Recueil de décisions du Président Geoff Regan 2015 - 2019
Le privilège parlementaire / Droit des députés
Protection contre l’obstruction et l’ingérence : droit de participer à l’étape du rapport; parti non reconnu
Débats, p. 5797–5798.
Contexte
Le 6 juin 2016, Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands) soulève une question de privilège concernant le droit des députés de partis non reconnus de proposer des amendements à des projets de loi à l’étape du rapport[1]. Mme May fait observer que les comités permanents ont tous adopté des motions invitant les députés indépendants à présenter leurs amendements à des projets de loi lors de l’étude article par article en comité, ce qui les empêche nécessairement de le faire à l’étape du rapport. À son avis, le fait que tous les comités aient adopté une motion au libellé identique démontre qu’ils ne sont plus maîtres de leurs travaux. Elle ajoute que, puisque différents projets de loi peuvent se retrouver devant différents comités au même moment, cette procédure nuit aux droits d’un député d’un parti non reconnu qui ne peut se retrouver devant plusieurs comités en même temps. Elle affirme que les députés de partis non reconnus sont ainsi relégués dans une catégorie différente des autres députés. Le 10 juin 2016, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) soutient que, au contraire, l’adoption par les comités des motions en question facilite la participation des députés de partis non reconnus à l’étude des projets de loi[2]. Le vice-président (Bruce Stanton) prend la question en délibéré.
Résolution
Le 18 octobre 2016, le Président rend sa décision. Il explique que les députés ont deux occasions de proposer des modifications aux projets de loi : en comité, lors de l’étude article par article, et à la Chambre, lors de l’étape du rapport. Il précise que l’évolution de la procédure parlementaire au fil du temps assure que les motions déjà déclarées irrecevables en comité ou qui auraient pu être proposées à l’étape du comité ne soient pas étudiées de nouveau à l’étape du rapport. Quant à la façon dont les comités ont choisi de permettre la participation des députés de partis non reconnus pendant l’étude des projets de loi, il explique que les comités adoptent régulièrement des motions touchant la gestion de leurs travaux. Selon lui, cette pratique témoigne de l’évolution de la procédure en comité. Puisque les comités sont et demeurent maîtres de leurs travaux, il doit donc présumer que les motions ont été adoptées en suivant les règles de procédure. À son avis, les droits des députés de partis non reconnus n’ont pas été brimés. Par conséquent, le Président juge qu’il ne peut y avoir, de prime abord, matière à question de privilège.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 6 juin 2016 par la députée de Saanich—Gulf Islands concernant le droit des députés de partis non reconnus de proposer des amendements à des projets de loi à l’étape du rapport.
Je remercie l’honorable députée d’avoir soulevé la question, de même que l’honorable secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes et le député de Beloeil—Chambly de leurs observations.
Lors de son intervention, la députée de Saanich—Gulf Islands a souligné que les députés indépendants ont eu par le passé le droit de proposer des motions d’amendement à des projets de loi lors de l’étape du rapport. Elle a fait observer que cette situation a changé lorsque tous les comités ont adopté des motions au libellé identique obligeant plutôt les députés indépendants à présenter leurs amendements lors de l’étude article par article des projets de loi en comité. Parce qu’ils ont agi de concert, a-t-elle fait valoir, les comités ne sont plus maîtres de leurs travaux et ont supplanté le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, qui a la mission d’examiner les procédures de la Chambre, y compris à l’étape du rapport. Du fait que différents projets de loi se retrouvent devant différents comités, la nouvelle procédure, en ses mots, « est peu pratique, inapplicable et elle nuit à mes droits ». Elle a affirmé que cette façon de faire avait pour résultat que les députés de partis non reconnus se trouvaient appartenir, quant à leurs droits et à leurs privilèges, à une catégorie différente de celles des autres députés.
Le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes a avancé que, bien au contraire, la capacité de la députée à participer au processus d’amendement des projets de loi et d’ainsi exercer ses fonctions parlementaires avait été renforcée par l’adoption par les comités de motions permettant aux députés de partis non reconnus de proposer des amendements en comité.
La question soulevée par la députée de Saanich—Gulf Islands met en doute la légitimité du processus d’amendement des projets de loi imposé aux députés de partis non reconnus. La députée demande à la présidence de reconnaître qu’il est plus légitime de permettre à ces députés de proposer leurs amendements à l’étape du rapport qu’à l’étape du comité.
Comme ça a toujours été le cas, les députés ont deux occasions de proposer des amendements au libellé d’un projet de loi au cours du processus législatif : d’abord lors de l’étude article par article du projet de loi faite en comité, ensuite à l’étape du rapport. Cela dit, ces deux occasions ne sont pas identiques en tout point. En fait, au fil du temps, nos règles et nos pratiques ont évolué de telle manière que les comités sont devenus, et ce depuis un certain temps déjà, le principal véhicule de modification des projets de loi. Dans sa décision du 21 mars 2001, le Président Milliken a mis cette réalité en évidence lorsqu’il a affirmé, à la page 1993 des Débats de la Chambre des communes :
[…] je recommande fortement à tous les députés et à tous les partis de se prévaloir pleinement de la possibilité de proposer des amendements à l’étape du comité afin que l’étape du rapport retrouve sa vocation originale, celle de permettre à la Chambre d’étudier le rapport du comité et le travail accompli par celui-ci et d’effectuer tout travail supplémentaire qu’elle juge nécessaire pour parfaire l’étude détaillée du projet de loi.
