À la suite du débat sur le projet de loi C-474, Loi
concernant le Règlement sur les semences (analyse du risque potentiel), le
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (ci-après le Comité)
a décidé d’étudier la situation du secteur de la biotechnologie agricole et
agroalimentaire au Canada. Les membres souhaitaient recueillir de l’information
sur les différents intervenants de ce secteur, les possibilités que la
biotechnologie offre à l’industrie agricole et agroalimentaire canadienne et
les difficultés que les intervenants rencontrent face au développement des
biotechnologies. Le Comité souhaitait ainsi évaluer les besoins en politiques
publiques pour que ce secteur soit productif, compétitif et novateur et qu’il
profite au secteur agricole et agroalimentaire canadien.
Le Comité a tenu une dizaine d’audiences publiques
entre les mois de décembre 2010 et mars 2011 à Ottawa, Guelph (Ontario) et
Saskatoon (Saskatchewan). Il a entendu des chercheurs, des entreprises, des
organisations agricoles et des groupes représentants des citoyens intéressés
par les effets du développement des biotechnologies. Le Comité a également
visité des institutions de recherche publiques et privées à travers le pays.
Ce document présente une synthèse des enjeux
abordés par les témoins lors des audiences publiques. Après un rapide survol
des thèmes qui ont été abordés lors des audiences publiques, le document
présente les idées qui ont été présentées en Comité pour chaque grand thème.
Les témoins ont tout d’abord donné leur vision de
ce que sont les biotechnologies. Celles-ci représentent plus que les cultures
transgéniques ou génétiquement modifiées (GM ou OGM); de nombreux autres
procédés biotechnologiques sont utilisés dans l’amélioration des plantes et des
animaux, mais aussi dans la transformation agroalimentaire et industrielle. Les
échanges avec les membres du Comité ont porté sur l’évolution des
biotechnologies, leurs avantages du point de vue de l’innovation agricole et de
leur importance pour l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation dans le
monde.
Une bonne partie des discussions ont porté sur les
cultures GM, car ces dernières ont monopolisé le débat public sur les
biotechnologies au cours des dernières années. Les témoins ont présenté les
avantages et les inconvénients des OGM pour l’environnement, la santé, mais
aussi pour l’économie canadienne. Ils ont parlé de l’importance d’une
réglementation adéquate et donné leur avis sur la manière dont celle-ci doit
évoluer au Canada. La question de la coexistence des cultures GM avec les
variétés « traditionnelles » ou biologiques a également été soulevée
ainsi que le besoin d’instaurer ou de renouer le dialogue entre les partisans
et les opposants à cette technologie.
Les questions liées à la recherche et au
développement ont également été discutées. Les témoins ont insisté sur leur
vision du financement de la recherche. Ils ont aussi mis de l’avant les effets
de la réglementation sur la recherche et le développement, notamment la
réglementation concernant la propriété intellectuelle et l’homologation des
nouveaux produits.
La biotechnologie est définie largement comme les
applications scientifiques qui mettent en cause l’utilisation d’organismes
vivants ou de parties de ceux-ci, y compris de gènes, pour élaborer de
nouvelles méthodes de production et fabriquer de nouveaux produits. Elle
englobe le génie génétique (GG), qui consiste à modifier intentionnellement le
matériel génétique d’un organisme d’une façon qui ne se produit pas
naturellement, notamment en insérant des gènes étrangers, et diverses
techniques moléculaires non issues du GG.
Les témoins ont distingué la biotechnologie
traditionnelle (par exemple l’utilisation de levure pour la fermentation) et la
biotechnologie moderne. La biotechnologie moderne regroupe des méthodes
relativement récentes qui ont fortement progressé dans les 10 dernières
années : par exemple la génomique, la biofortification, le marquage
moléculaire, etc. La technologie moderne la plus connue étant le génie
génétique qui aide à la production des organismes génétiquement modifiés.
Il y a clairement deux visions quant à l’évolution
de la biotechnologie moderne. Certains pensent que les méthodes récentes sont
la continuité des méthodes plus anciennes alors que d’autres pensent qu’il y a
eu un changement plus radical avec l’arrivée du génie génétique :
- Des témoins considèrent que le génie génétique est un procédé fondamentalement différent des autres technologies, parce qu’il permet d’introduire un gène étranger dans un organisme.
