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FAAE Rapport du Comité

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La complexité dynamique et la diversité du monde musulman sont telles que la production d’un rapport sur le sujet appelle nécessairement plusieurs réserves. Si nous avons décidé d’employer l’expression «  pays du monde musulman  », c’est que celle-ci constitue un raccourci pratique et courant utilisé pour décrire le vaste espace géopolitique qu’occupent les quelque 1,4 milliard de musulmans du monde. Elle englobe en même temps un pays comme l’Inde qui, s’il n’est pas un «  pays musulman  », n’en compte pas moins une minorité musulmane plusieurs fois plus importante en nombre que la population du pays arabe musulman le plus populeux du Moyen-Orient, et les diasporas musulmanes de plus en plus nombreuses des pays occidentaux, notamment du Canada.

Comme il est précisé dans la préface, l’étude a un caractère purement exploratoire, et le Comité ne prétend aucunement avoir épuisé le sujet ni formulé des prescriptions faisant autorité. Par exemple, le Comité s’est rendu en Asie, où se trouvent la majorité des musulmans du monde, de même qu’au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, mais nous n’avons pas du tout abordé la question du rôle de l’islam dans l’Afrique subsaharienne. Nous n’avons pas non plus traité des questions théologiques au-delà de leur impact potentiel sur les relations internationales et la politique étrangère. Il faut dire aussi que nos observations dans les régions et les pays dans lesquels nous nous sommes rendus étaient nécessairement limitées et qu’elles devront être interprétées et corrigées au besoin en fonction de l’évolution de la situation.

Compte tenu de l’étendue et de la variabilité des facteurs en cause, et pour que l’on puisse accorder au monde musulman l’attention qu’il mérite, le Comité recommande d’abord au gouvernement du Canada de veiller à ce que les décisionnaires canadiens disposent des ressources dont ils ont besoin pour analyser les événements et agir avec efficacité dans l’intérêt des Canadiens.

Abstraction faite des observations concernant les régions ou pays particuliers dont il est question dans le rapport, l’étude et les réflexions du Comité ont permis de dégager un certain nombre de constats d’ordre général, dont il est fait état ci-dessous. Le Comité y voit des facteurs clés dont il faut obligatoirement tenir compte dans l’élaboration d’une politique étrangère canadienne prospective et constructive propre à solidifier nos relations avec les pays du monde musulman.

L’islam : un monde hétérogène d’une extrême complexité

Si tous les musulmans appartiennent à la communauté religieuse des disciples de l’islam (l’oumma) présente dans le monde entier, il est important d’éviter les écueils que sont les stéréotypes, les généralisations abusives et les simplifications excessives qui risquent de fausser l’élaboration de la politique. Nous faisons remarquer dans notre rapport que l’islam est loin de représenter un tout monolithique, au contraire. L’islam est un monde extrêmement hétérogène parfois caractérisé par de vives disparités entre diverses factions religieuses, écoles de pensée, interprétations juridiques et pratiques socioculturelles. Il existe des différences considérables entre les quelques pays que le Comité a visités et il a aussi parfois des divergences de vues notables à l’intérieur des pays dans la façon d’aborder l’islam. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de points de référence ou d’objectifs communs : pensons par exemple à la promotion de formes de démocratie pluralistes respectueuses des droits de la personne. Mais cela veut dire par contre que la politique étrangère doit être sensible à la grande diversité des situations et à leur évolution rapide faute de quoi elle risque d’être mal adaptée, inefficace ou les deux. Bref, les relations du Canada avec le monde musulman ne peuvent être taillées suivant un modèle unique. Elles doivent être ajustables au gré de l’actualité et bien adaptées aux besoins particuliers de pays divers et en constante évolution.

