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INST Rapport du Comité

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CHAPITRE 11 : FINANCIER LES NOUVELLES ENTREPRISES D'INNOVATION

            Les petites entreprises d’innovation sont les principales sources d’idées nouvelles et d’innovation industrielle et, fait peu étonnant, elles occupent donc de plus en plus de place dans le système de l’innovation. Dans les domaines émergents où les tendances de la demande ne sont pas encore bien dessinées, les technologies ne sont pas encore au point et les risques sont considérables, les petites entreprises réussissent beaucoup mieux que les plus grandes. En effet, elles sont avantagées dans ces conditions difficiles parce qu’elles ont beaucoup plus de souplesse, sont plus ciblées et offrent une meilleure gamme d’incitatifs pour favoriser la créativité, que leurs semblables de plus grande taille. Manifestement, un pays caractérisé par un plus grand nombre de jeunes entreprises d’innovation et des réussites dans le domaine des affaires prendra l’avantage dans une économie axée sur le savoir, et c’est pour cette raison que le Comité étudie ci-après les défis inexplorés auxquels font face les nouvelles entreprises d’innovation. Nous aborderons d’abord leur accès au capital-risque, puis nous examinerons les éléments nécessaires pour former une grappe fructueuse de ces extraordinaires entreprises et nous terminerons avec le travail du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) concernant l’incubation d’entreprises dérivées d’innovation et la coordination du développement de grappes d’innovation au Canada.

Nouvelles entreprises d’innovation et capital-risque

            Toute entreprise dépend du flot nourricier du financement, mais pour une nouvelle entreprise, l’existence de ce flot est essentielle afin de transformer une bonne idée en un produit ou un service nouveau ou une technologie nouvelle. Le financement, qui peut a priori paraître comme le dernier des soucis pour une personne ayant une bonne idée ou une innovation, peut, en bout de ligne, s’avérer être le facteur déterminant. En fait, les questions financières peuvent être critiques précisément parce que l’ampleur et le raffinement des marchés financiers du Canada dans la zone capital-risque du spectre des marchés font défaut comparativement à notre principal État concurrent, les États-Unis. Selon un investisseur en capital-risque, le déséquilibre actuel entre l’offre et la demande de capitaux à risque crée une situation précaire, voire alarmante.

L’industrie canadienne du capital de risque possède des fonds pour moins d’un an. Par conséquent, malgré sa croissance, elle se trouve à mon avis dans une situation périlleuse parce que nous voyons un nombre sans précédent de nouvelles entreprises en démarrage et la croissance de sociétés, lesquelles vont toutes subitement se heurter à un mur s’il n’y a plus d’argent. [Calvin Stiller, Canadian Medical Discoveries Fund Inc.; 29, 9:35]

Ce déséquilibre entre l’offre et la demande semble également comporter une dimension régionale :

Il y a un grave manque de capitaux à risque pour les nouvelles initiatives, les nouvelles entreprises en démarrage, etc., dans certaines régions du pays, particulièrement dans le Canada atlantique […] Il s’y présente des occasions pourtant, mais il est très difficile d’obtenir des investisseurs en capital de risque qu’ils prennent en considération le Canada atlantique. Il est encore vrai que de nombreuses banques et investisseurs en capital de risque ne s’intéressent pas réellement aux véritables entreprises en démarrage, celles qui n’ont pas d’actif, pas de rentrée de fonds, et ne peuvent compter à la limite que sur une propriété intellectuelle et des gens. Le Canada compte relativement peu d’investisseurs en capital de risque comparativement aux États- Unis, bien que cette situation se soit considérablement améliorée au cours des trois ou quatre dernières années. [Arthur Carty, Conseil national de recherches du Canada; 29, 9:20]

Pièce 11.1
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            Les données de la pièce 11.1 confirment l’amélioration constatée au cours des dernières années. Depuis sept ans, les investisseurs en capital-risque du Canada ont multiplié par dix le financement qu’ils offrent et, en 1999, ils plaçaient 80 % de leurs investissements dans les entreprises de nouvelles technologies :

 

Domaine

Investissement

Pourcentage

informatique

982 millions de dollars

(36 %)

communications

359 millions de dollars

(13 %)

biotechnologie

315 millions de dollars

(12 %)

électronique

262 millions de dollars

(10 %)

médecine/santé

159 millions de dollars

(6 %)

