Comme
dans le cas de la clôture, les dispositions sur l’attribution de temps ont vu le
jour au lendemain d’une controverse. Au cours du débat sur le pipeline, en
1956 [75] ,
la clôture
était pour le gouvernement le seul recours pour faire progresser l’étude de ses
mesures législatives. Or, la clôture était alors perçue comme un moyen trop peu
souple, compte tenu des exigences de la démocratie parlementaire moderne, et
comme un outil inadéquat pour diriger les affaires de la Chambre. Tant à la
Chambre que dans les comités, les parlementaires se sont mis à la recherche de
moyens pour allouer le temps de la Chambre à l’étude de mesures législatives
particulières et pour planifier les travaux de la session, ce que les
dispositions sur la clôture ne permettaient pas de faire, car le processus
comprenant l’avis, la présentation de la motion et le vote devait être repris à
chacune des étapes d’un projet de loi donné [76] .
Tout
au long de la période pendant laquelle des gouvernements minoritaires se sont
succédé, dans les années 1960, la Chambre a tenté, mais en vain, d’établir une
procédure qui aurait structuré le temps de la Chambre pour faciliter la conduite
efficace des débats. Les députés étaient conscients que le volume et la
complexité des travaux de la Chambre augmentaient et que des mesures
s’imposaient pour expédier les travaux dans des délais raisonnables [77] .
Tout au long
de ces années, la Chambre a accepté de créer des comités spéciaux chargés
d’étudier la procédure de la Chambre et de proposer des moyens de faciliter
l’étude des mesures d’intérêt public [78] .
Dès
le tout début, les comités ont étudié des mesures qui devaient permettre la
coopération entre les partis. Dans le dixième rapport du Comité spécial de la
procédure et de l’organisation, présenté à la Chambre en 1964, il est fait
mention de la difficulté de parvenir à un accord entre tous les partis sur une
proposition portant sur la question fondamentale de l’attribution de
temps [79] .
Le Comité a
écrit : « Nous continuerons de rechercher comment le Parlement peut utiliser le
temps dont il dispose », mais il n’a pas présenté d’autre rapport sur la
question. Très tôt au cours de la session suivante, le gouvernement a pris
l’initiative en proposant une motion qui, entre autres propositions, traitait de
l’attribution de temps. La motion prévoyait un nouvel article du Règlement qui
établissait un « comité des travaux de la Chambre » composé d’un représentant de
chacun des partis à la Chambre. À la demande d’un ministre, ce comité devait
examiner la possibilité d’attribuer une certaine période à l’étude d’une affaire
ou à une étape de son étude et, s’il parvenait à une entente, présenter une
recommandation dans un rapport présenté à la Chambre dans les trois jours de
séance. Le ministre pouvait alors présenter sans préavis une motion d’adoption
du rapport, motion sur laquelle la Chambre devait se prononcer sans débat ni
amendement. Toutefois, si le Comité des travaux de la Chambre était incapable de
parvenir à un accord unanime ou s’il ne présentait pas son rapport dans un délai
de trois jours, un ministre pouvait, pendant les Affaires courantes, donner avis
que, à la séance suivante, il proposerait une motion attribuant une certaine
période à l’étude de l’affaire ou de l’étape visée [80] .
La
motion a été débattue à la Chambre pendant 12 jours [81],
et, tout au
long du débat, des préoccupations précises se sont exprimées au sujet de la
proposition visant le comité des travaux de la Chambre. La proposition a donc
été retirée de la motion principale et renvoyée à un comité spécial pour plus
ample examen [82] .
Le comité
spécial a recommandé dans son rapport à la Chambre une autre version de la
proposition d’attribution de temps. Le rapport ayant été agréé, un article
provisoire du Règlement, le 15-A, a été adopté [83] .
L’article n’a
été invoqué que trois fois entre 1965 et 1968, mais il est devenu évident que
les partis d’opposition en étaient mécontents, et il y a eu de nombreux rappels
au Règlement au sujet de l’interprétation de certaines de ses dispositions. En
1967, par exemple, le Président a statué qu’un avis verbal suffisait aux fins de
l’application de l’article sur l’attribution de temps et qu’il n’était pas
nécessaire que cet avis soit publié au Feuilleton des
Avis [84] .