- D’autres témoins pensent que la sélection des plantes s’est toujours appuyée sur l’introduction de nouvelles caractéristiques souvent à l’aide de méthodes éloignées de la nature comme la mutagénèse : des milliers de gènes ont été intégrés aux cultures provenant d’espèces avec lesquelles il n’existe aucune compatibilité à l’état sauvage sans l’aide du génie génétique.
Bien que la législation canadienne utilise une
définition large de la biotechnologie, certains témoins ont limité leurs
interventions sur la biotechnologie au seul génie génétique, car selon eux la
biotechnologie ne peut pas être considérée comme un tout homogène. Les témoins
ont souligné la confusion qui peut exister chez le public entre biotechnologie
et génie génétique : la biotechnologie étant plus que les OGM alors que
les réserves émises à propos de la biotechnologie le sont exclusivement au
sujet des OGM.
Les témoins ont mentionné et décrit de nombreuses
méthodes de la biotechnologie moderne incluant la génomique, la protéomique,
les marqueurs moléculaires, la culture de tissus, l’accumulation pyramidale de
gènes, le criblage de mutation locale dans le génome, la mutagenèse ciblée, le
génie génétique et la bio-informatique. Ces méthodes interviennent à
différentes étapes de la recherche et du développement d’un nouveau produit.
Par exemple, la génomique est l’étude de
l’ensemble des renseignements relatifs à l’hérédité ou du « génome »
d’un organisme, y compris les gènes et aussi les régions non codantes de l’ADN
ou de l’ARN qui peuvent servir à d’autres fonctions et avoir des effets sur
l’expression des gènes. La culture de tissus consiste à faire pousser des
plantes identiques à partir des cellules d’une seule plante et permet de gagner
du temps pour le développement d’une nouvelle variété. Le génie génétique quant
à lui consiste à introduire un gène étranger dans le génome d’un organisme.
Un nouveau produit peut-être développé en
utilisant une ou plusieurs de ces méthodes. Parmi les produits commercialisés
ou à l’étape de la recherche, les témoins ont notamment parlé :
- De nouvelles variétés de culture ayant des caractéristiques comme la tolérance à la sécheresse ou à d’autres stress (le froid et le sel), la résistance à des maladies, ou qui utiliseraient plus efficacement l’azote du sol, etc.
- Des aliments ou suppléments alimentaires comme des produits enrichis en acide gras Omega-3.
- Des médicaments et vaccins. De nombreux médicaments existants sont produits grâce au génie génétique (par exemple, l’insuline).
- Des animaux modifiés pour répondre à des exigences de production : par exemple un porc génétiquement modifié pour réduire ses rejets en phosphore (Enviropig) et un saumon modifié pour grossir plus rapidement.
Le changement technologique est au cœur de la
croissance de la productivité agricole depuis les 150 dernières années.
L’innovation est nécessaire pour augmenter la productivité agricole à l’échelle
planétaire et répondre aux défis que sont l’augmentation de la population
mondiale, les besoins en eau et les changements climatiques. L’innovation est
également essentielle pour maintenir la compétitivité du secteur agricole et
agroalimentaire canadien par rapport aux pays concurrents qui investissent
massivement dans la recherche et l’innovation.
La biotechnologie est à l’origine d’une part
importante des innovations introduites dans l’agriculture canadienne. De
nombreuses industries attribuent leurs succès actuels à l’innovation en général
et à la biotechnologie en particulier — le soja, le canola, les
légumineuses à grain se sont fortement développés au Canada grâce à l’arrivée
de nouvelles variétés.
Il y a toutefois débat sur le fait que l’on puisse
attribuer ou non l’augmentation des rendements au cours des 10 dernières années
au génie génétique, d’autres facteurs non développés par le génie génétique
pouvant entrer en ligne de compte. Par exemple, l’industrie des légumineuses à
grain a développé de nombreuses variétés grâce à la biotechnologie moderne sans
pour autant avoir recours au génie génétique.
