La Constitution du Canada fournit un
certain nombre des règles qui définissent le cadre de
l’intervention législative et imposent au gouvernement et au
Parlement des
limites [52] .
La
dualité juridique, qui constitue l’une des
spécificités du Canada, pourra avoir des répercussions
différentes sur l’application d’une loi
fédérale et son interprétation selon que l’on vise un
territoire qui est régi par la common law ou par le droit
civil [53].
Les projets de loi doivent être
adoptés, publiés et imprimés simultanément en
français et en anglais. Suivant l’article 133 de la Loi
constitutionnelle de 1867, ceux-ci doivent être établis dans
les deux langues dans l’ensemble du processus législatif, y compris
à l’étape de la première
lecture [54] .
L’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1982 stipule en outre
que les deux versions des lois ont également force de
loi.
Projets de loi d’initiative ministérielle
La production d’une mesure
ministérielle s’amorce lorsque le gouvernement décide de
transformer une initiative politique en proposition
législative [55] .
Le ministère de la Justice rédige alors un avant-projet de loi
selon les instructions du Conseil des
ministres [56] .
Le
ministre de la Justice est tenu d’examiner tous les projets de loi
d’initiative ministérielle et d’en vérifier la
compatibilité avec la Déclaration canadienne des droits et
la Charte canadienne des droits et
libertés [57] .
Lorsque la rédaction du projet de
loi dans les deux langues officielles est terminée, celui-ci doit
être approuvé par le Cabinet avant son dépôt au
Parlement. Le leader du gouvernement aux Communes est responsable de
l’examen du projet de loi et de la recommandation quant à son
dépôt au Parlement. Généralement, il demande au
Cabinet de lui déléguer cette
tâche [58] .
Projets de loi d’initiative parlementaire
Les
députés qui ne font pas partie du Cabinet peuvent présenter des projets de loi
qui seront étudiés dans le cadre des affaires émanant des députés. Les députés
ont accès aux services législatifs, placés sous l’autorité du Président de la
Chambre, pour la rédaction de leurs projets de loi. Avant qu’un projet de loi
soit déposé à la Chambre, les services législatifs de la Chambre des communes en
vérifient la forme et la conformité aux conventions législatives et
parlementaires [59].
Projets de loi d’intérêt privé
Parrainé par un simple député, le projet de loi d’intérêt
privé repose sur une pétition qui doit, dans un premier temps, avoir fait
l’objet d’un rapport favorable par l’examinateur des pétitions ou par le Comité
permanent de la procédure et des affaires de la Chambre [60] .
Bien que la
forme de ce type de projet de loi soit identique à celle du projet de loi
d’intérêt public, le projet de loi d’intérêt privé doit cependant comporter un
préambule, ce qui n’est pas obligatoire pour le projet de loi d’intérêt
public [61] .
Le Règlement
de la Chambre prévoit également certaines règles de rédaction qui visent en
particulier les projets de loi ayant pour objet une loi de constitution en
corporation et ceux portant modification ou abrogation de lois
existantes [62] .
Rédaction par un comité
Un
comité peut se voir confier le mandat d’élaborer et de déposer un projet de
loi [63] .
Un comité peut
aussi être créé à cette fin précise. La motion tendant à l’élaboration d’un
projet de loi par un comité peut être proposée par un ministre ou par un simple
député. Le comité qui aura été chargé d’élaborer un projet de loi devra
recommander, dans son rapport à la Chambre, les principes, l’étendue et les
dispositions générales du projet de loi et, s’il le juge à propos, son
libellé [64] .
Si la Chambre
adopte le rapport du comité, la motion d’adoption constituera l’ordre de dépôt
du projet de loi fondé sur ce rapport.
Autres caractéristiques de rédaction
Les
projets de loi peuvent aussi, selon le but visé par la mesure législative,
revêtir d’autres caractéristiques de rédaction.
- Textes nouveaux : Projets de loi résultant d’une décision politique ou, dans
certains cas, de traités, de conventions, d’accords, de l’acceptation de
recommandations figurant dans un rapport de groupe de travail ou de commission
royale d’enquête, de l’exécution de mesures administratives ou de situations
d’urgence [65] .
