Recueil de décisions du Président Gilbert Parent 1994 - 2001
Les comités / Rapports
Projet de loi émanant des députés : étude en comité; refus de faire rapport
Débats, p. 4560-4562
Contexte
Le 16 septembre 1996, au début de la séance, Jack Ramsay (Crowfoot) soulève une question de privilège au sujet du Comité permanent de la justice et des questions juridiques qui a refusé de faire rapport du projet de loi C‑234, Loi modifiant le Code criminel, référé au Comité par la Chambre le 12 mars 1996. En s’appuyant sur la jurisprudence de Beauchesne, M. Ramsay fait valoir qu’un comité ne peut se substituer à la Chambre pour prendre une telle décision et est obligé de faire rapport à la Chambre[1] Le 19 juin 1996, un avis de question de privilège avait été soulevé par John Nunziata (York-Sud—Weston) sur le même sujet[2]. Don Boudria (whip en chef du gouvernement) a rappelé à la présidence une situation similaire survenue lors de la dernière législature pour laquelle le Président Fraser avait déclaré, le 26 février 1992, que la question ne constituait pas une violation des privilèges d’un député[3]. Après avoir entendu le point de vue de plusieurs autres députés, le Président réserve sa décision.
Résolution
Le 23 septembre 1996, le Président rend sa décision. Il déclare que le projet de loi appartient à la Chambre qui en a confié l’examen au Comité de la justice et que si la Chambre est d’avis que le projet de loi est devant le Comité depuis trop longtemps, elle peut se pencher sur la question. Il estime qu’il n’y a pas eu atteinte au privilège parce que la capacité des députés d’exercer leurs fonctions de députés n’a pas été entravée.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par le député de Crowfoot le 16 septembre 1996 au sujet des délibérations du Comité permanent de la justice et des affaires juridiques sur le projet de loi C‑234, Loi modifiant le Code criminel.
Je remercie le whip en chef du gouvernement, les honorables députés de St. Albert (John Williams), Mission—Coquitlam (Daphne Jennings), Fraser Valley East (Chuck Strahl), Lethbridge (Ray Speaker), Prince George—Bulkley Valley (Dick Harris), Calgary-Nord (Diane Ablonczy), Okanagan—Shuswap (Darrel Stinson), Wild Rose (Myron Thomson) et Yorkton—Melville (Garry Breitkreuz), et le parrain du projet de loi, l’honorable député de York-Sud—Weston, de leur contribution sur ce sujet.
Dans leurs observations, les députés ont informé la Chambre que le Comité permanent avait étudié le projet de loi, qu’il avait voté contre chaque article et qu’il avait enfin décidé de ne pas faire rapport du projet de loi à la Chambre. Dans son intervention, le député de Crowfoot a soutenu que le Comité avait porté atteinte à ses privilèges de député en ayant décidé par vote, lors de sa [réunion] du 18 juin 1996, de ne pas faire rapport du projet de loi C‑234 à la Chambre. Il a aussi soutenu que les membres du comité s’étaient rendus coupables d’outrage au Parlement par leur conduite.
Le Président prend toujours très au sérieux toutes les questions touchant les privilèges des députés, surtout toute question qui pourrait constituer un outrage à la Chambre.
Il faut dire clairement dès le début — c’est un principe appliqué depuis longtemps — qu’il n’appartient pas au Président de s’immiscer dans les délibérations d’un comité à moins qu’il ne s’agisse d’un cas si extrême et si criant qu’il déborde les limites acceptées et constitue un outrage à la Chambre ou, d’une manière si excessive, une atteinte aux privilèges d’un député.
Comme on le dit dans le commentaire 24 de la 6e édition de Beauchesne, que l’honorable député de Crowfoot a partiellement cité, « les privilèges du Parlement sont ceux qui sont absolument indispensables à l’exercice régulier de ses pouvoirs ». Les députés le savent, ces privilèges sont précieux. Ils existent dans le but d’assurer que les députés, individuellement, et la Chambre dans son ensemble, puissent remplir convenablement leur rôle de représentants élus des Canadiens.
Mais le privilège parlementaire est aussi limité. Il garantit la liberté de parole et, il va de soi, le droit de chaque député de voter librement sur les questions soumises à la Chambre. Il garantit également que la Chambre profite du travail de ses députés sans entrave. Enfin, le privilège existe afin de maintenir l’autorité et la dignité de la Chambre. Bien que la question qui nous est soumise soit grave, je suis plutôt porté à la considérer comme un grief de fond que comme une question de privilège.
Cela dit, ce grief est assez grave pour justifier d’autres considérations.
