Pour que l’examen du Budget des
dépenses soit mieux fait, il faut donner aux comités de plus
nombreuses occasions d’influer sur les dépenses, de plus grands
pouvoirs et une meilleure information. Une fois ces améliorations
effectuées, les comités devraient être à même
de voir d’un autre œil l’étude du Budget des
dépenses.
Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, cinquante et unième rapport
(L’étude des
crédits : boucler la boucle du contrôle) présenté à la Chambre le 10 décembre 1998 (Journaux, p. 1435)
L
e développement de la
procédure parlementaire est étroitement associé à
l’évolution des rapports financiers entre le Parlement et la
Couronne. En tant que pouvoir
exécutif [1] ,
la
Couronne est responsable de la gestion de toutes les recettes de
l’État, y compris les coûts des services
publics [2] .
La
Couronne, sur l’avis des ministres, fait connaître les besoins
financiers du gouvernement à la Chambre des communes qui, de son
côté, autorise les « aides » (impôts) et les
« crédits » (sommes allouées) nécessaires. Aucune
taxe ne peut être levée ni aucun paiement effectué sans le
consentement du Parlement.
Il a été dit du
contrôle direct des finances nationales qu’il s’agissait de la
« grande tâche du gouvernement parlementaire
moderne [3] ».
Ce
contrôle s’exerce en deux temps. D’abord, le Parlement doit
approuver toutes les mesures législatives donnant application à la
politique gouvernementale et la Chambre des communes autorise à la fois
le montant et l’objet ou la fin de toute dépense publique. Ensuite,
par un examen des rapports annuels des ministères sur leur rendement, des
Comptes publics et des rapports du vérificateur général, la
Chambre s’assure que seules ont été effectuées les
dépenses qu’elle avait
autorisées [4] .
Les pratiques et procédures qui
régissent l’emploi que fait le gouvernement des finances du pays
sont pour l’essentiel définies dans la Loi constitutionnelle de
1867 [5] ,
la Loi
sur la gestion des finances
publiques [6] ,
les
conventions tacites et les règles de la Chambre des communes et du
Sénat.
Éléments-clés de l’activité financière
Les principaux éléments de la
procédure financière du Parlement peuvent se résumer
à ceux-ci :
Trésor : compte où sont
déposés les impôts, tarifs, taxes d’accise et autres
recettes perçus et où puise le gouvernement pour trouver les fonds
nécessaires à ses
dépenses [7] .
Recommandation royale : instrument
par lequel la Couronne avise le Parlement de son intention de présenter
une mesure législative qui aura un effet sur le
Trésor [8] .
Aux
termes de la Constitution, seule la Couronne a l’initiative de telles
mesures qui doivent d’abord être présentées à
la Chambre des communes.
Subsides : processus par lequel le
gouvernement soumet à l’approbation du Parlement ses
prévisions de dépenses annuelles (le Budget des
dépenses).
Pouvoir d’emprunt :
autorisation que le gouvernement doit obtenir lorsque les recettes ne couvrent
pas les dépenses.
Voies et moyens : processus par
lequel le gouvernement expose sa politique économique (le Budget) et
obtient l’autorité dont il a besoin pour augmenter les recettes par
des taxes ou impôts.
Comptes publics : le rapport et
l’examen annuels des dépenses du gouvernement.
Le cycle financier
L’année financière du
gouvernement du Canada commence le 1er avril et se termine le 31
mars [9] .
Cependant, la
planification de l’exercice commence bien avant avec la préparation
des plans de dépenses des ministères, qui sont établis en
fonction de la politique et des priorités budgétaires du
gouvernement, et les consultations prébudgétaires du Comité
permanent des
finances [10] .
Les
plans de dépenses sont regroupés et soumis à la Chambre
comme « Budget des dépenses principal ». En même temps, le
ministère des Finances rassemble l’information recueillie au moyen
des consultations prébudgétaires et prépare ses
prévisions économiques. Le Budget est le résultat des
efforts du gouvernement pour concilier ses obligations de dépenses et ses
prévisions de recettes.
Le Budget fait état des politiques
et des priorités budgétaires, sociales et économiques du
gouvernement, alors que le Budget des dépenses indique le détail
des dépenses prévues pour la prochaine année
financière. L’usage veut que le Budget soit présenté
dans la seconde moitié de février, bien que le gouvernement
n’y soit pas
tenu [11] .
