Le processus législatif / Divers

Projets de loi omnibus : recevabilité; titres intégraux

Le 1er avril 1992

Débats, p. 9147-9149

Contexte

Le 30 mars 1992, M. David Dingwall (Cape Breton—Richmond-Est) invoque le Règlement au sujet du projet de loi C‑63, Loi portant dissolution de sociétés et organismes. M. Dingwall s’inquiète du caractère omnibus du projet de loi qui comporte, selon lui, six propositions différentes puisqu’il vise à dissoudre divers organismes gouvernementaux. Il fait valoir que le projet de loi ne permet pas aux députés de débattre véritablement de ses aspects précis. Il affirme également que le titre intégral du projet de loi devrait mentionner nommément chacun des organismes visés. Après avoir entendu les observations des députés des deux côtés de la Chambre, le président suppléant (l’hon. Steven Paproski) prend l’affaire en délibéré[1]. Le 1er avril 1992, le Président rend une décision qui est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Le lundi 30 mars 1992 l’honorable député de Cape Breton—Richmond-Est a invoqué le Règlement au sujet du caractère omnibus du projet de loi C‑63 intitulé Loi portant dissolution de sociétés et organismes. Pendant l’étude de la question, les députés de Kamloops (M. Nelson Riis), de North Island—Powell River (M. Ray Skelly), d’Ottawa—Vanier (M. Jean-Robert Gauthier) et le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre sont intervenus dans le débat. La présidence les remercie de leurs interventions. J’ai examiné la question et je suis maintenant prêt à rendre une décision sur les points de procédure invoqués à l’encontre de ce projet de loi.

L’objet du projet de loi est de dissoudre six sociétés et organismes d’État, soit le Conseil consultatif canadien de l’emploi et de l’immigration, l’Institut canadien pour la paix et la sécurité internationale, le Conseil économique du Canada, le Centre international d’exploitation des océans, la Commission de réforme du droit du Canada et le Conseil des sciences du Canada. Le député de Cape Breton—Richmond-Est s’est opposé à ce projet de loi parce qu’il exige des députés qu’ils se prononcent sur plusieurs sujets importants en un seul débat. Il a soutenu que le projet de loi manque de logique puisque son sujet n’a pas de lien avec son titre intégral et aussi qu’il serait extrêmement difficile de débattre de six principes à l’étape de la deuxième lecture et de proposer des amendements à l’étape du rapport.

Avant de traiter de chacun des points soulevés par le député, il serait utile d’examiner brièvement en quoi consiste un projet de loi omnibus. Comme je l’ai dit dans ma décision du 8 juin 1988, il n’y a pas de définition précise de projet de loi omnibus. La définition la plus exacte que la présidence ait pu trouver et avec laquelle elle est d’accord est celle citée par le député de Windsor-Ouest qu’on trouve à la page 15880 du compte rendu officiel du 30 mai 1988 :

La défense essentielle de la procédure omnibus, c’est que le projet de loi en question, bien qu’il cherche à créer ou à modifier beaucoup de lois disparates, a en fait un seul principe de base ou un seul objet fondamental qui justifie toutes les mesures envisagées et qui rend le projet de loi intelligible à des fins parlementaires.

Manifestement, un des objets d’un projet de loi omnibus consiste à regrouper plusieurs modifications législatives de manière à concentrer le débat à la Chambre. Comme l’expliquait le leader du gouvernement à la Chambre (l’hon. Harvie Andre) le 1er mars 1982, à la page 15482 du compte rendu officiel, alors qu’il était le critique pour l’opposition, au sujet du projet de loi sur la Société canadienne des postes :

[…] le [projet de loi C‑42] modifiait 14 autres [lois] de manière à ce qu’[elles] se conforment à la nouvelle loi sur les Postes. Il est indéniable qu’en les groupant ainsi on facilite la discussion parlementaire voulue et la décision subséquente, au lieu d’y nuire.

Bien que les projets de loi omnibus soient parfois bien vus des deux côtés de la Chambre, leur utilisation a soulevé de nombreuses objections.

Le député de Cape Breton—Richmond-Est en a signalé un certain nombre. Il a soutenu que le titre intégral du projet de loi C‑63 devrait bien indiquer l’objet du projet de loi-soit la dissolution de certains organismes précis-en désignant les lois touchées, ce qui établirait la logique entre les différentes parties du projet de loi. À titre d’exemple de manque de logique entre les différentes parties du projet de loi, il cite le commentaire no 626 de la sixième édition de Beauchesne :

Il n’existe aucune prescription rigoureuse en ce qui concerne le contenu d’un projet de loi. Néanmoins, ses diverses dispositions doivent conserver entre elles un rapport à peu près logique, traiter du même sujet et s’inscrire dans le cadre général défini par son titre intégral.

En réponse, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre a soutenu ceci :

On a très bien défini le cadre général de ce projet de loi dans le budget. On a précisé que le gouvernement prévoyait faire disparaître un certain nombre de sociétés d’État et d’autres organismes afin de réduire les dépenses gouvernementales, de réduire du même coup le plus possible le fardeau du contribuable canadien[2] […].

Pour ce qui est du titre intégral, je désire signaler aux députés ma décision du 8 juin 1988, à la page 16257 du compte rendu officiel :

Un autre point soulevé […] concerne l’insuffisance de détails dans le titre du projet de loi, qui n’indique pas toutes les lois visées. [Les députés voudront peut-être consulter sur ce point l’ouvrage de [Driedger] intitulé The Composition of Legislation, Legislative Forms and Precedents. Cet ouvrage n’a peut-être pas autant de poids que celui de Beauchesne ou celui d’Erskine May, mais il est une autorité respectée sur la rédaction législative. Aux pages 153 et 154, l’auteur explique l’usage canadien concernant les titres longs et il démontre clairement qu’il n’est pas nécessaire de mentionner dans le titre chacune des lois que le projet de loi modifie, et que la pratique canadienne a évolué différemment de la pratique britannique par l’usage des termes génériques. Toutefois, si les députés estimaient qu’il est nécessaire de le faire, je suggère qu’ils devraient procéder par voie d’amendement et non demander à la présidence de trancher en rejetant le projet de loi[3].]