Tous les députés le savent, les comités sont créés par la Chambre. Lorsqu’un projet de loi est renvoyé à un comité, celui-ci a le pouvoir de l’étudier, de le modifier s’il est d’avis qu’il y a lieu de le faire, et d’en faire rapport à la Chambre avec ou sans propositions d’amendement. Ces pouvoirs sont explicitement énoncés dans le commentaire 831(2) de la 6e édition de Beauchesne, que plusieurs députés ont cité. Bien qu’il soit souvent dit que les comités sont maîtres de leurs propres délibérations, ils restent tout de même subordonnés à la Chambre et ne peuvent se substituer d’eux-mêmes à celle-ci. Le commentaire de la 4e édition de Bourinot, aux pages 520 et 521, le dit clairement :
Tout comité saisi d’un projet de loi d’intérêt public est tenu d’en faire rapport. La Chambre seule a le pouvoir d’en empêcher l’adoption ou d’en ordonner le retrait.
Ce commentaire découle d’un précédent canadien du 14 mai 1886 et se trouve aux pages 516 et 517 des Débats du Sénat.
Toutefois, à moins que la Chambre ne fixe expressément au comité une date pour faire rapport, le projet de loi appartient au comité jusqu’à ce qu’il en fasse rapport à la Chambre. Bien qu’un comité doive toujours s’efforcer de faire rapport d’un projet de loi à la Chambre avec diligence, avoir décidé de ne pas faire rapport du projet de loi n’empêche pas le comité d’en reprendre l’étude et d’en faire rapport à la Chambre à une date ultérieure. En conséquence, la décision du Comité de la justice de ne pas faire rapport à la Chambre au sujet du projet de loi C‑234 pour l’instant n’est pas une atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Chambre.
Les députés devraient également se rappeler que la Chambre a toujours le droit de modifier les termes de l’ordre de renvoi d’un projet de loi à un comité. Si un député ou un ministre est d’avis qu’un comité chargé de l’examen d’un projet de loi brave l’autorité de la Chambre, il peut choisir de porter le fait à l’attention de la Chambre. Il peut le faire en donnant avis d’une motion tendant à exiger du comité qu’il fasse rapport au plus tard à une date donnée. Les députés le savent, cet avis peut être inscrit aux Ordres émanant du gouvernement ou aux Affaires émanant des députés, mais un tel avis de motion pourrait aussi être inscrit sous la rubrique Motions et débattu au cours des Affaires courantes. Tout comme le Président Fraser l’a précisé dans sa décision du 13 juillet 1988, à page 17506 des Débats au sujet de [l’article] 56(1)p) du Règlement d’alors, et qui est maintenant [l’article] 67(1)p) :
Cet article énumère les motions débattables, présentées normalement au cours des Affaires courantes ordinaires, à savoir « les motions [concernant] l’administration des affaires [de la Chambre et] l’agencement de ses travaux ».
La rubrique Motions englobe habituellement les questions reliées à l’administration des affaires de la Chambre et de ses comités, mais elle n’est pas de la compétence exclusive du gouvernement, malgré sa prérogative indiscutable d’arrêter le programme des travaux dont la Chambre est saisie.
Selon nos pratiques, la présidence peut bien accepter une telle motion, après avis réglementaire, à la condition qu’elle porte strictement sur les termes de l’ordre de renvoi d’un projet de loi au comité et ne constitue pas une tentative d’ingérence dans les délibérations du comité relatives au projet de loi. Dans de tels cas, la Chambre aurait l’occasion de décider si le projet de loi doit demeurer au comité ou faire l’objet d’un rapport.
D’après nos règles de procédure, la Chambre doit toujours garder le contrôle des affaires qu’elle défère à un comité. Dans différentes circonstances, il peut se présenter une situation dans laquelle une majorité de députés, sans égard aux partis, décident, pour un motif quelconque, de retirer ou de ne pas retirer un projet de loi du comité, même un projet de loi du gouvernement.
Le projet de loi C‑234 appartient à la Chambre qui en a confié l’examen au Comité de la justice. Comme pour tout projet de loi renvoyé à un comité, la Chambre attendrait normalement que le comité fasse rapport. Cependant, si la Chambre est d’avis que le projet de loi est devant le comité depuis trop longtemps, elle peut se pencher sur la question.
Comme le Président Fraser l’a souligné dans une décision sur une question semblable rendue le 26 février 1992 et qu’on peut lire à la page 7624 des Débats :
Si la Chambre souhaite en prendre acte, elle doit alors le faire, bien entendu. Cependant, à mon avis, il ne conviendrait pas que la présidence intervienne à ce stade-ci.
Je souscris à l’avis du Président Fraser.
Puisque les députés et la Chambre ont une solution à leur disposition, je ne puis conclure que la décision prise par le Comité a empêché les députés d’exprimer leur avis ou de remplir leurs fonctions parlementaires. En conséquence, il n’y a pas eu atteinte au privilège parce que la capacité des députés d’exercer leurs fonctions de députés n’a pas été entravée.
Encore une fois, je remercie les honorables députés d’avoir soulevé cette importante question.
P0908-f
35-2
1996-09-23
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[1] Débats, 16 septembre 1996, p. 4197-4201.