Pour beaucoup, la biotechnologie aurait un rôle
important à jouer dans l’amélioration de la productivité agricole et la
création de nouveaux produits. Toutefois, certains pensent qu’on devrait
essayer de mettre autant d’efforts et de ressources sur la recherche
agronomique et les méthodes d’agriculture biologique.
Certains pensent que le génie génétique n’est pas
la solution à l’augmentation de la productivité agricole et n’est même pas
nécessaire, car on peut arriver aux mêmes résultats par d’autres moyens. À
l’inverse d’autres pensent que le génie génétique est un outil parmi d’autres
qui a sa raison d’être sans pour autant être une solution miracle.
Une part importante des audiences ont porté sur
les OGM et le génie génétique. En effet, le débat sur la biotechnologie porte
en grande partie sur l’acceptation des OGM par les consommateurs et ses
répercussions éventuelles. Les témoignages sont conflictuels sur un grand
nombre d’enjeux et ont été rapportés ici sans leur attribuer un poids relatif
(nombre de témoins en faveur d’un argument par exemple).
Les OGM ont été largement adoptés par les
agriculteurs canadiens depuis le milieu des années 1990 — par
exemple, plus de 80 p. 100 des agriculteurs des Prairies utilisent des
variétés génétiquement modifiées.
Le Canada est au cinquième rang mondial pour la
superficie ensemencée en OGM. Les autres pays qui ont adopté cette technologie
sont les États-Unis, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Brésil. À
l’inverse, certains pays sont encore réticents envers ces produits dont les
pays de l’Union Européenne et le Japon par exemple.
Les OGM sont utilisés depuis le milieu des années
1990 et il n’y a eu aucun cas prouvé de dommage pour la santé ou
l’environnement. Une étude de la Commission européenne portant sur plus de
500 groupes de recherche indépendants a révélé que les OGM sont aussi sûrs
pour la santé et l’environnement que les autres aliments présents sur le
marché. Le Comité consultatif canadien sur les biotechnologies a également
conclu qu’aucune donnée scientifique ne laisse croire que les plantes et
aliments GM présentent plus de problèmes pour la santé et l’environnement.
Les risques sont hypothétiques et difficiles à éprouver.
Il faut donc faire preuve de vigilance et surveiller la santé humaine et
l’environnement après la mise en marché.
Sur
la santé :
- Le génie génétique serait une nouvelle frontière avec des conséquences à long terme encore inconnues. Pour preuve, des études ont révélé des effets possibles sur la santé, ce qui devrait confirmer le besoin de faire plus de recherche. On fait allusion ici à un très petit nombre d’études qui n’ont pas été publiées dans des revues scientifiques arbitrées et qui ont été mentionnées par un petit nombre de témoins. D’autres témoins ont par la suite affirmé que ces études avaient peu de crédibilité scientifique étant donné que leurs résultats allaient à l’encontre de ceux d’un vaste corpus de travaux.
- Les organismes réglementaires sont au courant des nouvelles études et les évaluent. Il est nécessaire d’avoir des protocoles de recherche normalisés afin de pouvoir répéter les résultats d’études et les valider hors de tout doute.
- En terme de risque sur la santé, la clé est d’étudier quel gène a été introduit et ce qu’il produit, car le concept que ce qui est naturel est meilleur est faux (il existe de nombreuses substances naturelles toxiques) de même qu’il est faux de dire que les OGM sont plus sûrs que les autres aliments.
- On parle de risque des OGM mais on connaît peu les risques d’un grand nombre d’autres substances présentes dans les aliments.
Sur
l’environnement :
- Le principal risque vient du fait qu’un gène peut facilement passer d’une variété à une autre ou d’une espèce à une autre. Une fois qu’un gène est transmis à une population sauvage, il peut se disséminer davantage et devenir difficile, voire impossible à contenir.
- On a constaté la contamination des variétés indigènes de maïs au Mexique, ce qui pourrait poser problème pour la conservation de la biodiversité au sein de cette espèce.
- Le saumon GM pourrait faire concurrence aux espèces sauvages.
