INDU Rapport du Comité
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Je pense que le commissaire doit convaincre une instance autre que lui-même que lon va commettre un tort irréparable. [Donald McFetridge, 46:9:50]
[S]ur la question des ordonnances provisoires, jai bien peur quil sagisse là dune modification majeure de linstitution qui confère au commissaire des pouvoirs de décision indépendants qui ont force de loi. Si vous décidez de le faire, prenez garde de ne pas oublier les protections accordées par la loi. [Lawson Hunter, 46:9:35]
[C]e pouvoir de faire cesser certaines activités [...] bouleverse totalement la politique de concurrence. Nous avons institué une procédure judiciaire depuis ladoption de la Loi sur la concurrence, et tous les autres grands pays ont fait de même; je pense que cela a donné de bons résultats et que la population canadienne a été bien servie. [Roger Ware, 52:9:50]
Lors de ses témoignages récents devant des comités de la Chambre des communes, y compris le Comité de lindustrie, le commissaire à la concurrence a plaidé pour quon modifie la loi afin de lui accorder de nouveaux pouvoirs de délivrer des ordonnances dinterdiction sans donner à la partie visée le droit de se faire entendre avant que lordonnance soit rendue et sans aucune autorisation du Tribunal de la concurrence. Le commissaire croit que ces pouvoirs extraordinaires sont nécessaires parce que les procédures et/ou les recours dont dispose actuellement le Bureau contre la menace des prix déviction sont insuffisants.
[N]ous avons réclamé [le pouvoir de rendre des ordonnances dinterdiction] dans le [cas des] compagnies aériennes. Cette proposition figure dans le projet de loi [C-472]. Cest une piste quil faudrait explorer. Le problème avec les cas dabus de position dominante, cest que le processus est très long. Très souvent, avant que le Bureau ne termine son enquête et que des poursuites ne soient engagées, le plaignant a quitté le marché ou, encore, décidé quil a été suffisamment pénalisé et quil est inutile daller de lavant avec la poursuite. Il ne veut pas une poursuite qui va sétendre sur deux ans. Il se conforme donc aux règles que le joueur en position dominante essaie dimposer. [Konrad von Finckenstein, 43:9:25]
Le Tribunal de la concurrence a été créé en 1986, lorsque le Parlement a effectué des réformes majeures de la législation sur la concurrence au Canada et remplacé la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions par la Loi sur la concurrence. Il sagit dun tribunal spécialisé dont les membres connaissent bien léconomie, les affaires et le droit, et qui instruit toutes les demandes soumises aux termes des parties VII.1 et VIII de la Loi sur la concurrence et rend des décisions à leur sujet aussi informellement et rapidement que les circonstances et léquité lui permettent. Le Tribunal a un pouvoir strictement décisionnel et ses activités sont indépendantes de tout ministère. Il ne possède pas de pouvoirs denquête et ne donne pas de conseils au gouvernement. Sa fonction se limite à instruire les demandes et à rendre des ordonnances.
Le Tribunal ne comprend pas plus de quatre membres judiciaires, nommés parmi les juges de la section de première instance de la Cour fédérale, et pas plus de huit autres membres. Ceux-ci sont nommés par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre de lIndustrie.
Dans le domaine de la concurrence et plus particulièrement dans le cas des affaires susceptibles dexamen au civil aux termes de la partie VIII, le commissaire exerce son pouvoir de direction en tant quenquêteur et poursuivant. Par lexercice de son pouvoir judiciaire, le Tribunal contrôle ce pouvoir de direction pour empêcher quil ne soit mal utilisé, consciemment ou par inadvertance. Le commissaire peut donc être considéré comme lenquêteur et le poursuivant, et le Tribunal comme le juge. Pour faire cesser certains agissements, le commissaire a recours au Tribunal, à qui il fait valoir, en sappuyant sur la prépondérance des probabilités, que les circonstances justifient le recours demandé.