En fait, les modifications apportées à l’article 76.1 du Règlement en 2001 prévoient que, lors de l’étape du rapport, le Président normalement ne choisit pas une motion qui a déjà été déclarée irrecevable en comité ou qui aurait pu être présentée en comité.
Plus récemment, dans une décision rendue le 9 juin 2015, à la page 14830 des Débats, mon prédécesseur, le député de Regina—Qu’Appelle, a rappelé aux députés que l’étape du rapport, et je cite :
[…] n’a pas pour but de permettre un nouvel examen en profondeur des dispositions des projets de loi. Voilà pourquoi la présidence choisit avec soin les types de motions qui peuvent être étudiées à l’étape du rapport. La présidence se fonde alors sur la présomption que le comité a amplement eu l’occasion d’examiner les dispositions du projet de loi lors de l’étude article par article ainsi que les amendements proposés.
Par conséquent, on ne peut se méprendre sur l’intention de la Chambre ou le rôle du Président quant au but auquel tend l’étape du rapport comparativement à celui que visent les comités pour ce qui est des amendements aux projets de loi.
Bien qu’elle ait en principe reconnu cet état de fait, la députée de Saanich—Gulf Islands a soutenu que, dans la pratique, la procédure en cause pose un grand nombre de difficultés pour les députés de partis non reconnus, au point d’empêcher la députée de remplir ses fonctions parlementaires. Elle a conclu que l’adoption de motions identiques par tous les comités constitue la preuve qu’ils ne sont plus maîtres de leurs travaux.
Il est écrit ceci à la page 1047 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition :
Cette notion renvoie, d’une part, à la liberté dont disposent habituellement les comités pour organiser leurs travaux comme ils l’entendent et, d’autre part, à la possibilité qu’ils ont de définir eux-mêmes certaines règles de procédure utiles au bon déroulement de leurs délibérations.
Pas plus tard que le 9 mai 2016, dans une décision à l’étape du rapport, je me suis prononcé sur cette question. Il a alors été clairement établi que, puisque les comités continuent d’utiliser la souplesse que leur procure le fait d’être maîtres de leurs travaux pour fournir à tous les députés l’occasion de proposer des amendements, la présidence s’attend à ce que les députés, en contrepartie, mettent à profit cette occasion.
À la page 3045 des Débats, j’ai affirmé :
[…] la présidence se montrera plus stricte à l’étape du rapport. À moins de circonstances tout à fait exceptionnelles, la présidence ne choisira pas, à l’étape du rapport, les motions qui auraient pu être présentées en comité. J’incite les députés à faire ce qu’il faut pour que les amendements soient étudiés en comité afin que l’étape du rapport ne devienne pas une répétition de l’étude article par article des projets de loi.
Puisqu’on lui demande de se prononcer sur la validité procédurale de la décision des comités d’adopter ces motions, la présidence prend soin de garder à l’esprit la pratique de longue date voulant qu’elle s’abstienne d’intervenir dans les procédures internes des comités, sauf si un comité en fait la demande expresse dans un rapport à la Chambre.
En conséquence, en l’absence de rapport de l’un des comités à cet effet, la présidence doit présumer que la procédure correcte — notamment pour ce qui est du préavis, des débats, des amendements et de la décision — a été suivie et que la majorité des membres de chaque comité était favorable à l’adoption des motions en question.
Qu’il revienne aux comités de déterminer quelle est la meilleure procédure à adopter pour l’exécution de leur mandat est un principe bien implanté. Dans une décision rendue le 6 juin 2013, au sujet d’une motion semblable adoptée par le Comité permanent des finances lors de la législature précédente, mon prédécesseur a fait remarquer, à la page 17797 des Débats :
Les députés ne s’étonneront pas d’apprendre que la Chambre et ses comités ont fréquemment recours à des motions de procédure afin de faciliter le déroulement des travaux. La procédure dans les comités est particulièrement souple et diverse, et de nombreux comités ont fréquemment recours à une grande variété de procédés afin d’organiser leur travail.
En fait, les comités adoptent souvent des motions de fond dont le libellé est quasiment identique sur une panoplie de sujets. Par exemple, lors des séances d’organisation, de nombreux comités adoptent des motions de routine concernant la distribution de documents aux membres des comités, le traitement des transcriptions des réunions à huis clos, la présence d’employés lors des réunions à huis clos, le dédommagement des témoins, etc. Le fait que ces motions soient souvent très semblables ou même identiques témoigne de la mise en place de pratiques exemplaires dans la procédure des comités et du besoin d’adapter la procédure aux circonstances.
En outre, la présidence ne peut conclure que les différents comités, en adoptant ces motions, se sont arrogé d’une façon quelconque le rôle du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. En réalité, le rôle de ce comité est distinct et demeure intact, car son pouvoir de réviser les procédures et les pratiques continue d’exister de façon concomitante, bien qu’indépendante, du pouvoir des comités de décider de leur procédure interne. Seule la Chambre pourrait en décider autrement.
Le rôle du Président dans la protection des droits et des privilèges de tous les députés est sans conteste l’un des plus importants, et je le prends très au sérieux. Dans les circonstances qui nous occupent, la présidence est d’avis que le droit des députés des partis non reconnus d’amender les projets de loi n’a été ni restreint ni supprimé. Au contraire, il a été sauvegardé, bien que ce soit au moyen d’un processus qui, de toute évidence, déplaît à la députée de Saanich—Gulf Islands et qu’elle trouve difficile à gérer.
Par conséquent, je ne peux conclure qu’il y a de prime abord matière à question de privilège. Je remercie la Chambre de son attention sur cette question.
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[1] Débats, 6 juin 2016, p. 4073–4074.