- Les OGM ne sont pas des catastrophes environnementales. Certaines variétés ont permis l’adoption de pratiques plus respectueuses de l’environnement comme le travail minimal du sol et la diminution de l’utilisation de pesticides. Des études ont cependant indiqué une augmentation du volume de pesticides utilisés pour certaines cultures.
Les agriculteurs ne choisiraient pas les OGM s’ils
ne présentaient aucun avantage. Du point de vue agronomique, les OGM existants
ont permis l’amélioration du contrôle des mauvaises herbes, l’augmentation de
la culture sans labour. Des études ont prouvé que la valeur économique du
canola GM pour les agriculteurs représente plusieurs centaines de millions de
dollars depuis son introduction. Il a permis une augmentation du revenu net des
agriculteurs qui l’utilisent, notamment grâce à une diminution du coût de
certains intrants (carburant, etc.).
L’introduction des OGM n’est toutefois pas sans
risque : l’émergence de mauvaises herbes résistantes à certains
herbicides, le contrôle des semences par les entreprises privées, notamment si
celles-ci possèdent les meilleurs stocks de semence élite. Il pourrait y avoir
une augmentation de la dépendance envers des intrants provenant de l’extérieur
de l’exploitation (ex. technologie sous licence, semences brevetées) et une
augmentation des pratiques de monoculture.
Pour certains, le contrôle sur l’industrie des
semences, n’est pas différent des autres secteurs comme les banques,
l’industrie des engrais, de la machinerie agricole, etc. Les agriculteurs ont
toujours le choix de ne pas acheter les variétés OGM.
La réaction des marchés représente un autre
risque, car l’accès des produits GM à certains marchés internationaux pose
problème. À cause de la réticence de certains marchés, la contamination de
variétés non OGM peut entrainer la fermeture de certains marchés et
d’importantes pertes économiques L’économie a déjà souffert de l’apparition de
certains gènes là où on ne les attendait pas (ex : maïs starlink, le lin transgénique,
etc.).
La dispersion des gènes vers l’agriculture
biologique représente un défi important pour l’agriculture biologique et une
source de pertes de choix : les agriculteurs biologiques affirment qu’ils
ne peuvent plus cultiver de canola biologique, car ils ne peuvent garantir que
leur production ne sera pas contaminée par du canola GM.
Si le porc GM était approuvé pour consommation
humaine, les consommateurs pourraient s’éloigner des produits du porc pour ne
pas prendre le risque de consommer du porc GM. Ceci aurait des conséquences
néfastes pour toute l’industrie.
La réglementation est la base de la confiance du
public envers les produits. Deux visions du système réglementaire canadien ont
été présentées. D’un côté, il y a ceux qui considèrent que la réglementation de
la biotechnologie au Canada fonctionne et qu’il s’agit d’un des meilleurs
cadres de réglementation au monde. Des améliorations peuvent être apportées
sans pour autant le changer radicalement. De l’autre, ceux qui pensent que le
système de réglementation doit être revu et que le gouvernement doit mettre en
œuvre toutes les recommandations contenues dans le rapport de la Société royale
du Canada de 2001, qui s’intitule Éléments de précaution :
recommandations pour la réglementation de la biotechnologie alimentaire au
Canada. Les témoins ont discuté des enjeux suivants :
Les principes scientifiques derrière
l’évaluation des nouveaux produits : Certains
pensent que l’information scientifique disponible démontre que le système de
réglementation actuel fonctionne. Comme il est impossible de prouver qu’il n’y
a aucun risque on doit utiliser le « poids des preuves
scientifiques » et s’assurer que les nouveaux produits « ne posent
aucun risque inacceptable aux êtres humains ou à l’environnement ». Quand 1
étude dit une chose et que 40 autres disent autre chose. Il faut examiner
le poids de la preuve. D’autres pensent qu’il faut adopter le principe de
précaution en matière de réglementation et d’homologation : ils s’opposent
au principe sur lequel s’appuie la réglementation actuelle que les cultures GM
sont en grande partie équivalentes aux cultures traditionnelles. Ils s’appuient
sur un rapport du centre national de recherche des États-Unis qui affirme qu’il
faudrait réévaluer nos méthodes d’étude.