Parmi les nombreuses mesures de redressement possibles, on a régulièrement recours à une injonction permanente ou provisoire (« ordonnance dinterdiction » ou « ordonnance de cesser et de sabstenir »). Les ordonnances provisoires sont rendues dans trois cas :
1. Conformément à larticle 33, le procureur général peut demander à un tribunal de rendre une ordonnance en attendant que les procédures prévues à la partie VI (Infractions relatives à la concurrence) ou relatives à la violation dune ordonnance rendue conformément à la partie VII.1 (Marketing trompeur) ou à la partie VIII (Affaires que le tribunal peut examiner) soient engagées ou achevées. Dans ce cas, le commissaire doit convaincre le Tribunal, daprès la prépondérance des probabilités, que si lordonnance nest pas rendue, il en résultera, pour la concurrence, un préjudice auquel il ne peut être adéquatement remédié en vertu dune autre disposition de la Loi et quune personne subira vraisemblablement des dommages dont elle ne pourra obtenir juste réparation et lévaluation comparative des inconvénients favorise le demandeur.
2. Selon larticle 104, pour ce qui est des affaires visées à la partie VIII, lorsquune demande dordonnance lui a été faite, le Tribunal rend lordonnance quil considère justifiée conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures lorsquelles accordent un redressement. Pour rendre une ordonnance provisoire la cour doit premièrement conclure quun préjudice irréparable sera subi si linjonction nest pas prononcée. Au cours de cette première étape, il sagit seulement de déterminer si le refus daccorder un redressement fera subir un préjudice qui ne pourrait être réparé si la décision éventuelle sur le fond ne saccorde pas avec le résultat de la demande. Un préjudice est irréparable lorsquil ne peut être évalué sur le plan monétaire ou quil ne peut être réparé, habituellement parce quune des parties ne peut réclamer le versement de dommages de lautre. Si ce premier critère est respecté, il faut deuxièmement déterminer laquelle des parties subira le préjudice le plus grave par suite de linjonction ou du refus de celle-ci, en attendant de régler le différend par une décision sur le fond.
3. En vertu de larticle 100 dans le cas de fusions seulement quand le commissaire na pas soumis la fusion au Tribunal mais quune ordonnance provisoire peut être rendue en vertu de lalinéa 10(1)b) relativement à une infraction possible visée aux parties VI ou VII et quil faut plus de temps pour lachever. Dans ce cas, il faudrait que labsence dune ordonnance provisoire réduise sensiblement laptitude du Tribunal à remédier à linfluence de la fusion proposée sur la concurrence. Lordonnance provisoire prévoit ce qui, de lavis du Tribunal, est nécessaire et suffisant pour parer aux circonstances de laffaire, et sa durée ne peut dépasser 30 jours.
On a souvent soulevé la question importante du temps quil faut pour obtenir une ordonnance provisoire dinterdiction du Tribunal. Si on convenait généralement quil faut attendre longtemps un jugement définitif, on ne sentendait pas entièrement sur la rapidité avec laquelle le Tribunal rend une ordonnance provisoire. Selon les estimations dun avocat ayant une vaste expérience du droit de la concurrence, il faut entre une heure et deux semaines.
On se présente devant le Tribunal et on lobtient dans lheure. Il ne faut pas deux ans. [...] Il faut quil dispose dun pouvoir, mais je pense quon peut le faire par ce moyen. [Warren Grover, 46:11:20]
Ainsi que son nom le laisse entendre, cette ordonnance interdit à la personne visée un comportement donné. Elle peut être rendue en se basant sur les principes normalement pris en considération par les cours supérieures lorsquelles accordent un redressement interlocutoire. Dans le cas de prix déviction, il y a préjudice irréparable si leur but est de vendre des produits moins chers quun concurrent de façon à forcer ce dernier à mettre un terme à ses activités dans son industrie.
Sous réserve des dispositions de la Loi qui limitent expressément la durée de lordonnance, les effets et la durée de lapplication de lordonnance provisoire dépendent de ce que le Tribunal estime nécessaire dans les circonstances. Après que lordonnance provisoire est rendue, le commissaire est tenu de compléter les procédures aussi rapidement que possible.
