Recueil de décisions du Président John Fraser 1986 - 1994
Les comités / Ingérence dans les délibérations d'un comité
Intimidation de témoins; protection des témoins; présumée atteinte aux privilèges des députés; affaire concernant un sous-comité ayant interrompu ses travaux; question de privilège paraissant fondée à première vue
Débats, p. 14631
Contexte
Le 4 décembre 1992, M. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell) soulève une question de privilège à propos de présumées menaces faites à l'endroit d'un témoin ayant comparu devant un sous-comité du Comité permanent de la justice et du solliciteur général. Le député explique que le 24 novembre 1992, Mme Sheryl Eckstein, fondatrice et présidente de Compassionate Healthcare Network Association. a témoigné devant le Sous-comité de la recodification de la partie générale du Code criminel et a alors présenté un court enregistrement magnétoscopique d'un film nazi intitulé « I accuse ». Après son exposé, le 3 décembre 1992, Mme Eckstein s'est entretenue au téléphone avec Mme Kelly Crichton, productrice déléguée de l'émission The Fifth Estate. qui l'aurait menacée d'éventuelles poursuites judiciaires de la part de la Société Radio-Canada (SRC) en raison de son témoignage devant le Sous-comité.
M. Boudria soutient que les témoins entendus par les comités bénéficient des mêmes privilèges que les députés et doivent donc bénéficier de la protection temporaire de la Chambre lorsqu'ils sont appelés à témoigner. Il informe ensuite la Chambre du fait que le Sous-comité en question a interrompu ses activités pour les prochains mois et fait valoir que si jamais il y a prorogation, cela pourrait l'empêcher de soulever cette question en comité[1].
M. John Brewin (Victoria) appuie la question de privilège de M. Boudria. M. Jim Edwards (secrétaire parlementaire du ministre d'État et leader du gouvernement à la Chambre) déclare avoir lu un article à ce sujet dans le Ottawa Sun et que l'affaire tournerait peut-être autour d'un problème de droit d'auteur. La question de privilège lui paraît fondée à première vue.
Le Président rend une décision immédiatement. Il juge que la question repose sur une présomption suffisante et invite M. Boudria à présenter une motion pour que cette affaire soit déférée au Comité permanent de la gestion de la Chambre. La décision du Président est reproduite ci-dessous.
Décision de la présidence
M. le Président : Je veux tout d'abord remercier le député de Glengarry Prescott-Russell qui a signalé cette affaire à la Chambre, le député de Victoria qui a fait une intervention utile, et le secrétaire parlementaire qui est intervenu au nom du gouvernement.
On a dit que le problème avait surgi dans un comité, et les députés m'ont souvent entendu dire que les problèmes peuvent habituellement être renvoyés au comité intéressé. Étant donné les circonstances qu'on m'a expliquées, je pense que ce n'est pas ce qu'il convient de faire cette fois-ci.
J'ai écouté attentivement ce qu'on a dit et je pense qu'il s'agit bien d'un cas où la présidence peut juger que le bien-fondé de la question de privilège repose sur une présomption suffisante. J'inviterais donc le député de Glengarry Prescott-Russell à proposer sa motion.
Post-scriptum
La motion est immédiatement mise aux voix et adoptée sans débat. Par conséquent il est ordonné,
Que la question des menaces proférées à l'endroit de Mme Eckstein par Mme Crichton soit déférée au Comité permanent de la gestion de la Chambre.
Le Comité permanent de la gestion de la Chambre dépose son 65e rapport le 18 février 1993. Après avoir examiné l'affaire et entendu le témoignage de M. Boudria, de Mme Eckstein et de Mme Crichton, le Comité conclut qu'il n’y a pas suffisamment de preuves selon lesquelles il y aurait eu tentative d'intimidation d'un témoin de nature à justifier une déclaration d'outrage au Parlement. Le Comité mentionne toutefois que Mme Crichton et la SRC « ont peut-être fait preuve d'un excès de zèle » dans leur protection de l'intégrité journalistique de leurs travaux. Le Comité laisse entendre que Mme Crichton et la SRC ne connaissaient peut-être pas la protection parlementaire dont bénéficient les témoins des comités et que ce fait peut avoir influé sur leurs actions. Le Comité confirme enfin les principes du privilège parlementaire et l'extension de ces privilèges aux témoins des comités.
On en vient aussi à la conclusion qu'étant donné que la Loi sur le droit d'auteur ne mentionne pas explicitement la Chambre des communes, cette loi ne s'applique pas aux délibérations du Parlement. Par conséquent, un député ou un témoin peut citer une œuvre sans avoir obtenu au préalable la permission du titulaire du droit d'auteur. Enfin, le Comité recommande que le Président écrive à Mme Crichton et à la SRC pour les informer de la teneur du rapport.
Le rapport du Comité a été adopté le 25 février 1993[2].
34-3
1992-12-04
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[1] Débats, 4 décembre 1992, p. 14629-14631.