Normalement,
le Budget des dépenses principal est déposé à la
Chambre au plus tard le 1er mars et soumis à
l’approbation de la Chambre au plus tard le 23
juin [12] .
En l’absence ou en attendant la
rentrée de recettes provenant de taxes, d’impôts ou
d’autres sources, si le gouvernement a besoin de fonds, il demandera
l’autorisation d’emprunter. Si les besoins du gouvernement changent
par rapport au Budget des dépenses principal, il sera demandé au
Parlement d’approuver un Budget des dépenses
« supplémentaire ».
Le dépôt des Comptes
publics du Canada et du Rapport annuel du vérificateur
général, suivi de leur examen par le Comité permanent des
comptes publics, complète le cycle annuel des activités
financières du
gouvernement [13] .
Historique
Le système de finances publiques au
Canada découle de la procédure parlementaire britannique, telle
qu’elle existait à l’époque de la
Confédération [14] .
Les procédures financières adoptées par la Chambre des
communes canadienne en 1867 s’inspiraient des principes
suivants :
- Que seul le Parlement peut lever
des taxes et autoriser l’usage de fonds publics, mais qu’il ne peut
le faire qu’au moyen d’une recommandation de la Couronne
(recommandation royale), représentée au Canada par le gouverneur
général;
- Qu’il doit être tenu
compte des doléances de la Chambre des communes avant qu’elle
examine et approuve les demandes budgétaires de la
Couronne;
- Que la Chambre des communes a le
contrôle exclusif des questions de finances publiques (impôts et
dépenses) et que cette initiative appartient à la chambre
basse [15] ; et
- Que toute mesure législative
sanctionnant une dépense ou créant un impôt doit faire
l’objet de l’examen le plus complet possible, tant à la
Chambre qu’en
comité [16] .
Précédents britanniques
Tout le droit des finances, et par
conséquent toute la constitution britannique, est fondé sur un
principe fondamental, établi dès l’origine de
l’histoire parlementaire anglaise et confirmé par trois cents ans
ponctués de conflits avec la Couronne et d’évolution
tranquille. Toute taxe ou charge publique imposée à la nation pour
les besoins de l’État, de quelque nature, doit être
accordée par les représentants des citoyens et contribuables,
c’est-à-dire par le
Parlement [17] .
La règle voulant qu’une loi
sanctionne toute dépense ou taxe publique remonte loin dans
l’histoire
constitutionnelle [18] .
En Angleterre, au Moyen Âge, le roi devait payer la plupart des
dépenses publiques (la cour, le clergé et l’armée)
avec sa cassette personnelle. Si cela était impossible, il était
obligé de demander des fonds en s’adressant au conseil commun du
royaume, ou au Parlement, pour discuter des subsides (taxes et tarifs) à
fournir pour les besoins de la Couronne. Dès les premières
assemblées, il était généralement admis que lorsque
le roi avait besoin de « subsides » ou « crédits », il
devait non seulement demander le consentement à l’imposition
d’une taxe, mais également quant à la manière
d’en dépenser le produit. En 1295, le décret de convocation
à un conseil, qui devait devenir le « Parlement modèle »,
proclamait que « ce qui tous concerne devrait être par tous
approuvé ».
Les premiers Parlements britanniques
n’étaient pas des corps législatifs au sens moderne, mais
plutôt des corps pétitionnaires. Ils présentaient des
pétitions au roi et approuvaient les impôts
(c’est-à-dire l’argent accordé à la Couronne)
à condition que certains problèmes (ou doléances)
énoncés dans les pétitions soient réglés ou
que le roi fasse des concessions. Dès 1400, les Communes exigeaient que
le roi réponde à leurs pétitions avant de lui accorder
quelque argent que ce soit. Si le roi refusait, elles adoptaient la pratique
d’en retarder l’attribution jusqu’au dernier jour de la
session.
Avec le temps, les « conseils »
devaient se diviser en deux « chambres » en fonction de leurs
intérêts propres : la Chambre des lords et la Chambre des communes.
En principe, chaque chambre prélevait ses propres impôts; aussi, il
n’était pas considéré comme convenable que les lords
décident de ce que les Communes devaient contribuer. D’autre part,
comme la majeure partie de la charge fiscale incombait aux Communes, celles-ci
en vinrent à accorder des crédits au monarque « sur
l’avis et le consentement » des lords. La primauté des Communes
en matière de taxation a été établie dès le
début du quinzième siècle, lorsque Henri IV reconnut que
toute décision d’accorder des crédits au Souverain devait
être approuvée et par les lords et par les Communes et
communiquée à la Couronne par le Président de la Chambre
des
communes [19] .