            On dit souvent que le problème vient de ce qu’apporter des nouvelles idées sur le marché comporte beaucoup plus d’embûches que le financement d’une activité en cours. La nouveauté même du produit signifie que l’acceptation par le marché est incertaine, de sorte que l’établissement financier qui veut offrir le produit doit mettre les bouchées doubles pour prédire l’accueil qu’on lui réservera sur le marché. Cela signifie que l’établissement financier fait face à la fois à un plus grand risque et à un plus grand niveau d’incertitude quant à la nature et à l’ampleur du risque, comparativement au financement d’activités commerciales en cours. Malheureusement, le talent prêt à travailler dans le secteur du capital-risque est rare au Canada, et la faiblesse de l’offre entraîne une intervention modeste de la part du gouvernement. La Banque de développement du Canada (BDC) et le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) participent différemment à l’entreprise du capital de risque.

On a également montré un autre aspect de la situation au Comité :

L’échec des petites entreprises est souvent dû au fait qu’elles n’ont pas accès au financement nécessaire, par exemple, à du capital de risque. Elles ont besoin de gestionnaires très compétents, parfois difficiles à trouver au Canada. Elles doivent bien sûr compter sur des ressources humaines de premier ordre. Elles ont besoin d’encadrement et de mentorat. L’incubation est d’un précieux secours car les petites entreprises y puisent l’oxygène nécessaire pour s’épanouir et devenir autonomes … [Arthur Carty; 29, 9:05]

            Le manque de gestionnaires chevronnés dans les petites entreprises canadiennes ajoute au risque que l’institution financière doit filtrer et assumer au moment où les produits sont introduits sur le marché.

            Les marchés financiers réagissent de différentes manières aux occasions risquées, notamment en se spécialisant dans les différentes étapes du développement des entreprises en démarrage. Il existe donc des différences entre les investisseurs en capital de risque — on pourrait parler d’une stratification des fournisseurs de capitaux. Un certain ordre caractérise en effet ce marché : il y a d’abord le capital d’amorçage, puis le capital d’expansion, le capital-déploiement, le capital pour jeunes entreprises (junior) et enfin le capital pour entreprises plus établies (senior). À cette étape, l’entreprise en démarrage délaisse le domaine du capital de risque et est prête à faire une émission initiale d’actions à une bourse du Canada. Dans le continuum du capital de risque :

L’investissement d’amorçage est un capital de risque différent du capital d’expansion. Le capital d’expansion est différent du capital-déploiement, et les marchés de capitaux « juniors» sont différents des marchés de capitaux « seniors». La réponse se trouve-t-elle dans l’un d’eux? Non. C’est un continuum. [Calvin Stiller; 29, 10 :25]

            Les sociétés d’investissement en capital-risque recourent à d’autres stratégies : se faire représenter au conseil d’administration de la société en démarrage, peut-être même suggérer un directeur des opérations, et un financement modéré aux différentes étapes du développement.

Le capital-risque s’accommode mal des petites sommes d’argent. Vous pouvez investir une petite somme, mais vous devez être prêt à réinvestir plus tard. Il faut continuer sans relâche d’aller chercher l’argent nécessaire par petites tranches, 200 000 $, 300 000 $, mais ce sont seulement les premières étapes. Si la technologie remporte du succès, vous aurez besoin de deux ou trois millions de dollars simplement pour rester en lice jusqu’aux étapes on l’on pourra finalement aller chercher 10, 15 ou 20 millions de dollars. [David Mowat, Vancouver City Savings Credit Corporation; 29, 9 :20]

            La BDC signale également que, dans son sondage, les entreprises financées par du capital de risque qui sont devenues publiques consommaient en moyenne 23 millions de dollars de capitaux privés avant de faire une émission initiale d’actions. Cette étude indiquait aussi ce qui suit :

Les investisseurs en capital-risque fournissent en moyenne 37 % de la mise de fonds des entreprises privées …, ce qui leur permet de jouer un rôle important sans exercer de contrôle. Les fondateurs ont une part substantielle — 28 % — qui leur permet d’aligner leurs intérêts avec ceux des investisseurs. Les investisseurs corporatifs continuent de jouer un rôle important sur ce marché puisqu’ils fournissent 24 % des avoirs propres tandis que les investisseurs privés apportent 6 % des capitaux. Les 5 % qui restent viennent des employés, des gouvernements et des universités12.

