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JUST Rapport du Comité

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ANNEXE C : MÉMOIRE D’ISAIAH

Je m’appelle Isaiah. J’ai 17 ans et je suis en 11e année.

À l’âge de 4 mois et demi, j’ai été placé en famille d’accueil. Comme ma mère biologique savait qu’elle ne pouvait me donner un foyer stable, elle a demandé à ma mère d’accueil de m’adopter.

Ma mère m’a dit que j’étais un enfant difficile, extrêmement actif, qu’elle ne pouvait me quitter des yeux même pour un court moment. Je n’avais peur de rien, j’étais hyperactif, rien ne m’arrêtait et on me comparait au lapin « Energizer ». J’étais tellement curieux que ma mère a été obligée de visser toutes les bouches de chauffage dans la maison. Elle a dû poser des verrous à toutes les portes, assez haut pour que je ne puisse les atteindre même en montant sur une chaise, puisque j’étais déjà doué pour improviser des solutions même à ce jeune âge. Je grimpais sur la poignée de porte de la cuisine et je pouvais ouvrir les verrous de la cuisine et des tiroirs. Une fois, j’ai enfoncé un sou dans une prise de courant et il y a eu un petit incendie. Si vous cherchez le mot « frustration » dans le dictionnaire, vous verrez ma photo.

Je ne suis pas comme les autres enfants. Même aujourd’hui, je répète sans cesse les mêmes choses. J’ai toujours eu de la difficulté avec la discipline. Il faut que je vous dise, je vis avec l’ETCAF. Ma mère biologique a bu de l’alcool quand elle était enceinte de moi, ce qui a provoqué des lésions dans mon cerveau et toute une vie remplie de difficultés.

J’avais 8 ans et je ne comprenais pas vraiment ce qu’était l’ETCAF, mais je savais que c’était relié au fait que ma mère avait bu de l’alcool. À cet âge, il fallait que j’aille à l’école. Aller à l’école, c’est l’enfer pour quelqu’un qui vit avec l’ETCAF. Ce trouble est invisible à l’œil nu et évidemment mal compris. Je suis à cette école depuis cinq ans et ils n’ont encore rien compris.

Les enfants de mon âge m’observent comme si je faisais partie d’un documentaire sur les animaux du National Geographic. Je les entends chuchoter des choses à mon sujet, assez fort pour que je les entende, mais pas assez pour que le prof les entende. Les autres enfants m’ont enseigné certaines choses, j’ai réalisé qu’ils jouent d’une façon quand les enseignants les voient et d’une autre façon quand ils ne les voient pas. Moi, je ne connais malheureusement pas la différence.

J’ai quelque chose à enseigner à mes professeurs. Les rôles sont renversés. Il y a des professeurs qui ne vous comprennent tout simplement pas et qui sont tellement frustrés, ils s’évertuent la moitié de l’année à ne pas perdre le nord. J’ai parfois des professeurs fantastiques qui prennent le temps de me poser des questions et qui essaient de m’enseigner en fonction de mes forces. Ce sont de vrais héros et ils me redonnent confiance dans l’humanité. Je peux dire que si ce n’était de ces quelques professeurs exceptionnels, je ne passerais pas un jour de plus à l’école.

L’école est très exténuante pour quelqu’un qui souffre d’un handicap. Ceux parmi nous qui ont des difficultés d’apprentissage doivent travailler plus fort pour apprendre ce que les autres trouvent facile. Il faut donc mettre en place des mesures d’adaptation pour créer une situation équitable pour tous les étudiants qui sont affectés ou non d’un handicap neurologique.

On doit toujours me poser des questions pour savoir si j’écoute. À un très jeune âge, je ne pouvais pas rester en place toute la journée à l’école sans manipuler quelque chose. J’étais en 4e année quand j’ai commencé à tirer sur mes cils pendant les cours. Les professeurs enlevaient toutes les choses que je manipulais parce qu’ils pensaient que je n’écoutais pas. Après avoir arraché tous mes cils, j’ai commencé à tirer sur mes cheveux. En 7e année, j’ai eu le meilleur professeur que j’avais jamais eu, il s’est intéressé à moi et a commencé à me faire passer des tests et à me poser toutes sortes de questions. Wow, ce type était vraiment sympa et voulait m’aider. Il m’a encouragé à utiliser des objets (« fidgets ») pour relaxer. Il me faisait passer des examens verbaux, ce qui est une de mes forces.

