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FAIT Rapport du Comité

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PARTIE II

Développer les relations entre le Canada et les pays du Caucase méridional

Mes remarques liminaires ont pour seul but de vous sensibiliser à l’extraordinaire complexité de cette région du monde et de vous convaincre que la plupart des événements qui s’y déroulent tiennent à des facteurs internes et non à des influences de l’extérieur…

Quiconque affirme que c’est la faute des Russes, ou des États-Unis ou de l’OTAN ou que c’est la Turquie qui tire les ficelles, ou que le véritable enjeu c’est le pétrole ou le « grand jeu », n’explique que cinq pour cent du problème. Rien, dans le Caucase, ne se prête à des explications simples.

M. Patrick Armstrong

Mai
2000

Les défis et le règlement des conflits dans le Caucase méridional

            Les problèmes apparemment inextricables du Caucase méridional présentent le paradoxe suivant : la grande complexité de cette région risque d’amener les gens, particulièrement les non-initiés, à baisser les bras. Or, si l’on veut aider à instaurer enfin la sécurité, la démocratie et la prospérité dans les trois républiques transcaucasiennes ? la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie —, on n’a d’autre choix que d’exploiter les mécanismes existants.

            Comme on le verra plus loin, le Comité a conclu que la politique canadienne envers le Caucase méridional doit s’articuler autour de trois principes : ces trois États, petits et pauvres, sont néanmoins très importants pour le Canada et d’autres; chaque État a ses particularités, mais doit être abordé dans le contexte de son appartenance à une région unique; enfin, s’il veut atteindre ses objectifs de politique étrangère, le Canada doit s’intéresser de plus près à cette région et y accroître sensiblement sa présence.

            On trouvera dans la section suivante un aperçu de l’ensemble de la région du point de vue de la sécurité, de l’économie et du gouvernement, suivi d’une description de chacune des trois républiques. Depuis les cessez-le-feu, la situation dans les trois États est plus paisible qu’au début des années 1990, mais il reste encore à trouver des solutions permanentes aux conflits en suspens et à réparer les dommages matériels et autres que ceux-ci ont causés. Il faudra en outre s’attaquer aux problèmes que posent les importantes populations de personnes déplacées pour que la région ait des chances d’avancer sur les plans économique et politique. Idéalement, le règlement des conflits et le développement économique et politique devraient évoluer en parallèle. Cependant, comme le Comité l’a constaté durant sa visite en mai 2000, dans la région même, les avis sont partagés, certains estimant que le règlement des conflits doit passer en premier quand d’autres sont convaincus qu’en donnant la priorité au développement économique, on encouragerait les compromis et on contribuerait au règlement des différends. À ce chapitre, il est intéressant de rappeler l’observation d’un analyste qui, en 1998, avait comparé l’Ossétie au cube de Rubik du fait qu’il semblait impossible de mener une seule étape à terme tant que toutes les autres n’auraient pas abouti. Cette comparaison pourrait s’appliquer tout aussi bien à l’ensemble de la région.

            Si certains dans la région imputent la lenteur que mettent les conflits à se résoudre à l’influence pernicieuse des puissances régionales et à l’indifférence de l’Occident, la plupart des observateurs de l’extérieur estiment que le problème tient à l’existence, dans la région, de groupes ayant tout intérêt à préserver le statu quo et à l’absence de volonté politique de changement de la part des leaders régionaux. L’absence de conflits actifs durant les sept dernières années aura au moins permis aux leaders régionaux de saisir la nature des compromis nécessaires pour résoudre les conflits et d’en bien comprendre la nécessité comme préalable à la pleine intégration des États concernés à l’Europe et à la communauté internationale. En tant que politiciens, les membres du Comité sont bien au fait de la difficulté d’afficher une volonté politique soutenue. Ils espèrent que, avec l’aide bilatérale et multilatérale voulue, les chefs politiques et les législateurs qu’ils ont rencontrés dans le Caucase méridional seront en mesure de le faire.

I. FACTEURS RÉGIONAUX À PRENDRE EN CONSIDÉRATION DANS L’ORIENTATION DE LA POLITIQUE CANADIENNE

            Situé entre la mer Noire et la mer Caspienne, près du point de contact de l’Europe et du Moyen-Orient, le Caucase (dont le nom vient d’un mot persan qui fait allusion à l’éclat de la glace) est une région extrêmement complexe sur le plan ethnique, longtemps bordée par de grands empires. Comme l’a dit Patrick Armstrong au Comité :

Tous ces peuples, qui parlent des langues incompréhensibles les uns pour les autres, qui ont des histoires différentes, des ambitions différentes, une hostilité ancienne et des religions différentes, sont tous entassés dans une région d’une superficie équivalente à celle du sud de l'Ontario. On ne retrouve une situation comparable nulle part ailleurs dans le monde.

            Les trois républiques du Caucase méridional sont de petits pays relativement pauvres : l’Azerbaïdjan est le plus grand; il compte une population de quelque 7,7 millions d’habitants sur un territoire de 86 600 km2. Viennent ensuite la Géorgie, avec 5 millions d’habitants et une superficie de 69 700 km2 et l’Arménie, avec un chiffre officiel de population de 3 millions d’habitants environ (que la plupart des gens pensent exagéré) et une superficie de 29 800 km2. Les dix dernières années ont été difficiles pour la population de ces États sur le plan économique et autrement. Ces pays demeurent proches du milieu de l’indice du développement humain des Nations Unies — la Géorgie venait au 70e rang sur 174 pays en 2000, l’Azerbaïdjan au 90e rang et l’Arménie au 93e rang — mais on note quand même une nette détérioration depuis l’indépendance. Selon des chiffres fournis par la BERD, le revenu réel dans chaque pays en 2000 représentait moins de la moitié de ce qu’il était en 1989.

Tableau 1
Commerce entre le Canada et le Caucase méridional et aide
du Canada à cette région

Commerce bilatéral de marchandises 2000
(milliers de $CAN)

Exportations/importations (total des échanges)

Aide bilatérale

2000-2001

($CAN)

Arménie

1 873/1 277 (3 150)

524 397

Azerbaïdjan

3 699/357 (4 056)

394 618

Géorgie

5 604/610 (6 214)

406 936

Total

11 176/2 244 (13 420)

1 325 951

Sources : Statistique Canada; Agence canadienne de développement international

Règlement des conflits, coopération régionale et consolidation de la paix

            La situation des trois républiques transcaucasiennes sur le plan de la sécurité est déterminée d’abord par leurs conflits internes et ensuite par leurs rapports avec leurs voisins, en particulier avec les anciennes puissances impériales que sont la Russie et la Turquie.

            L’Union soviétique a laissé à la région un héritage particulièrement empoisonné : des frontières arbitraires et l’existence, dans certaines républiques, d’une forme désuète de nationalisme exclusif. Et les déportations forcées de populations dans d’autres régions d’URSS opérées à l’époque de Staline n’ont pas aidé. Au début des années 1990, cette combinaison a donné lieu à de graves affrontements en Abkhazie et en Ossétie du Sud, en Géorgie et dans l’enclave arménienne du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan. Ces troubles ont fait des milliers de victimes et plus de 1,5 million de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays : plus de 800 000 réfugiés et personnes déplacées en Azerbaïdjan, plus de 300 000 personnes déplacées en Géorgie et quelque 300 000 réfugiés en Arménie. Dans les trois cas, les résidents des territoires disputés ont conservé le contrôle, les cessez-le-feu étant surveillés par des forces de maintien de la paix dirigées par des Russes et par des organisations internationales.

