Recueil de décisions du Président John Fraser 1986 - 1994
Les comités / Ingérence dans les délibérations d'un comité
Intimidation de témoins; divulgation de renseignements par un fonctionnaire; renseignements transmis en dehors des délibérations d'un comité; congédiement d'un fonctionnaire; présumée atteinte aux privilèges des députés
Débats, p. 3564-3566
Contexte
Pendant la période des questions du 11 février 1987, M Sergio Marchi (York-Ouest) pose une question au vice-premier ministre et président du Conseil privé (l'hon. Don Mazankowski) au sujet du congédiement d'un fonctionnaire du ministère de l'Emploi et de l’Immigration, M. John Quigley, qui aurait été congédié pour avoir transmis des renseignements à des députés. Dans la lettre de renvoi que le sous-ministre de l'Emploi et de ['Immigration lui a adressée, celui-ci invoque, entre autres raisons pour son congédiement, le fait que « ces démarches ont contribué à l'ébruitement de l'affaire dans les médias et à la controverse politique qui a suivi et mis publiquement en question l'intégrité du ministre » [1].
Un peu plus tard au cours de la séance, M. Fernand Jourdenais (La Prairie) soulève une question de privilège en alléguant que les privilèges des députés sont affectés par la décision et l'action du sous-ministre qui met en doute l'intégrité des membres du Comité. D'autres députés font valoir combien il est important pour les députés de pouvoir obtenir des renseignements sans avoir à craindre que les personnes qui les leur fournissent subissent des représailles. M. Doug Lewis (secrétaire parlementaire du vice-premier ministre et président du Conseil privé) déclare que M. Quigley a déposé un grief et qu'il serait donc malvenu pour le gouvernement de s'étendre davantage sur cette question pour le moment. Le Président prend l'affaire en délibéré[2] et rend une décision le lendemain. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.
Décision de la présidence
M. le Président: Le 11 février 1987, l'honorable député de La Prairie a posé la question de privilège au sujet de la mise à pied d'un fonctionnaire du ministère de l'Emploi et de l'immigration. L’honorable député a prétendu que les privilèges de tous les députés sont affectés par la décision et l'action du sous-ministre du ministère en question.
Dans la présentation qu'il a faite à la présidence, le député de York-Ouest a dit que l'initiative du sous-ministre risque d'empêcher la divulgation de renseignements précieux et utiles aux Canadiens et que par conséquent, cela remet en question le rôle même des députés à la Chambre. Le député de Spadina (M. Dan Heap) a fait valoir que le fonctionnaire en question s'est entretenu avec les membres du Comité permanent du travail, de l'emploi et de l'immigration, et qu'il n'a fait que leur fournir les renseignements pertinents disponibles.
L’honorable député de Glengarry—Prescott—Russell (M. Don Boudria) a maintenu que les députés doivent se sentir lésés dans leurs droits et privilèges. Il a affirmé que rien ne doit empêcher les députés de poser des questions à la Chambre et que les députés ne doivent pas craindre que certaines personnes qui leur ont fourni des renseignements puissent subir des mises à pied.
À ce moment-là, la présidence a pris la question en délibéré et je suis prêt à rendre ma décision à la Chambre. Je dois dire que cette question m'a posé de gros problèmes.
Voici le commentaire qui se trouve à la page 72 de la 20e édition de Erskine May.
Certains droits et immunités, comme la protection contre l'arrestation ou la liberté d'expression, appartiennent en premier lieu aux membres de chaque Chambre individuellement et seulement de façon secondaire et indirecte à la Chambre proprement dite; toutefois, il existe d'autres droits et immunités, comme le pouvoir de punir les outrages et de décider de ses propres statuts, qui, comme ils visent davantage le maintien de son autorité collective que la sécurité de chacun de ses membres, appartiennent essentiellement à chacune des Chambres collectivement . Il s'agit d'une distinction utile mais fondamentalement, ce n'est que pour permettre à la Chambre d'assumer efficacement ses fonctions que ses membres jouissent de privilèges à titre individuel. Les Communes, dans les motifs qu'elles ont invoqués, lors d'une conférence avec les Lords, dans la controverse découlant de l'affaire Shirley c. Fagg [...]
Il s'agit d'une vieille affaire dont il est question dans l'ouvrage que je cite :
[...] en affirmant que l'immunité parlementaire appartient à tous les députés de la Chambre des Communes, ont déclaré « que cette immunité permet aux députés de la Chambre des Communes de s'occuper librement des affaires publiques de cette Chambre, sans être dérangés ou interrompus ».
