Le privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : député se voyant refuser l’accès à des fichiers informatiques
Débats, p. 6081-6082
Contexte
Le 27 septembre 2001, Deborah Grey (Edmonton-Nord) soulève la question de privilège, alléguant qu’on lui a refusé l’accès à ses fichiers informatiques, qui ont été gelés et fermés sur ordre de l’Alliance canadienne. (Note de la rédaction : Cet incident est survenu après que Mme Grey eut quitté le caucus de l’Alliance canadienne pour se joindre à la Coalition Parti progressiste-conservateur/Caucus de la représentation démocratique.) Elle avance également que les Services d’information de la Chambre des communes ont autorisé un membre du personnel du whip de l’Alliance canadienne à accéder à ses fichiers informatiques. Mme Grey dénonce cette atteinte à la vie privée qui l’a empêchée, selon elle, de s’acquitter de ses fonctions parlementaires. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend l’affaire en délibéré[1].
Résolution
Le Président rend sa décision le 15 octobre 2001. Il fait remarquer que la situation présente des points de vue contradictoires. D’un côté, la députée prétend que les documents et les données qu’elle et ses adjoints ont sauvegardés sur le serveur de l’Alliance canadienne et qui sont protégés par un mot de passe lui appartiennent et devraient lui être rendus. De l’autre, les représentants de l’Alliance canadienne soutiennent que le serveur sur lequel les fichiers sont hébergés leur appartient, que les fichiers se trouvaient dans un répertoire nommé « CA Leader », un poste que n’occupait plus la députée, et que l’Alliance avait le droit légitime de s’assurer qu’aucun document du caucus ne figurait parmi les fichiers à rendre à la députée. Devant cette divergence, les Services de l’information de la Chambre des communes se sont abstenus de trancher et ont suggéré aux deux parties de trouver ensemble une solution qui leur conviendrait. Le Président trouve préoccupant qu’un agent de l’Alliance, à la demande du whip de l’Alliance, ait eu accès aux fichiers contestés pour décider de la façon d’en disposer. Il ajoute qu’il pourrait s’agir d’une erreur involontaire, mais qu’on pourrait néanmoins conclure que les mesures prises par la suite ont nui à la capacité de Mme Grey de représenter ses électeurs. Il ordonne que les autres fichiers contestés toujours sur le serveur de l’Alliance soient rendus sur-le-champ à la députée. Il ordonne également aux Services de l’information d’établir sans tarder de nouveaux protocoles pour garantir que les fichiers et les données appartenant à un député, y compris à des agents du caucus, soient gardés, comme prévu à l’origine, sur les serveurs des députés et non des caucus.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 27 septembre dernier par la députée d’Edmonton-Nord au sujet de l’accès sans autorisation à ses fichiers informatiques.
Je tiens à remercier l’honorable député d’avoir porté cette question à l’attention de la Chambre. J’aimerais également remercier l’honorable whip de l’Opposition pour les informations qu’il a fournies à ce sujet.
Permettez-moi d’entrée de jeu de dire que les allégations de l’honorable députée m’ont profondément troublé. J’avais demandé que l’on me fasse un rapport complet des circonstances entourant cette affaire; je l’ai maintenant en main.
Je demande à la Chambre de faire preuve de patience pendant que j’explique la chronologie des événements pertinents. Nous pourrons ainsi comprendre ce qui s’est passé, savoir au juste où les problèmes sont survenus et prendre des mesures pour éviter que de telles erreurs se répètent.
Je crois que le whip de l’Opposition a mis le doigt sur un problème de taille lorsqu’il a parlé de la « relative nouveauté de l’ère de l’information ». Les députés se fient, pour organiser leur travail, à leur propre personnel, au personnel du parti dont ils sont membres et au personnel administratif de la Chambre des communes.
Il arrive souvent que les détails liés à l’organisation du travail, en particulier ce qui touche la technologie, comme le fonctionnement des réseaux locaux et la configuration des serveurs, soient laissés à la discrétion du personnel.