            Comme l’a noté un observateur, parmi les intervenants de l’extérieur, c’est la Russie qui a joué le rôle principal dans la suspension des conflits dans le Caucase méridional, tandis que les organisations occidentales et internationales sont venues en aide aux victimes de la guerre et ont encouragé les contacts et les négociations entre les parties aux conflits. Depuis la fin des hostilités, la communauté internationale s’efforce d’encourager le règlement des conflits. Les présidents du groupe de Minsk (États-Unis, Russie, Allemagne, France, République tchèque, Suède, Italie, Bélarus, Turquie, Azerbaïdjan et Arménie) ont été chargés par l’OSCE de négocier un accord de paix sur le Haut-Karabakh, tandis que l’OSCE travaille aussi en Ossétie du Sud et l’ONU en Abkhazie. Dans chaque cas, la communauté internationale cherche à obtenir des règlements qui respectent les frontières de l’ère soviétique et l’intégrité territoriale des États concernés avec le plus haut degré possible d’autonomie et de sécurité pour les populations minoritaires. Le conflit du Haut-Karabakh demeure à bien des égards la clé de la résolution des conflits dans la région. En effet, il concerne non seulement deux des trois républiques transcaucasiennes, mais aussi la Turquie voisine. En conséquence, sa résolution pourrait contribuer à assainir les relations entre les trois États voisins, ce qui aurait des retombées favorables, notamment sur le plan économique.

            La présence de fortes populations de réfugiés et de personnes déplacées constitue un problème sérieux pour les trois pays et particulièrement pour l’Azerbaïdjan, à la fois du point de vue humanitaire et du point de vue du lourd fardeau économique et social qu’elles représentent. Jusqu’à présent, la communauté internationale est intervenue surtout sur le plan humanitaire, mais le manque de progrès dans la résolution des conflits incite maintenant le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et d’autres à imaginer des démarches axées davantage sur des solutions. Le HCR a joué un rôle de premier plan dans les secours humanitaires. Cependant, le fait que les personnes déplacées dans leur propre pays ne soient pas techniquement des réfugiés force le HCR à lancer des appels spéciaux pour venir en aide à ces populations. Le financement des opérations d’aide est donc intermittent et insuffisant parce que les besoins demeurent élevés bien que les crises aient depuis longtemps cessé de faire la manchette. Comme les membres du Comité l’ont appris durant leur visite, l’apport du Canada n’est pas très grand, même s’il reste que toute aide, aussi petite soit-elle, est la bienvenue. À Ganja, en Azerbaïdjan, un homme a tenu à remercier les membres du Comité pour un don de graines canadiennes qui avaient été distribuées par l’Agence de développement et de secours adventiste (ADSA). Il avait ainsi pu faire pousser des fleurs qui lui rappelaient son coin de pays dans le Haut-Karabakh. Bien que modeste, la dernière contribution officielle du Canada avant la visite du Comité était très instructive : une contribution de 90 000 $ de l’ACDI en 1998 à un projet pilote du HCR et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) pour le rapatriement des personnes déplacées vers les régions dont s’étaient retirées les forces militaires du Haut-Karabakh a libéré des fonds américains beaucoup plus importants de l’ordre de 2 millions de dollars, ce qui illustre un effet de levier que tous les donateurs, en particulier les petits donateurs, devraient chercher à faire jouer.

            Au milieu de 2000, les perspectives de résolution de certains des conflits apparaissaient quelque peu meilleures. Dans le contexte de son admission au Conseil de l’Europe en 1999, la Géorgie a accepté d’élaborer un cadre juridique garantissant l’autonomie de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud dans les deux ans. Les présidents de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan ont eu de nombreuses rencontres bilatérales ces dernières années au sujet du Haut-Karabakh, et le Conseil de l’Europe a reconnu les progrès réalisés à ce chapitre lorsqu’il a décidé, en janvier 2001, d’admettre les deux États en son sein.

            Tous les États concernés se sont engagés publiquement à trouver des solutions pacifiques. Reste à savoir s’il faut attendre la solution globale parfaite qui résoudra tous les problèmes en même temps ou s’il vaudrait mieux opter pour une démarche progressive capable d’accroître la confiance. Étant donné que des échanges de territoires ou une sécession acceptée semblent exclus pour le moment, la seconde voie paraît plus prometteuse. Dans le cas de l’Abkhazie, par exemple, on a proposé le retour partiel de la population mengrélienne de Géorgie dans le district de Gali, avec en même temps un accroissement des forces internationales de contrôle, ce qui rassurerait à la fois les Abkhazes et les personnes rapatriées. Si la ligne de chemin de fer en provenance de la Russie qui traverse l’Abkhazie pour aller vers le reste de la Géorgie était réouverte, ce sont les Abkhazes qui en profiteraient le plus directement, mais toutes les populations bénéficieraient de l’augmentation du commerce régional qui en découlerait. De même, le retour des personnes déplacées dans les territoires situés entre le Haut-Karabakh et l’Iran combiné à une démilitarisation de la région surveillée par une présence internationale et à de l’aide internationale permettrait peut-être en échange la réouverture de la ligne de chemin de fer entre Bakou et Erevan; cela réduirait le fardeau que représentent des personnes déplacées pour l’Azerbaïdjan et mettrait un terme à son blocus de l’Arménie. Quelle que soit la solution retenue, son succès exigera de l’aide internationale sous la forme non seulement de dons et d’assistance technique, mais aussi probablement de troupes de maintien de la paix ou d’équipes de surveillance.

Un pacte de stabilité pour le Caucase

            Compte tenu de leurs caractéristiques géographiques et de leur histoire, les trois républiques transcaucasiennes ne peuvent aspirer à une véritable sécurité que dans un contexte de coopération. Lors du sommet de l’OSCE de novembre 1999 à Istanbul, l’Arménie et l’Azerbaïdjan avaient publiquement demandé que les États de l’OSCE créent un système de sécurité pour le Caucase méridional. Selon un analyste, « à l’époque cependant, la communauté internationale, craignant que la guerre de Tchétchénie ne gagne la Géorgie ou l’Azerbaïdjan, avait accueilli avec tiédeur la proposition d’élargissement du système de sécurité, mais l’idée n’est cependant pas morte pour autant ». Dans les mois qui ont suivi, le président de la Turquie, Suleyman Demirel, a chaudement défendu l’idée d’un « pacte de stabilité du Caucase » et a dit aux membres du Comité à Ankara en mai 2000 qu’il n’existait pas d’autre façon d’assurer la sécurité et la stabilité dans la région. En mars 2000, l’Arménie a proposé un projet de pacte fondé sur la formule dite du 3+3+2, lequel reposerait sur une entente entre les trois États du Caucase méridional, à savoir la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, avec les trois États voisins, Russie, Iran et Turquie comme garants, et deux parrains de l’extérieur, les États-Unis et l’Union européenne (UE).

            L’Azerbaïdjan a par la suite pris ses distances par rapport à ce projet préférant attendre la résolution du conflit au Haut-Karabakh, mais on continue quand même de développer cette approche régionale. Par exemple, en juin 2000, le Centre pour l’étude des politiques publiques européennes de Bruxelles (lequel a joué un grand rôle dans l’élaboration du pacte de stabilité des Balkans de l’UE) a dévoilé un projet de « pacte de stabilité du Caucase » dont M. Robert Cutler avait discuté précédemment avec le Comité. Le projet prévoit une « communauté du Caucase méridional » modelée soit sur l’UE soit sur d’autres groupes régionaux comme l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), laquelle aurait son propre parlement (une assemblée parlementaire) et un exécutif (un conseil des ministres).

Coopération internationale et consolidation de la paix

            En dernière analyse, c’est d’abord aux États concernés qu’il incombe de résoudre les conflits et de renforcer les relations dans le Caucase méridional, mais la communauté internationale peut à coup sûr contribuer de façon utile à la sécurité dans la région par le biais des mécanismes existants comme l’OSCE, les Nations Unies et même le Partenariat pour la paix de l’OTAN.

            Comme on l’a mentionné ci-dessus, malgré le manque de financement et l’absence de consensus au sujet de son rôle, l’OSCE a contribué à améliorer la sécurité du Caucase méridional et pourrait continuer d’y contribuer dans l’avenir. Comme M. MacFarlane l’a dit au Comité :

Si je devais évaluer les succès et les échecs relatifs, je dirais que l'OSCE, en Géorgie, remporte un certain succès. Son rôle principal consiste à surveiller et à observer le conflit en Ossétie du Sud, ainsi qu'à jouer le rôle plus global de surveillance des droits humains en Géorgie en général.