Mieux faire connaître l’islam et en comprendre la portée politique

Bien que la proportion des musulmans ne cesse de croître dans la plupart des pays occidentaux, notamment au Canada, ces pays connaissent encore assez mal l’islam et son influence dans le monde. Certes, les médias et les pouvoirs publics font grand cas des manifestations politiques violentes associées à l’islam, en particulier du terrorisme par attentat suicide, mais en focalisant ainsi l’attention sur un élément particulier d’une réalité extrêmement complexe, on risque aussi de fausser cette réalité. Or, pour bien comprendre l’influence de l’islam sur les gouvernements et les politiques publiques, sur les relations socio-économiques, sur les valeurs culturelles, sur les droits collectifs et les droits individuels, et le reste, il faut nécessairement regarder bien au-delà de la frange de l’activité islamiste où se trouvent des groupes minoritaires violents et extrêmes. En plus de s’interroger sur les racines de cette violence, il importe de mieux comprendre la force politique de plus en plus dominante de l’islam. Ainsi, il nous apparaît important de mieux nous informer et de mieux communiquer ce que nous aurons appris et, pour cela, nous donner davantage d’occasions d’écouter et d’entendre les représentants des courants modérés de l’islam au Canada et ailleurs dans le monde.

Surmonter un héritage fait de subjugation, d’humiliation et de peur

Le fardeau de l’histoire et des événements tragiques récents pèse lourd sur de nombreux pays et communautés du monde musulman. Les frontières et les régimes issus de l’impérialisme, du colonialisme et des interventions des grandes puissances font souvent abstraction des droits des populations locales. Ils ont même parfois contribué à des conflits mortels qui s’éternisent — notamment au Moyen-Orient où le conflit israélo-arabe demeure une grande source de griefs et de tensions entre le monde musulman et l’Occident. Le sentiment d’isolement et d’humiliation des populations musulmanes est exacerbé par l’impression de beaucoup que l’on s’en prend injustement à l’islam pour les attentats terroristes de ces dernières années. Les questions politiques se trouvent intimement mêlées aux questions d’identité religieuse. Le climat de peur et de méfiance suscite un profond sentiment de victimisation. Toute stratégie constructive d’amélioration de nos rapports avec le monde musulman doit de toute nécessité viser à surmonter ces problèmes et à dissiper les malentendus en suscitant la confiance par le respect mutuel, c’est à dire en rejetant la voie du «  choc des civilisations  ».

Les considérations démographiques et l’éducation

On note dans le rapport combien les populations de beaucoup de pays musulmans sont jeunes et l’on met en relief le rôle crucial que jouera l’éducation dans l’avenir des sociétés musulmanes. Il faudra en effet beaucoup de nouveaux emplois, et donc des investissements dans le développement économique et social de ces pays, pour répondre à l’arrivée massive de travailleurs sur le marché du travail et éviter instabilité et baisse du niveau de vie. Pourtant, comme le signale le rapport des Nations Unies sur le développement humain dans le monde arabe dans un bilan qui a des applications plus vastes, les perspectives de développement économique sont totalement subordonnées à la résorption des déficits sociaux sur le plan des droits et libertés démocratiques, de l’égalité des sexes, de l’éducation et des connaissances. Dans beaucoup de pays musulmans, ce n’est pas seulement l’enseignement laïc qui fait problème et il pourrait être nécessaire de réformer aussi l’éducation confessionnelle, en particulier là où les écoles confessionnelles (les madrassas) constituent la principale solution abordable pour les familles à faible revenu. Nos relations futures pourraient dépendre de l’aptitude des gouvernements des pays musulmans à offrir une éducation publique de base qui encourage la tolérance et le respect des différences. Ces relations peuvent aussi être améliorées par de plus nombreux échanges d’étudiants et d’universitaires et autres échanges éducatifs entre le Canada et les pays musulmans.