L’année suivante, une enseignante a adapté ses questions de mathématiques à mes activités en dehors de l’école. Elle dessinait un lance-pierre plutôt qu’un triangle et me faisait ensuite mesurer les angles pour me tester. J’ai obtenu mes meilleures notes à l’école avec des enseignants qui montraient le plus de patience et d’intérêt envers moi. Je voyais aussi une psychologue qui comprenait l’ETCAF et qui m’a aidé à arrêter de m’arracher les cils.

J’ai des symptômes semblables à ceux du THADA. Ce n’est pas que je ne peux être attentif; je suis attentif à tout ce qui se passe autour de moi. C’est pourquoi je suis si distrait.

J’ai de la difficulté à écrire ou copier ce qui est écrit au tableau, alors dans mon plan d’enseignement individualisé, j’ai la permission d’utiliser les notes du professeur. C’était un problème pour certains enseignants. Quand ma mère a écrit un message à un de mes professeurs à ce sujet, il est venu à mon pupitre un jour et m’a dit « Pourquoi est-ce que tu ne copies pas les notes d’un de tes amis? ». J’ai été obligé de lui dire que je n’avais pas d’amis, devant toute la classe. Vraiment gênant! Je crois qu’il ne savait pas quoi répondre à ça. Ce professeur ne faisait que se tenir debout devant la classe et il parlait sans arrêt comme s’il enseignait la philosophie. Il fallait prendre des pages et des pages de notes. C’est là que j’ai un problème avec la mémoire de travail. Il s’agit de retenir une information assez longtemps pour pouvoir l’écrire pendant que le professeur continue de parler. Je peux suivre une instruction à la fois et les professeurs s’attendaient à ce que j’écrive un livre.

J’ai un problème avec le traitement sensoriel de la vue, des sons, des odeurs et du toucher, donc je me sens accablé dans l’atmosphère d’un gymnase rempli de centaines d’étudiants, au point que je m’évanouis tout simplement et je me réveille par terre. C’est une bonne façon d’avoir un congé, mais je ne le recommande pas.

Je n’utilise pas ma case au vestiaire. Je préfère garder mon sac à dos toute la journée à l’école, pour éviter les sons et la vue de tous les étudiants dans le corridor, c’est trop pour moi. De toute façon, le poids de mon sac d’école m’aide à me sentir plus en sécurité comme une veste lestée. J’évite beaucoup d’excursions à cause de l’anxiété et de la sensation que je ressens dans les grands espaces ouverts, dans des foules et des lieux inconnus.

À l’église, la voix du chanteur d’hymnes religieux est amplifiée pour les personnes âgées, mais pour moi, c’est comme si j’avais une perceuse électrique à côté de mes oreilles. J’ai de la difficulté avec les voix comme celle de mon prof de sciences de 8e année : c’est comme le bruit des ongles sur un tableau noir. Je porte des écouteurs pour étouffer les sons extérieurs et pouvoir me concentrer sur mon travail scolaire.

Souvent, quand je marche dans les corridors de l’école, je sens le même parfum que portait ma grand-mère et je regarde partout en me demandant pourquoi elle est là. À l’école élémentaire, le parfum d’une enseignante ressource était si fort pour moi que je ne pouvais pas me concentrer sur autre chose que la brûlure dans mes pauvres narines; je pensais que j’avais dû respirer accidentellement de l’acide sulfurique. C’était impossible pour moi de me concentrer sur ce qu’elle essayait de m’enseigner!

Je prends ce qu’on me dit au pied de la lettre, et ça me cause souvent des ennuis. Une fois, une enseignante a dit : « Isaiah, tiens ta langue ». J’ai fait ce qu’elle m’a dit et elle m’a immédiatement envoyé au bureau du directeur.