Au départ, les Communes
étaient satisfaites d’avoir l’initiative de
l’attribution des subsides et crédits. Au fil du temps, les lords
en vinrent toutefois à ajouter des dispositions aux projets de loi de
finances des Communes, par le biais d’amendements. Aux yeux de la Chambre,
il s’agissait d’une atteinte à sa prérogative de
présenter toute mesure imposant une taxe ou une charge publique, ce qui
donna lieu en 1678 à la résolution suivante :
Il appartient à la Chambre des
communes seule d’attribuer des subsides et crédits, et toute aide
à Sa Majesté au Parlement, et tout projet de loi prévoyant
de tels subsides et crédits devrait prendre naissance aux Communes, car
elles ont indiscutablement le droit d’y déterminer et
désigner les objets, destinations, motifs, conditions, limitations et
emplois de ces crédits, sans que la Chambre des lords puisse y apporter
des
modifications [20] .
Vers la fin du dix-septième
siècle, les principes de la procédure financière moderne
— notamment l’examen annuel des finances par la Chambre des communes
et la notion d’un contrôle effectif et permanent de la Chambre sur
toutes les dépenses publiques — étaient bien établis.
Leur évolution, qui s’est étirée sur plusieurs
siècles, était tributaire de l’avènement et de
l’abolition graduelle de la Liste civile, de la création d’un
Fonds consolidé (maintenant appelé le Trésor) et du
développement d’un système budgétaire par lequel le
gouvernement reçoit du Parlement des crédits annuels de
fonctionnement.
La Liste civile
La Liste
civile [21]
était à l’origine la liste du personnel non militaire au
service de la Couronne dont la rémunération était
payée par le
Parlement [22] .
Il
s’agissait du personnel au service du souverain, comme les domestiques, du
personnel du service diplomatique et de divers officiers publics et de
fonctionnaires. Jusque-là, ces dépenses étaient
imputées aux revenus héréditaires du souverain et à
certains impôts qui lui étaient votés à vie par le
Parlement.
Au départ, le Parlement ne se
préoccupait pas de la façon dont ces fonds étaient
dépensés. Il était généralement admis que si
la Couronne ne pouvait pas augmenter ses revenus sans le consentement du
Parlement, elle était tout à fait libre de faire ce qu’elle
voulait des fonds légitimes dont elle disposait. Cependant, comme les
sommes votées par le Parlement étaient fréquemment
insuffisantes, la Chambre était de plus en plus souvent appelée
à accorder des fonds additionnels pour payer les dettes
contractées par le souverain. De là vient l’usage
d’attribuer à la Couronne des crédits à des fins
précises.
Avec l’arrivée de la reine
Victoria sur le trône en 1837, la Liste civile fut réduite aux
seules dépenses nécessaires aux besoins personnels de la
souveraine et de sa famille. Toute autre dépense civile était
assumée par le trésor national et imputée sur le Fonds
consolidé.
Le Fonds consolidé
Aux dix-septième et
dix-huitième siècles, la collecte et la dépense des deniers
publics étaient étroitement liées. Les demandes de fonds de
la Couronne, selon certains montants et à des fins précises,
étaient examinées et approuvées par un comité
plénier. Ensuite, un autre comité plénier examinait les
« voies et moyens » recommandés pour trouver l’argent
nécessaire pour couvrir les sommes approuvées. Les travaux du
premier comité, qui allait devenir le Comité des subsides,
menaient directement aux travaux du second, le Comité des voies et
moyens. C’est seulement une fois prise la décision du Comité
des voies et moyens qu’était présenté un projet de
loi autorisant la Couronne à réunir des fonds, selon les montants
et de l manière approuvés par ledit comité, et à
les dépenser dans les limites et aux fins approuvées par le
Comité des subsides.
Ce mariage de la taxation et des
dépenses a duré jusqu’en 1786, lorsque la création
d’un fonds
consolidé [23]
devait éliminer la nécessité de faire correspondre telle
dépense à telle
recette [24] .
Une fois
que le Comité des subsides avait consenti à la dépense de
certaines sommes, le Comité des voies et moyens se tournait vers le Fonds
consolidé pour couvrir les dépenses approuvées.
