Passer au contenu
;

FAIT Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.


RAPPORT DISSIDENT

Svend Robinson, porte-parole néo-démocrate pour les affaires internationales
et les droits de la personne au niveau international

Les audiences du Comité permanent des affaires étrangères sur le rôle du Canada dans le conflit au Kosovo ont beaucoup aidé ses membres à faire des recommandations au gouvernement sur ce sujet important. Je suis reconnaissant aux témoins et au personnel du Comité pour leur dévouement à la vérité. Il est des plus regrettable que les deux principaux ministres en cause, le ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, et le ministre de la Défense nationale, Art Eggleton, aient choisi de ne pas comparaître devant le Comité.

Je crois que les témoignages entendus par le Comité mènent obligatoirement à la conclusion que l’intervention de l’OTAN au Kosovo, de même que le processus de Rambouillet qui a précédé le début des bombardements de l’OTAN, le 24 mars 1999, ont été catastrophiques sur les plans humanitaire, militaire, économique et environnemental. S’il est vrai que l’objectif déclaré de prévenir les expulsions massives forcées, la terreur et l’assassinat d’Albanais était louable et a motivé la décision de tous les partis à la Chambre d’appuyer initialement l’intervention militaire, il est maintenant clair que les moyens utilisés pour atteindre cet objectif ont été inacceptables et ont constitué, dans de trop nombreux cas, une violation du droit international. De même, nous savons maintenant que les dispositions du document de Rambouillet exigeant un accès inconditionnel de l’OTAN à tout le territoire de l’ex-Yougoslavie, un référendum sur l’indépendance du Kosovo dans un délai de trois ans et la présence d’une force terrestre de l’OTAN au Kosovo, ne pouvaient en absolument pas être acceptées par Milosevic ni par aucun autre dirigeant yougoslave. De fait, aucun de ces éléments ne faisait partie de l’accord final conclu après 78 jours de bombardements. À la base de l’accord, il n’y avait pas d’accès inconditionnel de l’OTAN ni de référendum, uniquement la présence de troupes de l’ONU et non de l’OTAN. On doit certainement se demander si la dévastation causée par la campagne de bombardements, de même que les actes de vengeance des forces militaires et paramilitaires serbes, auraient pu être évités. En outre, il n’est pas évident que la communauté internationale a donné à la MVK de l’OSCE, avec 1 400 contrôleurs, une chance réelle d’effectuer son travail; quoi qu’il en soit, le niveau de 3 000 autorisé par l’OSCE n’a jamais été atteint.

De nombreux observateurs indépendants ont fortement critiqué la stratégie militaire de l’OTAN. Comme l’ont confirmé des rapports récents, celle-ci a grandement exagéré les dommages subis par l’armée yougoslave au Kosovo. D’après un rapport publié par Amnistie internationale en juin 2000, intitulé NATO/FEDERAL REPUBLIC OF YUGOSLAVIA:«COLLATERAL DAMAGE» OR UNLAWFUL KILLINGS? Violations of the Laws of War by NATO during Opreration Allied Force, l’OTAN a violé les règles internationales de la guerre, violations qui ont entraîné la mort inutile de centaines de civils innocents, et dans un cas particulier au moins, un crime de guerre.