Je vais aborder les aspects juridiques de la question, mais je dois dire que la plainte présentée par les députés qui ont soulevé la question repose en partie sur le fait que, dans les circonstances, ils ne pouvaient pas-et là encore, je cite Erskine May comme je l'ai déjà fait-« s'occuper librement des affaires publiques de la Chambre sans être dérangés ou interrompus». C'est pourquoi cette affaire est difficile. C'est également pourquoi la présidence doit bien cerner le problème et rendre une décision qui reste dans certaines limites.
Je dois signaler à la Chambre que les anciens privilèges dont jouissent les députés, à titre individuel et collectivement, appartiennent uniquement aux députés. Ces privilèges ne s'appliquent pas aux fonctionnaires ou à des personnes de l'extérieur et le fait de converser ou de faire affaire avec un député ne donne pas droit aux mêmes privilèges.
J'ai examiné les éléments de la question soulevée par le député de La Prairie et il m'a été extrêmement difficile d'établir que la question de privilège est fondée de prime abord; cela n'ôte rien, toutefois, à la gravité de la question.
Les conversations dont il a été question ce soir se sont déroulées à l'extérieur de la Chambre et en dehors des délibérations du Comité permanent. Le fonctionnaire a agi de son propre chef et non à la demande du Comité.
Le sous-ministre semble avoir agi dans les limites de l'autorité que lui confère la loi, et ce faisant, de l'avis de la présidence, il n'a aucunement enfreint les privilèges des députés ni mis d'obstacle à l'exercice de leurs fonctions.
Le député de La Prairie a demandé à la présidence de juger la question restreinte de savoir s'il y a eu empiètement sur les privilèges parlementaires, en l'occurrence. Sur la stricte question que je dois juger, je ne peux pas affirmer que les privilèges sont en cause.
Cela ne répond pas toutefois à la question plus large que pose le député, celle de savoir s'il a été commis une injustice. Je ne crois pas avoir quelque autorité que ce soit pour me prononcer sur ce point, du moins pour le moment et selon les faits dont j'ai été saisis.
L’honorable député pourra, s'il le souhaite, porter cette affaire à l'attention du Comité permanent du travail, de l'emploi et de l'immigration. Mais je me dois de lui dire qu'il n'a pas une question de privilège fondée.
Je répète que la question soulevée est grave. En tenant compte des circonstances et en me fondant sur les faits, je ne pouvais pas que conclure que les privilèges ne sont pas en cause. Il y a cependant une question fondamentale à laquelle je ne pense pas pouvoir répondre, du moins en ce moment, qui est toujours présente dans une institution démocratique : quand et dans quelles circonstances il convient pour un fonctionnaire de transmettre de l'information à des députés et à d'autres. La présidence croit savoir que, selon un processus en cours, le soin d'en décider pourrait être laissé à d'autres. Comme je l'ai dit, c'est une question dont les députés peuvent saisir le Comité.
Je tiens à remercier tous les députés de leurs interventions. Je répète que la démarche était motivée et que, dans les circonstances, je devais me limiter à une question restreinte, ce que j'ai fait. La décision n'enlève pas du tout d'importance à la question, et elle n'empêche nullement les députés de soulever le problème à un autre endroit. Comme je l'ai déjà dit dans la décision, il ne s'agit pas de décider si, dans le cas qui nous occupe, justice a été rendue au fonctionnaire concerné, dans le sens ordinaire du terme. Je remercie encore une fois les députés.
[...]
Le député de Spadina a posé une question à la présidence. La présidence hésite beaucoup à parler d'une situation qui est encore très hypothétique. La présidence est très consciente du fait que le problème est soulevé par tous les trois partis représentés à la Chambre. Je crois qu'il convient d'en saisir le Comité. Le Comité, qui décide librement de la façon de procéder, voudra certainement voir sous quel angle il désire aborder le problème.
Les comités essaient de trouver un moyen d'examiner d'autres responsabilités, et le Comité devra de toute apparence examiner ce cas-ci, entre autres choses, dans un premier temps du moins, à supposer que les députés le saisissent du problème.
Je songe toutefois à la raison pour laquelle le député de Spadina a soulevé la question, et la présidence est toujours prête à discuter n'importe quand des problèmes difficiles avec les députés, s'ils le lui demandent.
F0907-f
33-2
1987-02-18
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[1] Débats, 11 février 1987, p. 3327-3328.
[2] Débats, 11 février 1987, p. 3330-3331.