Propositions daccorder de nouveaux pouvoirs dinterdiction
Il est proposé dans le projet de loi C-472 des modifications à la Loi sur la concurrence qui accorderaient au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances provisoires dinterdiction (qui demeureraient en vigueur pour une période ne dépassant pas 80 jours), sans solliciter au préalable lautorisation du Tribunal si le commissaire estime que les mesures ordonnées sont nécessaires pour ne pas nuire à la concurrence ou pour éviter de causer des dommages à une autre personne ». Il faudrait aussi que les conditions suivantes soient remplies : 1) le commissaire a commencé une enquête en vue de déterminer si les agissements de la personne ont donné lieu à une situation visée à larticle 79; 2) le commissaire estime quen cas de non-prononcé de lordonnance, la concurrence subira vraisemblablement un préjudice auquel le Tribunal ne pourra adéquatement remédier ou un concurrent sera vraisemblablement éliminé ou une personne subira vraisemblablement une réduction importante de sa part de marché, une perte importante de revenus ou des dommages auxquels le Tribunal ne pourra adéquatement remédier; 3) le commissaire peut rendre lordonnance sans préavis et sans donner au préalable à qui que ce soit la possibilité de présenter des observations. Une personne visée dans une ordonnance provisoire du commissaire peut sadresser au Tribunal pour la faire annuler ou modifier.
Les témoins se sont montrés largement en faveur du principe daccorder rapidement le redressement relatif à des prix déviction; toutefois, lidée daccorder au commissaire de nouveaux pouvoirs dinterdiction sest heurtée à une grande opposition. Les arguments contre sont résumés dans les paragraphes suivants.
La partie contre qui est dirigée une demande dordonnance naurait pas le droit dêtre avisée de la demande. Celle-ci serait entendue sans quelle ait loccasion dexposer des arguments ou de présenter une preuve. Cette façon de faire créerait vraisemblablement des difficultés pour les tribunaux canadiens :
Sil ny a pas davis, cest parce que le commissaire émet lui-même une ordonnance. Les tribunaux détestent cela et, dans notre tradition judiciaire, les demandes dordonnance ex parte sont très rares. [Stanley Wong, 48:11:25]
Sans avis, la partie visée serait mise devant le fait accompli, obligée de se conformer à une ordonnance qui aurait la même force quune ordonnance judiciaire, sous peine dune amende ou de lemprisonnement. Une fois lordonnance prononcée, cette partie pourrait présenter une demande en vue de la faire annuler.
Le fardeau de la preuve serait renversé; autrement dit, plutôt que le commissaire ait à prouver que lordonnance doit être rendue, ce serait la personne visée par cette ordonnance qui devrait prouver que lordonnance doit être annulée. Cela serait sans doute contraire aux principes dune procédure équitable, et exposerait la Loi à une révision judiciaire aux termes de larticle 7 de la Charte des droits et libertés.
Il y aurait un autre risque de révision judiciaire, parce que le commissaire serait à la fois poursuivant et juge. Des principes similaires ont été mis en jeu dans laffaire Hunter c. Southam, fondée sur la Charte.
Le problème de fond, cest celui que le juge en chef Brian Dickson a indiqué dans laffaire Hunter c. Southam, qui est devenu un arrêt clé de la Cour suprême du Canada : il ne convient pas quun agent de maintien de la loi ait la capacité juridique dintervenir dans la même affaire. Autrement dit, on ne devrait pas autoriser qui que ce soit à rendre des ordonnances dans le cadre de ses propres enquêtes. [Tim Kennish, 44:9:20]
Dans cette affaire, le directeur des enquêtes et recherches (prédécesseur du commissaire) était habilité par la Loi à effectuer des fouilles et des perquisitions dans les lieux où un mandat ly autorisait. Mais le mandat de perquisition navait pas été donné par un juge, sinon par la Commission sur les pratiques restrictives du commerce. Ainsi, une direction de la Commission avait mené lenquête et une autre avait décerné le mandat. Au nom du banc unanime de la Cour suprême, le juge en chef Dickson a conclu que cela était contraire aux dispositions relatives aux « fouilles, perquisitions ou saisies abusives » de larticle 8 de la Charte. La Cour a conclu quune autorité judiciaire indépendante doit décerner le mandat (c.-à-d. un organisme qui ne participe pas à lenquête) et quelle doit le faire en se basant sur une preuve soumise par le requérant. Le directeur, en tant quenquêteur et poursuivant, était tenu de prouver devant un organisme judiciaire indépendant quil était nécessaire de décerner le mandat de perquisition.