L’idée d’un projet de loi portant « affectation de
crédits » a été introduite pour affecter à
partir du Fonds les sommes nécessaires aux fins prévues. Un tel
projet de loi ne fait qu’affecter des fonds, il n’oblige en rien la
Couronne à dépenser, en entier ou en partie, les fonds ainsi
réservés. En outre, les crédits sont toujours prévus
pour une période donnée; le pouvoir de dépenser se termine
avec la fin de l’année financière à laquelle le
projet de loi
s’applique [25] .
Ainsi, deux processus financiers
gouvernementaux se mirent en place : les travaux des subsides, processus par
lequel les dépenses à des fins précises étaient
approuvées, ce qui signifiait l’adoption de projets de loi de
crédits; et les travaux des voies et moyens, processus qui aboutissait
aux projets de loi d’imposition permettant de réunir les fonds
nécessaires pour renflouer le Fonds consolidé.
Depuis la mise en place du Fonds
consolidé, toutes les dépenses de l’État sont
autorisées soit par une loi précise (permanente) soit par un
crédit annuel. Ce sont les crédits annuels que la Chambre est
appelée à examiner chaque année.
Le Budget des dépenses
Vers la fin du dix-septième
siècle, avec les interminables différends coloniaux de
l’Angleterre avec la France et l’Espagne et les leçons
tirées de deux guerres civiles, la nécessité de maintenir
une armée nationale permanente sous le contrôle du Parlement devint
évidente. Auparavant, le monarque se contentait de lever une armée
chaque fois qu’il fallait faire la guerre.
L’établissement de forces
militaires permanentes nécessitait des crédits pour couvrir le
coût du personnel, des guerres et des
fortifications [26] .
En
1689, le Parlement britannique adopta le Mutiny Act, une loi qui devait
être adoptée chaque année. La loi limitait le recours
à la loi martiale et fixait le nombre du personnel militaire. Elle
autorisait également l’attribution de crédits suffisants
pour couvrir la solde des militaires, le coût du matériel militaire
et de la construction de navires pour cette année-là. C’est
ainsi que le Parlement britannique régularisa l’exercice annuel des
crédits pour l’armée et la marine, ce qui devait donner
naissance à l’usage parlementaire d’autoriser des
crédits annuels pour les activités du gouvernement. Les principes
de cette procédure obligent le gouvernement à ne dépenser
pour les affaires publiques que les sommes (prévisions) approuvées
par le Parlement, et lui interdisent d’employer les crédits
prévus pour un certain usage à d’autres fins
(c’est-à-dire de faire des
virements) [27] .
Avec
la croissance du gouvernement civil, plusieurs postes de dépenses civiles
finirent par être financés uniquement par des crédits
parlementaires
annuels [28] .
Les procédures financières dans les colonies canadiennes
À la fin du dix-huitième
siècle, la plupart des colonies britanniques d’Amérique du
Nord s’étaient dotées d’institutions politiques
représentatives [29].
Pendant des années, l’administration coloniale sera victime de
dissensions, en raison des intérêts souvent irréconciliables
des gouverneurs nommés et des représentants élus.
L’essentiel du différend tenait à la question de savoir qui
gérerait les deniers
publics [30] .
Dès la Confédération, les assemblées populaires de
l’Amérique du Nord britannique avaient cependant affirmé
leur droit de décider des impôts à lever et de leur usage,
répondant ainsi au principe de la responsabilité gouvernementale,
qui suppose que pour gouverner l’exécutif doit avoir la confiance
ou l’appui de la Chambre des communes. Les droits et le rôle du
Parlement en matière d’imposition et de dépenses trouvent
leur origine dans les règles et procédures des assemblées
qui l’ont
précédé [31] .
En 1867, la Chambre des communes canadienne a adopté les règles de
l’ancienne Assemblée législative de la Province du Canada, y
compris celles régissant la fiscalité et les
dépenses [32] .
Le Haut-Canada
À ’origine, le coût de
l’administration coloniale du Haut-Canada était entièrement
payé par le Parlement britannique. Cependant, en 1817,
l’exécutif de l’Assemblée demanda un crédit
pour couvrir certains frais administratifs dépassant la somme
autorisée par Westminster. Jusque-là, la Grande-Bretagne avait
épongé ces dépassements, mais vu la richesse croissante et
la relative prospérité de la colonie, il fut demandé
à la population locale de financer ces dépenses. Il n’est
donc pas surprenant que les représentants élus demandèrent
à avoir leur mot à dire dans la façon de dépenser
cet argent. Ils exigèrent en outre que le gouverneur et le Conseil
exécutif ne fasse aucune dépense qui n’aurait pas
été approuvée par l’Assemblée, et que les
crédits ne servent qu’aux fins pour lesquelles ils étaient
prévus.
