que la perspective de se retrouver embarquées dans un stratagème de négociation entre « bons » et « méchants » ne leur sourie pas, et en l'absence d'initiative de la part des Américains, rares sont les parties qui font montre d'un enthousiasme plus que modéré pour une ZLEA.

On sait qu'au début du Cycle d'Uruguay de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), les États-Unis n'étaient pas autorisés à engager une procédure accélérée, et bien que cela ne soit pas essentiel dès le départ, on ne peut accepter que les États-Unis, qui sont l'économie dominante de l'hémisphère, renoncent à leur rôle de leader. En attendant l'autorisation d'engager la procédure accélérée, bon nombre de Canadiens croient que nous devrions prendre l'initiative. On a déclaré au Comité :

En tant que puissance intermédiaire, le Canada peut maximiser son influence lors de l'établissement de l'ordre du jour [...]. Il existe un vide politique à l'heure actuelle. Il n'y a pas [...] de procédure accélérée et il n'y en aura pas avant les prochaines présidentielles, mais je suis convaincu que les négociations ne traîneront pas. Le Brésil connaît certains problèmes. Le Canada a donc un rôle particulier à jouer. [Bill Holt, 122:1515]

Le Canada s'est donné un rôle de leader, mais l'apparente intransigeance brésilienne est aussi préoccupante. Étant donné son manque de négociateurs, le Brésil a tenté, à plusieurs reprises, de ralentir les négociations d'une ZLEA. Outre ses efforts pour dynamiser et renforcer le MERCOSUR, le Brésil a récemment, par le biais du MERCOSUR, engagé l'Union européenne dans une démarche semblable qui pourrait accaparer encore davantage son temps et ses ressources limitées. Mais les témoins ont proposé au Comité deux explications contraires de cette attitude. On lui a d'abord dit :

Le Brésil donne la priorité au MERCOSUR dans sa politique commerciale, soit l'arrangement commercial avec l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, dans le but de constituer le coeur d'un bloc économique relativement bien intégré. De plus, par le biais d'accords parallèles, ces pays ont entrepris d'élargir la portée du MERCOSUR en signant des accords d'association avec le Chili et la Bolivie [...] et avec des pays andins. Le Brésil a une stratégie très sud-américaine et voit d'un mauvais oeil la précipitation du gouvernement Clinton, et en particulier du gouvernement canadien, à imposer un mécanisme hémisphérique qui serait inévitablement dominé par les États-Unis. [Jean Deaudelin, 27:1610]

Et ensuite :

L'histoire montre que la plupart des efforts d'intégration [de l'Amérique latine] n'ont pas été fructueux. [...] La principale critique est qu'ils visaient à en faire trop dans des délais trop inflexibles. Il n'est donc pas étonnant que ces pays laissent entendre que le processus de la ZLEA doit progresser plus lentement et avoir une portée moins ambitieuse que [celle] proposée eu départ. [Annette Hester, 31:1615]

Si les responsables commerciaux du Canada ont un peu raison de se décourager devant ce jeu des deux plus grands pays de l'hémisphère, le Comité est d'avis que leur patience finira par être récompensée. Le Comité recommande :

6. Que le gouvernement du Canada continue de se montrer proactif pour faire avancer la négociation d'un accord sur une Zone de libre-échange des Amériques.

Disparités de taille et de développement des économies

La ZLEA est une formule unique dans l'intégration des économies par le libre-échange du fait qu'on vise pour la première fois à intégrer un grande nombre d'économies diverses. Les disparités de taille et de développement de ces pays constitueront un défi de taille, pour deux raisons. La première saute aux yeux : un ambitieux accord commercial entre 34 pays impliquera un processus de négociation extrêmement complexe; mais pourrait-il en être autrement? La seconde est que les petits pays latino-américains et caraïbes craignent que les gros pays ne les dominent dans les négociations et que, en conséquence, certaines de leurs grandes multinationales qui peuvent employer plus de monde et dont le chiffre d'affaires est parfois très supérieur à leur produit intérieur brut (PNB) ne finissent par dominer leur économie. Ce déséquilibre de taille et de force économique, craignent-ils, pourrait aboutir à l'exploitation de leurs rares ressources naturelles au profit de l'Amérique du Nord, sans qu'ils aient leur part du gâteau, et à une situation où des forces extérieures décideraient de leur développement économique.