Un principe analogue sappliquerait, semble-t-il, dans le cas du prononcé dune ordonnance provisoire : le commissaire pourrait rendre une ordonnance si, daprès lui, le Tribunal ne fournit pas un redressement adéquat. Dans ce cas, le commissaire ferait non pas une, mais deux déterminations judiciaires : 1) le Tribunal ne fournit pas de recours adéquats; 2) la perpétration dune infraction a été suffisamment prouvée pour quune injonction soit délivrée. Cela soulève certaines questions chez les témoins : sur quels critères le commissaire se fonde-t-il pour décider que le Tribunal a agi adéquatement? quel contrôle serait exercé pour prévenir lexercice de ce pouvoir à mauvais escient? Seule la partie visée par lordonnance pourrait lexercer; après que lordonnance a été rendue (fait accompli), cette partie pourrait présenter une demande au Tribunal et prouver quelle doit être annulée. Elle ne pourrait sadresser quà ce tribunal et à aucun autre tribunal civil pour demander lexamen de lutilisation du pouvoir dinterdiction par le commissaire. Si un délai sécoulait avant que le Tribunal ninstruise la demande, le demandeur subirait donc un préjudice.
Un troisième argument contre a trait aux conséquences négatives possibles de lexercice du pouvoir dinterdiction. Si une simple accusation davoir pratiqué des prix déviction suffisait à permettre au commissaire daccorder une injonction provisoire, un intervenant de lindustrie pourrait engager le commissaire à rendre en toute bonne foi une ordonnance avec un effet doublement négatif : 1) maintenir des prix élevés pour les consommateurs et 2) protéger une entreprise non compétitive des effets dune saine concurrence. Naturellement, le commissaire mènerait une enquête complète sur la question, sil en avait le temps. Mais cest précisément parce que le temps est un facteur essentiel et que celui dont il dispose ne lui permet pas de mener une enquête complète que le commissaire affirme quil a besoin de nouveaux pouvoirs. Si le commissaire avait le temps de mener une enquête complète, il soumettrait simplement les résultats de celle-ci au Tribunal, ainsi quil est actuellement tenu de le faire. Il serait donc possible que le commissaire, nayant pas eu le temps de compléter une enquête, rende une ordonnance en se basant sur une accusation de pratique de prix déviction dont le bien-fondé na pas été prouvé. Bien sûr, si des prix déviction ont effectivement été pratiqués dans une industrie, cette ordonnance aurait pour effet de remédier à un préjudice manifeste. Mais selon certains économistes, les données recueillies au Canada et aux États-Unis au sujet des facteurs économiques indiquent quon cherche rarement à pratiquer des prix déviction et quon réussit encore moins souvent à le faire. Si aucun prix déviction nest pratiqué, leffet de lordonnance serait de protéger une entreprise non compétitive et de maintenir des prix élevés pour les consommateurs, du moins à court terme.
La seule chose que je tiens à dire[,] cest quil ne faut pas oublier le résultat[,] daugmenter les prix et non pas de les abaisser. Nous allons demander aux consommateurs de payer [...] davantage pour protéger un concurrent parce que nous croyons quà long terme, cela entraînera une baisse des prix. Cest très bien si cest effectivement ce qui se passe, mais si cela na dautre effet que de protéger un concurrent, augmenter les prix pour le consommateur alors que nous navions pas nécessairement à le faire [...] Je ne pense pas que les consommateurs doivent sen trouver pénalisés. [Margaret Sanderson, 48:11:25]
Il faudrait donc se demander à quelle fréquence les prix déviction sont effectivement pratiqués, par opposition au nombre de fois où on a prétendu quils létaient. Le Comité a entendu là-dessus le témoignage de plusieurs économistes. Ils ne sentendaient pas parfaitement sur la fréquence de cette pratique prédatoire, mais étaient daccord quelle est alléguée beaucoup plus souvent quelle nest prouvée. Cest-à-dire que la pratique existe, mais que la difficulté de sacquitter du fardeau de la preuve en matière pénale (« hors de tout doute raisonnable ») peut empêcher le commissaire de soumettre un dossier au Tribunal. De plus, comme les budgets réservés à lapplication de la Loi sont grevés, le commissaire doit choisir les affaires où il a le plus de chances davoir gain de cause. Ainsi, il se peut bien que plusieurs cas de prix déviction ne fassent pas lobjet de poursuites (la dynamique des prix déviction est étudiée plus en détail au chapitre 3).
