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FAIT Rapport du Comité

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CHAPITRE 5 :
ÉCONOMIES DE PETITE TAILLE ET DÉFI DU LIBRE-ÉCHANGE

Les pays en développement auront un certain nombre de difficultés à surmonter [...] dans un monde dominé par la ZLEA et l'OMC. L'appartenance à ces organisations comporte des privilèges, mais aussi des obligations [...] Les pays doivent faire certains ajustements [dans] beaucoup de domaines, notamment sur le plan de la politique budgétaire en ce qui concerne par exemple l'harmonisation fiscale et l'élimination des subventions à l'exportation [...] Il faut apporter divers changements à ses politiques commerciales et industrielles afin de les aligner sur celles des autres pays signataires. [Rohinton Medhora, 28:1620]
Définition d'une « économie de petite taille »

On a dit au chapitre 2 que les Amériques constituaient la région économique la plus productive du monde, mais il reste qu'elle est composée surtout de petits pays en développement. Si, par définition, une économie de petite taille est un pays dont le produit intérieur brut (PIB) est inférieur à 50 milliards de dollars américains par exemple, ce qui comprendrait tous les pays dont le PIB par habitant est inférieur à 2 000 dollars américains et d'autres encore - ou, de façon plus succincte, les pays pauvres - tous les pays d'Amérique centrale et des Caraïbes, de même qu'une poignée de pays d'Amérique du Sud, tomberont dans cette catégorie. En fait, sur les 34 pays qui envisagent d'adhérer à une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), 25 appartiendraient à la catégorie des économies de petite taille. Même si l'on adoptait une définition plus limitative, par exemple en ramenant à 25 milliards de dollars américains le seuil du PIB, le nombre des économies de petite taille demeurerait inchangé. D'un autre côté, si l'on se fondait sur le chiffre de la population comme principal paramètre, on obtiendrait un résultat similaire avec un seuil de 10 millions d'habitants, en l'occurrence, 23 économies de petite taille. Si l'on abaissait le seuil à 5 millions d'habitants, le nombre de pays serait ramené à 20 seulement. On pourrait évidemment choisir une définition fondée à la fois sur le PIB et la population, mais même en faisant varier considérablement les seuils, on obtiendrait sensiblement les mêmes résultats; en nombre, les économies de petite taille sont tout simplement les plus nombreuses dans les Amériques.

Si les économies de petite taille sont singularisées dans la négociation et l'établissement d'une ZLEA, c'est précisément parce que, pour elles, l'adoption d'une politique de libre-échange présente des obstacles politiques et économiques bien plus importants que pour les grands pays. En fait, les particularités des économies de petite taille, dont nous donnerons un aperçu ci-dessous (on trouvera plus de détails à l'annexe 2), font de la transition d'un état insulaire à un état cosmopolite un processus difficile et complexe. Il reste cependant que la plupart des pays qui envisagent d'adhérer à la ZLEA sont déjà membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et respectent ou sont en voie de respecter les obligations de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). À ceux-là, l'adhésion à la ZLEA imposera un simple surcroît d'obligations dont le fardeau dépendra évidemment des impératifs de la période de transition requise pour respecter les obligations négociées. Pour garantir que ces obligations soient raisonnables, on a mis sur pied un Groupe consultatif sur les économies de petite taille (GCEPT) chargé expressément d'étudier les préoccupations et les enjeux des économies de petite taille et de soumettre ses recommandations aux neufs groupes de négociation. On cherche par là à ménager une période de transition aussi ordonnée, paisible et simple que possible.

Pour le Comité, il est absolument logique que le Groupe consultatif établisse, dès les premières étapes de la négociation, une définition provisoire de ce que l'on entend par « économie de petite taille », faute de quoi une foule de pays se précipiteront pour réclamer ce statut une fois qu'on aura négocié le gros des modalités de l'accord. Inutile de dire que, le cas échéant, ce genre de bousculade pourrait ajouter des complications inutiles et des coûts imprévus aux négociations, voire même déstabiliser le processus. Le Comité doit prévenir cette éventualité et il recommande :

8. Que le gouvernement du Canada enjoigne à son équipe de négociation de s'entendre avec le Groupe consultatif sur les économies de petite taille de la ZLEA sur une définition claire et pratique d'une « économie de petite taille ». Que le gouvernement du Canada envisage d'accorder une aide financière ou autre aux économies de petite taille dûment définies aux fins de la négociation et de la mise en oeuvre, y compris en ce qui concerne le règlement des différends, d'un accord sur une Zone de libre-échange des Amériques.