Combler le fossé démocratique

Le présent rapport affirme clairement la compatibilité de l’islam avec la démocratie et le respect des droits de la personne. Il n’en documente pas moins pour autant le grand écart qui continue de persister entre les aspirations démocratiques des majorités musulmanes et la répression des régimes autoritaires sous lesquels une grande partie de ceux-ci continuent de vivre. La situation, dans son ensemble, est partagée. De grandes populations musulmanes bénéficient d’un régime démocratique : l’Indonésie compte la plus grande majorité musulmane, l’Inde la plus grande minorité musulmane, et toutes deux sont des démocraties. D’importants progrès sont en train d’être accomplis par le gouvernement islamiste modéré de Turquie. Cependant, seuls huit des quarante-six pays à majorité musulmane sont des démocraties électorales. Le monde arabo-musulman a été décrit comme une «  zone dépourvue de démocratie  » que les mouvements de démocratisation modernes auraient oubliée. C’est un abysse, et non un simple fossé, qui y sépare les élites au pouvoir de la masse de la population. Les élections truquées qui ont récemment eu lieu en Iran ont mis un terme aux espoirs de réforme dans ce pays. Le présent rapport conclut que la politique du Canada et des autres pays occidentaux doit être claire et cohérente dans son soutien marqué aux changements démocratiques dans tout un éventail de contextes musulmans.

Obtenir des progrès en matière de respect des droits de la personne et du statut de la femme

Le présent rapport souligne également que la nature et la teneur des changements démocratiques doivent, dans les pays musulmans, aller dans le sens de l’égalité des droits de la personne pour tous. Il est particulièrement important, à cet égard, de distinguer entre les enseignements de l’islam et des pratiques socioculturelles traditionnelles qui peuvent être extrêmement discriminatoires, tout particulièrement envers les femmes. Mme Shirin Ebadi, avocate iranienne des droits de la personne qui a reçu le Prix Nobel de la paix en 2003 et première femme musulmane à recevoir un tel prix, fait partie de ceux qui défendent l’idée que la doctrine de l’islam n’est pas en conflit avec les principes fondamentaux qui régissent les droits de la personne au niveau international. L’obtention de progrès en matière de droits de la femme doit donc constituer l’un des soucis explicites de la politique canadienne à l’égard des pays musulmans.

Protéger les droits des minorités, ainsi que ceux des autres groupes et personnes vulnérables

Parmi les atteintes aux droits de la personne relevées par le présent rapport, il convient de noter celles subies par les minorités musulmanes dans les pays non musulmans, ainsi que celles subies, dans les pays musulmans, par des minorités religieuses, ethno-culturelles ou autres, et tout particulièrement par des minorités vulnérables ayant dans le passé subi une discrimination systémique. Dans un certain nombre de ces pays, on constate également d’importantes restrictions imposées aux libertés fondamentales et, dans certains de ceux-ci, les violations flagrantes des droits de la personne demeurent choses courantes. Musulmans et non musulmans doivent travailler de concert afin d’imposer la primauté du droit et de créer les conditions d’un pluralisme démocratique au sein duquel toute personne et tout groupe puissent jouir de droits égaux et d’une même protection devant la loi. Les droits des minorités doivent constituer l’un des soucis explicites de la politique canadienne à l’égard des pays musulmans. De plus, la politique canadienne doit, au-delà des cas particuliers, et très médiatisés, de violation des droits de la personne subis par certains citoyens canadiens, se prononcer très clairement en faveur du respect des droits de la personne dans les pays musulmans chaque fois que ceux-ci y sont violés.

Encourager et soutenir les réformes allant dans le sens de la démocratie et des droits de la personne

Tout en se prononçant clairement en faveur d’un soutien aux réformes allant dans le sens de la démocratie et des droits de la personne dans l’ensemble du monde musulman, le présent rapport prend le soin de préciser qu’il ne saurait en aucune façon être question de vouloir exporter ou imposer «  notre modèle  » hors de notre pays. Les encouragements et le soutien requis, qui découlent d’une obligation commune d’instaurer des normes de droits reconnues internationalement, devraient prendre la forme d’une collaboration aussi étroite que possible avec les gouvernements et les organisations de la société civile des pays concernés. Parallèlement, et comme l’a souligné Noah Feldman, expert américain en matière de démocratie islamique, l’expérience que possède le Canada de la résolution des différences multiculturelles et de l’intégration d’immigrants d’origines variées peut se révéler utile aux pays qui doivent relever le défi que constitue l’adoption de réformes allant dans le sens de la démocratie et des droits de la personne. L’approche réfléchie du Canada dans le domaine de ces réformes peut constituer un atout de taille pour ceux et celles qui travaillent en vue de telles réformes dans les pays musulmans.