Les crédits (ou autorisations de
dépenser) furent rarement
refusés [33] .
Même lorsque cela se produisit (en 1818, 1825 et 1836), ce fut sans
conséquence. De fait, la Couronne semblait se soucier assez peu des
sommes votées par la Chambre. Celle-ci n’en continua pas moins
à prendre la procédure des crédits au sérieux,
jugeant qu’un détournement des crédits parlementaires
était un « grand crime » et affirmant le droit indiscutable de la
chambre élue à déterminer le comment et le combien des
dépenses publiques.
Vers 1840, la procédure des
crédits à l’Assemblée était à peu
près en place. Une fois présentées, les prévisions
étaient renvoyées à un comité restreint permanent
des finances. Le rapport du comité était transmis au Comité
des subsides (un comité
plénier) [34],
qui à son tour faisait rapport à la Chambre sur diverses
résolutions, chacune étant une recommandation d’accorder de
l’argent pour un article donné. Une fois adoptées, les
résolutions étaient transmises à un comité
spécial de deux députés, chargé de rédiger
les projets de loi correspondants. Plusieurs projets étaient ensuite
présentés.
Le Bas-Canada
Avant 1818, le Conseil exécutif ne
demandait aucun crédit à la Chambre d’assemblée du
Bas-Canada, de sorte qu’aucun Budget des dépenses
n’était déposé. La Chambre tentait néanmoins
d’exercer un certain contrôle par son examen annuel des comptes
publics. Jusqu’en 1812, les comptes publics étaient examinés
par un comité plénier, après quoi un comité
spécial de cinq membres en était saisi. À partir de 1818,
le Budget des dépenses était aussi renvoyé à ce
comité. Les nombreuses critiques qu’il adressait à
l’administration pour avoir dépensé des sommes sans le
consentement de la Chambre d’assemblée incitèrent la Chambre
à statuer que l’emploi de deniers publics sans l’autorisation
d’une loi était « une atteinte aux privilèges de la
Chambre et sapait les fondements du gouvernement de la province, tel
qu’établi par la loi ». La Chambre devait aussi mettre en garde
qu’elle tiendrait le receveur général responsable de toutes
les sommes
perçues [35] .
Dans ses tentatives de contrôler
l’administration, la Chambre d’assemblée utilisa
d’autres moyens, comme le refus de voter les crédits, le refus
d’examiner les mesures législatives avant que ses doléances
soient satisfaites, l’ajout d’articles aux projets de loi portant
affectation de crédits en l’absence d’une loi habilitante; ce
dernier moyen obligea l’exécutif à choisir entre voter les
articles annexés ou perdre les crédits.
La Province du Canada
En 1840, le Parlement britannique adoptait
l’Acte d’Union qui réunissait le Haut et le
Bas-Canada [36] .
Cette
loi posait en principe qu’un gouvernement doit avoir la confiance des
représentants du
peuple [37] .
C’est également par l’Acte d’Union que la
prérogative royale sur les mesures financières a été
introduite dans le droit parlementaire canadien. Avant 1840, tout élu
d’une assemblée législative du Canada pouvait soumettre
à l’examen de l’assemblée un projet de loi ayant des
implications pécuniaires. Les gouverneurs voyaient cette pratique
d’un mauvais œil, jugeant que cela nuisait au bon fonctionnement du
gouvernement [38] .
Pour
sa part, lord Durham croyait sincèrement que « la prérogative
de la Couronne, qui est constamment exercée en Grande-Bretagne pour la
vraie protection du peuple, n’aurait jamais dû être
délaissée dans les colonies; et que si [on l’y] introduisait
[…], on pourrait sagement l’appliquer à protéger
l’intérêt public, souvent sacrifié maintenant dans la
mêlée pour la répartition des fonds publics qui sert surtout
à donner une influence indue à certains individus ou
partis [39] ».
Il fut établi un Fonds du revenu
consolidé auquel seraient imputées toutes les dépenses
liées à la perception, la gestion et le recouvrement des recettes,
tous les intérêts sur la dette publique et la
rémunération du clergé et des officiels inscrits sur la
Liste civile [40] .
Une
fois ces charges déduites, tout excédent pouvait servir aux
services publics, de la manière jugée convenable par le
Parlement [41] .