Le besoin d’évaluer les produits au cas par
cas : Le Canada réglemente le produit et non
la façon dont il a été obtenu (la technologie), car par exemple on peut créer
une culture résistante aux herbicides par le génie génétique, ou des méthodes
traditionnelles. La plupart des témoins soutiennent cette approche bien que
quelques-uns souhaiteraient une réglementation qui vise uniquement les produits
du génie génétique. Tous s’accordent cependant pour dire qu’il faut évaluer
chaque produit selon leur mérite. Il a également été mis de l’avant que la
réglementation actuelle traite de la même manière des OGM qui ne présentent
essentiellement aucun risque et des OGM qui présentent des risques significatifs. Il y a trop de réglementation sur les uns et
pas assez sur les autres. Parce que chaque OGM présente un niveau de risque
différent, on devrait mettre en place un système réglementaire à plusieurs
niveaux comme il existe actuellement pour les médicaments. Il a été noté qu’il
n’y a pas de règlement spécifique pour les animaux GM.
La confiance dans le système : Les témoins ont parlé de la nécessité d’inclure le plus d’intervenants
possibles dans le processus réglementaire afin de s’assurer que l’opinion de
ceux qui sont sur le terrain soit sollicitée. Il a été mentionné qu’on pourrait
avoir l’impression que le système réglementaire a été conçu pour avantager les
entreprises, notamment parce que les processus décisionnels du gouvernement
sont tenus secrets et excluent toute participation publique. De l’autre côté,
des témoins ont mentionné que le système est parfois trop long et couteux pour
les entreprises. Il a été précisé que le rôle du gouvernement ne consiste pas à
faire obstacle à ces produits, ni à en faire la promotion, mais qu’il s’agit
d’une tierce partie. Son rôle est de défendre un système de réglementation qui
protège la santé du public et de l’environnement.
Le besoin d’améliorer la transparence : Des témoins ont insisté sur le besoin de transparence
des décisions réglementaires pour que tout le monde ait confiance dans le
système. Il a été mentionné que les autorités réglementaires examinent toute
nouvelle donnée scientifique qui survient, or cette information n’est pas
publique. Les données scientifiques évaluées par le gouvernement ne sont pas
accessibles au public ni aux scientifiques indépendants. Pour le moment, les
autorités réglementaires sont tenues par la loi de considérer comme
confidentiels tous les renseignements produits par une entreprise commerciale.
Les témoins ont parlé du besoin de trouver des moyens pour rendre les données
scientifiques accessibles. Les pairs pourraient revoir les protocoles
scientifiques et répéter les expériences et cela améliorerait le processus réglementaire.
La science et les aspects socioéconomiques : Pour certains témoins, la réglementation ne doit
s’appuyer que sur des éléments scientifiques qui établissent qu’un nouveau
produit ne pose aucun danger pour la santé et l’environnement. S’éloigner de ce
concept rendrait le processus réglementaire trop imprévisible et éloignerait
les investisseurs. Ils mettent de l’avant que les éléments non scientifiques
constituent souvent des obstacles commerciaux non justifiés qui ne cadrent pas
avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour d’autres,
l’introduction du blé GM a démontré que l’évaluation de la biotechnologie en ne
se fondant que sur des critères scientifiques comportait des lacunes. Le cas de
la luzerne GM montre que certains produits peuvent constituer une menace
économique pour certains agriculteurs, mais que la réglementation n’est pas
conçue pour en tenir compte. Ils soulignent la nécessité d’inclure une
évaluation des impacts socioéconomiques des nouvelles cultures GM dans la
réglementation canadienne. Il existe des méthodes quantitatives, fondées sur
les données scientifiques, qui peuvent être utilisées afin de bien évaluer la
technologie. D’autres pays comme l’Argentine le font sans pour autant entraver
le commerce.
L’étiquetage et la surveillance : Quelques témoins ont parlé du besoin d’un mécanisme
de suivi environnemental et des effets sur la santé des produits après leur
mise en marché. Une initiative gouvernementale pour mettre sur pied un projet
de surveillance des aliments GM dans le système alimentaire avait été lancée
puis abandonnée. Certains ont mentionné que l’étiquetage obligatoire des
aliments GM pourrait aider à retracer des problèmes potentiels.