L'Ossétie du Sud connaît une certaine stabilité depuis des années, et il est généralement reconnu que la présence de l'OSCE a joué un rôle important à deux égards au moins. Premièrement, elle atténue la prédominance russe. Deuxièmement, la présence d'étrangers, aussi curieux que cela puisse paraître, inspire confiance à la population locale. Elle crée un milieu plus rassurant dans lequel ils peuvent recommencer à tisser des liens économiques entre collectivités.

Ceci étant dit, de toutes les organisations internationales, c'est évidemment l'OSCE qui dispose du moins de ressources. Il suffit de comparer le bureau de l'OSCE au bureau des Nations Unies à Tbilissi pour s'apercevoir de toute la différence. Dans ce contexte, l'OSCE a réussi à trouver une façon novatrice de coopérer avec des gens, comme les représentants du PNUD, afin d'obtenir des ressources du PNUD pour certains projets axés sur la résolution de conflits que l'OSCE veut mettre sur pied en Ossétie du Sud. L'OSCE a assez bien réussi dans ce domaine.

            Le sommet de l’OSCE de novembre 1999 à Istanbul a permis de finaliser des changements longtemps attendus au Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe qui a réduit les forces armées conventionnelles en Europe, et la Russie a accepté de démanteler deux de ses quatre bases militaires de Géorgie. Par ailleurs, lors de la reprise du conflit en Tchétchénie en 1999, la Russie a accusé la Géorgie de mal surveiller sa frontière avec la Tchétchénie et de laisser un bon nombre de rebelles tchétchènes faire des allers-retours dans les montagnes en toute impunité. La Géorgie a réfuté ces allégations et a demandé à l’OSCE de venir vérifier les mouvements à la frontière. Quand ils étaient en Géorgie en mai 2000, les membres du Comité ont discuté du travail de l’OSCE avec l’ambassadeur Jean-Michel Lacombe et le personnel international de la mission de l’OSCE en Géorgie. Ils ont été particulièrement impressionnés de cet exemple récent et réussi de la manière dont on peut désamorcer les tensions, prévenir des affrontements et protéger les réfugiés.

Le Conseil de partenariat euro-atlantique et le Partenariat pour la paix de l’OTAN

            Certains disent que l’adhésion de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan à l’OTAN améliorerait la sécurité dans la région. Cependant, l’élargissement de l’OTAN aux pays de cette région ou d’autres régions de l’ex-URSS serait extrêmement délicat vis-à-vis de la Russie, si bien que, à court terme, cette solution ne ferait rien pour accroître la sécurité dans la région. L’OTAN pourrait néanmoins avoir un apport par le biais de son Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) et de son Partenariat pour la paix (PPP). Le PPP est conçu pour stimuler la coopération et les liens sur le plan de la défense entre l’OTAN et des pays pris individuellement. Le CPEA est une tribune multilatérale permettant des consultations régulières entre les membres de l’OTAN et quelque 27 pays partenaires dont la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Russie. La crise au Kosovo a permis d’illustrer l’utilité du CPEA en tant qu’organe de consultation. Le CPEA a contribué de façon plus directe encore à la sécurité dans le Caucase méridional par la voie d’un colloque sur la coopération régionale qui a eu lieu en Géorgie en octobre 1998. Il ne sera pas facile d’accroître les programmes de sécurité et de coopération avec les États transcaucasiens et entre eux sans que la Russie n’y voie une menace pour ses propres intérêts. Le PPP et le CPEA offrent à cet égard des structures permettant au Canada et à d’autres pays d’essayer.

Efforts collectifs de consolidation de la paix

            On s’est rendu compte ces dernières années que, au-delà de la prévention et du règlement des conflits, la sécurité et la stabilité exigeaient aussi que l’on « répare » les institutions des États déchirés par des conflits. Ces programmes de « consolidation de la paix » occupent une place de plus en plus importante dans la politique étrangère du Canada. Comme Stephen Wallace, de l’ACDI, l’a dit au Comité : « L'expérience nous a aussi appris que, bien que la coopération régionale soit précieuse comme telle en tant qu'instrument de développement, elle peut aussi avoir une grande influence sur la consolidation de la paix. C'est pourquoi la plupart de nos initiatives dans le Caucase engagent la participation d'au moins deux pays». Certains projets du gouvernement du Canada réalisés dans cette région ont des répercussions sur la consolidation de la paix, mais très peu visent cet objectif en particulier. Or, étant donné que ce type d’activité encourage aussi le développement régional, le Comité estime que ce serait-là un secteur d’activité prometteur pour le Canada.

            Les organisations d’universitaires et les ONG participent de plus en plus à des activités de consolidation de la paix dans le Caucase méridional, bien que la majeure partie soient généralement exécutées en dehors de la région elle-même ou dans un seul des pays concernés. Un projet soumis au gouvernement du Canada repose sur le principe d’une approche mixte de la coopération régionale et doit être réalisé en deux temps. Dans un premier temps, des équipes d’universitaires et d’experts en politique publique de chacun des États transcaucasiens rédigeront un document décrivant en détail le point de vue du pays sur la question de la coopération régionale. Dans un deuxième temps, après étude et discussion de chacun des documents, un document mixte résumera les points communs en matière de coopération régionale et énoncera des propositions concrètes de mesures. Le coût total de ce projet devait s’élever à 160 000 $US, mais comme la moitié consistait en fonds de contrepartie, il n’a fallu que 80 000 $ environ. Il y a eu des retards dans le financement, mais on s’attend maintenant que le projet commence à l’automne de 2001.

Développement socioéconomique durable

Les États de Transcaucasie figuraient parmi les régions les plus pauvres de l’Union soviétique, et leur situation économique est loin de s’être améliorée depuis dix ans, du fait des conflits, des fermetures de frontières et des difficultés de la transition à une économie de marché, lesquelles ont été exacerbées par le crash de l’économie russe de 1998. Comme on le signale dans le rapport d’une conférence d’experts sur les perspectives politiques et économiques de la région de la Caspienne qui a eu lieu en mars 2000 à Wilton Park en Grande-Bretagne :

Les États indépendants apparus dans le Caucase méridional et en Asie centrale après 1991 n’ont pas réussi à se donner des stratégies viables de développement économique à long terme, en particulier relativement à l’exploitation des réserves énergétiques de la région. Leur avenir politique est hypothéqué par les incertitudes qui planent du fait des problèmes de succession et de conflits séparatistes non résolus.

            Pourtant, outre les abondantes ressources pétrolières de l’Azerbaïdjan, les trois pays ont une main-d’œuvre très instruite et un certain nombre d’industries prometteuses. S’ils arrivaient à résoudre leurs conflits et ainsi à ouvrir leurs frontières, et à lutter contre la corruption, leurs perspectives économiques seraient bien plus encourageantes et les investissements étrangers augmenteraient.

            Comme on l’a dit plus haut, les États du Caucase ont relativement bien réussi à instituer le cadre d’une transition économique — la Géorgie est devenue le 137e membre de l’Organisation mondiale du commerce en juin 2000 — lequel est soutenu au moins en partie par des programmes de renforcement des capacités exécutés par le Canada et d’autres pays. Sur le plan de l’investissement direct étranger (IDE) net, l’Azerbaïdjan venait en tête en 2000 avec des prévisions de 274 millions de dollars américains, suivi de l’Arménie (150 millions) et de la Géorgie (109 millions). Cependant, la corruption continue de soulever d’importants problèmes dans ces pays. Selon la BERD, sur toutes les entreprises auxquelles on a demandé s’il était courant de verser des pots-de-vin pour arriver à ses fins, 59,3 % des entreprises actives en Azerbaïdjan, 40,3 % des entreprises actives en Arménie et 36,8 % des entreprises actives en Géorgie ont répondu qu’elles le faisaient souvent. (La moyenne dans certains des pays dits en transition se situe à 30,3 %.)