Plusieurs membres du Comité ont mis en relief des cas de pratiques prédatoires possibles et souligné leur effet dévastateur sur les petites et moyennes entreprises (PME). Des économistes ont fait ressortir au Comité que la perte dun seul concurrent ne nuit pas nécessairement à la concurrence, mais quelle peut certainement avoir cet effet :
Toute plainte adressée au Bureau de la concurrence dans des cas de pratiques abusives émane dun concurrent. Cest toujours une histoire terrible; quelquun qui est sur le point de faire faillite. [Q]uelquun est en train de se plaindre dune faillite imminente. Cela ne causera pas nécessairement de tort aux consommateurs [...] [Margaret Sanderson, 48:11:15]
Évaluer la concurrence dans un marché donné ne consiste pas simplement à dénombrer les entreprises. En effet, lexemple de Coke et de Pepsi illustre quil peut y avoir une vive concurrence même sil ny a que deux participants au marché. Le calcul de limpact de la perte dun concurrent demande une analyse détaillée de la situation particulière de lindustrie, notamment de lemprise sur le marché, de lexistence et de la proximité de substituts, de lélasticité de la demande par rapport aux prix et des obstacles à lentrée. Les PME risquent davantage de se casser les reins dans un marché de plus en plus dominé par des grosses entreprises qui, réalisant de plus grandes économies, sont en mesure doffrir aux consommateurs des prix qui sont hors de portée des PME. Il en résulte, du moins à court terme, une baisse des prix à la consommation. À long terme, toutefois, il y a un risque quune fois quelles auront évincé les petits concurrents, les grosses entreprises augmenteront les prix pour récupérer les pertes quelles ont encourues pour y parvenir. Si les obstacles à lentrée sont petits, bien sûr, les prix en hausse attireront de nouveaux venus, et la concurrence les fera baisser à nouveau. Ainsi, si la perte dun concurrent peut nuire à la concurrence, elle na pas nécessairement cet effet. Des témoins experts ont souligné que la Loi sur la concurrence protège la concurrence et non les concurrents. Ce qui ne veut pas dire que la Loi ne servira jamais à protéger un concurrent si sa faillite portait préjudice à la concurrence. En bout de ligne, cependant, le critère est limpact de la faillite sur la concurrence et non sur lentreprise.
Largument le plus convaincant contre loctroi de nouveaux pouvoirs au commissaire est peut-être que le même résultat intervention rapide contre des prix déviction pourrait être obtenu plus facilement par une modification relativement simple en deux étapes, qui protégerait le droit de toutes les parties. La première étape consisterait à accélérer le processus du Tribunal pour le prononcé dordonnances provisoires; la deuxième, à modifier larticle 100 de la Loi pour augmenter le nombre de circonstances où le commissaire peut demander une injonction provisoire.
[Selon] larticle 100, le commissaire certifie quil a entamé une enquête au terme de larticle 10, [...] quil a des raisons de croire quune ordonnance est justifiée, quil a besoin de plus de temps pour terminer son enquête [...] et que la concurrence va subir des torts auxquels le Tribunal ne pourra remédier. [S]i vous généralisez Je suis étonné. Je lai dit directement au commissaire et je ne parle donc pas derrière son dos. Il faudrait sorienter vers un pouvoir généralisé. Vous obtiendrez exactement ce que vous voulez et cela répondrait à toutes ces exigences. [Stanley Wong, 48:11:30]
Les plaideurs privés si laccès privé au Tribunal était accordé (voir le chapitre 6) pourraient aussi profiter de la procédure simplifiée dinjonction. Les victimes de pratiques prédatoires ne dépendraient plus de la décision du Bureau pour instituer un recours en justice. Comme il en a été question au chapitre 6, la décision de soumettre une affaire au Tribunal nest peut-être pas prise en fonction du bien-fondé de la plainte, mais plutôt de largent disponible pour lapplication de la Loi. Le plaideur privé, qui connaît bien les circonstances de laffaire, est plus à même de constituer un dossier convaincant en temps opportun. Ce droit daccès donnerait à une entreprise les moyens de réagir rapidement pour se défendre contre le prédateur. Bien sûr, elle le ferait à ses propres frais et risques, mais ce facteur nempêcherait pas la présentation des plaintes légitimes.