La recherche indique que les cultures GM se répandent
vers les cultures non GM et on ne peut garantir l’absence totale de
contamination. Certaines cultures se prêtent mieux à la ségrégation que
d’autres à cause de leurs caractéristiques biologiques. Par exemple, les
producteurs et exportateurs de soja ont été capables de mettre en place des
systèmes de ségrégation qui permettent d’approvisionner leurs clients avec
différents types de soja ayant des caractéristiques particulières. Ils peuvent
ainsi approvisionner les marchés asiatiques et européens en produits sans OGM
ou certifiés biologiques. Il n’a pas été possible de le faire pour d’autre
culture, comme le canola; on ne peut cultiver du canola biologique ou non GM
que dans des endroits géographiquement isolés comme l’Île-du-Prince-Édouard.
Certains craignent que ceux qui cultivent les OGM imposent leurs méthodes et
qu’il ne soit plus possible de garantir une culture sans OGM. Selon eux, il n’y
aurait pas eu suffisamment de réflexion sur les systèmes de séparation des
cultures GM et non GM.
La cohabitation des différents types
d’agriculture : Les témoins ont
mentionné l’importance de trouver des moyens de faire cohabiter tous les types
d’agriculture (biologique, GM, etc.). Il est possible d’améliorer le
cloisonnement entre deux variétés grâce à des nouvelles technologies et il a
été dit que les organismes de réglementation devraient encourager les
généticiens moléculaires à trouver des méthodes pour éviter le transfert de
gène dans la nature. Dans certains cas, les autorités réglementaires imposent
déjà le respect de zones tampon, mais ce n’est pas toujours efficace. Les
États-Unis envisagent actuellement d’imposer des restrictions géographiques et
des distances d’isolement de certaines cultures.
L’industrie a mis en place (ou souhaite le faire)
des protocoles pour séparer les différentes cultures. Mais d’une manière
générale, il est très couteux de garder des cultures séparées pour qu’elles ne
se mélangent pas. Pour le moment, les coûts et la mise en œuvre des mesures
garantissant une séparation efficace sont supportés par ceux qui n’utilisent
pas les OGM. Le secteur de l’agriculture biologique demande que les coûts et la
mise en œuvre des mesures garantissant la coexistence réussie et respectueuse
des deux systèmes d’agriculture soient assumés par les utilisateurs et les
développeurs de la biotechnologie. Les entreprises de biotechnologie et les
agriculteurs cultivant des OGM devraient indemniser les agriculteurs
biologiques pour les pertes financières causées par la présence fortuite d’OGM
dans les plants et les semences.
Le cas de l’agriculture biologique : Les agriculteurs biologiques acceptent les résidus de
pesticides sur leurs produits, mais ne tolèrent aucun niveau de contamination
par les OGM. C’est une norme que l’agriculture biologique s’est elle-même
imposée et qui se retrouve dans les normes biologiques internationales. Pour
éviter la contamination par les pesticides, les producteurs biologiques mettent
en place des zones tampon. Ils doivent également fournir des affidavits de
leurs voisins qui s’engagent à ne pas pulvériser lorsqu’il y a du vent, etc. Il est plus facile de prendre des mesures pour éviter la
contamination par les pesticides que d’empêcher la contamination par les OGM. Le
secteur de l’agriculture biologique n’a pas atteint de consensus concernant la
contamination par les OGM (tolérance zéro ou acceptation d’un certain niveau de
contamination comme c’est le cas pour les pesticides). Les intervenants ne sont
pas persuadés que le consommateur européen va accepter un faible pourcentage
d’OGM dans ses produits.
Le cas de la luzerne : L’industrie de l’agriculture biologique craint que
l’introduction de la luzerne GM élimine la luzerne certifiée biologique. Des
intervenants ont demandé qu’un moratoire sur l’homologation de la luzerne GM
soit mis en place. La luzerne GM a reçu l’approbation réglementaire sur le plan
de la santé et de l’environnement. Cependant, on ne peut pas la vendre au
Canada car la variété en question n’a pas été homologuée. Des témoins ont dit
que l’entreprise a indiqué qu’elle ne demanderait pas l’homologation au Canada
tant que les agriculteurs ne l’auraient pas réclamée, tant qu’il n’y aurait pas
de politique claire et acceptable sur la coexistence; et tant qu’on n’aurait
pas procédé à une déréglementation totale aux États-Unis. (Les États-Unis ont
dérèglementé la luzerne GM depuis la fin de l’étude du Comité).