            Il doit aussi y avoir une stratégie de retrait pour les sociétés d’investissement en capital de risque une fois que l’entreprise en démarrage a accédé aux grands marchés boursiers. La protection offerte par le capital de risque dure donc une dizaine d’années.

            Un témoin a laissé entendre que des modifications ou bonifications fiscales contribueraient jusqu’à un certain point à atténuer le déséquilibre de l’offre et de la demande :

Pour exploiter les ressources enfouies dans le sol au cours des dernières décennies dans l’ouest, l’usage était de recourir aux actions accréditives et c’était fantastique. Ce n’était pas une perte fiscale; c’était un report d’impôt si les profits ne se matérialisaient pas. Cela me dépasse de constater que nous ne pouvons pas faire de même dans le domaine de la recherche-développement. [Calvin Stiller; 29, 9:40]

            Le Comité croit que la raison pour laquelle le gouvernement fédéral semble hésiter à développer un tel instrument fiscal tient à la difficulté de longue date de définir l’activité de R. et D. aux fins de l’impôt. Il préfère la stratégie actuelle du gouvernement qui consiste à combler le fossé des marchés de capitaux par les activités de la BDC. De plus, à bien des égards, nous ne faisons pas que décrire un problème d’approvisionnement en capitaux mais un problème de coordination, que le Comité s’apprête à aborder.

Les grappes d’innovation et la coordination des éléments

            Ce qui ressort clairement de tous les intervenants de l’innovation au Canada est que le succès du démarrage des entreprises d’innovation ou de technologie de pointe repose en bonne partie sur le développement de grappes d’innovation : des centres industriels concentrés sur le plan géographique et composés d’un certain nombre d’éléments (voir la figure 3.1). Contrairement au mythe populaire selon lequel le secteur privé canadien n’a pas l’esprit d’entreprise, voici ce qu’on a dit au Comité : « Je conteste l’idée selon laquelle le gène de l’entrepreneur ne ferait pas partie du bagage génétique des Canadiens. … Le génome canadien contient le gène de l’entrepreneur ». [Calvin Stiller; 29, 9:35] Ce qui semble manquer, c’est une certaine force d’intégration ou fonction de coordination pour réunir les éléments entre eux.

Nous entendons parler de nombreux cas de réussites. Il faut bien comprendre, si nous voulons améliorer les choses, que nous avons trois solitudes. Il y a les gens, l’argent et la technologie. Au Canada, nous sommes assez bien pourvus sur les trois plans. Ce que nous ne réussissons pas à faire bien souvent, c’est les réunir, et encadrer les gens, ou placer l’argent au bon endroit ou trouver les bonnes personnes et l’argent pour soutenir la technologie. [David Mowat; 29, 9:20]

            L’existence des ces trois solitudes se manifeste au sein d’une industrie particulièrement importante pour l’avenir du Canada, celle de la biotechnologie, et le problème a été décrit de la façon suivante :

On m'a invité à prendre la parole devant une grande société canadienne d'investisseurs en capital de risque [] c’était l’équivalent d’un cours élémentaire en génétique. Ces gens-là avaient 20 ans de retard sur leurs homologues américains C’était il y a cinq ans de cela. [Allan Bernstein; 23, 11:20]

            Il en va de même dans certains secteurs plus traditionnels de l’économie canadienne, notamment celui de l’automobile. À l’heure actuelle, la presque totalité de la recherche dans l’industrie automobile — du moins l’essentiel de celle-ci — se fait à Windsor, qui se trouve aussi à être situé dans un rayon de 50 à 100 kilomètres de route des importants centres de recherche du Michigan, où les fabricants d’automobiles ont leur siège social. Le choix de Windsor est manifestement stratégique de la part de l’industrie. Pourtant, le CNRC propose d’ouvrir un centre de recherche automobile à London, en Ontario, soit à plus de 180 kilomètres au nord de Windsor. L’application de la stratégie des grappes dans le secteur de l’automobile laisserait donc à désirer, à en juger par les directions différentes que semblent vouloir emprunter les diverses parties concernées.