Les objections relatives au principe que les députés de Cape Breton—Richmond-Est, de Kamloops et d’Ottawa—Vanier font valoir, consistent à dire que le projet de loi comporte six principes visant des sujets disparates comme l’emploi et l’immigration, l’exploitation des océans, la politique scientifique, les questions économiques et ainsi de suite. Ils soutiennent qu’il sera difficile de traiter de toute la complexité des domaines touchés à l’étape de la deuxième lecture et d’arriver à une décision unique. Pour répondre à cette argumentation, on peut invoquer la réponse faite par le Président Lamoureux, le 23 janvier 1969, selon la page 618 des Journaux :

Le vote à l’étape de la [deuxième] lecture n’est pas tout à fait un vote sur le principe dont s’inspire le [projet de loi], mais plutôt une décision de la Chambre de le déférer en vue de le faire étudier davantage aux étapes subséquentes des délibérations. Si cette interprétation est exacte, les députés, il me semble, éprouveront maintenant encore moins de difficulté à se prononcer en faveur ou contre la motion principale, étant donné qu’un vote de ce genre ne représentera ni l’approbation ni le rejet du principe dont s’inspire les diverses propositions que renferme le [projet de loi] omnibus.

' Dans une décision élaborée, datée du 11 mai 1977, le Président Jerome donnait une explication plus détaillée, aux pages 5522 et 5523 du compte rendu officiel :

[…] c’est bien certain, une motion contenant au moins deux dispositions de fond est tout à fait différente d’une motion de procédure ou d’une motion qui concerne uniquement la progression d’un [projet de loi]. La pratique relative aux motions de fond n’a jamais été appliquée aux motions concernant la progression d’un [projet de loi]. Le recours à un [projet de loi] modificatif omnibus est bien consacré dans nos usages, et je ne vois aucune raison de rejeter cette pratique ou le raisonnement fort clair et judicieux de mon prédécesseur. Je ne trouve non plus aucune autorité à invoquer qui permettrait à la présidence d’ordonner que le [projet de loi] soit divisé à cette étape de la deuxième lecture. […]
Mais, comme chaque fois qu’on a invoqué ce genre d’argument, on continue toujours de se demander avec une vive inquiétude si notre façon de procéder à l’égard des bills offre vraiment un recours au député qui se plaint, à juste titre, que ce genre de [projet de loi] donne au gouvernement le droit d’exiger une seule décision sur un certain nombre de sujets très différents, même s’ils sont connexes.
À mon avis, un député devrait avoir le droit d’obliger la Chambre à se prononcer sur chaque question distincte. […]
Donc, tout en veillant bien à réserver les décisions concernant le point précis de savoir si les motions à venir seront contraires aux principes du [projet de loi], car, à ce sujet, nous n’en sommes encore qu’aux hypothèses, il me semble que nos règles autorisent à demander par un même [projet de loi] de modifier plusieurs parties du droit criminel, mais qu’il doive être permis à un député d’avoir recours à des motions d’annulation aux termes de l’article 75(5) du Règlement pour chercher à faire détacher les articles qu’il désire ne pas voir modifier ou sur lesquels il veut demander un vote distinct, sans que cela aille pour autant à l’encontre du principe du [projet de loi]. Il me semble donc que cette possibilité devrait être ouverte au député et à d’autres également de faire consigner au compte rendu leur point de vue, qui mérite d’être connu, je pense, et aussi de demander aux autres membres de la Chambre de se prononcer sur ce point de vue par un vote.

Dans le même ordre d’idées, le Président Sauvé a aussi exprimé son avis le 20 juin 1983, dans les termes suivants, à la page 26538 du compte rendu officiel :

Ainsi, bien que certains titulaires de la présidence aient exprimé des réserves au sujet de la pratique qui consiste à englober plusieurs principes distincts dans un même projet de loi, il a été décidé à chaque fois que de tels projets de loi étaient conformes à la procédure établie et recevables à la Chambre.

Les Présidents de la Chambre des communes au Canada n’ont pas reçu de compétence expresse relativement à la forme ou au contenu des projets de loi omnibus. À l’occasion, la présidence a fourni des suggestions sur la manière dont les députés pourraient faire connaître leur avis sur les différentes parties d’un projet de loi omnibus. Comme l’indiquait le Président Jerome, par exemple, les motions à l’étape du rapport visant à supprimer certains articles pourraient être une façon de procéder[4]. Comme je l’ai dit le 8 juin 1988, à la page 16257 du compte rendu officiel :

Tant que la Chambre n’aura pas adopté de règles précises concernant les projets de lois omnibus, le Président n’a aucun recours, il doit s’abstenir d’intervenir dans le débat et laisser la Chambre régler la question.

En conclusion, je ne puis recevoir les objections de l’honorable député de Cape Breton—Richmond-Est visant à faire diviser le projet de loi C‑63 intitulé Loi portant dissolution de sociétés et organismes ou à arrêter son déroulement.

Je remercie tous les députés de leur participation.

F0508-f

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1992-04-01

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[1] Débats, 30 mars 1992, p. 8987-8995.

[2] Débats, 30 mars 1992, p. 8992.

[3] Rétablissement du texte intégral de la citation originale.

[4] Débats, 11 mai 1977, p. 5522-5524.