Le commerce international : Il existe au niveau international une tolérance zéro envers
la présence de matériel génétique non approuvé. C’est la politique adoptée au
Canada, de même qu’aux États-Unis, en Australie, au Japon, en Corée et dans
tous les pays de l’Union européenne, à l’heure actuelle. Cette tolérance zéro
s’explique par le fait que si une variété n’a pas reçu d’approbation elle n’est
donc pas encore considérée comme sûre. Pour éviter d’avoir une variété
approuvée dans un pays et non dans un autre, l’industrie a pris des engagements
pour essayer d’obtenir l’approbation dans tous les principaux pays où un
produit sera mis en marché. Par exemple, une variété de canola n’est
commercialisée au Canada que lorsqu’elle a reçu l’approbation dans ses
principaux marchés d’exportation. D’autres ont insisté sur l’importance de
l’harmonisation des processus d’homologation afin de permettre aux producteurs
de vendre leurs produits dans les pays où les consommateurs acceptent moins
facilement les biotechnologies.
Avec la multiplication des variétés et
caractéristiques, de nombreux intervenants pensent qu’il devient impossible de
maintenir une politique de tolérance zéro. Il faut donc trouver des moyens
d’adapter les règles de tolérance au commerce international. Il a été proposé
que le Canada assume un rôle de leadership dans la modernisation de la
réglementation mondiale. La présence de quantités infimes de cultures GM
approuvées dans un pays ne devrait pas nuire au mouvement des produits autour
du monde. Une politique visant à gérer la présence de traces ou d’infimes
niveaux de gènes dans les produits que l’on souhaite voir approuvés dans
d’autres pays aurait un effet bénéfique pour le commerce international.
Certains ont dit qu’il existe déjà des règles internationales sur le mouvement
des OGM : le Protocole de Carthagène sur la biosécurité a été
établi pour gérer le transport international d’organismes vivants modifiés. Le
Canada a signé ce protocole, mais ne l’a jamais ratifié.
À la fin des années 1990, des initiatives ont vu
le jour pour rassembler les différents intervenants dans la même pièce. Un
certain nombre d’instances se sont penchées sur les questions liées à la
biotechnologie, notamment le Comité consultatif canadien de la biotechnologie,
qui relevait d’Industrie Canada, et le Comité sur l’étiquetage volontaire des
aliments issus ou non de modifications génétiques de l’Office des normes
générales du Canada. Les groupes qui n’étaient pas favorables à la technologie
se sont retirés de ces initiatives, car ils estimaient que ces initiatives
étaient partiales et favorisaient l’industrie.
Le débat sur les OGM est encore loin d’être terminé
et les témoins se sont prononcés en faveur d’un dialogue entre tous les
intervenants, car il est essentiel de bien informer la population et de mieux
définir et réconcilier les intérêts des intervenants. Le débat doit être assez
vaste pour intégrer toutes les couches de la société. Le débat a souvent été biaisé
par des titres sensationnalistes (pour ou contre) qui n’ont fait avancer ni l’une
ni l’autre cause. Ce type de couverture médiatique peut avoir des conséquences
importantes sur la qualité du débat (exemple du Royaume Uni) et il y a besoin
d’élever le niveau du discours.
Les témoins ont souligné l’importance d’avoir des
investissements qui proviennent autant du secteur privé que public. L’industrie
a beaucoup investi dans la recherche en biotechnologie, mais seules les grandes
entreprises ont pu se permettre d’investir massivement. Les petites entreprises
se heurtent à un accès difficile aux capitaux. Ceci a eu pour conséquences une
plus grande concentration des innovations dans les mains de quelques
entreprises et une limitation de la recherche à un certain nombre de production
(ex. canola, maïs, soja) au détriment d’autres cultures comme les petites
céréales ou les légumineuses. Le secteur privé n’investit que dans des cultures
qui sont produites en grande quantité et certaines cultures souffrent de
l’absence de recherche et développement.