Les défis politiques et économiques d'une ZLEA

Généralement, les économies de petite taille sont des économies ouvertes. Dans le cas de celles de l'Amérique latine et des Caraïbes, les exportations de biens et services comptent pour plus de 40 p. 100 et pour près de 50 p. 100 de leur PIB. En fait, la valeur des échanges dépasse même souvent celle du PIB; c'est actuellement le cas des Caraïbes (CARICOM et autres) et du Nicaragua (voir le tableau 2.1). Faute de pouvoir réaliser des économies d'échelle suffisantes dans la production de biens manufacturés, la combinaison de petits territoires et de petites populations produit des entreprises trop souvent non compétitives et une économie peu diversifiée qui dépend d'une poignée seulement de produits et de services à exporter. Dans le premier cas, il s'agit surtout de produits agricoles et, dans le second, du tourisme et des services bancaires. Certains pays ont réussi à ajouter des produits d'industrie légère à forte intensité de main-d'oeuvre à leurs exportations, mais cela est plus souvent le résultat d'ententes commerciales préférentielles qui faussent les échanges (Initiative du bassin des Caraïbes et CARIBCAN) et de régimes fiscaux favorables aux entreprises nationales que de véritables avantages concurrentiels.

Ces particularités ont produit des économies distinctes qui dépendent de l'extérieur. Avec de petites populations et de petits territoires, elles manquent généralement de ressources naturelles et humaines pour remédier aux conséquences des catastrophes économiques ou naturelles (p. ex. une forte détérioration des termes de l'échange, dans le premier cas, et des ouragans ou tornades, dans le second). L'aide extérieure (et, dans certains cas, les remises de dettes extérieures) est souvent le seul moyen de composer avec ces événements incontrôlables. Ces économies ont aussi la particularité que les droits de douane y constituent la principale source de financement des programmes sociaux publics. Certains pays se servent largement de ces droits de douane en raison surtout de leur vaste assiette et de leur facilité d'administration au port d'entrée et parce qu'ils suscitent peu d'opposition dans la population puisqu'ils constituent une taxe cachée.

La stabilisation macroéconomique des économies ouvertes de petite taille n'est pas sans comporter ses propres difficultés. Ces économies peu diversifiées où le taux d'épargne est faible affichent généralement de forts déficits du compte courant financés par des excédents tout aussi importants du compte de capital (de manière à éviter des accumulations ou des baisses excessives des réserves en devises et de leurs substituts sous forme de prêts). Comme ce sont des preneurs de prix sur les marchés de marchandises mondiaux, ces pays sont particulièrement exposés aux chocs étrangers dans l'offre et la demande et aux fluctuations des marchés financiers et des marchés des changes étrangers. Ces chocs extérieurs peuvent en effet avoir des répercussions importantes et instantanées sur l'inflation, la croissance économique et le taux d'emploi par rapport à ce que l'on observe dans les grandes économies qui ont un secteur hors commerce florissant. Les ministres des Finances doivent par conséquent constamment s'ingénier à offrir un climat favorable aux placements (c.-à.-d. des taux d'intérêt bonifiés et une monnaie stable à parité fixe avec le dollar américain comme monnaie d'ancrage), de même que des conditions de crédit et des conditions monétaires biens disciplinées. En outre, le fait que les droits de douane occupent une large place dans les recettes fiscales publiques prive les gouvernements d'une partie de leur indépendance et de leur marge de manoeuvre en matière de politique budgétaire, alors même que leurs économies sont relativement vulnérables et instables.

De nombreux témoins ont réclamé un statut spécial pour les économies de petite taille. L'un d'entre eux s'est exprimé ainsi :

Enfin, nous pensons que le Canada doit jouer un rôle de chef de file en reconnaissant la grande diversité des économies et des niveaux de développement dans l'hémisphère, comme d'autres l'ont souligné. Il faut reconnaître que cette diversité dans les besoins et l'importance du développement exigent des règles commerciales différenciées. Au lieu de travailler à un accord commercial hémisphérique qui sera le même pour tout le monde, nous devons préconiser des politiques et des approches qui conviendront mieux aux économies plus petites, des échéanciers différents pour les pays qui ont un niveau différent d'endettement, par exemple, ou une base d'exportation différente. [Gauri Screenivasan, 23:1630]
Selon le Comité, une situation spéciale appelle des considérations spéciales. Si l'on veut que la ZLEA englobe les économies de petite taille, il va falloir offrir à celles-ci des conditions intéressantes, d'autant plus que ces pays jouissent déjà d'un accès préférentiel aux marchés nord-américains aux termes de l'Initiative du bassin des Caraïbes et de CARIBCAN. Plusieurs solutions pourraient être envisagées :