Dans le premier cas, il est clair que les petits pays n'ont pas les ressources nécessaires pour conclure un accord commercial mutuellement profitable, mais on peut y remédier par la coopération et l'aide technique, comme le Comité l'explique assez longuement dans le prochain chapitre. La seconde critique paraît peu fondée. La disparité de richesse et de développement entre l'Amérique du Nord et l'Amérique latine et les Caraïbes est au mieux une arme à deux tranchants. On pourrait très bien soutenir que cette asymétrie, plutôt que le cas hypothétique d'un équilibre hémisphérique des richesses, est plus susceptible de créer des richesses pour l'ensemble des Amériques dans un climat commercial régi par des règles mieux harmonisées. Depuis les années 1800, les différences économiques entre nations et régions ont été vues comme des facteurs importants ou des stimulants de la spécialisation et du commerce international. En outre, les mouvements de capitaux depuis des régions riches en capitaux, comme l'Amérique du Nord, peuvent stimuler la productivité du travail dans les régions en manque de capitaux, comme l'Amérique latine et les Caraïbes, et faire en sorte que les profils démographique et de richesse de ces différents pays amorcent un rapprochement4,5.

Au bout du compte, les données empiriques indiquent le contraire. Les économies du Canada et du Mexique sont en gros le douzième et le vingtième de la taille de celle des États-Unis, et les entreprises américaines sont de plus grande taille et réalisent de plus grandes économies d'échelle que celles des deux premiers. Pourtant, le Canada et le Mexique jouissent d'excédents sur le commerce des marchandises avec les États-Unis qui ont atteint des niveaux inégalés depuis que les deux pays ont signé l'ALENA. Les impressions sont une chose, les faits en sont une autre.

Facilitation des échanges

Faciliter le commerce, avec la question-clé de l'administration douanière, est un des quatre grands enjeux d'une ZLEA. Les procédures douanières des 34 pays de l'hémisphère diffèrent à l'heure actuelle et, dans certains cas, peuvent constituer des obstacles au commerce. De fait, en considérant l'étendue des procédures douanières en négociation comme des concessions à l'accès au marché, certains pays montrent que pour eux ces mesures vont au-delà des questions de territoire/souveraineté. Un accord de libre-échange qui n'aborde pas la question des procédures douanières n'est pas une solution vraiment satisfaisante, comme le montre l'expérience des exportations du Canada au Mexique depuis l'ALENA; ce n'est certes pas rassurant.

L'enthousiasme de certaines entreprises canadiennes a peut-être été tempéré et je pense en particulier au cas du Mexique par des problèmes qu'elles ont rencontrés pour le passage de leurs produits aux douanes mexicaines, ayant dû composer avec les règlements concernant les investissements. Nous avons un accord de libre-échange avec le Mexique, mais [...] l'application des règles laisse à désirer [...]. [Jayson Myers, 28:1655]

Négocier des procédures douanières dans le cadre d'une nouvelle ZLEA devrait avoir comme grand objectif de permettre à une entreprise de Toronto de faire des affaires à Bogota en Colombie aussi facilement que s'il s'agissait de Seattle aux États-Unis. Par exemple, les formalités douanières devraient être harmonisées et rendues aussi simples, rationnelles et transparentes que possible, tout en respectant l'intégrité des frontières et la souveraineté territoriale. Tous les éléments des procédures douanières devraient ainsi assurer certitude et prévisibilité aux producteurs, exportateurs et importateurs afin de les encourager à faire des affaires partout dans les Amériques. Les coûts du commerce transfrontalier devraient être réduits dans toute la mesure du possible afin que le principe de la facilitation du commerce transfrontalier puisse s'appliquer également partout dans l'hémisphère, indépendamment de la provenance ou de la destination des biens et services.

Au départ, il faut savoir que la facilitation du commerce hémisphérique, soit les mesures d'administration douanière, pourrait être négociée en dehors du processus de la ZLEA; il n'est pas nécessaire qu'ils soient jumelés. Mais le Comité est conscient que ces obstacles peuvent constituer une véritable entrave à l'accès au marché et que la négociation d'un accord sur une ZLEA passe par la solution de ces questions.

S'il nous est impossible pour l'instant de négocier rapidement une réduction importante des tarifs entre les pays de la ZLEA, nous pouvons prendre des mesures de facilitation des échanges propres à améliorer la gouvernance dans l'ensemble de l'hémisphère, à rendre les échanges plus stables et prévisibles, à accélérer les opérations commerciales et à en réduire le coût, pour le profit de tous. Une de ces mesures concerne l'administration des douanes. Le Canada est intervenu efficacement dans des instances internationales pour promouvoir une plus grande efficacité de l'administration douanière. Il a encouragé et financé la formation des agents douaniers, prôné l'uniformisation des formulaires, l'harmonisation des systèmes de classification, la simplification des procédures et l'adoption d'un code de déontologie pour les agents. Il a insisté sur l'adoption de l'échange électronique de données par les autorités douanières. [Robert Weese, 31:1635-1640]