- Textes portant refonte : Projets de loi résultant de l’application d’une
disposition de réexamen d’une loi (certaines lois stipulent qu’elles doivent
être révisées après un certain temps) ou de l’évolution de la conjoncture
économique ou sociale [66] .
- Textes modificatifs de lois en vigueur : Projets de loi visant à modifier des
lois en vigueur. Les modifications peuvent être de fond ou simplement de nature
formelle ou administrative.
- Projets de lois correctives : Une initiative ayant pour but d’éliminer dans les
lois en vigueur les anomalies, les contradictions, les archaïsmes ou erreurs
qu’elles peuvent contenir et de leur apporter certaines modifications
mineures [67] .
- Projets de loi de voies et moyens : Une initiative fondée sur des motions de
voies et moyens et ayant pour objet l’imposition d’une nouvelle taxe ou d’un
nouvel impôt, le maintien d’une taxe ou d’un impôt qui expire, l’augmentation
d’une taxe ou d’un impôt existant ou l’élargissement du champ d’application
d’une taxe ou d’un impôt. Ces projets de loi sont alors régis par des
dispositions spécifiques du Règlement [68] .
Seul un
ministre peut présenter un projet de loi de voies et moyens [69] .
- Projets de loi de crédits : Une initiative présentée à la Chambre suite à
l’adoption du Budget des dépenses principal ou supplémentaire ou de crédits
provisoires. Ces projets de loi sont aussi régis par des dispositions
spécifiques du Règlement [70] .
Seul un
ministre peut présenter un projet de loi de crédits.
- Projets de loi portant pouvoir d’emprunt : Une initiative visant à autoriser
l’émission d’emprunts lorsque les recettes de l’État n’arrivent pas à couvrir
les dépenses du gouvernement [71] .
- Projet de loi fictif : Un projet de loi fictif ou pro forma est présenté par le premier ministre au début de chaque session. Il
vise à affirmer le droit de la Chambre de délibérer et de légiférer quels que
soient les motifs de convocation énoncés dans le discours du Trône. Intitulé Loi concernant la prestation des serments d’office, il
porte le numéro C-1 et n’est pas imprimé. Il reçoit une première lecture, mais
ne fait pas l’objet d’une deuxième lecture [72] .
- Avant-projet de loi : Ce terme est utilisé pour désigner l’ébauche d’un projet de
loi qui n’a pas encore été déposé dans l’une ou l’autre chambre. À l’occasion,
il arrive que l’ébauche d’un projet de loi d’initiative ministérielle soit
soumise à un comité pour étude. L’étape de la première lecture n’ayant pas
encore eu lieu, le comité peut ainsi en étudier les dispositions législatives,
sans être restreint par les règles du processus législatif, et recommander les
changements qui devraient y être apportés. Le gouvernement pourra ainsi tenir
compte du rapport du comité lorsqu’il finalisera l’ébauche du projet de
loi.
- Projets de loi omnibus : Malgré l’utilisation fréquente de l’expression, il
n’existe pas de définition précise d’un projet de loi omnibus, aussi appelé
« projet de loi composite ». En général, un projet de loi omnibus vise à modifier,
à abroger ou à adopter plus d’une loi et il se caractérise par diverses parties
indépendantes, mais ayant néanmoins un lien entre elles [73] .
Tout en
cherchant à créer ou à modifier plusieurs lois disparates, le projet de loi
omnibus a cependant « un seul principe de base et un seul objet fondamental qui
justifie toutes les mesures envisagées et qui rend le projet de loi intelligible
à des fins parlementaires » [74] .
Une des
raisons invoquées pour déposer un projet de loi omnibus consiste à vouloir
regrouper dans un même projet de loi toutes les modifications législatives
découlant de l’adoption d’une politique afin de faciliter le débat
parlementaire [75] .