Transfert de technologie, incubation et entreprises dérivées au CNRC

            Avec sa conception entièrement nouvelle ou repensée, le CNRC adopte maintenant ce qu’on pourrait appeler une stratégie dynamique et entrepreneuriale pour stimuler l’innovation au Canada. Son président a dressé la liste de quelques-unes des réalisations du Conseil à ce chapitre :

En ce qui concerne le CNRC lui-même, je vous dirais que depuis 1995, nous avons activement encouragé la création de nouvelles entreprises en assouplissant l’accès à nos titres de propriété intellectuelle, à notre technologie et à nos connaissances. Au cours des cinq dernières années, nous avons créé 45 nouvelles sociétés, dont une quarantaine sont des entreprises nouvelles et dérivées []

[Arthur Carty; 29, 9:05]

Environ 150 entreprises dérivées des laboratoires gouvernementaux, dont, je dirais, 110 du Conseil national de recherches [] et [] près de 800 dérivées des travaux de recherche menés dans des universités canadiennes. Ces entreprises génèrent environ 2 milliards de dollars de ventes et environ 12 000 emplois. Nos propres estimations quant aux retombées découlant des seuls travaux de recherche du CNRC établissent à environ 7 000 le nombre d’emplois créés — sur une période de temps assez longue, bien sûr — et à 1,2 milliard de dollars le montant des ventes annuelles générées. [Arthur Carty; 29, 9:05]

            Ces réalisations sont le résultat du programme ou de la stratégie d’incubation du CNRC. Comme l’indique la pièce 11.2, le transfert de technologie à l’industrie en vertu de cette stratégie se fait de trois façons. La voie de la recherche en collaboration suppose un partage du financement et de la gestion des travaux de recherche à moyen et à long termes avec des partenaires de l’industrie (et peut faire intervenir plus d’une entreprise ainsi que des partenaires universitaires). Les chercheurs travaillent en collaboration avec les équipes du CNRC. Le CNRC consent aussi à ses clients industriels le droit d’exploiter, pour une période donnée et à des fins précises, une technologie qu’il a développée. Le choix de recourir ainsi à des contrats de licence résulte parfois de recherches menées en collaboration et procure généralement des recettes qui sont réinvesties pour maintenir le cycle de la découverte à l’innovation au marché. Toutefois, la façon la plus rapide de transférer ou de commercialiser une technologie consiste à créer une entreprise dérivée ou nouvelle, en vertu de laquelle le soutien offert par le CNRC prend différentes formes : formation, conseils, aide financière et en gestion.

Pièce 11.2
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            La plupart des instituts de recherche du CNRC peuvent accueillir en incubation de petites entreprises technologiques. La co-occupation des laboratoires du CNRC facilite énormément le processus et les installations d’incubation du CNRC comptent aujourd’hui 65 locataires. La pièce 11.3 illustre les divers éléments et activités du processus d’incubation, mais voici la description qui en a été faite au Comité :

Je vais simplement vous donner une idée du processus d’incubation. Ici, au centre, se trouve l’entreprise, à savoir l’entreprise nouvelle ou dérivée qui a besoin [] d’avoir accès à la R. et D., à la planification d’entreprise, à la capitalisation et au développement d’entreprise. Elle profite de la synergie créée par les autres entreprises en incubation. Bien sûr, le capital est là. D’autres services, par exemple, des services de réseautage, sont également accessibles. C’est l’idée de l’incubation, soit de fournir à ces entreprises l’oxygène et les moyens dont elles ont besoin pour survivre, avoir l’impulsion nécessaire et grossir pour devenir de moyennes et grandes entreprises. [ Arthur Carty; 29, 9:10]

Pièce 11.3
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            Le Comité est abasourdi par les partenariats d’entreprises que le CNRC a réussi à forger avec l’industrie et croit que ces réussites, bien que trop nombreuses pour être énumérées ici, constituent une façon fascinante et efficace de s’attaquer au problème. Si la BDC s’occupait de l’aspect financier en fournissant le capital de risque nécessaire et si le CNRC se chargeait, quant à lui, de l’aspect technologique, nul doute que l’initiative aurait beaucoup de succès. En travaillant en tandem, la BDC et le CNRC pourraient stimuler l’innovation dans toutes les régions du Canada. En conséquence, le Comité recommande :

18. Que le gouvernement du Canada demande à la Banque de développement du Canada et au Conseil national de recherches du Canada d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie conjointe d’aide à l’incubation et au transfert de technologie. Cette stratégie devrait être de nature à stimuler la participation des sociétés privées d’investissement en capital de risque et des fonds de travailleurs.