Si je ne me trompe, la procédure
relative aux bills [projets de loi] d’intérêt privé
vise à protéger le public contre l’octroi sans
discrimination de pouvoirs spéciaux aux intérêts
privés. À mon avis, cette interprétation est
incontestable.
Président Lucien Lamoureux
(Débats, 22 février 1971, p. 3628)
L
a distinction entre loi publique et loi
privée nous vient de l’usage
britannique [1] .
Les
projets de loi d’intérêt privé diffèrent des
projets de loi d’intérêt public par leur objet, leur teneur
et la procédure d’adoption. Par définition, l’objet ou
le but d’un projet de loi privé est de conférer à une
ou plusieurs personnes, ou à un groupe de personnes, des pouvoirs ou
avantages spéciaux, ou d’exclure de telles personnes de
l’application générale d’un texte de loi.
Habituellement, un projet de loi public porte sur une question
d’intérêt public, est à l’avantage de la
communauté dans son ensemble et est présenté directement
par un député. Quant au projet de loi privé, il se
rapportera directement aux affaires d’un particulier ou d’un groupe,
notamment d’une société, qui est nommé dans le projet
de loi; il visera un but qui ne saurait être atteint au moyen d’une
loi générale et il sera fondé sur une pétition
présentée par un particulier ou un
groupe [2] .
Il ne faut pas confondre les projets de loi
d’intérêt privé avec les projets de loi émanant
des députés ou d’initiative parlementaire. Les projets de
loi privés sont parrainés par des députés, mais
l’expression « projets de loi émanant des
députés » désigne les projets de loi publics portant
sur une question d’intérêt public et qui sont
présentés par un député ne faisant pas partie du
Cabinet.
Les projets de loi privés sont
assujettis à certaines règles spéciales dans les deux
chambres du Parlement. Comme ces projets de loi demandent au Parlement de se
prononcer sur les intérêts de particuliers tout en surveillant les
intérêts du public, on dit qu’ils obligent le Parlement
à remplir une fonction à la fois judiciaire et
législative [3] .
Les projets de loi privés peuvent être présentés soit
à la Chambre des communes soit au Sénat, bien que la plupart
soient présentés au Sénat où les droits et les frais
imposés au promoteur sont moins
élevés [4] .
Les projets de loi privés doivent franchir les étapes
procédurales communes à toutes les mesures législatives;
ils doivent aussi satisfaire à certaines conditions parlementaires qui
les distinguent, sur le plan de la procédure, de tous les autres types de
projets de loi.
Sur le plan de ses origines, règles
et principes, la procédure des projets de loi privés est unique,
et elle a très peu changé depuis 1867. Relativement rares de nos
jours, les projets de loi privés ont déjà constitué
une partie importante des travaux législatifs de la Chambre. Au
début de la Confédération, la Chambre a
étudié un grand nombre de projets de loi privés visant
à établir des compagnies pour construire et exploiter les chemins
de fer et à constituer en personne morale des compagnies
interprovinciales, puisque c’était là le seul moyen
légal de procéder à la formation de ces
sociétés. Les projets de loi privés demandant la
dissolution des mariages occupaient aussi une grande partie du temps de la
Chambre, car le Parlement détenait la compétence
législative exclusive en matière de mariage et de
divorce.
De nos jours, la législation
d’intérêt privé ne représente qu’un
très faible pourcentage des travaux de la
Chambre [5] .
La plupart
des projets de loi privés traitent maintenant de la constitution en
personne morale — ou de modifications à des lois constitutives
— d’organismes religieux, de charité ou d’autres types,
et de compagnies d’assurances, de fiducie et de
prêt [6] .
Au cours
des dernières années, la législation
d’intérêt privé a été utilisée
pour la fusion de compagnies d’assurances et la reconstitution de petites
sociétés commerciales qui avaient antérieurement
été
dissoutes [7] .
Diverses
raisons expliquent la diminution du nombre de projets de loi privés, mais
cela est en grande partie attribuable aux changements apportés aux lois
d’application générale, comme la Loi sur la dissolution
et l’annulation du mariage en
1963 [8]
t la Loi
sur le mariage (degrés prohibés) en
1990 [9] ,
et aux
mécanismes administratifs qu’on trouve maintenant dans des lois
comme la Loi sur les corporations commerciales
canadiennes [10] ,
la Loi sur les corporations
canadiennes [11]
et la Loi sur les
banques [12] .
Dans ce chapitre, on expliquera en termes
généraux les divers types de projets de loi qui sont jugés
d’intérêt privé, on décrira les principes
à la base de la procédure d’adoption et la façon dont
ils sont appliqués, et on donnera un aperçu des
particularités du processus législatif suivi à la Chambre
des communes.