Souvent, à l’heure du souper, mon père me disait de bien manger. Mais il ne m’a jamais expliqué ce que cela signifie. C’était un problème pour moi jusqu’à ce que ma mère comprenne que je ne savais pas ce qu’il voulait dire par « bien manger ». Il voulait dire manger plus lentement et prendre le temps de mastiquer. J’ai commencé à croire que tout le monde pense que je peux lire leurs pensées.

Nous sommes des gens qui pensons de manière très concrète. Nous avons des problèmes avec la pensée abstraite. Le temps passe vite. Où est-il passé? Je ne l’ai pas vu. En 9e année, mon prof de gym m’a dit de me faire une carapace; je me suis demandé avec quel matériau.

Les problèmes de mémoire ne sont pas commodes. Je suis certain d’avoir passé la moitié de ma vie à chercher des choses que j’ai perdues. Je répète souvent à ma mère que c’est la raison pour laquelle je n’ai pas besoin d’exercice. Les professeurs disent que ça fait mon affaire, surtout quand vient le temps de remettre les devoirs.

Nous sommes des personnes qui vivent 10 secondes alors que les gens en vivent une; c’est frustrant pour la plupart des gens autour de moi parce qu’ils attendent une réponse pendant que je suis encore en train de réfléchir à la question. Ils se fâchent parce qu’ils pensent que je les ignore. C’est comme toutes ces instructions à l’école que je reçois en même temps! C’est trop pour moi et je me renferme. Quand j’entends trop parler, c’est un désastre. Une chose à la fois s’il vous plaît!

J’ai une dysfonction exécutive et mon cerveau n’est pas capable de travailler comme votre cerveau et gérer chacune de mes pensées. Je ne suis pas encore capable de m’organiser, encore moins d’organiser mon travail scolaire. La plupart des gens ici sont capables de prévoir ce qui va se passer dans l’avenir et prendre des décisions fondées sur des concepts généraux qu’ils ont appris, mais moi je n’en suis pas capable. On a déjà dit à ma mère que plusieurs enfants affectés par l’ETCAF n’ont pas d’empathie. Ce n’est pas que nous n’avons pas d’empathie, c’est que nous ne sommes pas capables de ressentir ou de visualiser ce que les autres vivent. Les sentiments sont abstraits, alors quand quelque chose arrive à une autre personne, et que cela attriste ou bouleverse la plupart d’entre vous, c’est que vous pouvez ressentir ce que d’autres personnes ressentent, mais moi je ne montrerai pas la même émotion. Je ne suis pas la personne à qui c’est arrivé et je ne suis pas capable de généraliser ce concept appris, comme la plupart d’entre vous.

Les personnes affectées par l’ETCAF, sont connues pour s’entêter ou se bloquer. Eh bien, je suis resté bloqué dans une relation par messages textes avec une fille et elle occupait toutes mes pensées, c’était une véritable obsession. J’avais tellement envie d’une relation comme les jeunes « normaux », j’ai perdu le contrôle de ma vie. J’ai peu de capacité d’adaptation et j’ai tendance à vivre dans l’instant présent, alors vous pouvez vous imaginer que lorsque cette relation s’est brusquement terminée, j’ai été incapable d’y faire face et j’ai pensé au suicide. J’en ai parlé dans les médias sociaux et bien vite, des policiers sont venus sonner à notre porte et j’ai fait quelques visites au CHEO. Le CHEO n’a pas pu faire grand-chose, mais au moins on m’a empêché de me faire du mal pendant les quatre à cinq heures passées là. C’est ma mère qui m’a vraiment aidé : elle a passé plusieurs heures à me parler et à me tenir occupé malgré moi avec un conseiller du Centre Wabano. J’ai finalement eu un rendez-vous avec un psychiatre qui m’a prescrit des médicaments et la vie est redevenue plus supportable pour moi.