Tout
vote, résolution ou projet de loi nécessitant la dépense de
fonds publics devait d’abord être recommandé par le
gouverneur
général [42] .
Les différends sur le contrôle
des crédits ne disparurent pas pour autant, mais aucun ministère
ne fut défait sur une loi de crédits. De fait, même
lorsqu’il y avait un changement de gouvernement, le projet de loi de
crédits était souvent repris et appliqué par la nouvelle
administration [43] .
Ainsi, en 1867, le vote de confiance avait pratiquement remplacé le refus
d’accorder des crédits comme le moyen préféré
de l’Assemblée pour contrôler l’administration du
gouvernement.
Les procédures financières à la Chambre des communes canadienne
La Loi constitutionnelle de 1867
dispose que tout projet de loi portant affectation d’une partie des
revenus publics ou créant une taxe ou un impôt doit émaner
de la Chambre des
communes [44] .
Elle
interdit à la Chambre d’adopter une mesure portant affectation des
revenus publics ou créant une taxe ou un impôt qui n’aurait
pas d’abord été recommandée par le gouverneur
général pendant la session où la résolution a
été
proposée [45] .
D’autres
articles prévoient la création d’un fonds du revenu consolidé et son utilisation
pour les services publics [46] .
Le Règlement de 1867 à 1968
Les
premières éditions du Règlement de la Chambre des communes codifiaient les
règles des usages et procédures parlementaires consacrées par l’histoire
parlementaire britannique et, par la suite, les règles et procédures des
différentes assemblées législatives des colonies.
Le
principe capital régissant l’examen des mesures financières par le Parlement
voulait qu’on leur accorde le plus large examen possible, en comité et à la
Chambre. Le but était « d’éviter que le Parlement, par un vote imprévu ou hâtif,
n’engage des dépenses ou n’approuve des mesures pouvant entraîner des dépenses
lourdes et permanentes pour le pays [47] ».
Pour les
besoins du débat, le règlement de 1867 disposait que les mesures financières
devaient d’abord être examinées par un comité plénier avant d’être discutées à
la Chambre [48] .
En 1874, la
Chambre convenait de nommer désormais au début de chaque session un comité des
subsides et un comité des voies et moyens [49] .
Le Comité des
subsides approuvait le Budget des dépenses annuel du gouvernement, alors que le
Comité des voies et moyens examinait les propositions de recettes du
gouvernement et approuvait les prélèvements sur le Fonds du revenu consolidé
pour couvrir les mesures contenues dans le Budget des dépenses. Pour prémunir la
Chambre contre des décisions financières hâtives, une règle disposait qu’une
motion « pour une aide publique, ou charge sur le public » ne pouvait être prise
en considération immédiatement, mais devait être ajournée à une autre
séance [50] .
Il s’agissait
« d’éviter que les députés soient poussés à prendre une décision trop vite et de
donner à chacun tout le loisir d’exposer ses raisons pour appuyer ou rejeter la
mesure [51] ».
La
première édition du Règlement, sous la rubrique « Aides et Subsides », comportait
une référence à la Loi constitutionnelle de 1867
selon laquelle seule la Couronne avait l’initiative de proposer des recettes ou
dépenses. La règle prévoyait en outre qu’une mesure décrétant une « aide
publique » (dépense) ou une « charge sur le public » (impôt) devait d’abord être
présentée à la Chambre; autrement dit, seule la Chambre pouvait accorder des
crédits [52] .
En
gros, les procédures financières instaurées par ces règles demeureront
inchangées pendant 100 ans [53]. Toutefois, les
partis d’opposition finiront par recourir aux procédures financières pour
retarder, voire empêcher l’adoption par le gouvernement de mesures financières.
C’est ainsi que vers la fin des années 1960, ces procédures — qui étaient
demeurées à peu près inchangées pendant un siècle — seront révisées en
profondeur et rationalisées. Cette réforme devait respecter et garantir deux
principes contradictoires : le droit pour le gouvernement de faire adopter ses
mesures financières par le Parlement et le droit pour l’opposition d’attirer
l’attention sur les éléments qui méritent examen, d’en retarder l’adoption et de
les mettre en discussion.
La recommandation royale
Dans le
régime canadien, seule la Couronne a l’initiative des dépenses publiques et le
Parlement peut seulement autoriser les dépenses recommandées par le gouverneur
général [54] .
