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HUMA Rapport du Comité

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LA MODIFICATION DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

Des décisions judiciaires récentes concernant le CIPH ont fait valoir que l’admissibilité devrait être déterminée individuellement et que le CIPH devrait être accordé à un requérant qui peut faire la preuve qu’il lui faut un temps excessif, en raison de son handicap, pour exécuter des tâches de la vie courante. Le ministère des Finances, de son côté, semble estimer que la Loi de l’impôt sur le revenu permet d’adopter des politiques d’admissibilité qui excluent toutes les demandes émanant de personnes appartenant à certains groupes (p. ex., les personnes atteintes de la maladie coeliaque, les asthmatiques). Dans ce genre de cas, le ministère estime savoir ce qu’entendait faire le Parlement lorsqu’il a adopté cette loi, même si, à l’époque, le Parlement n’avait même pas envisagé ces questions précises. Il est à craindre, si le Parlement accepte le point de vue suggéré par le ministère des Finances dans les modifications qu’il vient de proposer, que rien ne vienne empêcher d’autres modifications excluant d’autres groupes pour les mêmes motifs.

La plus récente tentative d’exclusion s’est produite en août 2002 lorsque le gouvernement a proposé une série de modifications aux dispositions de la Loi relatives au CIPH, selon lesquelles le fait de « s’alimenter » serait défini comme étant « l’acte physique de mettre de la nourriture dans sa bouche ou de l’avaler ». Selon le ministère, cela permettrait de clarifier pour les requérants et pour les juges de la Cour de l’impôt :

[…] le fait de s’alimenter […] ne comprend donc pas, par exemple, les activités liées au choix, à la recherche, à la préparation et à la cuisson des aliments, à la lecture des étiquettes et des recettes et au lavage de la vaisselle[9].

Selon le gouvernement, les modifications « sont proposées en réponse au récent jugement d'un tribunal et rendent les critères d’admissibilité conformes à l’esprit de la politique qui veut que le CIPH vise les personnes dont la capacité d’accomplir les activités courantes de la vie quotidienne est fortement limitée[10] ».

Mais ces propositions font exactement le contraire et modifient la Loi pour infirmer l’interprétation des juges et ramener les règles applicables au CIPH à ce qu’elles signifiaient à l’origine selon le ministère (et non seulement les tribunaux ou le Parlement). Le ministère est d’avis que l’interprétation des tribunaux est erronée parce que, conformément aux décisions judiciaires relatives au fait de s’alimenter, ces décisions accorderaient l’admissibilité à toute personne se trouvant dans une situation alimentaire spéciale. Le Comité estime que cette affirmation n’est pas exacte. Dans ses décisions (auxquelles les modifications donnent suite), la Cour établit clairement qu’un requérant aura droit au CIPH si et seulement si il est en mesure de faire la preuve qu’il lui faut un « temps excessif » pour exécuter la tâche de s’alimenter lui‑même.

S’agissant de s’alimenter soi‑même, cependant, les modifications proposées semblent appliquer une norme de « limitation marquée » qui exclut absolument toute personne assujettie à une restriction alimentaire médicale, quelle que soit la gravité ou le caractère handicapant de cette restriction. Le gouvernement semble appliquer une norme absolue supérieure qui déborde largement la norme applicable à d’autres handicaps. Si cette norme était appliquée à d’autres handicaps, cela ferait « monter la barre » de l’admissibilité au CIPH (p. ex., une incapacité partielle à marcher, entendre ou voir ne donneraient plus droit au crédit). Il faudrait être totalement grabataire, sourd, aveugle, etc. Nous estimons, et les tribunaux confirment notre point de vue, que l’intention du Parlement était que l’on prenne des décisions individuelles et non que l’on exclue des catégories ou groupes entiers de requérants en fonction de la cause de leur invalidité. La perspective du gouvernement semblerait donc s’écarter de l’intention du Parlement, exprimée dans les formulations claires de la Loi.

Nous craignons que, si le Parlement accepte les modifications proposées, celui‑ci (ou le Comité) acceptera aussi, implicitement, le point de vue restrictif du ministère. Par contre, en rejetant les modifications, nous rejetons également l’interprétation du ministère pour y substituer notre propre point de vue fondé sur le respect et la compassion et fidèle au véritable objet de la Loi. Nous sommes fermement convaincus que la Loi vise à indemniser les contribuables handicapés pour certains des frais supplémentaires qu’ils doivent engager en raison de leur invalidité.