Plusieurs témoins ont laissé entendre quen apportant quelques modifications à la Loi actuelle, on pourrait élargir les règles relatives aux ordonnances provisoires pour accélérer le processus du Tribunal dont la lenteur préoccupe le Comité.
En vertu de larticle 100, le commissaire peut demander une ordonnance provisoire à légard dune fusion lorsquil : 1) a entrepris lenquête prévue à larticle 10; 2) a besoin de plus de temps pour achever lenquête; et 3) que le Tribunal constate quen labsence dordonnance sa capacité de remédier aux conséquences de la fusion envisagée serait passablement réduite. Il a été suggéré quen « généralisant » cet article pour permettre au commissaire de présenter une demande pour toute affaire non seulement une fusion à légard de laquelle il a entrepris une enquête, on réaliserait le même objectif (c.-à-d. une action rapide contre ceux qui pratiquent des prix déviction), tout en garantissant une procédure régulière.
Le fardeau de la preuve dont doit sacquitter le demandeur pour obtenir une ordonnance est une question dont il faudrait soccuper. En accordant une injonction, le Tribunal présuppose quune infraction a été perpétrée et quelle continuerait de lêtre sans linjonction. Si linstruction ultérieure révèle quil ny a pas eu infraction, la partie contre qui est dirigée linjonction aura été empêchée à tort de poursuivre une activité commerciale légitime et aura probablement subi des pertes importantes en conséquence. Pour cette raison, quand une action normale au civil donne un tel résultat, la partie demanderesse doit payer les dommages subis par la partie visée. Pour la même raison, le Tribunal devrait exiger que le demandeur établisse, à tout le moins, la présomption de linfraction au moment de la demande. Sacquitter du fardeau de la preuve dans une affaire de prix déviction serait difficile : la pratique constitue actuellement une infraction dordre pénal qui doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Établir la présomption dune infraction pénale exige beaucoup plus quétablir la présomption dune infraction susceptible dexamen au civil, où le fardeau de la preuve consiste à montrer la prépondérance des probabilités. Toutefois, en modifiant la Loi pour faire des pratiques prédatoires une infraction susceptible dexamen au civil (voir le chapitre 3), le critère moins exigeant du droit civil sappliquerait.
Il importe aussi de noter que détablir la présomption, ou cause probable daction, est beaucoup moins exigeant que détablir la preuve dune infraction présumée selon la prépondérance des probabilités :
« Le seuil » nest pas très élevé. Quest-ce qui constitue généralement une cause probable daction? Il suffit davoir certaines preuves dune influence sur le marché. Est-il nécessaire de se livrer à une évaluation approfondie? Non. Vous pensez que certaines personnes ont une part importante du marché et quil y a dassez gros obstacles à surmonter pour entrer sur ce marché. Cest tout. [Margaret Sanderson, 48:11:30]
Ayant entendu les témoignages et étudié les mémoires de tous les témoins, le Comité estime quil y a lieu:
o 14.15. Que le gouvernement du Canada, en consultation avec les intervenants, étudie plus à fond la possibilité de modifier larticle 100 de la Loi sur la concurrence (et dautres dispositions de la Loi en conséquence) afin quil sapplique aux affaires susceptibles dexamen au civil par le Tribunal et à légard desquelles soit une enquête a été amorcée aux termes du paragraphe 10(1) soit une demande a été déposée par une partie privée dans le sens de la constatation n