Le privilège parlementaire / Droits des députés

Entrave au travail des députés — intimidation et immunité : prétendue intimidation d’un député; signification de documents juridiques dans l’enceinte du Parlement

Débats, p. 20693-20694

Contexte

Le 4 juin 1993, après les Questions orales, M. Brian Tobin (Humber—Sainte-Barbe—Baie Verte) soulève une question de privilège au sujet d’une lettre qu’il a reçue avant la période des questions au moment où il se trouvait dans l’une des antichambres de la Chambre. Cette lettre provenait des avocats du directeur des communications de l’un des candidats dans la campagne à la direction du Parti progressiste-conservateur. Dans cette lettre, les avocats informent M. Tobin de leur intention de se réserver le droit d’intenter une action en libelle contre celui-ci à la suite d’une déclaration écrite et verbale qu’il a faite à l’extérieur de l’enceinte de la Chambre, le 3 juin 1993, au sujet du directeur des communications, à moins que M. Tobin ne présente des excuses complètes et inconditionnelles et fasse une rétractation à ce sujet. M. Tobin soutient que la signification de cette lettre dans l’enceinte de la Chambre constituait une violation de ses privilèges et que les gestes posés par le directeur des communications et ses avocats, de même que ceux de l’hon. Harvie Andre (ministre d’État et leader du gouvernement à la Chambre des communes), qui connaissait le contenu de la lettre, constituaient une tentative d’intimidation visant à l’empêcher de s’acquitter de ses fonctions. M. Tobin soutient aussi que le ministre devrait être tenu de déposer cette lettre puisqu’il l’avait citée lors d’un échange tenu pendant les Questions orales. Le ministre reconnaît qu’il a reçu copie de la lettre remise à M. Tobin, mais il soutient qu’il l’a reçue après qu’elle eût été transmise à M. Tobin. Le ministre informe aussi la Chambre que le document qu’il avait cité durant la période des questions était celui que M. Tobin avait porté à l’attention des médias et qu’il contenait, selon lui, une déclaration erronée « fausse et diffamatoire ». Après avoir écouté un certain nombre d’interventions, la vice-présidente (l’hon. Andrée Champagne) informe tout d’abord la Chambre qu’un ministre ne peut être tenu de déposer une lettre qui ne constitue pas un « document d’État » et indique ensuite qu’elle prend l’affaire en délibéré. D’autres députés interviennent également à ce sujet[1]. Le 10 juin 1993, la vice-présidente rend la décision qui est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

Mme Le vice-président (Mme Champagne): Je suis maintenant prête à rendre ma décision au sujet de l’affaire soulevée par le député de Humber—Sainte-Barbe—Baie Verte le vendredi 4 juin 1993. J’espérais que le député soit à la Chambre. Il a été prévenu, mais, malheureusement, il n’était pas ici hier, et il n’y est pas aujourd’hui.

Dans son exposé, le député a affirmé qu’il a reçu, dans un des couloirs, juste avant la période des questions, une lettre des procureurs de M. Tim Ralfe, l’avisant de leur intention de se réserver le droit d’intenter une action en libelle contre le député. La lettre, dont j’ai pris connaissance, exige que le député présente des excuses complètes et inconditionnelles et fasse une rétractation au sujet d’une déclaration écrite et verbale au sujet de M. Ralfe, qui, selon la lettre, aurait été faite hors de l’enceinte du Parlement le 3 juin 1993. Le député de Humber—Sainte-Barbe—Baie Verte affirme que la remise de cette lettre dans l’enceinte du Parlement constitue une atteinte aux privilèges. Il a soutenu que la conduite de M. Ralfe et de ses procureurs et la connaissance que le leader du gouvernement à la Chambre paraissait avoir de la lettre constituent une tentative de l’intimider et de l’empêcher d’exercer ses fonctions.

J’ai examiné la situation, relu ce qui a été dit pendant la période des questions et le débat sur le sujet. Je tiens à profiter de l’occasion pour remercier les députés qui sont intervenus dans ce débat.

Comme l’honorable député de Glengarry—Prescott—Russell (M. Don Boudria) l’a signalé, il faut répondre à deux questions pour déterminer s’il y a apparence d’atteinte à un privilège. Y a-t-il eu tentative d’intimider un député dans l’exercice de ses fonctions? Des actes juridiques ont-ils été signifiés ou remis dans l’enceinte du Parlement, plus précisément dans l’un des corridors, sans l’autorisation du Président?

Dans [la première édition de] Le privilège parlementaire au Canada, Joseph Maingot dit ceci, à la page 115 :

Il est bien établi que le parlementaire jouit d’un privilège absolu en droit pour ce qu’il dit et ce qu’il fait pendant les délibérations du Parlement; en revanche, il parle en dehors de la Chambre à ses risques et périls, sans la protection du privilège parlementaire. Cependant, dans ces circonstances, il jouit comme tout justiciable de l’éventuelle protection de la common law.

Bien qu’il soit du devoir du Président de maintenir l’ordre à la Chambre, comme serviteur de la Chambre, il n’a pas le pouvoir de prendre d’action disciplinaire contre un député pour ce qui a été dit ou ce qui a été fait en dehors de la Chambre même. Ce qu’un député dit en dehors de la Chambre à propos d’autrui est sujet aux lois générales sur le libelle ou la diffamation comme ce serait le cas pour tout autre Canadien-pourvu que les déclarations puissent donner lieu à poursuite judiciaire. Toutefois, ce qu’un député dit à la Chambre donne lieu à la protection du privilège. Donc, si la situation est conforme à ce qu’affirme le député de Humber—Sainte-Barbe—Baie Verte, elle ne peut être considérée comme une atteinte à un privilège et, en conséquence, il n’y a pas lieu, pour le Président, d’intervenir.

Il existe une longue tradition en vertu de laquelle il est interdit de signifier des actes de procédure dans l’enceinte de la Chambre des communes. La présidence a toujours affirmé que la signification d’actes de procédure sans l’autorisation du Président serait irrégulière. Pour ce qui est des affaires civiles, le principe a été réaffirmé avec vigueur dans la décision de la présidence du 19 mai 1989[2].

Après avoir soigneusement examiné la lettre délivrée au député par les procureurs de M. Ralfe, la présidence doit conclure qu’elle ne tombe pas sous la définition d’acte de procédure entendu au sens d’acte émanant d’une cour de justice. Il est évident, d’après la teneur de la lettre, qu’aucune action judiciaire n’a encore été entreprise et que la délivrance de la lettre ne constitue pas la signification d’un acte de procédure. La lettre aurait pu tout aussi bien être transmise par courrier que livrée par porteur. Il n’était pas nécessaire de prévenir le Président; il n’y a pas non plus de motif pour la présidence d’intervenir dans cette affaire.

Pour ces motifs, la situation ne satisfait pas aux critères pour qu’il y ait apparence d’atteinte aux privilèges. Je remercie le député.

F0122-f

34-3

1993-06-10

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[1] Débats, 4 juin 1993, p. 20375-20377.

[2] Débat, 19 mai 1989, pp. 1951-3.