Ni le Comité ni les tribunaux ne proposent d’accorder le CIPH à quiconque est atteint d’une invalidité, mais nous ne voulons pas non plus le refuser indûment. Dans la décision Johnston, le juge Létourneau déclare que« la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante ». Nous sommes d’accord. Le juge ajoute que « ces dispositions ne doivent pas recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l’intention du législateur, voire irait à l’encontre de celle-ci », qui est « d’accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L’intention n’est pas d’accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées[11] ».

Mais le simple rejet des modifications proposées pourrait ne pas clarifier les intentions du Parlement concernant le crédit d’impôt pour personnes handicapées. Nous estimons que la situation doit être clarifiée pour le bien des bénéficiaires actuels et à venir.

Nous estimons que le ministre des Finances a fait un premier pas dans le bon sens lorsqu’il a décidé, le 29 novembre 2002, de retirer les modifications qu’il avait proposées le 30 août 2002 et de « reconsidérer » le traitement des personnes atteintes de troubles alimentaires. Il a également demandé au ministère des Finances d’approfondir les consultations concernant les nouvelles propositions. Les questions d’admissibilité associées à l’administration du CIPH ne sont cependant pas limitées (de façon marquée ou autrement) à la nature du handicap relatif au fait de s’alimenter ou de s’habiller.

Recommandation 1

Le Comité recommande au ministre d’attendre que l’on ait fait un examen complet et exhaustif de tous les critères d’admissibilité au crédit d’impôt pour personnes handicapées avant de proposer de nouvelles modifications, quelles qu’elles soient. Cet examen devrait se faire de concert avec des représentants des personnes handicapées et des professionnels de la santé.

LES CRITÈRES D’ADMISSIBILITÉ AU CIPH

Dans son premier rapport, intitulé Un système plus juste pour les Canadiens : Le crédit d’impôt pour personnes handicapées, le Comité a fait plusieurs recommandations visant à modifier l’article 118.4 [nature du handicap] de la Loi de l’impôt sur le revenu. Certaines de ces recommandations visaient simplement à veiller à ce que cette disposition reste fidèle aux récentes décisions des tribunaux, mais le gouvernement a estimé qu’elles modifiaient les conditions d’admissibilité au CIPH. Nous ne sommes pas d’accord avec ce point de vue non plus qu’avec le traitement abrupt réservé à ces recommandations dans la réponse du gouvernement. Selon la réponse du gouvernement, « il ne faut pas perdre de vue que le CIPH a pour objectif de reconnaître l’effet qu’ont les coûts supplémentaires engagés en raison d’une déficience grave et prolongée sur la capacité de payer de l’impôt d’un individu. Les changements que le Comité propose doivent faire l’objet d’un examen plus poussé afin de s’assurer que l’objectif de la politique est respecté[12] ».

Le Comité a énormément de difficulté à saisir en quoi ses recommandations compromettent l’objectif de la politique du CIPH. Nous proposons des modifications à l’article 118.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu qui permettraient de consolider et non d’affaiblir les dispositions statutaires sous-tendant l’objectif de la politique en question. 

Les tâches ordinaires de la vie courante

Dans son premier rapport sur le CIPH, le Comité recommandait plusieurs changements à l’article 118.4 concernant les tâches ordinaires de la vie courant afin de mieux traduire la jurisprudence récente. Il recommandait plus précisément d’ajouter la fonction de « respiration » à la liste des tâches quotidiennes de la vie courante, de remplacer « la perception, la réflexion et la mémoire » par « la perception, la réflexion ou la mémoire » et de remplacer « le fait de s’alimenter et de s’habiller » par « le fait de s’alimenter ou de s’habiller ». Le gouvernement n’a pas donné de réponse directe à cette recommandation[13].

Le Comité estime également que les critères statutaires associés au fait de parler et d’entendre, qui supposent que ces tâches ordinaires de la vie courante se produisent « dans un endroit calme » et « avec une personne de sa connaissance », sont absurdes et contraires à l’expérience réelle des personnes atteintes d’un handicap. La réponse du gouvernement n’aborde pas directement la recommandation du Comité concernant la modification de ces critères compte tenu de la réalité quotidienne.