Lorsque la 28e législature
a été convoquée, en septembre 1968, la Chambre a décidé que l’article provisoire
15-A du Règlement ne serait plus en vigueur [85] .
Peu après, un
comité spécial de la procédure était mis sur pied [86]
pour étudier,
entre autres choses, la question de l’attribution de temps. Dans son quatrième
rapport, ce comité recommandait une nouvelle règle sur l’attribution de
temps [87] .
Le 20 décembre
1968, la Chambre décidait de renvoyer encore une fois la question au nouveau
Comité permanent de la procédure et de l’organisation pour plus ample
examen [88] .
Les
tensions subsistaient entre gouvernement et opposition au sujet de l’équilibre à
trouver entre un débat prolongé et la limitation du débat que semblaient
permettre les règles provisoires. Ce n’est qu’en 1969 que la Chambre a adopté un
rapport recommandant une mesure d’attribution de temps, précurseur des
dispositions actuelles [89] .
Dans sa forme
la plus simple, le nouvel article prévoyait trois possibilités d’attribution de
temps, allant d’un accord entre tous les partis à une décision unilatérale du
gouvernement, les négociations n’ayant pas permis d’obtenir le soutien de
quelque autre parti. Les députés de l’opposition ont exprimé plus tard leur
mécontentement devant l’interprétation qui était faite de cet article du
Règlement [90] .
Le fait que
des négociations devaient se dérouler entre les partis, ce qui avait pour effet
d’écarter les députés indépendants, a également été soulevé [91] .
En
novembre 1975, le président du Conseil privé a signifié son intention de
soumettre au Comité permanent de la procédure et de l’organisation des
propositions qui touchaient l’attribution de temps [92] .
Le Comité n’a
pas fait rapport à la Chambre, mais il a mis sur pied un sous-comité chargé
d’étudier l’utilisation du temps qui a examiné entre autres choses un nouveau
texte de l’article portant sur l’attribution de temps [93] .
Le
libellé de l’article suscitait toujours des inquiétudes au plan de la procédure.
En décembre 1978, en réponse à un rappel au Règlement, le Président Jerome
statuait qu’il était possible de proposer une motion d’attribution de temps
visant à la fois l’étape du rapport et la troisième lecture, même si la
troisième lecture n’avait pas encore commencé [94] .
Un énoncé de
principes sur la réforme parlementaire déposé par le gouvernement en novembre
1979 signalait l’ambiguïté du libellé de l’article du Règlement et proposait
qu’on le révise [95] .
En mars 1983,
le Président Sauvé confirmait que l’avis de motion d’attribution de temps
pouvait être donné à tout moment au cours de la séance [96] .
En octobre
1983, elle statuait que, une fois la motion d’attribution de temps mise à
l’étude, la Chambre devait passer au vote deux heures après le début des
délibérations et que toutes les motions de remplacement proposées pendant cette
période devaient être tranchées à la fin des deux heures de débat et avant le
vote sur la motion d’attribution de temps [97] .
À
compter de mai 1985, un nouvel usage s’est implanté : les motions d’attribution
de temps étaient présentées et débattues à la suite de l’inscription, par le
gouvernement, d’avis de motions sous la rubrique des Ordres émanant du
gouvernement. Cet avis écrit s’ajoutait à l’avis donné verbalement de
l’intention de proposer une motion de cette nature, pour satisfaire aux
exigences du Règlement. Le Président Bosley a confirmé que c’était là une façon
acceptable de procéder [98] .
En
juin 1987, des modifications étaient adoptées prévoyant que les motions
d’attribution de temps, après avis donné verbalement seulement, seraient
proposées sous la rubrique des « Ordres émanant du gouvernement » plutôt que sous
celle des « Motions », pendant les Affaires courantes, comme le voulait l’usage
jusque-là. Les révisions prévoyaient également que le débat sur l’affaire à
l’étude au moment de la proposition de la motion serait automatiquement
ajourné [99] .