            Le développement économique est certes crucial, mais s’agissant de venir en aide aux républiques transcaucasiennes, il importe de se souvenir des fins que doivent servir les ressources croissantes mises à la disposition de ces pays et de ne pas se contenter de mettre l’accent sur le développement en soi. Comme l’ont dit au Comité Janet Hatcher Roberts de la Société canadienne de santé internationale et d’autres témoins, dans les États du Caucase méridional, le développement doit en dernière analyse permettre de remédier à de graves problèmes de santé, à des problèmes sociaux et à d’autres problèmes encore, observation qui a des répercussions sur la politique canadienne. Pour reprendre les propos de Mme Hatcher Roberts :

Ce qui nous préoccupe surtout, c'est que le Canada ne devrait pas se fier au seul développement commercial et économique pour résoudre les graves problèmes rencontrés dans le sud du Caucase. Le Canada devrait envisager un investissement stratégique à long terme dans le développement social de la région, notamment dans la promotion de la santé et la protection de l'environnement.

Beaucoup se sont réjouis de la fin de la domination soviétique dans le Caucase au début des années 1990; hélas, on a assisté à une régression radicale de l'état de santé dans ces pays […] L'espérance de vie des hommes a diminué dans le Caucase. Il y a un taux élevé de mortalité infantile et maternelle. Bon nombre de gens qui avaient naguère accès à des soins médicaux gratuits ne peuvent plus se permettre de payer le prix des nouveaux régimes de rémunération à l'acte. La qualité de la nutrition a aussi baissé.

Elle a ajouté :

La croissance économique peut engendrer un meilleur revenu, une meilleure tolérance sociale et un meilleur bien-être, et enfin une meilleure santé, mais ces progrès ne sont pas automatiques. Les préalables à la santé peuvent même souffrir de la croissance économique si des politiques sociales appropriées ne sont pas mises en place.

Gestion des ressources énergétiques et autres

            Le différend juridique au sujet de la division des ressources de la mer Caspienne n’est toujours pas réglé, mais le temps passant, le problème perd de son acuité, les pays concernés acceptant de plus en plus l’idée d’une division de celles-ci entre eux, chacun jouissant d’une zone d’exclusivité. L’ampleur précise des ressources pétrolières et gazières de l’Azerbaïdjan reste à déterminer, mais celles-ci sont à coup sûr importantes et, mises en valeur de manière avisée, elles pourraient contribuer à la prospérité du pays, voire de l’ensemble de la région. Il reste que, si la Géorgie a des chances de profiter de plus en plus des droits de transit associés aux oléoducs — y compris l’oléoduc principal d’exportation Bakou-Tbilissi-Ceyhan —, l’Arménie sera en reste tant que l’Azerbaïdjan et la Turquie refuseront d’ouvrir leurs frontières à cause du conflit au Haut-Karabakh.

            L’exploitation de vastes quantités de pétrole à des cours élevés pourrait être suffisamment rentable pour persuader des sociétés occidentales de prendre en charge le financement du pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan, dont le coût, très élevé, pourrait se situer entre 2 et 6 milliards de dollars américains, et d’autres pipelines, même si des considérations de sécurité et de stabilité entreront également en ligne de compte. Par ailleurs, pour des raisons économiques et géographiques, il serait souhaitable que les pays se dotent d’une forme de coopération pour stimuler leurs économies. Attestant l’importance cruciale de la coopération régionale au niveau du développement économique, la Banque mondiale s’efforce de promouvoir l’idée d’un forum de coopération du Caucase auquel participeraient les organismes multilatéraux, les pays donateurs et les pays transcaucasiens et ce, en vue d’élaborer une approche concertée à la coopération régionale.

            La proposition de la Banque mondiale repose manifestement sur une approche macroéconomique, mais il existe déjà des efforts de coopération à des niveaux inférieurs. Le marché régional florissant de Sadakhlo, à la frontière de la Géorgie et de l’Arménie, en fournit un bon exemple. Selon un article paru en juin 2000 dans la revue The Economist :

Sadakhlo est situé à proximité de la charnière où se rencontrent les trois républiques du Caucase. Des autocars en provenance de la capitale de l’Azerbaïdjan, Bakou, de l’Arménie et même du Haut-Karabakh, font la queue aux abords du village. Les Azéris y troquent des produits alimentaires, des vêtements et de la farine en provenance de Turquie et de Russie contre divers produits arméniens et une poudre à lessiver iranienne appelée Barf…

Le marché répond aux besoins économiques vitaux de la population d’une région d’une extrême pauvreté et dont la plus longue frontière est fermée. La moitié environ de la population de la capitale arménienne, Erevan, porte des vêtements turcs achetés à Sadakhlo. Les rebelles arméniens de la république autoproclamée du Haut-Karabakh boivent sans arrière-pensée de l’Azercay (un thé azéri) produit par leurs supposés ennemis. Les Géorgiens semblent tout à fait disposés à maintenir les droits de douane à un minimum. « Le marché n’est pas une zone de libre-échange », explique Jamal Bediev, le directeur géorgien du marché. « Il reste qu’il résout un grand nombre de problèmes inter-États ».

            Comme les membres du Comité l’ont appris à Istanbul de représentants du Comité turc-arménien de développement de l’entreprise, le commerce non officiel est un moyen de multiplier les contacts entre les parties aux conflits, d’encourager la prospérité et d’établir la confiance nécessaire à l’acceptation de compromis. Ces représentants ont proposé plusieurs manières dont le Canada pourrait stimuler le développement dans cette région et y acquérir ainsi une plus grande stature. Eux aussi ont recommandé que davantage d’étudiants de la région aient la possibilité d’aller au Canada.

            Les liens économiques entre le Canada et les trois républiques transcaucasiennes demeurent mineurs. Peu d’entreprises canadiennes sont actives dans la région, et les échanges de marchandises bilatéraux y ont représenté 6,21 millions de dollars canadiens en 2000 dans le cas de la Géorgie, 4,05 millions dans le cas de l’Azerbaïdjan et 3,15 millions dans le cas de l’Arménie. S’il est important de ne pas surestimer le potentiel du Caucase méridional pour les entreprises canadiennes des secteurs du pétrole et du gaz, de la construction et d’autres secteurs, il ne faut pas non plus le sous-estimer, particulièrement si des accords de paix viennent un jour prochain régler les conflits actuels. Une présence diplomatique canadienne permanente dans le Caucase méridional aurait sûrement permis de multiplier les liens économiques et d’améliorer la qualité et la quantité d’information dont disposent les Canadiens qui envisagent de faire des affaires dans cette région.

Développement démocratique et bonne gouvernance

            Les États du Caucase méridional soient relativement plus avancés que ceux d’Asie centrale au niveau de l’adoption des normes internationales en matière de démocratie, de bonne gouvernance et de droits de la personne, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Dans une présentation portant à la fois sur le Caucase méridional et l’Asie centrale, Alex Neve d’Amnistie Internationale a recommandé qu’on cherche surtout à protéger les personnes qui défendent les droits de la personne, à mettre un terme à l’impunité et à intervenir au sujet des cas de torture qui semblent persister. Au sujet du Caucase méridional en particulier, il a insisté sur les défis que posent les cessez-le-feu en Géorgie et dans le Haut-Karabakh et les fortes populations de réfugiés et de personnes déplacées. Il a admis qu’une plus grande présence du Canada dans la région contribuerait utilement à la promotion des droits de la personne. Il a dit notamment : « Grâce à une présence accrue — surtout diplomatique — nous aurons la possibilité de prendre des mesures, de suivre l'évolution de la situation, de discuter de ces questions avec les gouvernements ». Il a dit aussi :

Il ne faut pas oublier le Conseil de l'Europe, qui joue un rôle très important surtout auprès des pays du Caucase méridional. La Géorgie, comme je l'ai mentionné, est devenue membre récemment du Conseil de l'Europe. Le Canada n'en fait pas partie, mais il y siège comme observateur. Nous suivons les dossiers de près. Nous jouons un rôle actif au sein de l'organisme. Nous avons des discussions avec ces pays. Voilà donc un autre organisme auquel nous devrions consacrer plus d'attention, un organisme qui, à mon avis, peut jouer un rôle déterminant et faire avancer les choses sur bien des fronts.