La déficience prolongée

Selon l’alinéa 118.4(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la déficience doit être « prolongée » pour donner droit au CIPH. Nous comprenons que la durée de la déficience doit s’étendre dans le temps, mais nous n’acceptons pas la définition actuelle du terme « prolongé » (période continue de 12 mois). Cette définition est trop restrictive et exclut beaucoup de gens atteints d’un handicap grave et durable. Par ailleurs, ces handicaps graves, mais périodiques, supposent également des frais supplémentaires non discrétionnaires associés aux activités ordinaires de la vie courante, ce qui, bien entendu, entrave la capacité de ces personnes à payer des impôts au même titre que les personnes dont le handicap dure au moins 12 mois sans interruption. L’élément crucial qui permet de déterminer le caractère prolongé du handicap devrait être son existence continue ou récurrente sur une longue période. Le gouvernement n’a pas donné de réponse directe à notre première recommandation concernant le besoin de modifier la définition d’une déficience « prolongée ».

La limitation marquée dans l’exécution d’une ou plusieurs tâches ordinaires de la vie courante

Pour avoir droit au CIPH, la personne doit être limitée de façon marquée dans l’exécution d’une ou plusieurs tâches ordinaires de la vie courante. Selon l’alinéa 118.4(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une limitation marquée est une limitation telle que la personne est « toujours ou presque toujours » incapable d’exécuter une ou plusieurs tâches ordinaires de la vie courante. Le ministère des Finances nous a dit à plus d’une occasion que, selon l’interprétation administrative de ces termes, cela signifie 90 % du temps ou plus. C’est peut‑être l’interprétation administrative employée par le ministère des Finances ou l’ADRC à l’égard d’autres questions fiscales (p. ex., déductions pour dépenses d’entreprise), mais le Comité s’oppose à son emploi comme point de repère dans la quantification de l’incapacité à exécuter des tâches ordinaires de la vie courante. Nous sommes d’avis que cette interprétation est issue d’une démarche furtive passant par l’adoption de modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu promulguées en 1994 sans que l’on ait expliqué comment le ministère des Finances avait l’intention d’appliquer ou « d’interpréter » ces modifications. Il est évident, par exemple, qu’une personne incapable d’exécuter une tâche ordinaire de la vie courante 75 % du temps est limitée de façon marquée à cet égard. De plus, il conviendrait peut‑être mieux d’employer un seuil différent selon le type de handicap. Comme nous le rappelons dans Un système plus juste envers les Canadiens : Le crédit d’impôt pour personnes handicapées, les personnes qui, par exemple, sont incapables de se rappeler quelque chose la moitié du temps peuvent être limitées de façon plus marquée dans la vie courante que les personnes qui ne peuvent pas entendre 90 % du temps.

Cette interprétation administrative est encore plus astreignante si l’on considère le fait que la règle des 90 % est appliquée individuellement à chaque tâche de la vie courante. Que décider lorsqu’une personne est atteinte de handicaps multiples? Nous pensons que l’effet cumulatif de handicaps multiples peut facilement donner lieu à une limitation marquée dans l’exécution des tâches ordinaires de la vie courante. Lorsque des représentants du ministère des Finances se sont adressés au Comité le 21 novembre 2002, ils lui ont dit qu’il semblait logique de penser qu’une personne atteinte de handicaps multiples, qui, individuellement ne remplissent pas le critère des 90 %, puisse être tout aussi limitée sinon plus dans ses activités qu’une personne atteinte d’un handicap remplissant le critère des 90 %[14]. Malheureusement, ce type d’analyse est limité de façon marquée dans la réponse du gouvernement à notre recommandation à ce sujet.


[9] Notes explicatives, CIPH, ministère des Finances. http://www.fin.gc.ca/drleg/02-071_2f.html.

[10] Ibid.

[11] Johnston c. Canada, [1998] C. F. J. no 169.

[12] Canada, Réponse du gouvernement du Canada au septième rapport du Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées, 21 août 2002, p. 7.

[13] Bien que cela ne fasse pas partie de sa réponse au rapport du Comité, le gouvernement a proposé plusieurs modifications à l’article 118 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Selon l’une d’elles, on remplacerait la formulation « le fait de s’alimenter et de s’habiller » par « le fait de s’alimenter ou de s’habiller ». Ces propositions sont analysées ailleurs dans ce rapport.

[14] Comité permanent du développement des ressources humaines et la condition des personnes handicapées, Témoignages (12 h 45), réunion no 2, 21 novembre 2002.