Tes yeux me contournent
Je vois que tu ne sais pas où poser ton regard
Qui, comme des eaux vives, coule sur moi,
Sous moi, à travers moi, et me consume.
On dit que devant la résistance, les rivières serpentent et les hommes plient.
Je suis là. J’ai résisté. Je résiste.
Tu ne plies pas.
Pourquoi des structures et des géants?
Pourquoi cette protection criblée de trous?
Pourquoi ces fausses perceptions?
Quelles croyances attaches-tu à mon corps?
De quelle pathologie as-tu pigmenté ma peau?
Par quelle potion maléfique tes aïeux m’ont-ils fait disparaître?
Tu ne veux pas me voir.
Toi, tu peux choisir de me voir ou pas.
Je suis une victime de ta cécité,
De la négligence univoque que te donne le privilège de la vision sélective.
Tu exclus les couleurs qui ne correspondent pas à ta préférence périphérique.
Je n’apparais pas dans ton arc-en-ciel, tes promesses tordues de lendemains
meilleurs et lumineux.
Je suis sur les affiches qui te disent à quoi
ressemblent mes traits,
Ce que je portais quand on m’a vue pour la dernière fois et où on m’a vue pour
la dernière fois.
Ton choix est fait: tu passes ton chemin, sans me voir, sans souci.
Mon patrimoine, visible dans mes cheveux d’un noir
corbeau, n’attire pas ton attention.
Tu ne me vois pas.
Pourtant, tu me vois au coin de la rue,
Lèvres rouge sang, rêves brisés comme une seringue usagée,
Névrosée comme un vitrail d’église,
Silencieuse et soumise.
Tu me vois faire la file à l’aide sociale, les mains
ouvertes, attendant mon dû,
Boire des concoctions mortelles dans la ruelle.
Tu me vois, une statistique, un stéréotype vivant.
Tu me vois dans les bars, sujet de blagues pour toi et
tes amis.
Je ne suis qu’une squaw parmi d’autres, mais pour la baise, je suis ta
Pocahontas.
À tes yeux, je suis insignifiante.
Voilà comment tu me vois.
Je ne mérite pas d’étoiles.
Je ne sers qu’à prendre ton plaisir à la belle étoile.
J’ai les yeux tournés vers le ciel, les lèvres enflées, le corps gonflé, le
visage meurtri, méconnaissable.
Je passe encore inaperçue.
Elle a succombé à son désir.
Elle ne cherchait qu’à avoir du plaisir.
Elle vivait entourée de dangers.
C’était inévitable, tu sais.
Voilà comment tu me vois.
Jamais la fille
de quelqu’un, jamais la mère de quelqu’un, jamais la tante, la sœur, l’amie.
Jamais ne suis-je perçue comme étant forte, fière, résiliente.
Jamais comme je suis.
Enfin, on me donne les étoiles,
Je me couche sur les routes de campagne et dans les caniveaux pour les
regarder,
Sur des bouts fantomatiques de sentiers empierrés et oubliés.
Je suis avalée par ton immensité.
Suis-je dans ta ligne de vision? Me vois-tu maintenant?
Car j’ai le sentiment que tes yeux glissent sur moi sans me voir. [Traduction
libre]
Poème de Helen Knott
Poème récité par Connie Greyeyes lors de la séance
consacrée aux familles des victimes organisée par le
Comité spécial
sur la violence faite aux femmes autochtones, 9
décembre 2013
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