Promouvoir le partage des connaissances, le partenariat et le dialogue

Le présent rapport souligne également que bien des leçons peuvent être tirées de l’expérience accumulée par d’autres pays, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’apprendre des erreurs commises et de savoir ce qui doit être évité dans les pays musulmans ou non musulmans. Aucun pays ne détient toutes les réponses. Des partenariats doivent donc être établis au niveau international entre les organisations multilatérales, les pouvoirs publics, les intervenants non gouvernementaux et les organismes de la société civile. Les activités interculturelles et interconfessionnelles qui contribuent à un dialogue fructueux entre les civilisations et au sein des civilisations doivent également être encouragées.

Inclure les musulmans canadiens et favoriser une participation publique élargie

Les ressources qui sont propres à la société canadienne, en particulier les idées et les compétences des membres des communautés musulmanes, qui ne cessent d’augmenter au Canada, devraient également constituer un important facteur d’apprentissage et d’accroissement des connaissances. Le présent rapport constate que de nombreux musulmans canadiens souhaitent jouer un rôle plus important dans l’élaboration de la politique étrangère canadienne. Leurs compétences pourraient de plus s’avérer extrêmement utiles pour accroître la capacité du Canada à renforcer ses relations diplomatiques avec les régions et les pays clés du monde musulman. Par ailleurs, il est important que l’ensemble du public canadien s’intéresse plus aux questions qui touchent aux relations du Canada avec le monde musulman. Le présent rapport invite le gouvernement à encourager sa participation, surtout dans le cadre de l’examen de la politique internationale qui doit avoir lieu.

Renforcer la présence et l’efficacité diplomatiques du Canada dans le monde musulman

Un point sur lequel sont revenus fréquemment, et avec insistance, les témoins entendus par le Comité, tant ici qu’à l’étranger, est que le Canada devrait s’efforcer d’avoir une présence plus visible et plus efficace dans le monde musulman. Nombreux ont été les témoins qui ont déclaré que les Canadiens bénéficient déjà d’une bonne image et d’un bon accueil dans les pays musulmans, même si le Canada demeure souvent encore mal connu. Notre pays est surtout apprécié en tant que modèle de société pluraliste et accueillante, partisane du multilatéralisme, et capable de se démarquer par son indépendance sur la scène internationale, tout en gardant des liens étroits avec un voisin qui est la plus grande puissance mondiale. Le Canada a été pressé de jouer un rôle plus actif, et plus influent, dans les relations avec les pays musulmans et d’y affirmer avec plus de force son identité. Le présent rapport recommande à cette fin, et entre autres mesures : une représentation accrue, si nécessaire, dans ces régions/pays; des initiatives canadiennes et des échanges en matière de diplomatie publique, de culture, d’éducation et d’autres activités liées à la connaissance, ainsi que projets en partenariat avec le secteur privé et les organisations non gouvernementales (ONG).

Renforcer les moyens de la politique étrangère canadienne dans le cadre d’une approche stratégique du monde musulman

Pour conclure, le présent rapport réitère un point souligné dans les précédents rapports du Comité, à savoir que des initiatives politiques telles que celles précédemment évoquées, aussi justifiées et bien intentionnées qu’elles puissent être, auront peu d’effet si elles ne sont pas accompagnées des moyens et des ressources requis pour les mener à terme. La première recommandation du présent rapport, qui invite le gouvernement à adopter, dans ses relations avec les pays musulmans, une approche prospective stratégique, est ainsi suivie de plusieurs recommandations pratiques, notamment accorder un soutien permettant d’accroître les ressources linguistiques et analytiques du pays. Faute de tels outils de politique étrangère, l’objectif qui consiste à renforcer nos relations avec les pays du monde musulman risque de demeurer lettre morte. Prenant l’Europe en exemple, le présent rapport recommande également que le gouvernement envisage d’établir, au sein du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, un mécanisme de coordination des activités de dialogue avec les pays du monde musulman.