Le privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : député accusé d’avoir répondu de manière à induire la Chambre en erreur; distinction entre question de débat et question de privilège
Débats, p. 3718-3719
Contexte
Le 28 septembre 2006, Bill Graham (chef de l’Opposition) soulève la question de privilège au sujet de la réponse donnée par Jason Kenney (secrétaire parlementaire du premier ministre) à une question posée par Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grace–Lachine) pendant la période des questions ce jour-là, relativement à des excuses dues à Maher Arar, un citoyen canadien qui avait été indûment incarcéré et torturé dans une prison syrienne[1]. M. Graham soutient qu’en accusant le Parti libéral d’avoir pris des mesures ayant mené à l’incarcération de M. Arar en Syrie, M. Kenney, dans sa réponse, a induit la Chambre en erreur, puisqu’il n’a pas fait d’allégations à l’encontre de députés en particulier. M. Graham demande à M. Kenney de retirer ses propos[2]. Après avoir donné la parole à M. Kenney, le Président fait savoir que même s’il s’agit à première vue d’une question de débat plutôt que d’une question de privilège, il examinera les déclarations et informera la Chambre de sa décision en temps opportun.
Résolution
Le Président rend sa décision le 5 octobre 2006. Il déclare que l’affaire relève d’une divergence d’opinions sur les faits et non d’une question de privilège. Il profite de l’occasion pour rappeler à la Chambre l’importance du décorum et qu’un député ne devrait pas se conduire d’une façon qui perturbe les débats. La Chambre était alors très bruyante, en raison du langage répréhensible et des déclarations incendiaires des députés, et en raison d’interruptions, d’interjections et d’autres débordements, comme les applaudissements et les ovations, qui semblaient n’avoir d’autre but que de rendre inaudibles les députés ayant la parole. Le Président demande la collaboration de la Chambre pour que les députés ayant la parole puissent se faire entendre.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par le chef de l’Opposition au sujet des propos tenus par le secrétaire parlementaire du premier ministre lors de la période des questions du jeudi 28 septembre 2006.
Je tiens d’abord à remercier l’honorable chef de l’Opposition d’avoir soulevé l’affaire et l’honorable secrétaire parlementaire d’être intervenu.
Le 28 septembre, au cours de la période des questions, la députée de Notre-Dame-de-Grâce–Lachine a posé une question au sujet de la réponse faite par le gouvernement au rapport O’Connor, sur l’emprisonnement et la torture de M. Arar.
La députée a signalé dans son entrée en matière que le gouvernement libéral précédent avait créé la commission d’enquête O’Connor, après quoi elle a demandé au secrétaire parlementaire du premier ministre pourquoi le gouvernement n’avait pas présenté d’excuses à M. Arar.
Le secrétaire parlementaire a alors répondu, et je cite :
Monsieur le Président, il est vraiment ironique d’entendre une représentante du Parti libéral dire que son parti a fait le premier pas en ce qui concerne M. Arar. Les mesures que les libéraux ont prises l’ont conduit dans une prison syrienne.
Après la période des questions, le chef de l’Opposition a soulevé la question de privilège pour dénoncer ces propos. Disant craindre qu’ils ne portent à croire que le gouvernement libéral avait été pour quelque chose dans les événements ayant entouré l’arrestation de M. Arar, il a demandé au secrétaire parlementaire de retirer ses paroles.
Le secrétaire parlementaire a justifié sa réponse en la fondant sur un passage du rapport du juge O’Connor qu’il a cité, et il a conclu en disant qu’il n’y avait pas matière à question de privilège et qu’il s’agissait tout au plus d’une divergence d’opinions.
J’ai alors promis de lire ce que les deux députés avaient dit et de faire part à la Chambre de ma décision sur le sujet.
Comme je l’ai déjà dit à l’occasion d’autres décisions, il arrive rarement que la présidence conclue qu’il y a à première vue matière à question de privilège en présence de ce qui semble n’être qu’un désaccord quant aux faits. Pour juger qu’il y a à première vue matière à question de privilège, il faudrait que je conclue que les propos du secrétaire parlementaire ont empêché le chef de l’Opposition de s’acquitter de ses fonctions parlementaires.
J’ai examiné les arguments du chef de l’Opposition et du secrétaire parlementaire du premier ministre de même que les questions de la députée de Notre-Dame-de-Grâce–Lachine et les réponses que le secrétaire parlementaire y a faites à la période des questions.
Comme les deux députés étaient d’avis différents, la présidence a du mal à voir dans l’incident autre chose qu’un débat. Par conséquent, rien ne me permet de conclure que l’accusation d’atteinte au privilège est fondée.
Néanmoins, le fait que cette affaire se soit produite alors que l’émotion était vive des deux côtés de la Chambre donne à la présidence l’occasion d’aborder la question du décorum en général.
Comme je l’ai signalé dans ma décision du 1er octobre 2003, dont le texte se trouve aux pages 8040 et 8041 des Débats de la Chambre des communes, et je me cite moi-même :
En tant que députés, nous sommes tous régulièrement exposés aux divergences qui surviennent dans l’interprétation des divers événements ou incidents et des documents déposés à la Chambre. Les députés peuvent être — et sont souvent — en désaccord sur les faits d’une même situation. Les divergences de cette nature sont le fondement même de nos débats. Nos règles visent à permettre aux députés d’exprimer des points de vue différents sur des questions données, et même à les encourager à le faire. Cette tolérance vis-à-vis des points de vue divergents est une caractéristique fondamentale de la liberté de parole et du processus de prise de décisions qui sont au coeur de notre système parlementaire.
Mais l’exercice de cette liberté d’expression doit reposer sur le principe sous-jacent du respect de la Chambre et des autres députés. Un député ne devrait jamais se conduire d’une façon qui perturbe les débats.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que depuis quelques semaines — et n’importe qui en conviendra —, la Chambre est singulièrement bruyante, surtout pendant la période des questions. Ce désordre résulte en partie de l’usage d’un langage répréhensible et de déclarations incendiaires.
Mais le désordre semble surtout produit par des interruptions, interjections et autres débordements, comme les applaudissements et les ovations, bref de gestes qui ne semblent avoir d’autre but que de rendre inaudibles ceux qui posent des questions ou qui y répondent ou de leur faire perdre le fil pendant qu’ils interviennent. Mais quand le bruit atteint un niveau tel que personne, pas même le Président, n’entend plus ce qui se dit, c’est toute la Chambre qui y perd en crédibilité.
J’exhorte donc tous les députés à coopérer à cet égard. Je continuerai de m’efforcer de donner à tous la plus grande latitude possible dans l’expression de leurs opinions, mais je demande votre collaboration pour que nous puissions tous entendre les propos des députés qui ont la parole.
J’ai été tenté de présenter cette décision à 14 h 15, mais je remercie les députés d’avoir été patients et d’avoir attendu jusqu’à maintenant.
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[2] Débats, 28 septembre 2006, p. 3391-3392.