Des témoins ont fait remarquer que les dépenses du
secteur public en recherche agricole ont diminué au Canada, ce qui s’est
accompagné d’un ralentissement général des taux de croissance de la
productivité agricole depuis les années 1990. L’impact positif de
l’investissement public en recherche sur la productivité agricole a été
confirmé. Il est aussi garant d’une certaine indépendance de la recherche et
d’investissements vers des productions agricoles qui attirent moins le secteur
privé, car trop restreintes ou parce qu’il n’y a pas de commercialisation à la
clé (par exemple la recherche sur les méthodes de production biologique). Les
témoins ont mentionné que de nombreux pays comme la Chine investissent
massivement dans la recherche agricole publique.
Les témoins ont insisté sur le maintien de
l’agriculture comme une priorité de la recherche au niveau national. Ils ont
dit regretter plusieurs décisions récentes des organismes subventionnaires. Le
Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) a retiré
« Aliments de qualité et bioproduits novateurs » de sa liste de
domaines cibles pour les subventions stratégiques, et le Réseau de centres
d’excellence (RCE) n’a pas reconduit son financement pour le Réseau des
aliments et des matériaux d’avant-garde (AFMNet).
Sur le type d’investissement, la tendance est de
privilégier des financements courts sur une période de un à trois ans. Les
témoins ont mentionné qu’il y aussi des besoins en investissements continus et
permanents, notamment en recherche fondamentale. Ils ont aussi parlé d’investir
dans les infrastructures de recherche, et dans ce qui est appelé la
« vallée de la mort », cette zone entre un concept et un produit
concret. De nombreuses bonnes idées meurent faute de mécanisme permettant d’aboutir
à un produit concret.
La quasi-totalité des témoins a mentionné qu’il
fallait favoriser la collaboration entre l’industrie, les producteurs, les
universités, les gouvernements et les consommateurs. L’industrie alimentaire
est fragmentée au niveau national et il en est de même pour la recherche qui
est souvent dispersée. Pour favoriser des partenariats, le gouvernement peut,
par exemple fournir l’infrastructure de recherche et attirer ainsi des
entreprises. Selon la théorie des grappes, les concurrents s’établiront les uns
à côté des autres. Les témoins ont parlé de nombreux partenariats qui se sont
développés, par exemple les producteurs de légumineuses : l’Université de
la Saskatchewan et le ministère de l’agriculture de la Saskatchewan ont conclu
une entente pour le développement de nouvelles variétés. Le développement de
nouveaux produits doit se faire d’abord en discutant avec les clients.
Historiquement la recherche se faisait sans penser aux clients ou utilisateurs.
Pour favoriser les investissements en recherche et
développement, il est important que la réglementation soit claire et
prévisible, sinon on court le risque de voir les chercheurs aller ailleurs. Les
enjeux évoqués sont les suivants :
Les coûts : Les témoins ont mentionné les coûts très importants pour faire approuver un
nouveau produit. Il en coûte plusieurs centaines de milliers de dollars pour
mettre un OGM sur le marché, et des investissements sur plusieurs années. Ceci
ne favorise que les grandes entreprises et diminue la concurrence. Ceci ne
favorise pas non plus les plus petites productions.
L’administration : L’industrie constate que les délais d’approbation sont en général plus longs au
Canada que dans d’autres pays. On développe de plus en plus des cultures
destinées à des applications industrielles (bioplastique, etc.) ou pour
l’énergie et la réglementation doit s’adapter à cette nouvelle réalité. La
réglementation doit être assez souple pour ne pas créer d’obstacles indus à
l’innovation.
La propriété intellectuelle : Les règles de propriété intellectuelle permettent
d’assurer un rendement sur l’investissement. Dans le domaine de la
biotechnologie, le cadre législatif canadien est équivalent à celle de nos
principaux partenaires. Cependant, certains aspects du cadre réglementaire de
la propriété intellectuelle présentent des incertitudes ce qui peut nuire au
climat d’investissement. La protection de la propriété intellectuelle est
parfois inégale et les pratiques des laboratoires de recherche ne sont pas
uniformes.