J’ai parlé de mes faiblesses, mais je possède aussi de nombreuses forces. Je suis vraiment bon en informatique. J’ai eu mes meilleures notes en menuiserie; j’ai fait un coffre à outils et une table de chevet. Je peux assembler des meubles et j’ai aidé ma mère à construire une cage à lapin de 4 pieds sur 6 pour mon lapin géant des Flandres Jack, qui est de la grosseur d’un chien moyen. Je sais donner les premiers soins et j’aide souvent mon père qui a l’habitude d’entrer en collision avec les choses et de se faire des égratignures. J’aide les professeurs à trouver les mots qu’ils cherchent en classe. Je suis plutôt drôle et je fais rire mes profs. Présentement, j’étudie la mécanique automobile et j’adore ça; j’ai un professeur fantastique, il est très relax et j’aime être dans sa classe. J’aime la soudure et mon professeur me montre comment faire. Parfois il prend même du temps durant l’heure du dîner pour m’aider. J’aime la chimie et je fais le plus d’expériences que mes parents apeurés me permettent. J’aime la pêche. Je peux faire des biscuits et des gâteaux, mais ma dysfonction exécutive m’empêche de nettoyer.

Cette année a été la plus difficile pour moi. Plus je vieillis, plus les attentes de la société sont élevées. C’est très épuisant de toujours faire attention à tout : essayer ne pas agir de façon inappropriée, impulsive et irrespectueuse. C’est si difficile pour moi, parfois impossible. Comme ma pensée est concrète, je ne perçois pas le code de conduite entre l’étudiant et l’enseignant. Même si l’enseignant vous traite avec condescendance, vous ne pouvez le traiter avec condescendance, parce que ça veut dire que vous lui manquez de respect. Est-ce que c’est logique? Je ne peux pas contrôler ça. C’est ce que ma mère appelle le miroir émotionnel. Si les professeurs et les gens autour de moi sont calmes, je suis calme. Si vous me parlez avec respect, je vous répondrai avec respect. Les comportements sont des symptômes; l’entourage doit changer parce que mon cerveau ne peut changer.

Pour ma sécurité, c’est essentiel pour moi d’avoir une famille aimante, engagée et informée, qui se porte à ma défense devant les écoles, les médecins et les policiers. Pour qu’il y ait moins de personnes affectées par l’ETCAF, il faut que les médecins disent aux femmes d’arrêter de boire de l’alcool en leur expliquant pourquoi. Voyez-vous, je n’ai pas eu le choix, mais je vis avec les conséquences. Peut-être que plus de femmes vont arrêter de boire si le message est : « Ne buvez pas; vous causez des dommages permanents au cerveau de votre futur bébé. » Je suis certain que si ce message atteint les femmes enceintes, la plupart ne prendront pas ce verre d’alcool. Si on ne leur dit pas, c’est être négligent envers les personnes affectées, qui doivent vivre une vie entière pleine de difficultés dans une société ignorante.

C’est difficile pour les gens de comprendre l’ensemble des symptômes et comment chacun est affecté différemment.

C’est dans notre propre famille que nous devons relever notre premier défi. Elle doit comprendre pourquoi nous agissons comme nous le faisons. Aidez-nous à obtenir cet important diagnostic. Je ne blâme pas ma mère biologique, et personne ne devrait la blâmer, parce que je sais que les mères ne veulent pas causer du tort intentionnellement à leur enfant. Cinquante pour cent des femmes ne savaient même pas qu’elles étaient enceintes et peuvent avoir consommé des boissons alcoolisées sans avoir été au courant de leur grossesse.

Nous devons parler de ce trouble pour que les mères ne soient plus stigmatisées, et qu’elles puissent se libérer de la honte ou de la culpabilité.

Notre second défi est de renseigner la société. Nous avons de la difficulté à nous intégrer parce que les gens ne comprennent pas notre caractère unique. L’école, les enseignants et les autres jeunes de notre âge sont très ignorants. Cela nous cause beaucoup de stress et nous ne savons pas bien gérer le stress qui nous rend la vie encore plus difficile. Parfois, j’aimerais dessiner un fauteuil roulant sur mon front pour faire comprendre aux gens que j’ai un handicap même si ça ne paraît pas à première vue.

Mon but depuis l’âge d’environ 14 ans a été de parler en public et de sensibiliser les gens à ce trouble afin que les enseignants et les écoles puissent faire partie de la solution et nous aider à réussir avec le moins d’épuisement mental possible. En sensibilisant les gens, on les informe et l’on cesse de stigmatiser les personnes affectées. C’est là mon but.

Merci de m’avoir écouté.