    1. obligations moindres (produit par produit);
    2. engagement d'agir au mieux de ses possibilités (un peu comme avec l'OMC);
    3. dispense d'engagements dans certains domaines (p. ex. subventions);
    4. souplesse dans l'application des disciplines (dispositions analogues à la dispense pour problèmes de balance des paiements de l'OMC);
    5. mise en oeuvre asymétrique (allongement des périodes d'élimination progressive des droits de douane et des barrières non tarifaires).
Chacune de ces solutions comporte des avantages et des inconvénients. Pour sa part, le Comité estime préférable d'assujettir tous les pays aux mêmes droits et obligations, faute de quoi la ZLEA prendrait un caractère trop arbitraire. La coordinatrice en chef de l'équipe canadienne chargée de la négociation de la ZLEA a déclaré au Comité :

La notion d'engagement unique signifie que [...] l'accord final représente un tout. Il a été décidé d'attendre jusqu'à ce que nous ayons l'ensemble des mesures, alors que les petits pays disent qu'ils pourront finir par s'aligner, mais qu'ils aimeraient un délai d'entrée en vigueur différentiel. [Kathryn McCallion, 23:1145]
En principe, donc, le Comité recommande :

9. Que le gouvernement du Canada maintienne sa position actuelle, laquelle veut que l'accord sur la Zone de libre-échange des Amériques constitue un tout auquel ses signataires doivent souscrire en totalité, et non en partie seulement. Que cet accord comporte des concessions négociées vis-à-vis des économies de petite taille.

Problèmes techniques d'une ZLEA

Ce ne sont pas seulement les modalités d'un accord de libre-échange qui posent problème aux économies de petite taille, mais aussi la négociation même de ce type d'accord. En effet, la négociation de tout accord commercial exige une grande quantité d'informations et des négociateurs de talent, ressources dont les petits pays ne disposent pas en nombre suffisant, si bien que la détermination et la négociation des priorités peuvent représenter un fardeau démesuré par rapport aux avantages éventuels d'une ZLEA. Comme l'a dit succinctement un témoin qui a une longue expérience de ces questions :

De plus, le Brésil a un problème de capacité ou de ressources au niveau de la négociation. On faisait état récemment, dans des revues brésiliennes, du fait qu'alors que les Américains sont capables de mobiliser 50 ou 60 négociateurs pour chaque dossier, les 15 Brésiliens doivent négocier l'ensemble des problèmes. Il existe donc des problèmes de capacité, de volonté politique, de stratégie et d'appui, tant au niveau du secteur privé qu'au niveau des syndicats et des organisations de la société civile [...] Au-delà de ces pays, la plus grande partie des économies de l'Amérique latine sont assez petites. On oublie souvent, par exemple, que l'économie chilienne a à peu près la même taille que celle de l'île de Montréal et que de nombreuses autres économies sont beaucoup plus petites. Ces gouvernements ont une capacité très limitée en termes de négociations et en termes de politique commerciale, et ils doivent négocier au niveau sous-régional, au niveau global et au niveau de la Zone de libre-échange des Amériques, ce qui leur impose des charges très lourdes. [Jean Daudelin, 27:1610]
Certains esprits blasés pourraient bien sûr rétorquer que ce n'est pas le problème du Canada mais celui de l'Amérique latine et des Caraïbes; le Comité n'est pas de cet avis.

On nous demande parfois s'il n'est pas plus facile de négocier avec quelqu'un qui ne sait pas se débrouiller, et on pourrait répondre: « Oui, nous pourrons leur faire signer n'importe quoi », mais la vraie réponse est: « Non, pas du tout », car il ne sert à rien d'avoir un accord sur papier si les signataires ne sont pas prêts à le mettre en oeuvre. [Kathryn McCallion, 23:1145]
Il existe deux solutions à ce problème : 1) la mise en commun des ressources des pays par sous-région et 2) de l'aide sous la forme de ressources techniques et financières.

[L]es économies d'échelle ou les regroupements en matière de recherche confèrent, si vous voulez, une certaine sécurité. Certaines petites économies des Antilles ou d'Amérique centrale n'ont pas d'autres choix que de conjuguer leurs efforts de négociation. C'est là qu'intervient le renforcement des capacités [...] Si les petits pays pauvres doivent effectivement participer aux négociations sur la ZLEA et aux travaux de l'OMC, ils devront répondre à trois critères. Premièrement, [...] permettre un débat ouvert et accepter la critique de la société civile. Deuxièmement, [...] posséder sur place les capacités analytiques nécessaires pour évaluer les changements de politiques. Et, troisièmement, [...] bénéficier des ressources financières, techniques et humaines voulues pour s'adapter à ces changements. [Rohinton Medhora, 28:1625-1650]
C'est aussi l'avis du Comité mais il faut encore davantage. Les petites économies de l'hémisphère ont besoin d'aide financière et d'autres ressources, bien qu'il ne soit pas nécessaire de créer de nouveaux mécanismes de financement ou organismes régionaux car il en existe déjà suffisamment. Le Comité s'en tient donc à la recommandation no 8 comme suffisant à la tâche.