            Le fait que ces trois États soient maintenant tous membres du Conseil de l’Europe témoigne des progrès réalisés et contribuera à s’assurer que ces pays respectent les normes juridiques et politiques internationales, comme l’a démontré le cas de la Turquie ces vingt dernières années. Les valeurs défendues par le Canada et d’autres pays sont importantes en soi. Dans le cas de la Transcaucasie cependant, elles revêtent une importance cruciale pour le règlement des conflits dans la région, lequel exigera pas mal de compromis de la part de toutes les parties, la volonté d’accorder des garanties tangibles relativement aux droits des minorités au sein de régimes fédéraux et l’aptitude à résister à d’éventuelles provocations émanant de partisans de la ligne dure qui ont tout intérêt à maintenir le statu quo. Or, tous ces facteurs dépendent essentiellement de l’adoption des principes et pratiques démocratiques. Comme on l’indique dans le rapport sommaire d’une conférence d’experts qui a eu lieu en mars 2000 à Wilton Park :

Les déficiences de la société civile et l’absence d’opinion publique active et informée se remarqueront le plus lorsque les pays devront accepter des accords de paix controversés. Ainsi, les présidents de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, tous deux parfaitement au courant des réalités politiques et économiques de leurs pays, sont manifestement capables de s’entendre sur les grandes lignes d’un accord sur le Haut-Karabakh. L’anxiété est grande cependant au sujet de la réaction éventuelle des populations aux compromis.

II. FACTEURS PARTICULIERS PAR PAYS À PRENDRE EN CONSIDÉRATION DANS L’ORIENTATION DE LA POLITIQUE CANADIENNE

Géorgie

            La Géorgie demeure préoccupée par la question de l’intégrité territoriale associée aux violents affrontements civils du début des années 1990 et se trouve aux prises avec de nombreux autres problèmes importants, notamment celui que pose la corruption. Ainsi, et pas seulement parce que ses principaux problèmes sont à caractère interne, la Géorgie reste un ballon d’essai de la transition dans le Caucase. Comme on le disait dans la revue The Economist dans le numéro de juillet 2000 :

La Géorgie est à la fois pro-occidentale et plus ou moins démocratique, des caractéristiques rares dans l’ex-Union soviétique. Si vous poussez vers l’est à partir de Tbilissi, vous atteindrez le Japon avant de rencontrer un autre pays où la presse soit aussi libre et où il existe une société civile aussi digne de ce nom. Si tout va bien, la Géorgie pourrait un jour faire partie de l’Union européenne, d’ici dix ou vingt ans peut-être. À plus long terme encore, M. Chevardnadze voudrait qu’elle intègre l’OTAN. Plus important dans l’immédiat, la Géorgie est la seule solution pour le transport vers l’ouest des abondantes réserves de pétrole de la Caspienne. Une Géorgie prospère, démocratique et stable pourrait constituer un bastion d’espoir pour l’ensemble de la région — pour l’Asie centrale à l’est et pour la région limitrophe agitée de la Russie au nord. Mais si la Géorgie devait éclater ou se détériorer davantage, le Caucase pourrait s’en trouver affecté pour toute une génération.

Règlement des conflits

            Les conflits qui ont affligé la Géorgie au début des années 1990 — période que le président Chevardnadze a qualifiée de « plus éprouvante » de toute l’histoire du pays ? ont été provoqués dans le premier cas par les politiques nationalistes extrémistes du gouvernement géorgien sous le régime du président Zviad Gamsakhourdia, politiques qui ont donné lieu à des explosions de violence et suscité des appels à l’indépendance dans les régions de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Le retour de M. Chevardnadze et son élection à la présidence et la fin des affrontements ont permis le rétablissement d’une stabilité relative en Géorgie. Cependant, plusieurs tentatives d’assassinat dirigées contre M. Chevardnadze montrent que la situation demeure tendue.

            Comme les membres du Comité l’ont appris en Géorgie, sur les deux conflits qui perdurent en Géorgie, celui de l’Abkhazie est le plus éloigné d’un règlement. Il continue de susciter à l’occasion de violents affrontements, et la situation demeure potentiellement explosive. En entérinant les frontières existantes de la Géorgie lors de la dissolution de l’ex-Union soviétique, la communauté internationale a unanimement rejeté les prétentions indépendantistes de l’Abkhazie. Il s’agit donc de déterminer quel degré d’autonomie peut être accordé à l’Abkhazie à l’intérieur de la Géorgie et comment persuader les Abkhazes, qui gardent un vif souvenir de la guerre du début des années 1990 et sont de facto indépendants, qu’ils peuvent jouir d’une sécurité physique et autre en tant que minorité en Géorgie. La force de maintien de la paix de la Communauté des États indépendants (CEI) actuellement en poste en Abkhazie est composée d’un unique contingent russe. Les Nations Unies contrôlent le cessez-le-feu et travaillent à un règlement politique global. Comme on l’a noté précédemment, l’admission de la Géorgie au Conseil de l’Europe en 1999 était subordonnée au dépôt d’un projet de loi garantissant un degré d’autonomie élevé à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud. Reste à voir si les dirigeants de la Géorgie et de l’Abkhazie, avec au besoin les encouragements et l’appui de la communauté internationale, sauront consentir les compromis nécessaires.

            Le conflit en Ossétie du Sud est bien plus près d’un règlement. Dans une entente signée à Moscou en 1996, la Géorgie et l’Ossétie du Sud ont convenu que celle-ci demeurerait en Géorgie et, si des divergences de vues persistent, elles sont bien moins prononcées que dans le cas de l’Abkhazie. Durant leur voyage en Géorgie, les membres du Comité se sont rendus en Ossétie du Sud où ils ont rencontré son chef, Ludvig Chibirov, et se sont trouvés placés directement devant l’éternel problème de la poule et de l’œuf. La situation a bien progressé depuis 1996, et la résolution du conflit en est aux derniers stades. Parallèlement, M. Chibirov a mis en relief la situation précaire dans laquelle se trouvent les populations d’Ossétie du Sud sur le plan humanitaire. En fait, sa rencontre avec les membres du Comité a suivi de quelques minutes à peine son entretien avec M. Francis Deng, le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Notant que le Canada avait eu jusqu’alors peu de contacts avec l’Ossétie du Sud, M. Chibirov a sollicité l’aide du Canada, même sous la forme de modestes dons de blé, étant donné que le pain est considéré comme le baromètre de la qualité de vie en Ossétie du Sud. En plus de résoudre de graves problèmes internes, une telle contribution allégerait l’humeur politique et faciliterait la négociation d’un accord de paix. Le Comité est conscient du fait que la communauté internationale préférerait sans doute coordonner toute nouvelle aide à l’Ossétie du Sud après la conclusion d’un accord de paix avec la Géorgie, mais il estime que, dans le contexte d’une politique révisée au sujet du Caucase méridional, le gouvernement du Canada devrait chercher des façons de témoigner de son intérêt pour le sort des populations d’Ossétie du Sud sans prolonger le processus de règlement du conflit.

            Enfin, le président Chevardnadze a insisté sur l’importance de bonnes relations avec la Fédération de Russie, sans laquelle, selon ses propres termes, l’indépendance de la Géorgie serait impensable. Pourtant, l’instabilité qui persiste dans le sud de la Russie — dont Patrick Armstrong a dit au Comité qu’elle résultait de divers facteurs, notamment de l’aspiration traditionnelle des Tchétchènes à la liberté nationale, du très vieux souhait de certains de créer une « république de montagnards » dans le Caucase et du phénomène plus récent de l’islamisme wahhabi — crée d’importants problèmes pour les deux pays.