Cette
prérogative, appelée « initiative financière de la Couronne », est la pierre
d’assise du système de la responsabilité ministérielle et prend la forme d’une
« recommandation royale ». Par cette prérogative, le gouvernement a l’obligation
de présenter un budget complet et d’indiquer comment les fonds seront dépensés,
et il est également responsable de l’utilisation effective de ces fonds. La Loi constitutionnelle de 1867 dispose qu’« il ne sera pas
loisible à la Chambre des communes d’adopter aucune résolution, adresse ou bill
pour l’appropriation d’une partie quelconque du revenu public, ou d’aucune taxe
ou impôt, qui n’aura pas, au préalable, été recommandé à la chambre par un
message du gouverneur général durant la session pendant laquelle telle
résolution, adresse ou bill est proposé [55] ».
Cet article de
la Constitution a son pendant dans le Règlement de la Chambre [56] .
Pour
les cent premières années de la Confédération, toute mesure portant affectation
de crédits devait être précédée d’une résolution de la Chambre, dont le libellé
devait définir avec précision le montant et le but du crédit demandé. La
résolution était proposée par un ministre et recommandée par le gouverneur
général [57] .
Dans le projet
de loi qui suivait, chaque article impliquant une dépense devait être conforme
aux dispositions de la résolution et aucun député ne pouvait y proposer des
amendements qui auraient eu pour effet d’accroître le montant prévu dans la
résolution ou d’en modifier le but tel qu’autorisé par la résolution [58] .
Pour modifier un
article portant affectation de crédits, le gouvernement devait d’abord obtenir
une nouvelle résolution de la Chambre, toujours recommandée par le gouverneur
général, renfermant la modification proposée.
Vu que
le débat sur la résolution financière était souvent repris à l’étape de la
deuxième lecture du projet de loi, la Chambre a supprimé l’étape de la
résolution en 1968 [59] .
Désormais, la
recommandation de la Couronne serait transmise à la Chambre sous forme d’avis
imprimé paraissant dans le Feuilleton des Avis, et de
nouveau dans les Journaux une fois le projet de loi
présenté; elle serait aussi imprimée et annexée au texte du projet de
loi [60] .
Cette
modification ne change pas l’obligation constitutionnelle d’une recommandation
royale, ni sa forme, mais seulement la procédure à suivre.
En
1994, le Règlement a de nouveau été modifié pour éliminer l’obligation de
transmettre une recommandation royale à la Chambre avant la présentation d’un
projet de loi [61] .
La
recommandation royale peut désormais suivre la présentation du projet de loi à
la Chambre, à condition que ce soit avant la troisième lecture et l’adoption du
texte. Cependant, le gouvernement a conservé la pratique de joindre la
recommandation royale à ses propres projets de loi à l’étape de l’avis de
présentation à la Chambre [62] .
La
recommandation royale qui accompagne un projet de loi doit toujours paraître
dans le Feuilleton des Avis, figurer dans le projet
de loi ou y être annexée et paraître dans les Journaux.
En
général, il y a deux types de mesures qui autorisent le Parlement à dépenser et
qui nécessitent de ce fait une recommandation royale [63] :
- Les
projets de loi de crédits qui autorisent les prélèvements sur le Trésor selon
les montants approuvés dans le Budget des dépenses;
- Les
projets de loi qui autorisent de nouveaux prélèvements à des fins non prévues
dans le Budget des dépenses [64] .
Le prélèvement
ainsi créé doit être « nouveau et distinct »; autrement dit, il ne doit pas être
prévu autrement par une autorisation générale [65] .
Un
crédit accompagné d’une recommandation royale, bien qu’il puisse être réduit, ne
peut être augmenté ni redistribué sans une nouvelle recommandation [66] .
Vu que la
Chambre des communes a seule l’initiative des mesures législatives financières,
aucun projet de loi nécessitant une recommandation royale ne peut être présenté
au Sénat [67] .
En plus
de fixer le montant du prélèvement, la recommandation royale en définit l’objet,
les fins et les conditions. Un amendement qui augmente le montant du prélèvement
ou qui en élargit l’objet, les fins, les conditions ou les réserves est
irrecevable du fait qu’il empiète sur l’initiative financière de la
Couronne [68] .
Toutefois, la
recommandation royale n’est pas nécessaire si l’amendement a pour effet de
réduire des impôts qui sont normalement exigibles [69] .
Les
règles de la recommandation royale s’appliquent aussi aux projets de loi
parrainés par les députés [70].
Par le passé,
lorsqu’un projet de loi empiétait sur l’initiative financière de la Couronne, le
Président ne permettait pas qu’il suive son cours [71] .
