Le privilège parlementaire / Droits des députés

Liberté de parole : droit des députés relativement aux rappels au Règlement

Débats, p. 20170–20171.

Contexte

Le 25 mai 2018, Daniel Blaikie (Elmwood—Transcona) soulève une question de privilège au sujet du droit des députés d’invoquer le Règlement s’ils considèrent que les règles de la Chambre ont été enfreintes[1]. Alors que M. Blaikie invoque le Règlement plus tôt ce jour-là au sujet du Budget principal des dépenses 2018–2019 et du crédit 40 du Conseil du Trésor, le Président met fin à son intervention en indiquant qu’il en a entendu suffisamment[2]. M. Blaikie allègue que le Président met en doute les motivations l’ayant mené à invoquer le Règlement. Il affirme que le Président ne lui a pas permis de poursuivre son intervention, ce qui, selon lui, constitue sune atteinte au privilège parlementaire des députés. Le Président fait savoir que le fait d’invoquer le Règlement n’est pas un droit sans limites et qu’il peut déterminer quand il en a suffisamment entendu, mais qu’il prend néanmoins la question en délibéré[3].

Résolution

Le 4 juin 2018, le Président rend sa décision. Il explique qu’il est attendu que les députés présentent leurs observations de manière succincte lorsqu’ils soulèvent une question de privilège ou qu’ils invoquent le Règlement. Le Président fait valoir que la présidence peut informer le député lorsqu’elle considère qu’elle dispose des informations nécessaires pour se prononcer ou pour prendre l’affaire en délibéré. Il explique que les députés ne peuvent invoquer le Règlement ou soulever une question de privilège au sujet d’une décision déjà rendue par le Président, car cela constitue une contestation de son autorité. Il affirme que les allégations de M. Blaikie vont en ce sens. Le Président conclut en statuant que la question n’est pas fondée de prime abord.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 25 mai par le député d’Elmwood—Transcona concernant les droits des députés.

Dans son intervention sur sa question de privilège, l’honorable député d’Elmwood—Transcona a allégué que, en mettant fin à son intervention sur le rappel au Règlement concernant la validité, sur le plan procédural, du crédit 40 sous la rubrique Secrétariat du Conseil du Trésor dans le Budget principal des dépenses, la présidence a porté atteinte à ses privilèges, car elle aurait ainsi remis en question les motivations qui ont poussé le député à soulever le rappel au Règlement. Le député a assuré à la Chambre que son rappel au Règlement n’était motivé par aucune intention cachée. Il a demandé qu’il soit conclu que les mesures prises par la présidence constituent, de prime abord, une atteinte aux privilèges afin que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre puisse se pencher sur la question.

Il est bien établi qu’on s’attend à ce que les députés, dans leurs interventions sur des questions de privilège ou des rappels au Règlement, présentent leurs observations de façon succincte. Une fois que la présidence est convaincue qu’elle dispose des renseignements nécessaires, elle peut en informer le député. La présidence peut alors se prononcer immédiatement sur la question ou prendre l’affaire en délibéré.

Comme je l’ai souligné lorsque le rappel au Règlement a été soulevé la première fois, on peut lire ce qui suit à la page 638 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes : « En vertu du Règlement, un rappel au Règlement peut faire l’objet d’un bref argumentaire si le Président y consent. »

Le Président suppléant Devolin l’a bien expliqué le 13 juin 2012, à la page 9374 des Débats : « […] un député ne peut pas parler aussi longtemps qu’il le désire. La présidence a le droit de mettre fin à la discussion […] C’est au Président d’en décider, selon son bon jugement. » Autrement dit, les députés n’ont pas un temps de parole illimité.

De plus, il n’est pas conforme à nos usages que, une fois que la présidence a décidé ou a conclu qu’elle disposait de suffisamment d’information, les députés invoquent à nouveau le Règlement, car ils peuvent ainsi donner l’impression de miner ou de mettre en doute l’autorité de la présidence.

Dans le cas présent, les allégations que le député d’Elmwood—Transcona a soulevées sous la forme d’une question de privilège ne peuvent être perçues comme étant autre chose qu’une contestation de cette autorité. La page 641 du Bosc et Gagnon l’explique clairement, et je cite :

Les députés ne peuvent invoquer le Règlement pour discuter d’une question dont le Président a déjà décidé qu’il ne s’agissait pas d’une question de privilège, ou pour soulever une objection en tant que question de privilège après que le Président eut déterminé que la question ne pouvait pas faire l’objet d’un rappel au Règlement.