            Comme nous l’avons déjà mentionné, la Russie a accusé la Géorgie de ne pas savoir contrôler sa frontière avec la Tchétchénie. Après plusieurs mois d’accusations de la part de la Russie et de dénégations de la part de la Géorgie, la Russie a imposé en décembre 2000 un strict régime de visas à la Géorgie, dont elle a cependant exempté les résidents de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Cette mesure a eu de lourdes conséquences économiques pour la Géorgie et, de l’avis de certains observateurs, a réussi à modérer l’inclination pro-occidentale de celle-ci, qui tient maintenant un discours plus neutre.

            La Russie se préoccupe à juste titre de la stabilité et de la sécurité de ses frontières au sud, et le Comité ne pense pas, comme d’autres, qu’elle est responsable de tous les conflits dans le Caucase. Il reste cependant que l’intervention militaire russe en Tchétchénie est critiquable pour des motifs d’ordre humanitaire et d’autres motifs. Par ailleurs, l’imposition d’un strict régime de visas à la Géorgie sous prétexte que cela contribuera à contenir le conflit en Tchétchénie, dont elle a cependant exempté les résidents de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, et suscite des questions légitimes quant aux réelles motivations de la Russie.

            La communauté internationale pourrait, par le biais de l’OSCE, prendre des mesures pour convaincre la Russie que ses frontières sont sûres, mais on ne doit pas le faire aux dépens de la Géorgie. Puisque la Géorgie a été forcée de réduire ses effectifs militaires, et notamment ceux des gardes-frontières, à l’été 2000, en raison de contraintes budgétaires, de l’aide internationale à ce chapitre serait très utile.

Développement économique

            La Géorgie a atteint certains stades cruciaux de la transition économique, en particulier avec son accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à l’été 2000. Durant leur séjour à Tbilissi, les membres du Comité ont rencontré des représentants d’un organisme d’Ottawa, le Centre des politiques commerciales et des lois, qui exécutait des travaux financés par l’ACDI pour aider la Géorgie à se doter de compétences spécialisées en politique commerciale. Le Centre, institué par le gouvernement mais maintenant indépendant, a élaboré un modèle intéressant dans lequel des groupes d’élaboration de la politique commerciale sont établis dans les pays en transition, avec des liens avec le gouvernement initialement, mais devenant ultérieurement indépendants. Ce modèle a jusqu’à présent donné des résultats intéressants en Russie et ailleurs, et le Comité estime qu’il constitue un bon exemple de la façon dont des partenariats entre le gouvernement et le secteur sans but lucratif peuvent faciliter la transition.

            En dépit de ses succès au niveau de l’OMC, la Géorgie demeure un pays très pauvre — d’après des données officielles, plus de la moitié des Géorgiens vivent en dessous du seuil de pauvreté — et cette pauvreté a de lourdes retombées sociales. L’aide étrangère peut certes être utile, mais la corruption des fonctionnaires et d’autres problèmes continuent de freiner les investissements étrangers et le développement économique. Les membres du Comité ont donc été heureux d’apprendre que la Géorgie envisageait un nouveau programme de lutte contre la corruption et notamment la nomination, au sein même de l’administration, d’un groupe spécial (bien rémunéré) de lutte contre la corruption. Ils ne peuvent qu’encourager le gouvernement de la Géorgie dans cette voie, tant pour améliorer la condition des citoyens que pour attirer davantage d’investissements étrangers.

Développement démocratique

            Si la Géorgie a relativement bien avancé sur la voie du développement démocratique et de la bonne gouvernance, il reste quand même encore beaucoup à faire. Amnistie Internationale signale des plaintes persistantes quant au recours à la torture en Géorgie et, malgré la grande popularité de M. Chevardnadze, les élections présidentielles d’avril 2000 ont été entachées d’irrégularités. En outre, comme on l’a vu, pour espérer une résolution des conflits, il faut que les groupes minoritaires soient convaincus que les principes et processus démocratiques sont suffisamment forts pour leur offrir une réelle protection. Cela sera particulièrement vrai en Géorgie compte tenu des récents conflits, et le Conseil de l’Europe, l’OSCE et d’autres institutions continueront d’exercer des pressions en ce sens sur le pays. Une fois encore, une présence canadienne permanente dans la région pourrait contribuer au contrôle des progrès à cet égard.

Azerbaïdjan

            L’Azerbaïdjan se trouve devant un double défi : composer avec les conséquences territoriales et sociales du conflit au Haut-Karabakh et veiller à la mise en valeur avisée de ses importantes ressources pétrolières et gazières. Lors de leurs rencontres avec le Comité à Bakou, le président Gueïdar Aliev et les hauts fonctionnaires de l’Azerbaïdjan ont insisté sur l’importance de l’exploitation pétrolière, qui serait facilitée par un climat de stabilité en matière de sécurité. Ainsi, la résolution du conflit du Haut-Karabakh — et le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leurs foyers — demeure prioritaire. Le président Aliev a dit au Comité que, de tous les problèmes de l’Azerbaïdjan, celui des réfugiés était le plus ardu, tant sur le plan économique que sur le plan politique.

            Selon un rapport de 1999 produit par le Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés de l’Azerbaïdjan :

L’Azerbaïdjan continue d’être aux prises avec un des problèmes humanitaires les plus complexes du monde. On y compte en effet la plus forte population (par habitant) de personnes déracinées, lesquelles totalisent environ 800 000 personnes (personnes déplacées dans leur propre pays, réfugiés et apatrides) sur une population totale de 8 millions d’habitants. L’atonie persistante de l’économie nationale compromet le rétablissement des services sociaux essentiels, entre autres dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Le chômage élevé et le manque d’activités rémunératrices nuisent à l’autonomie et entretiennent la dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure dans les collectivités de personnes déplacées.

            L’enclave majoritairement arménienne du Haut-Karabakh a été placée en Azerbaïdjan durant la période soviétique. Les tensions ethniques ont monté vers la fin des années 1980 et, après le démantèlement de l’Union soviétique, la violence a éclaté entre les partisans (en Haut-Karabakh et Arménie) de l’indépendance du territoire et ceux qui tiennent à ce qu’il demeure en Azerbaïdjan. La guerre qui s’est ensuivie a été très coûteuse sur le plan humain. Elle a fait de nombreuses victimes et au moins 800 000 réfugiés et personnes déplacées qui vivent dans des camps de fortune en Azerbaïdjan de même qu’au Haut-Karabakh et dans certaines régions adjacentes sous le contrôle des Karabakhs. Notant que la plupart des visiteurs en Azerbaïdjan demeuraient généralement à Bakou, le président Aliev a dit aux membres du Comité qu’il était extrêmement heureux qu’ils aient décidé de venir en Géorgie pour se rendre compte eux-mêmes des conditions de vie des plus de 7 000 réfugiés et personnes déplacées qui vivent encore dans le village de toile de Barda et dans le village de Ganja tout proche, près de six ans après la fin des affrontements au Haut-Karabakh.

            En acceptant les frontières de l’Azerbaïdjan telles qu’elles étaient lors de l’effondrement de l’Union soviétique, la communauté internationale a encore une fois rejeté les prétentions à l’indépendance de la population du Haut-Karabakh. Lors du sommet de Lisbonne de l’OSCE en décembre 1996, trois grands principes avaient été proposés : l’intégrité territoriale, ce qui signifiait que le Haut-Karabakh devait rester en Azerbaïdjan; le plus haut degré possible d’autonomie pour le Haut-Karabakh; et enfin des garanties de sécurité pour toutes les parties. En 1997, les dirigeants de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie (laquelle à toutes fins pratiques négocie pour le compte du Haut-Karabakh, ce qui complique encore la situation) ont accepté la proposition du groupe de Minsk de procéder par étapes : on a proposé d’abord que les troupes arméniennes se retirent des régions situées à l’extérieur du Haut-Karabakh et que les réfugiés rentrent chez eux, après quoi il serait possible de prendre des décisions sur le statut du territoire. Le président de l’Arménie, Levon Ter-Petrossian, n’a pas réussi à convaincre son pays et les dirigeants du Haut-Karabakh d’accepter cette entente, et a été forcé de démissionner. Il a été remplacé par Robert Kotcharian, un ancien dirigeant du Haut-Karabakh.