L’utilisation des projets de loi omnibus est propre au
Canada. Le Parlement britannique adopte de tels projets de loi, mais sa pratique
législative est différente, notamment en raison d’un contrôle beaucoup plus
rigoureux qui est exercé sur la durée des débats. Au Parlement australien, la
pratique semble contraire (la procédure permet de regrouper les projets de loi
connexes aux fins du débat et de la mise aux voix) [76] .
On ne
sait exactement à quelle époque les premiers projets de loi omnibus ont fait
leur apparition, mais comme en témoigne le dépôt d’un projet de loi d’intérêt
privé visant à confirmer deux accords ferroviaires distincts, l’usage semble
remonter à 1888 [77] .
Plusieurs
projets de loi omnibus ont été déposés et adoptés sans que leur forme soulève,
de la part des députés, la moindre objection sur le plan de la
procédure [78] .
Il
est en effet tout à fait admissible, sur le plan de la procédure, qu’un projet
de loi modifie, abroge ou édicte plusieurs lois à condition d’en donner le
préavis requis, de l’assortir de la recommandation royale (au besoin) et de
respecter la forme exigée [79] .
Pour ce qui
est, toutefois, d’amener la présidence à diviser un projet de loi simplement
parce qu’il est complexe ou de caractère composite, nombre de précédents
permettent de conclure que la pratique canadienne n’autorise rien de
tel [80] .
Refusant les raisons invoquées par le gouvernement, les
députés ont souvent maintenu que certains projets de loi omnibus n’étaient pas
recevables. Ils ont souvent invoqué leur « ancien privilège » de voter séparément
sur chacune des propositions que présente une question complexe. Cependant, les
Présidents de la Chambre ont précisé que leur pouvoir de diviser les questions
complexes ne devait viser que les motions de fond, et non pas les motions ayant
trait à la progression des projets de loi [81] .
Les députés
font parfois valoir, pour en réclamer la division, que les projets de loi
omnibus renferment plus d’un principe [82] .
À l’occasion,
les députés soutiennent aussi que le titre long d’un projet de loi omnibus
devrait faire mention de toutes les lois qu’il tend à modifier. Sur ce point, la
présidence a jugé qu’il n’était pas nécessaire qu’il en soit ainsi [83] .
Des
motions portant division de projets de loi omnibus ont parfois été proposées en
comité. Les présidents de comité ont jugé irrecevables les motions visant à
diviser un projet de loi. À moins d’avoir reçu une instruction de la Chambre, un
comité n’est autorisé qu’à faire rapport du projet de loi avec ou sans
amendement [84] .
Les présidents
de comité ont aussi rejeté des motions visant à permettre à un comité de
présenter deux rapports sur un même projet de loi, chacun devant porter sur des
sujets distincts, ce qui aurait eu pour effet de diviser le projet de
loi [85] .
Toutefois, les
présidents ont jugé recevables les motions visant à permettre à un comité de
demander à la Chambre une instruction l’autorisant à diviser un projet de
loi [86] .
Malgré son refus à diviser les projets de loi omnibus, la
présidence a exprimé de profondes inquiétudes quant au droit des députés de bien
se faire entendre [87] .
Aussi a-t-elle
parfois senti le besoin de leur suggérer les recours dont ils disposent pour
parer au dilemme créé par le fait de devoir approuver en même temps plusieurs
dispositions législatives [88] .
Il
n’est jamais arrivé que la présidence ait décidé qu’un projet de loi devait être
divisé en raison de sa complexité. Trois cas présentent cependant un intérêt
particulier. En 1981, durant l’étude du projet de loi C-54 visant à modifier la
Loi de l’impôt sur le revenu et à renouveler le
pouvoir d’emprunt, le Président Sauvé a ordonné que la partie 1 du projet de
loi, relative au pouvoir d’emprunt, soit radiée, parce que le préavis requis
faisait défaut [89] .
Plus tard au
cours de la même session, un autre projet de loi modificatif qui englobait à la
fois des questions fiscales et le pouvoir d’emprunt fut déposé (le projet de loi
C-93). Devant l’insistance de l’opposition, le gouvernement décida de retirer le
projet de loi le 7 mai 1982 et présenta deux mesures législatives distinctes le
10 mai 1982 [90] .
