Le privilège parlementaire
Introduction
Les députés, de façon individuelle, et la Chambre, de façon collective, jouissent de certains droits et immunités sans lesquels ni les députés ni la Chambre ne pourraient s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits et immunités, qui ne se prêtent pas facilement à une classification, se regroupent sous le titre de « privilège parlementaire ». Dès qu’un député estime qu’on a porté atteinte à ses droits ou commis un outrage à la Chambre, il soulève une question de privilège pour protester. Lorsqu’il expose ses arguments, le député soutient que la violation de son privilège a une telle importance qu’elle doit avoir préséance sur tous les autres travaux de la Chambre. Il appartient alors au Président de juger du bien-fondé de la plainte, c’est-à-dire de déterminer si elle mérite, de prime abord, ou dans la mesure où les premiers éléments permettent d’en juger, un examen immédiat.
Pour évaluer la plainte, le Président entend d’abord une description du problème de la part du député soulevant la question. Ensuite, sans y être contraint, le Président peut aussi entendre les commentaires d’autres députés, comme le Président Milliken l’a souvent fait. En théorie, le débat sur une question de privilège commence, à proprement parler, lorsque le Président statue qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège. Toutefois, dans la pratique, ce débat peut être précédé de longues discussions et, le plus souvent, c’est la décision du Président qui règle l’affaire. Pour rendre une décision, le Président examine les faits et les arguments invoqués par les députés, de même que les règles, les textes faisant autorité en la matière et les précédents. La décision du Président peut aussi dépendre d’autres facteurs, comme le libellé de la motion que le député souhaite présenter pour remédier à la situation; de même, le Président cherchera à savoir si la question a été soulevée à la première occasion et au moment opportun et si le préavis requis a été donné. Pour la vaste majorité des questions de privilège, le Président décide qu’il n’y a pas, à première vue, matière à question de privilège. Cela s’est aussi confirmé dans le cas du Président Milliken.
Durant son mandat, le Président Milliken a rendu plus de 160 décisions sur des questions de privilège parlementaire. Pour le présent chapitre, ses 47 décisions sont présentées en ordre chronologique sous deux grandes catégories principales : les droits de la Chambre et les droits des députés. D’autres décisions font partie d’autres chapitres selon leur pertinence.
Le Président Milliken a présidé la Chambre des communes à la fois sous des gouvernements majoritaires et minoritaires ainsi que sous les libéraux et les conservateurs, ce qui l’a amené à naviguer sur les eaux houleuses de la partisanerie. Les 38e, 39e et 40e législatures ont vu éclater des conflits historiques entre le gouvernement et l’opposition, souvent sur des questions de privilège. Comme c’est le cas pour toutes ses décisions, le Président Milliken a axé ses efforts sur la protection des droits et privilèges de la Chambre et des députés.
Deux questions de privilège fondées de prime abord on jeté un nouvel éclairage sur les droits collectifs de la Chambre : la première portant sur l’ordre de la Chambre de produire des documents relatifs à la détention de combattants par les Forces canadiennes en Afghanistan et la seconde, sur l’ordre du Comité permanent des finances de produire des documents relatifs aux estimations de coûts de diverses mesures stratégiques du gouvernement. Dans ce dernier cas, la Chambre a fini par adopter une motion de censure à l’endroit du gouvernement, ce qui a abouti à la dissolution de la 40e législature.
Les autres questions de privilège fondées de prime abord et concernant les droits de la Chambre portaient sur la divulgation par le gouvernement du contenu d’un projet de loi avant sa présentation, l’utilisation du titre de « député » par des non-députés et la divulgation de renseignements confidentiels. En outre, plusieurs questions de privilège fondées de prime abord portaient sur des questions d’outrage : un député ayant touché la masse, des motions accusant d’outrage deux hauts fonctionnaires du Parlement (le premier pour avoir induit un comité en erreur; le second, pour avoir enfreint les dispositions du Code régissant les conflits d’intérêts), et, à deux occasions, des allégations selon lesquelles des ministres avaient délibérément induit la Chambre en erreur.
La deuxième partie du chapitre porte sur les droits individuels des députés. Dans cette partie, les questions de privilège fondées de prime abord ont été soulevées au motif qu’on avait empêché des députés de s’acquitter de leurs fonctions. Par exemple, une question faisait suite à la décision d’une cour de la Colombie-Britannique selon laquelle rien ne justifiait légalement d’appliquer le privilège qui exempte les députés de répondre à une sommation à comparaître à la cour dans les 40 jours précédant et suivant une session parlementaire. Une autre question faisait suite à la divulgation de renseignements confidentiels provenant d’une réunion du caucus libéral de l’Ontario. Une autre encore concernait un député s’étant vu refuser l’accès à l’enceinte parlementaire en raison de la visite d’un chef d’État étranger. Plusieurs autres questions concernaient des dépliants que des députés avaient envoyés en nombre aux électeurs d’autres députés et qui auraient pu nuire injustement à leur réputation.