Recueil de décisions du Président John Fraser 1986 - 1994
La procédure financière / Les voies et moyens
Affaires financières : divulgation de renseignements aux spécialistes consultés sur la réforme fiscale; secret budgétaire; implications budgétaires
Débats, p. 7315-7316
Contexte
Le 17 juin 1987, le très hon. John Turner (chef de l'Opposition) soulève une question de privilège pour protester contre le fait que certains individus ont eu accès à la version finale du Livre blanc sur la réforme fiscale avant son dépôt à la Chambre. Se fondant en partie sur un article paru le matin même dans le Globe and Mail. M. Turner estime que les 20 experts engagés par le ministre des Finances (l'hon. Michael Wilson) pour examiner les dispositions techniques du Livre blanc pourraient en tirer des avantages indus de leur situation privilégiée parmi les comptables et les fiscalistes. Il soutient que le gouvernement a attribué à la déclaration du ministre le caractère d'un exposé budgétaire lorsqu'il a fait inscrire au Feuilleton un ordre spécial prévoyant le dépôt d'avis de motions de voies et moyens suivant ladite déclaration[1] et qu'en conséquence, toute la question doit être examinée dans le contexte du secret budgétaire. D'autres députés interviennent également à ce sujet[2]. Le Président examine la question et rend sa décision le 18 juin 1987. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.
Décision de la présidence
M. le Président: Je suis maintenant disposé à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée hier par le chef de l'Opposition au sujet du principe de la discrétion en matière de finances. Hier, j'ai permis aux députés d'en discuter longuement parce que j'ai trouvé que c'était d'une importance capitale. Comme elle concerne un sujet financier important dont il sera question plus tard dans la journée, j'ai jugé bon de ne pas tarder à rendre ma décision.
La question de privilège du chef de l'Opposition était basée dans une certaine mesure sur un article paru dans le Globe and Mail hier. Le très hon. représentant en a remis une copie à la présidence, et je l'ai lu très attentivement. Il ne fait aucun doute que cet article donne l'impression que les 20 experts engagés par le ministre des Finances pour examiner la version définitive du Livre blanc sont des privilégiés et qu'ils seront avantagés par rapport à d'autres experts dans ce domaine pour conseiller leurs clients.
Voici les faits que personne ne conteste, si je ne m’abuse. Le ministre des Finances a chargé 20 experts de donner des conseils d'ordre technique sur le Livre blanc qui doit être présenté à la Chambre ce soir. Ils participent à sa préparation depuis des mois mais ils ont pu en lire la version définitive, ou certains passages de cette version, avant que le Livre blanc ne soit déposé à la Chambre, ce soir. Ces 20 personnes ont toutes prêté le serment de secret destiné aux fonctionnaires.
Ce dont le chef de l'Opposition se plaint, et plusieurs députés qui ont participé à la discussion sont de son avis, c'est que ces 20 personnes ont reçu un privilège spécial dont elles pourraient profiter. J'insiste sur le conditionnel, parce qu'aucun député n'a insinué qu'une de ces personnes avait enfreint son serment ou allait probablement le faire. L’honnêteté de ces experts n'est pas mise en doute et les députés se souviennent sans doute que je suis intervenu à plusieurs reprises dans la discussion pour m'en assurer. Je tiens à bien le préciser.
La question de privilège est basée exclusivement sur l'hypothèse selon laquelle il y a eu atteinte aux privilèges des députés du fait que ces 20 experts ont pu lire la version définitive du Livre blanc avant que les députés ne puissent l'obtenir. Le ministre des Finances a prétendu que le Livre blanc n'était pas un Budget, qu'il s'agissait simplement d'une proposition qui ne représente même pas la politique budgétaire du gouvernement. Je comprends cette distinction, mais je crois quand même que le Livre blanc a de très importantes répercussions budgétaires.
Le ministre a également affirmé qu'il n'y avait rien de nouveau à engager des experts, chargés de conseiller le gouvernement sur les questions budgétaires. Le très hon. chef de l'Opposition et ceux qui l'ont appuyé ont jugé qu'il y avait une différence entre avoir recours à des experts au cours de l'élaboration du document et laisser ces experts avoir accès au document définitif, avant sa présentation à la Chambre des communes.
J'ai bien examiné les précédents à cet égard et j'en suis venu aux conclusions suivantes. Le secret budgétaire est une convention parlementaire. Il s'agit d'empêcher quiconque de tirer un avantage de l'obtention à l'avance de renseignements budgétaires. Le très hon. chef de l'Opposition a fait mention de deux cas, en Grande-Bretagne, qui s'étaient terminés par la démission de ministres et notamment, dans un cas, d'un Chancelier de l'Échiquier, du fait d'une fuite budgétaire. Cependant, on n'a jamais soulevé la question de privilège à ce propos.
Dans cette enceinte, les questions de cette nature ont amené dans le passé des députés à soulever la question de privilège. Le secrétaire parlementaire du président du Conseil privé (M. Doug Lewis) nous a renvoyés à deux cas de ce genre. Dans une décision concernant l'un d'eux, rendue le 17 avril 1978, le Président de l'époque, M. Jerome, a exprimé de sérieux doutes quant à savoir si la convention du secret budgétaire relevait du domaine de la question de privilège[3]. Je tiens à signaler à la Chambre qu'en l'occurrence, j'en suis arrivé à la même conclusion.
Selon moi, la question de privilège n'est pas justifiée dans ce cas-ci, car les députés, et c'est fort important quand on songe à ce qu'on entend par privilège, n'ont été empêchés en rien d'accomplir leur devoir du fait que ces 20 experts ont pu prendre connaissance à l'avance du Livre blanc. Je dois souligner, cependant, que je ne porte pas de jugement quant à savoir s'il convient d'agir ainsi. Les limites du privilège parlementaire sont très restreintes et il n'incombe pas à la présidence de décider si oui ou non une convention parlementaire est justifiée ou si on l'a bel et bien violée. Cette question doit faire l'objet d'un débat politique auquel la présidence ne voudrait pas être mêlée.
Je voudrais signaler aux députés que durant le débat d'hier, des députés sont intervenus pour préciser qu'ils ne s'élevaient pas contre le principe permettant au gouvernement de consulter des gens du secteur privé. Je dois donc décider qu'en fonction des arguments qui m'ont été présentés, je ne peux faire passer cette question avant toutes les autres. Je souligne, cependant, que ma décision ne porte que sur la question de privilège.
Je tiens également à préciser que rien de ce qui a été dit dans cette enceinte ne tendait à remettre en question l'honnêteté des 20 personnes en question. À cet égard, je tiens à remercier le très honorable chef de l'Opposition qui l'a signalé très clairement, hier, vers la fin de son argumentation, appuyé en cela par d'autres députés. Ils ont gardé à l'esprit l'avertissement que je leur avais lancé de se rappeler qu'il faut toujours protéger la réputation des gens à l'extérieur de cette enceinte et respecter leur honnêteté et leur innocence dans ces cas-là.
Je remercie les députés pour leurs interventions d'hier, qui ont été longues, mais qui étaient importantes, selon moi.
F0614-f
33-2
1987-06-18
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[1] Débats, 12 juin 1987, p. 7046-7047.