Cependant,
depuis que la règle a été modifiée en 1994, on permet que des projets de loi de
députés impliquant des dépenses publiques soient présentés et suivent la filière
législative, en supposant qu’un ministre produira une recommandation royale
avant la troisième lecture et l’adoption du projet de loi [72] .
Si la
recommandation royale n’arrive pas à temps pour la troisième lecture, le
Président devra mettre un terme aux délibérations et juger la mesure
irrecevable. Il est du devoir du Président de s’assurer que les dispositions du
Règlement sur la recommandation royale, ainsi que la prescription
constitutionnelle, sont respectées. Aucune règle de la procédure financière ne
permet au Président de laisser la Chambre décider ou de s’en remettre à son
consentement unanime [73] .
Revendication par la Chambre de sa prérogative en matière de finances
La
Constitution et le Règlement de la Chambre prévoient qu’un projet de loi portant
affectation de crédits (une diminution des recettes publiques) ou imposant une
taxe ou un impôt (un prélèvement sur les contribuables) doit d’abord être
présenté et adopté à la Chambre des communes [74] .
Le Président a
déjà jugé qu’un projet de loi du Sénat portant affectation de deniers publics ne
pouvait être présenté à la Chambre et ordonné que l’avis de première lecture
soit rayé du Feuilleton [75] .
Le Président a
aussi statué qu’un projet de loi du Sénat, qui avait franchi l’étape de la
première lecture à la Chambre, imposait de fait une taxe et aurait dû provenir
de la Chambre; la procédure entreprise a été déclarée nulle et sans effet et il
a été ordonné que le projet de loi soit rayé du Feuilleton [76] .
De
l’avis de la Chambre, une mesure financière ne peut être modifiée par le
Sénat [77] .
Régulièrement
depuis la Confédération le Sénat a réaffirmé le droit de modifier les projets de
loi de finances [78] .
La plupart des
différends entre les deux chambres tournent autour de la question du pouvoir du
Sénat de modifier les mesures financières. Certains soutiennent que le Sénat
doit se limiter à adopter ou rejeter ces mesures [79] .
D’autres
prétendent que le Sénat a tous les pouvoirs pour les modifier, à condition qu’il
n’augmente pas le montant du crédit ou de l’impôt [80] .
La question est
de savoir si un projet de loi de finances est une mesure qui contient toute
disposition financière ou dont l’objet premier ou exclusif est financier et, par
voie de conséquence, si les restrictions au pouvoir du Sénat de le modifier
devraient s’étendre à l’ensemble du projet de loi ou uniquement à ses aspects
financiers. Une autre question est de savoir si le Sénat peut proposer des
amendements à un projet de loi qui modifie une loi financière existante [81].
Dans certains
cas, la Chambre des communes a rejeté les amendements du Sénat et revendiqué son
privilège financier [82] .
Mais dans
d’autres cas, la Chambre a renoncé à son privilège et accepté les amendements du
Sénat [83] .
Lorsque les
Communes acceptent des amendements du Sénat (à un projet de loi portant
affectation de crédits ou créant un impôt), elles renoncent habituellement à
leur privilège financier, tout en insistant sur le fait que la décision en
l’espèce ne constitue pas un précédent [84] .
Il est cependant
arrivé à l’occasion que la Chambre accepte ou rejette des amendements sans
invoquer ses privilèges [85] .
En deux
occasions au moins, le Président a refusé d’écarter des amendements du Sénat à
une mesure financière, en maintenant que c’est à la Chambre et non au Président
qu’il appartient d’invoquer ses privilèges ou d’y renoncer [86] .
Bien que le
Président ait reconnu son devoir d’attirer l’attention de la Chambre sur un
projet de loi ou un amendement du Sénat qui empiète sur ses privilèges [87] ,
il ne se
prononce pas sur le droit du Sénat de modifier une mesure financière, étant
donné qu’il s’agit d’une question constitutionnelle [88] .
Par contre, des
projets de loi du Sénat ont été écartés pour le motif qu’ils contrevenaient au
principe constitutionnel voulant que les mesures financières émanent de la
Chambre et soient présentées à l’initiative de la Couronne [89] .
La
Chambre permet toutefois au Sénat d’introduire ou de modifier des peines
pécuniaires contenues dans des projets de loi lorsque ces peines ont pour seul
objet de punir ou prévenir des crimes et délits et ne visent pas à créer une
dépense publique ou imposer des charges aux contribuables [90] .