Le privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : fonctionnaires refusant de communiquer avec un député après la dissolution
Débats, p. 844-845
Contexte
Le 6 avril 2006, Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest) soulève la question de privilège au motif que des fonctionnaires ont refusé de communiquer avec des députés après la dissolution du Parlement, en soulignant qu’il conservait, selon lui, son statut de député même après la dissolution. Expliquant qu’il souhaitait discuter avec des fonctionnaires de recommandations qu’il avait proposées en comité avant la dissolution, il soutient que leur refus l’a empêché de s’acquitter de ses fonctions de député[1]. Le lendemain, Tom Lukiwski (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre responsable de la Réforme démocratique) répond que le Bureau du Conseil privé n’a pas de politique interdisant aux fonctionnaires de communiquer avec les députés pendant une campagne électorale. Il prétend que, de toute façon, le député n’avait pas de fonctions parlementaires à remplir, puisque la dissolution met fin à tous les travaux parlementaires, y compris à ceux des comités[2], et que, par conséquent, il n’y a pas eu atteinte à ses privilèges. Le Président prend l’affaire en délibéré.
Résolution
Le Président rend sa décision le 3 mai 2006. Il fait valoir que la Loi sur le Parlement du Canada sous-entend qu’après la dissolution, un député conserve son statut aux seules fins du paiement des indemnités, et que le règlement administratif du Bureau de régie interne de la Chambre des communes autorise les députés à continuer de se servir de leurs bureaux pour servir leurs électeurs. Reconnaissant qu’un député puisse avoir besoin de communiquer avec des fonctionnaires pour aider ses électeurs, le Président statue néanmoins que M. Wappel n’a pas été entravé dans l’exercice de ses fonctions parlementaires, puisque le Parlement était dissous. Il conclut donc qu’il n’y a pas, de prime abord, atteinte au privilège.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le jeudi 6 avril 2006, par le député de Scarborough-Sud-Ouest, qui affirmait que des fonctionnaires avaient refusé de communiquer avec lui pendant la dernière campagne électorale.
J’aimerais remercier l’honorable député d’avoir soulevé la question, mais aussi les honorables députés de Prince George–Peace River, de Saint-Hyacinthe–Bagot et de Halifax de leurs interventions à cette occasion. Je remercie également l’honorable secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la Réforme démocratique de son intervention, le 7 avril 2006.
Dans son exposé des faits, le député de Scarborough-Sud-Ouest a expliqué que des fonctionnaires du ministère avaient refusé de le rencontrer au cours de la plus récente élection générale dans le but de discuter de la Loi antiterroriste. Pendant la dernière législature, le député était membre du Sous-comité de la sécurité nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile. Le Sous-comité examinait l’application de la Loi antiterroriste, mais la 38e législature a été dissoute le 29 novembre 2005, avant qu’il ne puisse terminer son rapport.
Après la dissolution, l’honorable député a tenté, en vain, de communiquer avec des fonctionnaires de divers ministères pour discuter de certaines des recommandations qu’il avait proposées. On lui a répondu à deux reprises qu’une directive interdisait aux fonctionnaires de communiquer avec les députés pendant la campagne électorale.
Le député prétend que cette directive l’a empêché d’exercer ses fonctions de député. À l’appui de ses affirmations, il a soutenu qu’après la dissolution, les députés conservent leur qualité jusqu’au jour de l’élection, et plus tard s’ils sont réélus, et que pendant cet intervalle, leurs électeurs continuent de les considérer comme leur député.
Dans son intervention, le secrétaire parlementaire a indiqué que le Bureau du Conseil privé n’avait pas de politique interdisant aux fonctionnaires de communiquer avec des députés après la dissolution du Parlement. Par contre, il a soutenu qu’un député n’est député que pendant la durée de la législature et il a fait notamment référence à la Loi sur le Parlement du Canada qui prévoit que les députés conservent leurs fonctions aux seules fins du paiement des indemnités. Il a ajouté que la dissolution du Parlement met fin à tous les travaux parlementaires, y compris aux travaux des comités, et a conclu qu’il n’y avait pas eu atteinte au privilège parlementaire du député.
Le député de Scarborough-Sud-Ouest a soulevé deux questions importantes, la première sur le statut des députés pendant une élection générale et la deuxième sur les relations que les députés entretiennent avec les fonctionnaires. Permettez-moi d’abord de traiter du statut d’un député lorsque le Parlement est dissous.
Comme l’a fait remarquer l’honorable secrétaire parlementaire, ceci soulève certaines questions. Au moment de la dissolution, le Parlement — entité formée de la Couronne, du Sénat et de la Chambre des communes — cesse d’exercer ses pouvoirs; cependant, le gouvernement continue de fonctionner et les ministres demeurent en poste jusqu’à ce qu’ils soient remplacés. Les députés sont relevés de leurs fonctions parlementaires, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus tenus d’assister aux séances de la Chambre et de ses comités.