Le Comité est conscient que la négociation d'une ZLEA a fait de la facilitation du commerce une question prioritaire qui a déjà été l'objet de beaucoup de discussions. Bien des participants auraient contribué à un questionnaire diffusé aux gens d'affaires des quatre coins des Amériques par le Comité des négociations commerciales de la ZLEA. On a recueilli ainsi 217 propositions qui ont été ramenées à 51 mesures concernant les douanes. Cette rationalisation a été faite à des fins de gestion et dans le but d'en arriver à une entente sur les grandes mesures douanières d'ici l'an 2000. Ces mesures ont été réunies en deux groupes : les mesures douanières et celles de transparence. On y trouve des mesures comme l'importation temporaire de biens, l'importation d'échantillons commerciaux et de matériel publicitaire, les expéditions express, la réimportation d'articles réparés ou transformés, des procédures simplifiées pour les expéditions de faible valeur, la compatibilité des systèmes d'échanges électroniques, l'harmonisation du système de classification des produits, un guide des procédures douanières de l'hémisphère et les règles d'origine.

Bien que la facilitation du commerce constitue toute une entreprise en soi, cette question est considérée comme un élément de la ZLEA. Le Comité estime que c'est la bonne approche à adopter. En définitive, les progrès qu'on fera sur cet aspect des négociations indiqueront dans quelle mesure les parties sont déterminées à en arriver à une véritable ZLEA. Les négociations sur la facilitation du commerce serviront de signe avant-coureur des possibilités et du degré de réussite des négociations sur la ZLEA. Le Comité est également d'avis que cet aspect du commerce ne doit pas se substituer à d'autres entraves commerciales. Le Comité recommande donc :

7. Que le gouvernement du Canada fasse bien comprendre aux parties négociatrices qu'il attache beaucoup d'importance au règlement du dossier de la facilitation du commerce.

L'éventualité de crises financières mondiales

La ZLEA devrait être un événement économique positif pour l'hémisphère mais il ne faudrait pas s'imaginer que le libre-échange soit une panacée aux maux des Amériques, en particulier des pays en développement. En l'absence d'un minimum de réglementation et de surveillance des marchés financiers (idéalement par des incitatifs et des contrôles), de sains principes de gestion d'entreprise et de codes de conduite sérieux dans l'application de politiques fiscales et monétaires réfléchies, les réformes commerciales et de l'investissement qui feront suite à la ZLEA ne sauraient assurer une prospérité économique durable pour l'hémisphère. On ne peut s'attendre à ce que le libre-échange, de lui-même, prenne racine dans un climat d'inflation forte et instable, de fortes fluctuations des changes, de déficits budgétaires astronomiques et de dettes extérieures lourdes. Il faut mettre en place des préconditions financières adéquates.

C'est là l'enjeu le moins prévisible qui échappe au contrôle de toute politique des quatre grands enjeux d'une ZLEA aujourd'hui. À défaut de politiques de stabilité économique et financière, comme il vient d'être dit, la prospérité économique ne durera que le temps qu'il faudra aux spéculateurs pour trouver le chaînon le plus faible du réseau financier de l'hémisphère. Quand les « vents financiers » nous deviendront contraires, cela pourrait avoir un effet d'entraînement à travers toutes les Amériques dont la correction coûtera cher si l'on veut maintenir l'intégrité de la ZLEA et éviter que les détracteurs du libre-échange ne marque des points.

Dans la plupart des crises financières ou sous l'attaque des spéculateurs sur devises, les pays en développement décident souvent de restreindre les importations et les capitaux. Si ces réflexes apportent à leurs économies un court répit, en ne s'attaquant pas au coeur du problème, elles ne font qu'exacerber et prolonger leurs problèmes financiers. Les restrictions de capitaux ne sauraient remplacer une bonne gestion macroéconomique. Aux termes des règles de la ZLEA (selon les sauvegardes qui seront négociées), ces options ne seront plus à la portée des pays des Amériques, comme ce fut le cas pour le Mexique lorsque la « crise du peso » a éclaté alors qu'il commençait tout juste à donner suite à ses engagements en vertu de l'ALENA. D'autres mesures institutionnelles devront remplacer ces stratégies économiques des beaux jours.

[On ignore] l'impact que les marchés financiers internationaux auront sur la rapidité, le ton et la teneur des négociations de la ZLEA [...]. On s'intéresse beaucoup à la façon dont le Brésil va gérer sa situation financière et à l'influence que cela aura sur les négociations, étant donné que l'économie brésilienne [...] représente environ 60 p. 100 du PIB de l'Amérique latine. À notre avis, ces défis financiers sont autant d'arguments qui militent en faveur de la libéralisation du commerce et non l'inverse. Nous considérons effectivement qu'une plus grande libéralisation du commerce [...] favorisera l'ouverture et la transparence des marchés financiers plutôt que d'y nuire. Le Canada est d'avis qu'il faut résister aux appels en faveur d'un protectionnisme accru et d'un plus grand repli sur soi lancés en réaction à ces difficultés financières et faire valoir les avantages qu'il y aurait à continuer d'opter pour la libéralisation du commerce, que les fluctuations du marché soient négatives ou positives. [Kathryn McCallion, 24:1540-1545]