La priorité du député étant d’utiliser le plus efficacement possible le temps qu’il passe à Ottawa et de servir de la meilleure façon possible les intérêts de sa circonscription, il se fie à son personnel pour prendre les arrangements nécessaires pour y arriver. Ce qui est ironique, c’est que le problème semble, selon la présidence, être survenu précisément dans le cadre des arrangements visant à aider la députée.
La saga dont il est ici question a débuté en mars 2000, lorsque la députée d’Edmonton-Nord a été nommée chef intérimaire de l’Alliance canadienne. On a alors demandé à la Direction des services de l’information de transférer les données du serveur de la députée, situé dans ses bureaux, au serveur du caucus de l’Alliance canadienne.
C’est ce qui a été fait et la députée et son personnel se sont vu accorder un segment privé du serveur de l’Alliance canadienne sous la forme d’un groupe nommé « CA Leader ». Les fichiers ainsi transférés étaient protégés par un mot de passe, et l’on peut donc dire qu’ils « appartenaient » à la députée d’Edmonton-Nord, puisque seuls son personnel et elle-même y avaient accès.
En septembre 2000, l’honorable députée a quitté son poste de chef intérimaire. On aurait pu s’attendre, si les choses s’étaient déroulées normalement, à ce que les fichiers de la députée, toujours stockés sur le serveur de l’Alliance canadienne, soient transférés sur le serveur situé dans son bureau. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est passé.
Il importe de souligner que, bien que la Direction des services de l’information constitue un service centralisé et intégré, les députés et les caucus jouissent de l’autonomie normalement accordée aux clients pour organiser leurs affaires. À cet égard, la Direction tend à réagir aux demandes plutôt qu’à prendre les devants. Elle établit des normes en faisant des recommandations au Bureau de régie interne, mais elle ne dicte pas aux députés et aux caucus comment gérer ou stocker leurs données et elle ne leur signale pas les anomalies ou les incohérences.
C’est donc uniquement en mai 2001 que l’administrateur du réseau de l’Alliance canadienne a signalé aux Services de l’information la présence irrégulière, sur le serveur de l’Alliance, des fichiers de la députée d’Edmonton-Nord. On a fait savoir aux Services de l’information que l’administrateur de réseau de l’Alliance entreprendrait des consultations avec le whip, après quoi des instructions détaillées leur seraient données. Toutefois, les Services de l’information n’ont reçu aucune instruction et tout est resté au même point qu’en mars 2000.
La situation est demeurée inchangée jusqu’au 20 septembre 2001. Une adjointe de la députée a demandé aux Services de l’information de lui donner accès à un certain nombre de fonctions ordinaires, plus précisément, des formulaires électroniques, disponibles pour les bureaux des députés et qui se retrouvent habituellement sur le serveur des députés. Lorsque les Services de l’information ont fourni l’accès demandé, l’accès au serveur de l’Alliance a par le fait même été coupé.
Constatant qu’elle ne pouvait plus accéder à ses fichiers comme à l’habitude, l’adjointe a appelé le service de dépannage des Services de l’information. Cet appel a été le prélude de plusieurs échanges téléphoniques entre les parties visées, et a abouti à la question de privilège soulevée ici, à la Chambre, par la députée d’Edmonton-Nord, le 28 septembre dernier en après-midi.
Si je comprends bien, les points de vue contradictoires dans cette affaire peuvent se résumer de la façon suivante. D’une part, la députée d’Edmonton-Nord soutient que les documents et données que ses adjoints et elle-même ont stockés sur le serveur de l’Alliance dans le groupe appelé « CA Leader » et qui étaient protégés par un mot de passe lui appartiennent et devraient lui être rendus.
D’autre part, les représentants de l’Alliance canadienne font valoir que le serveur qui contenait ces fichiers était celui de l’Alliance, que les fichiers ont été trouvés dans le répertoire appelé « CA Leader », qui correspond au poste que n’occupait plus la députée, et que l’Alliance avait le droit légitime de s’assurer qu’aucun document du caucus ne figurait parmi les fichiers à rendre à la députée d’Edmonton-Nord.
Les Services de l’information ont pour politique de ne prendre aucune mesure à l’égard des fichiers contenus sur un serveur sans avoir d’abord obtenu l’autorisation expresse du député ou du caucus à qui le serveur appartient.