La division du projet de loi omnibus fut le
résultat, dans ce cas-ci, du processus politique et non pas du recours à la
procédure. Le cas le plus notable est celui du projet de loi C-94 sur la
sécurité énergétique. Le 2 mars 1982, suite à un rappel au Règlement qui avait
été soulevé la veille pour que la présidence procède à la division du projet de
loi, le Président Sauvé déclara qu’il n’existait aucun précédent lui permettant
de diviser le projet de loi [91] .
C’est à ce moment que se produisit l’épisode des
« cloches » qui poussa par la suite le gouvernement à proposer, et la Chambre à
adopter, une motion portant division du projet de loi en huit mesures
législatives distinctes [92] .
La division du projet de loi omnibus fut le
résultat, encore une fois, de l’interaction politique.
Blancs et forme incomplète
Depuis la Confédération, la présidence a établi que la
présentation de projets de loi comprenant des passages en blanc ou dans une
forme incomplète est manifestement contraire au Règlement [93] .
Un projet de
loi en blanc ou dans une forme incomplète est un projet de loi qui n’a qu’un
titre ou dont la rédaction n’est pas terminée [94] .
Bien que cette
disposition mette l’accent sur les erreurs relevées au moment de la
présentation, des députés ont porté ces défauts ou ces anomalies à l’attention
de la présidence à diverses étapes de l’étude des projets de loi. Le Président a
déjà donné instruction d’annuler l’ordre de deuxième lecture de certains projets
de loi après avoir découvert qu’on ne leur avait pas donné leur forme finale et
qu’ils n’étaient donc pas prêts à être présentés [95] .
À
l’occasion, certains projets de loi comportent des dispositions qui font
référence à des mesures législatives n’ayant pas encore été adoptées. En avril
1970, des députés ont soutenu qu’un projet de loi devait être considéré comme
incomplet et ne devait pas être étudié parce qu’il incorporait des dispositions
relatives à deux propositions de loi qui n’avaient pas encore été adoptées. Bien
que le Président Lamoureux ait jugé le projet de loi conforme, il a précisé que
cette question pourrait être à nouveau soulevée à l’étape de la troisième
lecture si, à cette étape, la Chambre était appelée à entériner un texte qui
dépendait de l’adoption d’autres mesures législatives [96] .
Impression et réimpression des projets de loi
Après
que le projet de loi a subi l’étape du dépôt et de la première lecture, il est
imprimé dans les heures qui suivent et distribué aux députés. Tout projet de loi
doit être imprimé dans les deux lngues officielles [97] .
Le projet de
loi sera réimprimé après l’étape de l’examen en comité, si celui-ci a fait
l’objet d’amendements et que le comité en a ordonné la réimpression. Il servira
alors de document de travail à l’usage de la Chambre à l’étape du rapport. Après
adoption à l’étape de la troisième lecture, il sera réimprimé à l’intention du
Sénat, tel qu’adopté par la Chambre dans sa forme finale. Enfin, il sera
réimprimé sous forme de loi après avoir reçu la sanction royale. Il paraîtra
ensuite dans la Gazette du Canada et, à la fin de
l’année, dans le Recueil des lois annuelles [98].
Changements rédactionnels
Dans
le passé, la présidence a clairement établi que lorsque la Chambre est saisie
d’un projet de loi, celui-ci devient sa propriété et ne peut subir de
modifications importantes, à moins qu’elles ne soient faites par la Chambre
elle-même. Seuls les « simples changements de rédaction » sont autorisés [99] .
Au moyen d’une
rectification au projet de loi, le Président [100]
peut faire
corriger toute erreur d’impression ou faute de copiste évidente, à n’importe
quelle étape de l’étude du projet de loi [101] .
Par contre,
aucun changement de fond ne peut être apporté au libellé qu’avait un projet de
loi au moment de sa présentation ou lorsqu’un comité en a fait rapport, sauf au
moyen d’un amendement adopté par la Chambre [102] .