Le Comité souhaiterait pouvoir assurer les Canadiens que les crises financières en Amérique seront chose du passé une fois que la ZLEA aura été mise en place, mais il aurait sans doute plus de succès s'il commandait aux eaux de l'Atlantique de se séparer. Sans aucun doute, la question n'est pas de savoir si une crise financière s'abattra ou non sur un pays des Amériques avant, pendant ou après la mise en application d'un accord sur la ZLEA, mais bien plutôt de savoir quand. C'est alors que notre détermination de réaliser une intégration économique accrue de l'hémisphère subira son vrai test.

Le meilleur conseil que le Comité puisse donner pour le moment est de mettre en place des mesures institutionnelles pour mieux coordonner les politiques de stabilisation des pays de l'hémisphère afin de prévenir les crises financières, si possible, et de permettre aux institutions financières internationales de réagir plus rapidement et efficacement lorsqu'elles surviennent. Ces mesures doivent aussi permettre de maîtriser les risques financiers systémiques qui pourraient faire boule de neige.

Le Comité est d'avis que malgré la meilleure situation financière de nombre de pays d'Amérique latine et des Caraïbes (voir l'annexe 2) et les efforts de privatisation depuis 10 ans, d'autres réformes financières s'imposent dans plusieurs d'entre eux pour réaliser la mise en place d'une ZLEA. L'expérience nous apprend qu'il faut éviter que la libéralisation des marchés financiers ne progresse plus vite que la réforme de la réglementation et des contrôles du secteur financier ou les initiatives de modernisation.


1 En expliquant cette réalité au public, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international répète souvent qu'« un emploi canadien sur trois dépend du commerce avec le reste du monde et que chaque milliard de nouvelles exportations crée de 6 à 8 000 emplois au Canada » et qu'« une augmentation d'un milliard dans les investissements étrangers directs (IED) au Canada génère quelque 45 000 emplois sur une période de cinq ans ». Mais le Comité tient à ce que le public comprenne que la prospérité et le bien-être d'un pays sont bien davantage que cette manne d'emplois. Car il n'est pas sûr que ces affirmations soient pertinentes dans le cas d'une ZLEA, du moins en termes d'avantages nets. Les importations canadiennes ont aussi des implications pour les emplois. Le Canada étant un importateur net de biens et services d'Amérique latine et des Caraïbes, en termes d'emplois, le contenu net de ces échanges pour le Canada risque d'être négatif plutôt que positif. Le Canada est aussi un investisseur net dans cette même région, ce qui implique qu'au bout du compte des emplois sont créés ailleurs dans les Amériques avec les ressources financières du Canada. Toutefois, malgré cet évident déficit d'emplois, les retombées réelles d'une ZLEA en termes d'emplois pourraient être positives, inexistantes ou négatives pour le Canada. Cela dépendra d'une foule de variables, comme les avantages comparatifs et compétitifs des entreprises et des secteurs des différents pays qui ne sont pas visibles actuellement en raison des entraves au commerce, l'effet combiné de la productivité de la main-d'oeuvre et des salaires et les termes de l'échange. Pour ces raisons, il serait hasardeux de tenter de « vendre » une ZLEA en arguant de la création d'emplois.

2 Par économies de gamme, on entend la réduction des coûts unitaires d'une usine ou entreprise grâce à l'ajout de nouveaux produits à son calendrier de production.

3 D. Brown et coll., « Expanding NAFTA: Economic Effects of Accession of Chile and Other Major South American Nations », The North American Journal of Economics and Finance, JAI Press, vol. 6, n5 2, automne 1995, tableau 5, p. 161.

4 Accroître la productivité est possible, voire plus probable, si la redistribution des ressources dans ces pays se traduit par de nouvelles économies d'échelle et de gamme de la production, ce qui a plus de chances de se produire dans les petits pays d'Amérique latine et des Caraïbes.

5 Cette proposition n'est pas absolument avérée, car les faits ne vont pas tous dans le même sens. Une école de pensée économique soutient que l'écart grandissant entre les revenus des pays riches et des pays pauvres est en partie le résultat des obstacles commerciaux, et démontre empiriquement que leur réduction a abouti dans certains cas au rapprochement des revenus. Une autre école prétend que l'ouverture des échanges favorise les différences entre pays riches et pays pauvres en termes de « fonds » de compétences professionnelles, en partie en raison de la persistance des écarts de compétences techniques entre eux, ce qui a tendance à produire des écarts de revenus; mais les preuves à l'appui sont plutôt limitées.