            La multiplication des rencontres, ces dernières années, entre les présidents de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie ? la dernière en date ayant eu lieu en avril 2001 à Key West en Floride ? et l’amélioration du dialogue entre eux en ont convaincu plusieurs que les grandes lignes de l’entente sur le Haut-Karabakh sont sans doute déjà établies et que c’est la difficulté de sa mise en œuvre sur le plan politique qui en empêche la conclusion. Les rencontres que les membres du Comité ont eues avec les présidents Aliev et Kotcharian n’ont en rien dissipé cette impression. Il reste cependant que, même si les grandes lignes d’une entente sont établies, il faut encore en fixer le contexte. Le président Aliev a fait remarquer à juste titre que, même en l’absence de solution au conflit, l’économie de l’Azerbaïdjan finirait par s’améliorer grâce aux recettes pétrolières, tandis que celle de l’Arménie se détériorerait. Il s’efforce donc d’amener l’Arménie à accepter un compromis en faisant valoir qu’une entente aboutirait à un accroissement sensible de la coopération économique au niveau régional et à d’autres types de coopération.

            Le gros des perspectives économiques de l’Azerbaïdjan est subordonné à l’exploitation des ressources pétrolières. Selon la BERD, les investissements totaux prévus des pétrolières internationales dans le secteur de l’énergie sont de l’ordre de 40 milliards de dollars américains, et l’augmentation des cours du pétrole depuis un an a constitué une véritable manne pour ce pays. Le président Aliev a aussi délibérément multiplié les joueurs dans tous les aspects de l’exploitation pétrolière et de la construction de pipelines. Ces projets sont certes importants, mais le fait de tabler autant sur une ressource unique n’est pas sans présenter certains inconvénients, notamment un manque de progrès dans les autres secteurs résultant d’un faux sentiment de sécurité et un accroissement possible des disparités du fait d’une propriété étroite des ressources et de la corruption. À cet égard, l’Azerbaïdjan mène une lutte plus timorée contre la corruption que la Géorgie et l’Arménie.

            Nos interlocuteurs du secteur public en Azerbaïdjan nous ont fait part à maintes reprises de leur souhait de voir augmenter la présence canadienne dans ce pays, sur le plan commercial et autrement. Même si les réserves pétrolières de ce pays ne sont pas aussi importantes que celles de l’Arabie saoudite, les perspectives sont néanmoins très intéressantes pour les entreprises canadiennes dans ce secteur et d’autres. M. Rob Sobhani, un représentant de AEC International de Calgary (la plus grande pétrolière canadienne active en Azerbaïdjan), a fait valoir de façon persuasive qu’un plus grand engagement du Canada, notamment par des visites officielles de chefs d’État au Canada, contribuerait à augmenter la part du Canada de cet important marché. Reste à voir si des visites officielles seraient justifiées dans le contexte d’une révision de la politique canadienne à l’égard de cette région, mais il demeure qu’en s’intéressant de plus près au Caucase méridional, on aiderait les entreprises canadiennes qui songent à exploiter les débouchés que présente la région de la Caspienne.

            Nous le répétons, une entente sur le Haut-Karabakh garantissant les droits des minorités ne peut être viable qu’avec des assises démocratiques solides. À cet égard, l’Azerbaïdjan a encore beaucoup de pain sur la planche. Il y a bien sûr une opposition officielle et une société civile active, mais les pouvoirs du président sont tels que certains qualifient le régime de « république présidentielle ». Des groupes de l’opposition avaient menacé de boycotter les élections parlementaires de l’automne 2000 et, en dernière analyse, selon le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, les élections « ont démontré qu'il existait un fossé entre les attentes internationales et les pratiques locales ». L’Azerbaïdjan souhaite multiplier et resserrer ses liens avec l’Europe dans le contexte de la nouvelle route de la Soie, et sera donc sensible à des pressions exercées par le Conseil de l’Europe, dont le Canada doit se faire l’écho.

Arménie

            Bien que l’Arménie jouisse d’une main-d’œuvre très instruite et d’un potentiel réel dans un certain nombre de secteurs d’activité à forte valeur ajoutée, les dernières années ont été très difficiles dans ce pays, ce qui a donné lieu à une émigration massive. Le gouvernement arménien admet que l’hémorragie a totalisé quelque 700 000 personnes sur une population totale de 3,7 millions d’habitants en 1991, mais beaucoup de gens pensent que le chiffre réel de la population est plus proche de 2 millions d’habitants.

            Il est impossible de bien comprendre les événements actuels en Arménie et dans la région sans prendre en considération ce que la Chambre des communes du Canada a qualifié en 1996 de « tragédie arménienne », à savoir le massacre de quelque 1,5 million d’Arméniens par les forces ottomanes en 1915. Cependant, comme l’ancien ministre des affaires étrangères de l’Arménie, Raffi Hovanissian, l’a dit au Comité à Erevan, si le « génocide » de 1915 a été un moment marquant de l’histoire de l’Arménie, le pays a perdu presque autant d’habitants dans les dix dernières années du fait de l’émigration.

Règlement des conflits et coopération économique

            La corruption et les problèmes de gouvernance posent de grandes difficultés en Arménie et sont responsables de la pauvreté et d’une crise de confiance dans la population. Une fois encore, le principal facteur de ralentissement de la transition est l’absence de règlement des conflits, le fait que le conflit du Haut-Karabakh se déroule hors du territoire ne changeant rien à l’affaire. Pour illustrer l’importance de considérer ces pays comme appartenant à une région unique, nous signalons que ce conflit qui perdure a entraîné la fermeture des frontières de l’Arménie, un pays enclavé, avec la Turquie et avec l’Azerbaïdjan, ce qui du même coup l’empêche de profiter des retombées que lui procurerait le transit du pétrole de la Caspienne et d’autres retombées de l’exploitation pétrolière. Comme la BERD l’a noté en 2000 :

La coopération régionale sera la clé du développement économique futur de l’Arménie. L’Arménie contribue à ce processus par une coopération avec la Grèce et l’Iran et espère conclure un accord de transport avec la Géorgie et la Bulgarie. Durant 1999, ses relations avec la Russie ont continué de s’affermir…

Au niveau international, la Transcaucasie est importante du fait de son rôle dans le transport du pétrole et du gaz en provenance d’Asie centrale, bien que les projets de construction de pipelines concernent surtout la Géorgie voisine.

            L’ancien premier ministre Armen Darbinian, qui dirige actuellement le International Centre for Human Development, nous a dit que, selon lui, le développement des pays de Transcaucasie passait obligatoirement par la coopération au niveau régional. À Erevan, il a signalé aux membres du Comité que jusqu’à présent, les leaders de la région se contentaient de viser des résultats meilleurs que ceux de leurs voisins tout aussi pauvres. Il a mentionné par exemple que l’Arménie entretenait de bonnes relations avec la Géorgie voisine, laquelle a réussi à entrer à l’Organisation mondiale du commerce, mais qu’elle n’avait aucun lien de coopération avec la Géorgie en matière commerciale.

            La politique arménienne comprend par ailleurs un autre élément important, à savoir le maintien de liens étroits avec la Russie, notamment au niveau militaire. Le Comité convient avec ses interlocuteurs d’Erevan que l’Arménie a parfaitement le droit de choisir elle-même l’orientation de sa politique étrangère et de sa politique de défense. Il reste cependant que, compte tenu de l’orientation pro-occidentale de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan, les politiques pro-russes de l’Arménie continueront de compliquer la transition de ce pays jusqu’à ce que la coopération entre les trois républiques soit sensiblement accrue. De toute façon, dans l’élaboration de programmes bilatéraux et multilatéraux, comme le programme de corridor de transport Europe-Caucase-Asie de l’UE, la communauté internationale a tout intérêt à accroître la coopération de l’Arménie avec la région, ne serait-ce que pour éviter qu’elle soit tentée de faire déraper le projet.