On pourrait faire valoir, à l’instar du secrétaire parlementaire, que la formulation de la Loi sur le Parlement du Canada signifie qu’en cas de dissolution du Parlement, les députés conservent leur titre uniquement aux fins du paiement des indemnités. En effet, l’article 69 de cette Loi prévoit que : « En cas de dissolution de la Chambre des communes, les députés sortants sont réputés, pour le paiement des indemnités prévues à l’article 55.1 et des indemnités et allocations prévues à l’article 63, conserver leur qualité jusqu’à la date des élections générales suivantes. »
Néanmoins, comme le savent tous les députés réélus et leurs employés, les électeurs ne cessent pas d’avoir besoin de leur aide uniquement parce que le Parlement a été dissous. C’est pourquoi le règlement administratif 305 du Bureau de régie interne permet aux députés de continuer à utiliser leurs bureaux afin de servir leurs électeurs.
Par conséquent, on pourrait faire valoir que, pendant une période électorale, le député continue de devoir aider ses électeurs et qu’il pourrait avoir besoin de communiquer avec des ministères en leur nom.
Ceci nous amène à la seconde question, celle des relations qu’entretiennent les députés avec les ministères. Si le Parlement n’est pas dissous, est-ce que les difficultés qu’éprouverait un député à rencontrer des fonctionnaires constitueraient de prime abord une atteinte au privilège ou un outrage à la Chambre?
Pour le bénéfice des nouveaux députés, je pense qu’il serait utile que j’explique brièvement ce qu’on entend par privilège parlementaire. On trouve dans l’ouvrage d’Erskine May, Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usages of Parliament, la définition classique du privilège parlementaire :
Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers dont jouit chaque Chambre, collectivement […], dont jouissent aussi les membres de chaque Chambre, individuellement, et faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers.
Gêner les députés dans l’accomplissement de leur devoir à la Chambre ou dans leur participation aux délibérations est considéré comme un outrage à la Chambre. La présidence a régulièrement réaffirmé que la Chambre se devait de protéger contre toute intimidation, obstruction ou ingérence son droit de bénéficier des services de ses députés. Par contre, pour que le privilège parlementaire puisse être invoqué, les activités en question doivent être liées aux délibérations du Parlement.
La 22e édition de l’ouvrage d’Erskine May, à la page 121, dit de façon succincte :
La correspondance avec les commettants ou des organismes officiels, par exemple, et la communication de renseignements demandés par les députés sur des questions d’intérêt public tomberont très souvent, selon les circonstances, hors de la définition de « délibérations du Parlement » qui sert à établir s’il y a eu atteinte au privilège.
Comme je l’ai déjà dit, les députés ont soulevé maintes questions de privilège au fil des ans, soutenant que des fonctionnaires les avaient gênés dans l’exercice de leurs fonctions. Ainsi, le 15 mai 1985, deux députés, M. Frith, de Sudbury, et M. Malépart, de Montréal–Sainte-Marie, ont pris la parole à la Chambre pour déclarer qu’il y avait eu atteinte à leurs privilèges, alléguant que le ministère de l’Emploi et de l’Immigration avait ordonné à ses fonctionnaires de ne pas communiquer des renseignements relatifs à certains projets, gênant ainsi leur capacité de servir leurs électeurs. Le Président Bosley a jugé qu’une plainte portant sur les agissements ou l’inaction de ministères ne pouvait donner lieu à la question de privilège parlementaire puisqu’ils ne portaient pas atteinte au droit à la liberté d’expression des députés ou ne les empêchaient pas de s’acquitter de leurs fonctions. Cette décision se trouve à la page 4768 des Débats du 15 mai 1985.
Dans un autre cas, le Président Parent, en statuant sur une question de privilège soulevée par le député de Wild Rose au sujet de renseignements qu’un fonctionnaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien lui aurait refusés, a déterminé que la situation n’avait pas empêché le député de participer aux travaux parlementaires. Par conséquent, le Président a conclu qu’il n’y avait pas eu outrage au Parlement. Cette décision figure aux pages 687 à 689 des Débats du 9 octobre 1997.
Dans chacune de ces décisions, il n’y eut aucune question de privilège de prime abord lorsque la Chambre siégeait. En ce qui a trait au cas actuel, non seulement la Chambre ne siégeait pas, mais le Parlement même était dissous. En conséquence, je reconnais que le député a peut-être bien un grief à faire valoir, mais je dois conclure qu’il n’a pas été entravé dans l’exercice de ses fonctions parlementaires. Je ne peux donc pas conclure qu’il y a matière à question de privilège dans le cas présent.
Je tiens à remercier le député de Scarborough-Sud-Ouest d’avoir porté cette question à l’attention de la Chambre, ainsi que tous les autres députés qui ont participé à la discussion.
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[2] Débats, 7 avril 2006, p. 188-189.