Soyons clairs, nos usages et traditions en matière de procédure interdisent le recours aux questions de privilège ou aux rappels au Règlement de cette façon, précisément pour que l’autorité de la présidence ne soit pas contestée à la légère ou de façon répétée.

Je tiens aussi à prendre un moment pour revenir de façon plus générale sur les événements du 25 mai. Rarement les délibérations ont été tant perturbées que ce jour-là. En ma qualité de Président, je suis appelé à être le gardien des droits et privilèges de tous les députés et de la Chambre, et il m’incombe donc de faire respecter l’ordre et le décorum. D’ailleurs, l’article 10 du Règlement le prévoit clairement : « Le Président maintient l’ordre et le décorum et décide des questions d’ordre. En décidant d’une question d’ordre ou de pratique, le Président indique l’article du Règlement ou l’autorité applicable en l’espèce. Aucun débat n’est permis sur une décision de ce genre, qui ne peut faire l’objet d’aucun appel à la Chambre. »

En parallèle, comme mon prédécesseur l’a expliqué le 23 avril 2013 à la page 15799 des Débats, il faut se rappeler de ce qui suit, et je cite :

[…] ce sont les députés qui choisissent parmi eux un Président chargé de faire respecter les règles qu’eux-mêmes ont établies et qu’ils peuvent eux-mêmes modifier. Par conséquent, ce n’est qu’avec la participation active des députés que le Président, qui a besoin du soutien et du bon vouloir de la Chambre afin d’exercer les fonctions qui lui incombent, peut faire appliquer les règles.

L’autorité du Président ne peut donc être efficacement exercée qu’avec l’appui sans réserve de tous les députés. Il est dans l’intérêt de la Chambre, en tant qu’institution, que les députés se comportent de manière à ce que les délibérations soient menées convenablement et respectueusement. Il revient à chacun d’entre nous de protéger la réputation de la Chambre des communes et il nous faut donc nous comporter de façon à ne pas la déprécier aux yeux de nos concitoyens.

Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a mené une étude sur l’ordre et le décorum en 2007. Les conclusions qui ont été formulées dans le 37e rapport du Comité devraient tous nous guider dans cette enceinte :

Le Président ne peut exercer son autorité que s’il reçoit l’appui et les conseils de tous les partis et de chaque député. Les partis reconnus à la Chambre s’engagent à aider le Président à cet égard et à ne pas remettre en question ses décisions. Il nous incombe à tous, en tant que députés, d’appuyer le travail du Président en ce sens. Nous croyons fermement qu’il est dans l’intérêt de la Chambre, en tant qu’institution ayant un long et riche passé, et de ses membres, en tant que représentants élus de la population canadienne, que le Président et tous les députés fassent le nécessaire pour que la Chambre soit perçue comme un endroit digne de respect et d’admiration.

J’ai pu constater que la tâche du Président n’est pas toujours facile, prévisible ou claire; autrement dit, ce n’est pas une science exacte. En fait, c’est tout le contraire. La présidence comprend que cela vaut autant pour la tâche des députés étant donné le contexte dans lequel nous travaillons. Dans ses décisions et ses réponses, la présidence doit respecter rigoureusement les règles et les pratiques adoptées par la Chambre, et, ce qui est plus important encore, elle doit tenir compte de ce qu’elle estime être dans l’intérêt supérieur de la Chambre à court et à long terme. Cela dit, pareilles décisions sont souvent rendues dans l’urgence pour régler des questions nouvelles ou changeantes.

En conciliant ces deux réalités, la présidence s’emploie à guider les délibérations de la Chambre de façon équitable, de manière à respecter les députés individuellement et collectivement. Même si les différents rôles et les différentes responsabilités des députés et de la présidence peuvent parfois sembler difficiles à équilibrer, je crois fermement, en ma qualité de Président et de représentant élu, qu’ensemble, nous visons à atteindre l’objectif commun énoncé dans le rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre publié en 2007.

En ma qualité de Président, je suis votre serviteur et je préside les délibérations en fonction des règles que vous m’avez données. Nous avons l’habitude des débats musclés et enflammés, et je suis persuadé que, même si dans le cas présent il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège, nous avons trouvé une façon productive et respectueuse de poursuivre notre important travail.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 25 mai 2018, p. 19692.

[2] Débats, 25 mai 2018, p. 19674.

[3] Débats, 25 mai 2018, p. 19692.