            Bien qu’elle soit handicapée par l’absence de coopération avec ses voisins, l’Arménie a quand même quelques réalisations économiques intéressantes à son actif depuis quelques années, attribuables à de l’aide financière de l’étranger, à des politiques publiques avisées et à des investissements, provenant en grande partie de la diaspora arménienne. Selon la BERD :

L’Arménie a l’avantage d’une diaspora mondiale de quelque 5 millions de personnes. Une bonne partie des gros investisseurs en Arménie proviennent de la diaspora, qui contribue au financement des infrastructures et au développement des PME. La diaspora travaille dur pour faire connaître l’Arménie et ainsi maintenir les flux d’aide occidentale.

            En sus de leur importance économique, les Arméniens de la diaspora peuvent avoir une importance politique non négligeable. Les liens étroits de l’Arménie avec la Russie sur le plan militaire et autrement et l’influence des Arméniens à Washington placent l’Arménie dans une position très particulière dans la mesure où elle jouit du soutien à la fois des militaires russes et du Congrès américain. Lorsque nous l’avons interrogé à Erevan au sujet du budget d’assistance à l’Arménie des États-Unis, un représentant de l’Agence américaine pour le développement international nous a confié que l’Arménie obtenait plus d’argent qu’elle n’en demandait. Nos interlocuteurs en Arménie nous ont indiqué que le Canada avait davantage de coentreprises en Arménie que les États-Unis, mais ont fait valoir éloquemment que le Canada pourrait avantageusement accroître sa présence économique ou autre en Arménie, argument que soutient la communauté arménienne du Canada. Celle-ci est nombreuse et bien organisée : elle regroupe quelque 75 000 personnes dont la plupart vivent à Toronto et à Montréal.

            Étant donné son manque de ressources et le fait que la plupart de ses frontières sont closes, l’Arménie a décidé de privilégier les activités à forte valeur ajoutée comme le polissage du diamant et la conception de logiciels où le potentiel est intéressant. Denis Leclaire de l’Université St. Mary’s estime que l’industrie arménienne des logiciels est importante, même si elle n’est pas aussi avancée que le croit le gouvernement.

[…] à un certain niveau, l'informatique n'a pas vraiment de secrets pour les Arméniens. Sur le plan technique, ils sont probablement aussi bons, sinon meilleurs, que les usagers de l'informatique ailleurs dans le monde, mais il n'empêche qu'ils ont besoin d'aide pour apprendre à utiliser l'Internet à des fins commerciales, et surtout pour les besoins du marketing. Leurs méthodes de commercialisation sont vraiment épouvantables. C'est l'un des domaines où nous voulons leur venir en aide.

Bonne gouvernance

            L’assassinat au Parlement, en octobre 1999, du premier ministre Vazgen Sarkissian, du président Karen Demirchian et de six autres personnes, un crime que beaucoup pensent lié à la perspective d’un règlement de paix au Haut-Karabakh, illustre bien l’ampleur des problèmes en Arménie. Les mois qui ont suivi ont été très difficiles, politiquement, pour le président Robert Kotcharian, mais la façon dont il est arrivé à former un nouveau gouvernement au milieu de 2000 donne à penser qu’il serait éventuellement capable de « vendre » un accord de paix en Arménie et dans le Haut-Karabakh. Le Comité ne croit pas, comme certains, que c’est la Russie qui, en dernière analyse, possède la clé du règlement du conflit du Haut-Karabakh. On ne peut nier cependant que le gouvernement russe a indubitablement une grande influence sur le gouvernement arménien.

            La situation politique en Arménie joue un rôle important dans le règlement du conflit, mais un autre problème se pose dans la mesure où la population semble maintenant douter de la légitimité du régime politique. Le ministre des Finances, Levon Barkhoudarian, un ancien ambassadeur au Canada, convient qu’il faut lutter contre la corruption et réformer la fonction publique. Selon lui, la « bonne gouvernance » est une jolie expression, mais l’important, c’est la réforme de la fonction publique. L’ancien premier ministre Darbinian pense qu’on n’a pas bien saisi à quel point la stabilité et la règle de droit étaient cruciaux pour la transition et a recommandé que, outre les réformes structurelles et la réforme de la fonction publique, on mette davantage l’accent sur le développement démocratique.

III. ORIENTATIONS POSSIBLES DE LA POLITIQUE CANADIENNE

            Les audiences du Comité et son voyage dans le Caucase méridional ont fait ressortir la nécessité de réviser la politique canadienne relativement à cette région importante et complexe. Comme on l’a dit précédemment, cette politique doit reposer sur une perspective à long terme et viser à soutenir le développement de la société civile en mettant l’accent sur l’éducation et d’autres programmes. Les républiques transcaucasiennes sont aux prises avec de grandes difficultés sur le plan économique et sur le plan de la gouvernance, difficultés auxquelles elles vont devoir remédier au moyen de programmes favorisant le développement démocratique et la lutte contre la corruption si elles veulent attirer les investissements du Canada et d’ailleurs.

Règlement des conflits et coopération

            Le principal problème de la région demeure cependant lié aux conflits en suspens qui ont entaché les dix dernières années et continuent d’entraver la coopération régionale en matière de sécurité, sur le plan économique et sur d’autres plans. Outre les recommandations contenues dans la Partie I, il importe donc que la politique canadienne soit axée davantage sur le règlement des conflits et la consolidation de la paix par le biais des programmes bilatéraux de l’ACDI, d’autres programmes et de mécanismes multilatéraux. L’OSCE joue évidemment un rôle clé à cet égard puisqu’elle s’intéresse à la fois au règlement des conflits et à la bonne gouvernance. Le Canada devait donc appuyer davantage l’OSCE en mettant l’accent sur les activités à l’appui du règlement des conflits dans le Haut-Karabakh et ailleurs, et de l’élaboration de solutions pour remédier au problème des réfugiés et des personnes déplacées et sur les mesures propres à encourager la coopération au niveau régional et le développement démocratique.

Une présence canadienne permanente

            Si l’on veut que le Canada joue un rôle informé dans le développement et la prospérité à long terme du Caucase méridional, il va falloir établir une présence diplomatique canadienne permanente dans la région, idéalement dans les trois républiques. Selon le Comité, l’information recueillie justifie l’établissement d’une ambassade dans la région dans les meilleurs délais. La question de l’endroit où devrait se trouver l’ambassade est vite réglée du fait qu’il serait impossible de représenter l’Azerbaïdjan ou l’Arménie à partir du territoire de l’autre État. Pour cette raison, le Comité estime que le gouvernement du Canada doit ouvrir une ambassade en Géorgie qui serait responsable des relations du Canada avec les trois républiques transcaucasiennes. Le Canada devrait aussi envisager d’ouvrir des ambassades en Azerbaïdjan et en Arménie une fois que ces pays se seront entendus sur un règlement pacifique du conflit du Haut-Karabakh.

Recommandation 3

Le Comité recommande que, dans le contexte de la révision de sa politique à l’égard du Caucase méridional, le gouvernement du Canada envisage d’appuyer davantage les activités de l’OSCE de même que des mesures propres à instituer un climat favorable au règlement des conflits et à l’investissement étranger par le développement des institutions démocratiques et par la lutte contre la corruption dans les pays concernés. Pour ce qui est du Haut-Karabakh, le gouvernement du Canada devrait tirer parti de toutes les possibilités qu’offrent les relations bilatérales et les institutions multilatérales pour chercher un règlement au conflit.

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada ouvre une ambassade en Géorgie qui serait chargée des relations du Canada avec les trois républiques du Caucase méridional. Le gouvernement du Canada devrait aussi être prêt à envisager l’ouverture d’ambassades en Azerbaïdjan et en Arménie dans l’éventualité d’un règlement du conflit du Haut-Karabakh et d’un accroissement de la coopération au niveau régional.