En
août 1988, le Président Fraser a jugé que l’avis verbal devait seulement
signifier l’intention de proposer la motion et non donner le texte même de la
motion. Dans la même décision, le Président a ajouté que l’initiative d’annoncer
un accord (ou l’absence d’accord) sur l’attribution de temps revenait à un
ministre, qui devait être partie à cet accord [100] .
En
1991, après une nouvelle modification du Règlement, la motion d’attribution de
temps proposée sans l’accord de tous les partis a cessé de faire l’objet de
débat ou d’amendements [101] .
Jusque-là,
cette motion pouvait être modifiée et débattue pendant un maximum de deux
heures, après quoi la présidence devait mettre aux voix toutes les questions
nécessaires pour en disposer.
Le
libellé d’une motion d’attribution de temps doit préciser les conditions de
l’attribution de temps. Dans la plupart des cas, c’est un certain nombre de
jours ou d’heures de séance qui est attribué, mais il est arrivé au moins une
fois qu’une durée établie en fractions d’heure soit attribuée à chaque étape du
projet de loi visé [120] .
Dans tous les
cas, la motion d’attribution de temps doit être proposée par un ministre à la
Chambre, et elle ne peut faire l’objet d’aucun débat ni amendement [121] .
Quand
il y a accord entre les représentants des partis, il a été d’usage que la motion
soit proposée à la rubrique des « Motions », pendant les Affaires courantes.
Lorsque l’appui de la majorité a été obtenu pour l’attribution, ou qu’il n’y a
pas eu accord, la motion est proposée sous les Ordres émanant du gouvernement.
Quelle que soit l’affaire à l’étude, le débat interrompu par la proposition
d’une motion d’attribution de temps est réputé ajourné [122] .
La motion est
mise aux voix aussitôt proposée.
Après
l’adoption de la motion d’attribution de temps, le débat à l’étape ou aux étapes
de l’étude du projet de loi en question est soumis aux limites de temps prévues
par la motion. Le jour où la motion est adoptée peut alors être compté comme un
jour de séance, mais seulement si la motion est proposée et adoptée au début des
Ordres émanant du gouvernement et si l’étude du projet de loi est entamée
immédiatement [123] .
L’étude du
projet de loi peut aussi être entamée à une séance ultérieure de la
Chambre [124] .
Les règles
normales du débat s’appliquent. À l’expiration de la période prévue pour une
étape donnée, la présidence interrompt les délibérations et met aux voix toutes
les questions nécessaires pour disposer du projet de loi à cette étape. Si un
vote par appel nominal est exigé, la sonnerie d’appel convoquant les députés ne
peut durer plus de 15 minutes [125] .
Normalement,
les votes par appel nominal sur les projets de loi soumis à l’attribution de
temps ne sont pas reportés, mais ils peuvent l’être en vertu d’un ordre
spécial [126] ,
par report
automatique du vote conformément aux règles de la Chambre [127] ,
ou par accord
entre les whips de tous les partis reconnus [128] .
Lorsque le
débat se termine avant la fin de la période attribuée et si un vote par appel
nominal est exigé, la sonnerie d’appel retentit pendant un maximum de 30
minutes, et le vote peut être reporté par le whip en chef du gouvernement ou le
whip en chef de l’Opposition [129] .
Il
est arrivé que des objections s’élèvent au sujet des circonstances dans
lesquelles un accord avait été conclu ou de la nature des consultations menées
par le gouvernement. Comme dans le cas de la clôture, la présidence a statué
qu’elle ne possédait aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de refuser de
mettre à l’étude une motion d’attribution de temps si toutes les exigences de la
procédure avaient été respectées [130] .
Le Président a
déclaré que le libellé de la règle ne définissait pas la nature des
consultations que devaient avoir le ministre et les représentants des autres
partis; il a ajouté que la présidence n’avait pas le pouvoir d’établir si des
consultations avaient eu lieu ou non ni de se prononcer sur ce qui constitue une
consultation entre les représentants des partis [131] .