Les témoignages entendus par le Comité démontrent certainement que les bombardements ont exacerbé les atrocités commises au sol, en particulier compte tenu des déclarations de l’OTAN selon lesquelles elle n’interviendrait pas au sol. Résultat : la communauté albanaise a été laissée à la merci totale des représailles des forces serbes, mises en colère par l’assaut combiné de l’UCK et de l’OTAN. L’utilisation par cette dernière de bombes à dispersion (y compris dans un marché de Nis), ainsi que d’uranium appauvri, ont constitué une grave violation des règles humanitaires de la guerre et auront de sérieuses répercussions à long terme. Il est particulièrement renversant que, compte tenu de sa position en ce qui concerne les mines terrestres, le Canada ne se soit opposé avec vigueur à l’utilisation des bombes à dispersion. À mon avis, la stratégie de bombardement de l’OTAN a tragiquement fait fi du terrible bilan pour les civils innocents. Il y a eu beaucoup trop d’« erreurs », comme le bombardement d’un convoi d’Albanais et celui de l’ambassade de Chine à Belgrade. Le ciblage d’infrastructures comme les ponts de Novi Sad et l’usine pétrochimique de Pancevo était non seulement injustifiable sur le plan environnemental, mais inutile sur le plan militaire. Ce qui dérange le plus, cependant, ce sont les attaques délibérées contre des cibles où des civils innocents ont trouvé la mort : le train traversant le pont ferroviaire de Grdelica, atteint non pas une fois, mais deux, l’immeuble de la radio-télévison serbe à Belgrade, où 16 personnes ont perdu la vie, surtout de jeunes techniciens et des maquilleuses, et le pont de Varvarin, bombardé en plein jour lors d’une fête religieuse. À mon avis, il s’agit là de crimes de guerre commis par l’OTAN, et leurs auteurs doivent être identifiés et traduits en justice. On doit aussi compenser les victimes innocentes et leurs familles. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie doit absolument instruire les plaintes déposées devant lui, et il est consternant que le Tribunal et son procureur en chef, Carla Del Ponte, aient refusé de le faire. Cela compromet irrémédiablement leur indépendance et leur impartialité essentielles. On doit également clarifier le rôle du Canada dans les décisions relatives à l’établissement des cibles. Le 22 mai 1999, le porte-parole de l’OTAN, Jamie Shea, a déclaré : « Aucun gouvernement n’a demandé à l’OTAN de modifier sa stratégie, y compris sa politique concernant les cibles. » Qui plus est, il devrait y avoir une enquête parlementaire complète sur le rôle joué par le Canada pendant la guerre, malgré le témoignage devant le Comité du lieutenant-général Henault, selon lequel les avions canadiens n’ont pris part à aucun des incidents susmentionnés.

Aujourd’hui, le Kosovo est dans une situation tragique. La résolution 1244 de l’ONU est lettre morte, ses dispositions demandant la protection de tous les Kosovars (Serbes et Gitans compris), étant largement ignorées. Le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de la personne en ex-Yougoslavie, Jiri Dienstbier, ancien ministre tchèque des Affaires étrangères, a déclaré en novembre 1999 que « : l'épuration ethnique des Albanais, qui s'est produite au printemps, accompagnée de meurtres, de tortures, de pillages et d'incendies de maisons, a été suivie à l'automne de l'épuration ethnique des Serbes, des Gitans, des Bosniaques et d'autres personnes non albanaises, et les mêmes atrocités ont été commises ». Plus de 200 000 des 300 000 membres de l’ethnie serbe ont fui le Kosovo, ceux qui restent étant cantonnés dans des enclaves, et trop souvent battus, intimidés et chassés de leurs domiciles. Les mines non explosées et les bombes à dispersion ont déjà tué de nombreuses personnes et en menacent beaucoup d’autres, y compris les enfants qui jouent dans les champs. Les effets à long terme de l’uranium appauvri pourraient être dévastateurs pour les civils, voire pour les militaires qui y sont exposés.

Ce qui est le plus urgent pour l’instant, c’est de procurer des ressources supplémentaires à la Mission de l’ONU au Kosovo, et de lever les sanctions économiques imposées à la Yougoslavie, comme l’a recommandé Mme Gwynne Dyer dans son témoignage. Les ressources nécessaires ne représentent qu’une fraction infime de ce qui a été dépensé au cours de la campagne de bombardement. Bernard Kouchner en a donné l’avertissement : à moins que l’Ouest n’investisse dans la paix et dans la reconstruction, le Kosovo sombrera dans le désastre encore une fois. Une fraction seulement des 6 000 policiers de l’ONU qui seraient nécessaires a été déployée, et aucun système judiciaire n’est en état de fonctionnement. Le Canada devrait aider à la fourniture d’une aide humanitaire très nécessaire aussi bien au Kosovo qu’en Serbie. Il faut que les dispositions de la résolution 1244 soient respectées intégralement, ce qui suppose le désarmement complet de l’UCK.

Enfin, il faudrait qu’aux Nations Unies le Canada prenne l’initiative de lancer un mouvement pour la réforme et la démocratisation du Conseil de sécurité et pour que soient mieux précisées les circonstances dans lesquelles une intervention humanitaire peut être exigée (en tirant les leçons du Rwanda, du Timor oriental et du Kosovo, notamment). À cet égard, il faudrait appliquer des normes cohérentes. Plus jamais l’OTAN ne devrait être autorisée à s’arroger le pouvoir de déterminer cela elle-même. Et plus jamais le gouvernement ne devrait être autorisé à engager nos troupes dans une mission de ce genre sans qu’un débat complet et un vote aient été tenus à la Chambre des communes.