Étant confrontés à des points de vue divergents, ils ont conclu qu’ils n’étaient pas en mesure de régler le différend et ont suggéré aux deux parties de s’entendre afin de trouver une solution mutuellement acceptable.
Il est regrettable que les deux parties n’aient pas réussi à s’entendre pour trouver une solution. Par la suite, comme l’a expliqué le whip de l’Opposition, un agent de l’Alliance, après avoir été avisé que rien ne l’empêchait d’agir ainsi, a demandé aux Services de l’information de lui donner accès aux dossiers contestés. À la demande du whip de l’Alliance, l’agent a proposé de faire l’examen des fichiers et de décider de la façon d’en disposer.
Par ailleurs, on avait avisé les Services de l’information qu’ils devaient, si un représentant de l’Alliance en faisait la demande, lui donner accès aux dossiers contenus sur le serveur de l’Alliance. À la suite de cet avis, les Services de l’information ont accédé à la demande de l’agent de l’Alliance en lui donnant l’accès aux fichiers en lecture seule.
C’est ce point qui préoccupe particulièrement la présidence, car je dois me rendre à l’évidence que les parties n’ont pas été très bien servies par les conseils qui leur ont été donnés.
Je renvoie les députés à la décision rendue par le Président Fraser le 9 février 1988. La citation se trouve aux pages 12761 et 12762 du compte rendu. Le Président a fait remarquer, dans une situation semblable :
Je suis convaincu que ce qui a été fait en l’occurrence l’a été innocemment. Mais le député de Thunder Bay–Atikokan a soulevé un point valable en disant qu’il ne fallait pas considérer que les données informatiques sont différentes des autres formes de données.
Bien qu’il puisse s’agir en l’occurrence d’une erreur involontaire, la réalité est que les mesures prises de bonne foi par suite de cette erreur peuvent être perçues comme pouvant porter préjudice à la capacité de la députée de représenter ses électeurs.
Il est vrai que les données contenues sur le serveur de l’Alliance canadienne pourraient, dans l’ordre normal des choses, être considérées comme relevant exclusivement de l’Alliance. Or, il ne s’agit pas ici d’une situation ordinaire. Je la comparerais plutôt au cas de la personne dont la valise fermée à clé se trouve dans le coffre de la voiture d’une autre personne.
Le propriétaire de la voiture peut-il, si on lui demande de rendre la valise, ouvrir le coffre, retirer la valise et faire venir un serrurier pour déverrouiller celle-ci afin d’en examiner le contenu avant de la rendre à son propriétaire?
Vous trouverez peut-être cette analogie simpliste, mais je crois qu’elle peut nous aider à tracer notre chemin dans le labyrinthe technologique qui, pour un grand nombre d’entre nous, demeure un terrain peu connu. Les fichiers de la députée d’Edmonton-Nord se trouvaient dans son compartiment personnel sur ce serveur, sous une forme qui n’était accessible qu’à elle. Par conséquent, j’ordonne que les autres fichiers contestés qui se trouvent toujours sur le serveur de l’Alliance soient rendus sur-le-champ à la députée d’Edmonton-Nord.
J’ai aussi ordonné aux Services de l’information d’établir de nouveaux protocoles visant à garantir que les fichiers et les données appartenant à un député soient, même dans le cas des agents du caucus, conservés — tel qu’il était prévu à l’origine — sur les serveurs des députés et non sur ceux des caucus.
Il fait peu de doute que le cas qui nous occupe présente un ensemble unique de facteurs accessoires qui ont fini par compliquer une situation qui aurait pu autrement être assez simple. La présidence est d’avis que tous les députés qui ont essayé de régler la situation ont agi de façon honorable.
J’estime également que tant le personnel des bureaux des députés que celui des Services de l’information, ayant agi selon les directives des députés, ont exercé leurs fonctions de façon responsable. J’espère que les mesures correctives immédiates que j’ai ordonnées réussiront à régler la situation actuelle et à empêcher qu’elle ne se produise de nouveau, que ce soit pour un député ou un caucus. J’espère que cela règle la question. Je remercie les députés de leur attention.
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[1] Débats, 27 septembre 2001, p. 5672-5674.